Le modèle de la répartition pharmaceutique en France
Historique de la mise en place d’un système de répartition des agents thérapeutiques en France
Un boutiquier pas comme les autres
L’apothicaire, du latin apothecarius signifiant boutiquier, est considéré comme l’ancêtre du pharmacien. Son activité principale consisté à vendre des remèdes : breuvages, potions, onguents et médicaments aux personnes dont l’état de santé est altéré. C’est ainsi que les malades suivent inéluctablement, le même chemin, siècle après siècle. Dans un premier lieu, le médecin, le guérisseur qui dispose des connaissances sur le corps et l’humeur lui permettant d’établir un diagnostic. Dans un second temps, l’apothicaire, le pharmacien, longtemps considéré comme subalterne qui exécuté ce qui lui était ordonné.
Cependant l’apothicaire reste le gardien d’un savoir qui repose sur un amoncellement de connaissances transmises depuis des siècles. Du Papyrus Ebers (1500 av. J.-C.), De materia medica de Dioscoride (60 apr. J.-C.), aux travaux de Galien, dont le serment est toujours prononcé par les futurs acteurs de la profession. Enfin plus spécifique à la pratique de la pharmacie en France, nous pouvons retrouver le Codex medicamentarius, recueil contenant la collection des recettes et formules auxquelles les pharmaciens devaient se conformer pour préparer les médicaments officinaux qui fut institué par la loi du 21 Germinal de l’an XI (10 Avril 1803) .
Une préoccupation royale
Du XIIIe au XVIe siècle, la profession d’apothicaire et de ce fait la circulation des drogues rares et prestigieuses sur le territoire fut au cœur de nombreuses ordonnances royales. Le Roi Saint Louis en 1258 accorda un statut à la profession d’apothicaire (distinguant ainsi les apothicaires, des médecins). Les ordonnances du Roi Charles VIII en 1484, interdirent aux épiciers de Paris de se livrer au commerce de drogues médicinales s’ils n’étaient pas des apothicaires. L’ordonnance du Roi Louis XII en 1514 qui consacra la supériorité des apothicaires dans l’expertise des drogues médicinales . La profession ne cessa de jouer des coudes avec les autres commerçants et les médecins face auxquels il fallait démontrer une expertise sans faille concernant leur domaine. Cependant la circulation des drogues, dans le pays, restait un commerce bien difficile à réguler, qui marqua le XVIIe siècle avec « l’affaire des poisons » . En 1777, à la suite d’un décret le Roi Louis XVI remplaça le jardin des apothicaires par le Collège de Pharmacie. Les apothicaires prennent le nom de pharmaciens et obtiennent l’exclusivité de la préparation des remèdes. Cette déclaration sépara les corporations d’apothicaires et d’épiciers reconnaissant ainsi le monopole de la vente des médicaments aux pharmaciens.
Révolutions et fièvre pharmacologique
La loi de Germinal 1803 établit le monopole des pharmaciens sur la fabrication des «spécialités ». Néanmoins la tolérance et le laxisme restaient de vigueur vis-à-vis des autres acteurs du circuit des agents thérapeutiques en France. De la sorte, les herboristes tenaient de véritables officines de plantes médicinales dans leurs arrièreboutiques, de même pour les religieuses qui profitaient de « l’aura de guérisseur » du clergé pour ouvrir des pharmacies notamment dans les campagnes. Les épiciers, liquoristes et confiseurs profitaient du flou de la frontière entre produits alimentaires et médicaments. Et enfin la vente en gros de poudres et drogues médicinales était permise aux droguistes .
