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Population cible et site d’exploration
La population ciblée par cette enquête est les ergothérapeutes français, travaillant en SSR7 ou en CRF8 depuis au moins six mois pour qu’ils puissent justifier d’une expérience professionnelle. Ces professionnels doivent, dans leur pratique, obligatoirement prendre en soin des personnes ayant été victimes d’un AVC.
La population choisie doit travailler en France, cela permettra d’avoir un large panel des pratiques qui se font sur le territoire et d’avoir une représentation de ce que la démarche centrée sur la personne et ses occupations représente pour les ergothérapeutes français.
Pour contacter les ergothérapeutes travaillant en CFR ou en SRR, les ressources disponibles à l’IFE9 comme les adresses mails des terrains de stage en SSR et en CRF sont utilisées, mais aussi des recherches documentaires et des groupes sur les réseaux sociaux.
Concernant la réglementation encadrant les recherches en ergothérapie, cette enquête exploratoire s’intéresse à des ergothérapeutes. Néanmoins, elle a pour visée de mieux comprendre la pratique de ces professionnels, « elle implique des personnes humaines mais n’est pas réalisée sur des personnes » (30) . Au regard de la Loi Jardé, elle n’est pas effectuée directement sur des personnes. Cette enquête exploratoire est donc « hors Loi Jardé » (30). Les personnes interrogées seront libres de répondre et leur consentement sera demandé au début de l’enquête.
Approche centrée sur la personne
L’approche centrée sur la personne a été développée par Carl Rogers, un psychologue américain. Cette approche a été reprise dans de nombreux domaines allant de l’éducation au domaine de la santé. Rogers a fondé cette approche en faisant le postulat que « l’être humain a en lui d’immenses ressources, qui lui permettent de se comprendre lui-même, comme de modifier sa propre image, ses attitudes et son comportement volontaire, et ces ressources peuvent être exploitées pour peu qu’on leur offre un climat caractérisé par des attitudes psychologiques facilitatrices. » (32) (p.166). Elle repose sur trois fondements, tout d’abord la congruence, c’est-à-dire qu’il existe un accord entre ce qui est dit et ce qui est fait. Le second fondement est l’attention positive et inconditionnelle, aucun jugement ne doit être fondé sur le patient. Enfin, le troisième fondement est l’empathie, c’est-à-dire la capacité du thérapeute de se mettre à la place du patient même si le thérapeute ne pense pas de la manière ou ne cautionne pas les actes du patient (32).
Cette approche développée par Rogers a été adaptée à l’ergothérapie par les ergothérapeutes canadiens, dans les années 2000 comme l’approche centrée sur le client. Elle est définie comme une collaboration entre le thérapeute et le patient, où celui-ci prend part aux décisions le concernant car il est considéré comme expert de sa propre vie (33). Cette collaboration doit être basée sur le respect. Les besoins et les attentes de la personne sont mis au premier plan par l’ergothérapeute, tout en prenant en compte l’environnement de la personne. La personne est experte de sa vie et de ses besoins, mais aussi des occupations qu’elle réalise. Cette approche s’intéresse aux activités et occupations de la personne, plutôt qu’à ses dysfonctionnements, qu’ils soient physiques ou psychiques.
Dans le cadre de cette approche, l’ergothérapeute se doit de donner toutes les informations importantes à la personne, pour qu’elle puisse décider. La personne doit être accompagnée dans l’intervention en ergothérapie, mais elle ne doit pas la subir. La relation se veut horizontale pour laisser une place à part entière au patient, le soutien émotionnel est un aspect important dans l’approche centrée sur le client (3) (33).
Selon Law, l’approche centrée sur le patient est une philosophie, qui doit animer les ergothérapeutes qui exercent. Une pratique basée sur l’approche centrée commence dès lors de la première rencontre entre le thérapeute et le patient (33).
Plus récemment, Marterella et Fisher ont développé des continuums, pouvant s’apparenter à des outils permettant aux ergothérapeutes d’analyser leur pratique. Un des quatre continuums s’intéresse à l’approche centrée sur la personne. Il montre aux ergothérapeutes dans quel cas ils sont centrés sur la personne ou non dans leur évaluation ou leur intervention. L’approche centrée sur la personne, comme dit précédemment, repose sur le fait que la personne doit être impliquée dans le processus de choix, tout au long de l’intervention en ergothérapie. Pour avoir une pratique centrée sur la personne, ce continuum indique que les choix doivent se faire par la collaboration entre l’ergothérapeute et le patient (34).
Le Modèle Canadien du Rendement et de l’Engagement Occupationnels (MCREO)
Le MCREO est un modèle conceptuel en ergothérapie, développé au Canada pour clarifier le rôle des ergothérapeutes dans ce pays et présenter les valeurs de la profession. Les fondements du modèle ont été développés dans les années 1980, à la suite de recherches en ergothérapie. Il est ensuite repris en 1997, par l’ACE10 dans l’ouvrage : « Promouvoir l’occupation : une perspective de l’ergothérapie », puis en 2002 dans la réédition de l’ouvrage. En 2007, le modèle est révisé pour aboutir au modèle actuel, le MCREO. Ce modèle a permis aux ergothérapeutes de se recentrer sur leur coeur de métier qui est l’occupation. Il peut être utilisé dans des domaines d’interventions variés (36).
Il s’appuie sur les recherches de Mary Reilly, et se base sur une approche centrée sur la personne. Un partenariat entre le thérapeute et le patient est primordial afin d’établir les objectifs et de constater les évolutions dans la performance et la satisfaction pour une occupation à la suite d’une prise en soin. En effet, ce modèle permet de visualiser les liens entre la personne, ses occupations et son environnement. Une des hypothèses fondatrices de ce modèle est que l’être humain est un être occupationnel, c’est-à-dire qu’il a besoin d’occupations pour évoluer de manière satisfaisante. Ces occupations peuvent être d’ordre social ou de survie. Tout être humain a besoin d’agencer et de réaliser ses occupations pour vivre et être en santé. Chaque individu possède des occupations singulières, cela prend en compte son environnement mais aussi la personne. (37)
Les occupations, comme le montre la vue de profil du MCREO sont la base même de l’ergothérapie. L’ergothérapeute, dans sa pratique, se focalise sur les occupations importantes pour les personnes en prenant en compte l’environnement et les déterminants personnels dans celles-ci (38).
Marie-Chantal Morel-Bracq insiste sur le fait que : « L’occupation a un potentiel thérapeutique » (37) car l’occupation est nécessaire à l’être humain pour fonctionner de manière satisfaisante et pour son bien-être. Elle permet aussi à un individu de trouver du sens à son existence (38) .
Caractéristiques de la population cible
La question et l’objet de recherche s’intéressent aux ergothérapeutes qui exercent dans le domaine de la rééducation. La population doit répondre à certains critères pour pouvoir être incluse dans la recherche.
Critères d’inclusion et d’exclusion
Pour mener à bien la recherche, les critères d’inclusion de la population sont les suivants :
-Ergothérapeutes ayant obtenu leur diplôme d’Etat
-Ergothérapeutes travaillant en rééducation, soit SSR, soit en CRF ou en CMPR11 en France
-Ergothérapeutes utilisant dans leur pratique le MCREO
Alors que les critères d’exclusion sont les suivants :
-Ergothérapeutes n’ayant pas un diplôme d’Etat
-Ergothérapeutes ne travaillant pas en France et en rééducation
-Ergothérapeutes travaillant en rééducation mais qui n’utilisent pas le MCREO dans leur pratique
Sites d’exploration
Les sites d’exploration pour échanger avec les professionnels qui entrent dans les critères d’inclusion sont les SSR, les CRF ou les CMPR.
Pour prendre contact avec les ergothérapeutes, des mails (Cf. Annexe 5) seront envoyés à ceux travaillant en SSR ou en CRF, grâce à la liste de contacts établie pour l’enquête exploratoire.