Le XIXe siècle est le siècle de la Révolution industrielle mais aussi celui de l’évolution de la thérapeutique. En effet l’innovation scientifique rationnelle et maîtrisée, ainsi que le développement de la technique ont permis la découverte et la fabrication de nouveaux agents thérapeutiques. Ce siècle chargé d’innovation de toutes sortes au sein de la société, est marqué par un cycle perpétuel d’enthousiasme et de nihilisme à l’égard de l’avancé de la recherche pharmaceutique. Cette saga industrielle fut rythmée par le développement de la chimie organique et de microbiologie. Ces avancées ont permis l’essor de la chimiothérapie (la morphine en 1806, le chloroforme en 1831, la trinitrine en 1860, …), de la sérothérapie et de vaccinothérapie (la rage en 1884 et la diphtérie en 1890) . Cependant cet essor ne reste qu’à son balbutiement, en effet, nous pouvons voir, dans la Bibliothèque de thérapeutique publié entre 1909 et 1912 (soit 28 volumes d’environ 500 pages), que les médicaments synthétiques issus de l’industrie chimique ne représentent qu’une faible partie de l’arsenal thérapeutique mis à la disposition des médecins de l’époque . D’autres sciences étaient plus populaires, tel que la physiothérapie, la radiumthérapie, l’électrothérapie, la mécanothérapie ou encore l’opothérapie.
De plus des accidents comme le fiasco de la tuberculine de Koch lors de sa présentation à Berlin favorisèrent l’émergence de thérapies plus conservatrices de la plupart des praticiens, tels que le néohyppocratisme .
La maîtrise, l’affinement, la standardisation des procédés de fabrication ainsi que l’augmentation du nombre d’agents thérapeutiques sont des facteurs qui vont rapidement submerger les pharmaciens officinaux. Ils ne peuvent plus depuis un moment assurer la fabrication et le vente de leurs propres médicaments. C’est ainsi que le recours aux droguistes et grossistes devint plus usuel. Il en va de même pour les remèdes secrets dont la composition et la fabrication ne cessaient d’être remise en cause par les autorités publiques. Ces remèdes sont par la suite devenus les spécialités pharmaceutiques qui ont fait les grandes heures de l’industrie pharmaceutique durant le XXe siècle. L’ensemble de ces facteurs bouleversèrent totalement la pratique de la pharmacie.
Selon Olivier Faure : « On sait que les premières drogueries en gros de Paris se créent entre 1815 (Ménier) et 1834 (Dausse). […] Ces créations accompagnent et encouragent le recours des pharmaciens aux grossistes. Là aussi, le mouvement est très vite général et dépasse les seules grandes agglomérations. Dès 1816, les pharmaciens de Mâcon regrettent que « toutes les préparations chimiques et la plupart des médicaments officinaux sont achetés à Lyon chez des droguistes ou des pharmaciens ». La pratique est si répandue que dès 1825, le rapport Corbière à la Chambre des Pairs signale déjà que « depuis quelques années, le pharmacien s’adresse presque toujours au commerce pour se procurer les matières dont il a besoin pour exécuter les ordonnances des médecins. Ce qui se passait sous les yeux des élèves ne se fait plus qu’au loin dans quelques manufactures de produits chimiques. » » .
En effet ce sont les difficultés que rencontrent les pharmaciens à se fournir en produits pulvérisés, de certifier leur authenticité et de se tenir au courant des dernières innovations qui ont poussé des individus tel que Jean-Antoine-Brutus Menier, a fondé en 1816 la Droguerie Menier à Paris. Il fournira aux pharmaciens des drogues finement pulvérisées, de plus le contenu de chaque sac vendu étant garanti par une étiquette portant sa signature. En 1852, sera créée la Pharmacie Centrale des Pharmaciens par François Dorvault à Paris, qui sera renommée 3 ans plus tard la Pharmacie Centrale de France. Ce modèle d’établissement se constituait à la fois de drogueries permettant la vente en gros aux pharmaciens de toute la France et de laboratoires à l’intérieur desquels étaient fabriqués les médicaments. D’ailleurs en 1867 la Pharmacie Centrale de France fît l’acquisition de la Droguerie Menier.
Le secteur de la santé ne fit pas exception et fut profondément bouleversé par la révolution industrielle qui animée l’Occident durant le XIXe siècle. Ainsi dès le début du XXe siècle, l’ensemble des pharmaciens s’approvisionnent auprès de grossistes et vendent des spécialités, que ce soit par choix ou par nécessité économique.
Le XXe siècle, l’essor des grossistes-répartiteurs
Les leaders du marché français
L’Office Commercial Pharmaceutique
L’engouement autour des spécialités pharmaceutiques durant la seconde moitié du XIXe siècle notamment favorisé par l’avancé scientifique dans le secteur de la chimie et le développement de la publicité au sein du milieu entraîna une hausse de la consommation de spécialités pharmaceutiques. De ce fait des drogueries pharmaceutiques en gros virent le jour et ne cessèrent de croître. En 1840, dans la région parisienne, environnement concurrentiel féroce, une entreprise de négoce en accessoires pharmaceutiques créée par Cavillon va élargir son catalogue de produit aux spécialités pharmaceutiques, afin de mieux répondre à la demande grandissante des pharmaciens d’officine de la région.
En 1901, cette entreprise est sous la direction de Louis Piot et Henri Lemoine qui en 1920 vont employer André Royer lui aussi pharmacien de profession et créer la Revue des spécialités. Issus du milieu officinal, Royer était bien conscient des problématiques auxquelles devait faire face l’officine, renforcer le lien entre l’officine et la répartition était déjà une nécessité. En 1924 Piot, Lemoine et Royer fusionne avec Merveau & Cie ainsi qu’avec Michelat, Souillard & Cie : ainsi fut créée l’Office Commercial Pharmaceutique qui devint l’organisation pharmaceutique la plus important de France en termes de nombres d’établissements parisiens et provinciaux. Durant les années 20 et 30, l’OCP se consacre à étendre son activité sur l’ensemble du territoire et à moderniser ses équipements (mise en place de goulottes, début de l’automatisation avec les machines électro-comptables). C’est durant cette période que le terme de « grossiste-répartiteur pharmaceutique » commence à être employé pour qualifier l’activité.
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Table des matières
Introduction
Partie 1 : Le modèle de la répartition pharmaceutique en France
I. Historique de la mise en place d’un système de répartition des agents thérapeutiques en France
1. Un boutiquier pas comme les autres
2. Une préoccupation royale
3. Révolutions et fièvre pharmacologique
II. Le XXe siècle, l’essor des grossistes-répartiteurs
1. Les leaders du marché français
2. Fonctionnement d’un grossiste-répartiteur
3. Le rôle du pharmacien responsable
4. Les différents modèles de distribution pharmaceutique en France
5. Le maillage territorial
III. XXIe siècle, explosion des ventes directes et nouvelles problématiques auxquelles doit faire face les grossistes-répartiteurs
1. La législation en vigueur et financement de l’activité
2. L’arrivée des génériques, casse-tête pour la profession
3. Le développement de la vente en directe
4. L’innovation pharmaceutique : une pression supplémentaire
5. Niveau de satisfaction des pharmaciens français
Partie II. Etat des lieux de la distribution pharmaceutique en Europe
I. La distribution pharmaceutique en Europe
1. Le modèle allemand
2. Le modèle espagnol
3. Le modèle italien
4. Le modèle belge
II. Les particularités du modèle britannique
1. Le paysage de la répartition pharmaceutique au Royaume-Uni
2. Agency model et DTP
3. Les « Reduced Wholesaler Models » (RWM)
III. L’efficacité d’un système
1. Les leaders du marché européen
2. Valeurs ajoutées du grossiste-répartiteur
3. Perception du rôle des grossistes-répartiteurs par les autres auteurs de la chaîne de distribution du médicament
Partie III. Statu quo fragile, avenir du secteur de la distribution pharmaceutique en France
I. Talon d’Achille : financement d’un service public
1. Services publics et préfinancement de santé
2. Dépense de santé de plus en plus sous pression
3. Nouveaux modèles de financement
II. Remise en cause des piliers de la profession
1. Mise à mal du monopole pharmaceutique et monopole officinal
2. Positionnement des grossistes-répartiteurs face à l’ouverture du capital des officines
Conclusion
Bibliographie