L’échantillonnage est significatif, c’est-à-dire que les personnes retenues pour cette recherche présentent des caractéristiques en lien avec l’objet de recherche (47). Celui-ci est plus précisément un échantillonnage boule de neige, c’est-à-dire que les personnes acceptant de réaliser sont sollicitées pour recommander d’autres personnes de leur entourage qui entrent dans les critères d’inclusion de la population.
Choix et construction de l’outil théorisé de recueil des données
Entretien semi-directif
Afin de recueillir les données nécessaires pour la recherche, l’outil privilégié est l’entretien semi-directif. Il est retenu car il comporte des thèmes et sous-thèmes à aborder pour atteindre le but de la recherche. Néanmoins, par ce type d’entretien, le participant conserve une certaine liberté de développer d’autres thèmes en rapport, que l’enquêteur n’aurait pas développés. Cela permet d’enrichir les échanges et les résultats (47).
Cet entretien est construit sur la base de l’étayage conceptuel réalisé, et qui a donné lieu à une matrice conceptuelle (Cf. Annexe 6). Un guide d’entretien (Cf. Annexe 7), qui sert de fil conducteur à l’entretien par rapport aux thèmes à aborder a été construit (48).
Les outils de recueil de données comportent des biais, dont il faut avoir conscience pour les anticiper.
Choix des outils de traitement des données et d’analyse des résultats
Avant de débuter l’analyse des données recueillies lors des entretiens, une retranscription de ceux-ci est nécessaire, ce qui est réalisé manuellement sur le site internet oTranscribe. Cette application facilite la retranscription des entretiens et permet d’écouter l’entretien et d’écrire sur la même page. Les données recueillies lors des différents entretiens sont traitées par une analyse thématique : les données sont classées dans des thèmes, qui se retrouvent dans les différents entretiens et qui sont en lien avec l’objet de recherche. Il est particulièrement adapté pour analyser des pratiques (49). Tout d’abord, les entretiens retranscrits sont lus un par un et des thèmes sont définis en fonction de ce que le participant a abordé lors de l’entretien. Puis une grille d’analyse thématique est réalisée pour pouvoir classifier les énoncés en thèmes et sous-thèmes.
Pour réaliser le traitement des données et extraire des résultats des entretiens, une méthode ciblée est utilisée. Il s’agit d’une méthode d’analyse thématique élaborée par Braun et Clark (2006) et qui se découpe en six étapes distinctes.
La première étape consiste à lire à plusieurs reprises de manière active chaque entretien pour s’immerger dans son contenu. Ensuite intervient une phase de codage des données lues précédemment en grandes catégories. La troisième étape est la recherche des thèmes potentiels à partir du codage effectué dans l’étape deux. L’étape quatre consiste à affiner les thèmes pour que ceux-ci soient plus précis et pertinents. La cinquième étape est la phase où les thèmes définitifs sont validés et dénommés. Enfin, la dernière étape consiste à rédiger l’ensemble des résultats en fonctions des thèmes définis (50).
Une identité professionnelle floue tendant à se renforcer
Le premier thème apparu lors des entretiens avec les quatre ergothérapeutes s’articule autour de l’identité professionnelle qui semble floue mais qui tend à se renforcer. Ce thème se découpe en quatre sous-thématiques, qui sont les suivantes : l’identité professionnelle : un concept parfois flou pour les ergothérapeutes, une identité professionnelle marquée et singulière, une pratique centrée sur les occupations et enfin le tournant apporté par l’utilisation du MCREO sur l’identité professionnelle.
L’identité professionnelle : un concept parfois flou pour les ergothérapeutes
Deux ergothérapeutes ayant participé aux entretiens (E1 et E3) mettent l’accent sur le fait que l’identité professionnelle n’est pas encore un terme avec lequel ils sont à l’aise. En effet, E1 ne s’interroge pas forcément sur son identité professionnelle, ce n’est pas un terme avec lequel il est familier : « Mon identité professionnelle, ouais, j’ai pas du tout l’habitude avec ce terme. ». Quant à E3, malgré que la notion ait été abordée durant sa formation en ergothérapie, l’identité professionnelle reste une notion floue : « j’avoue que le concept de l’identité professionnelle, ça reste un peu flou. ». Il explique cette difficulté par le manque de connaissance sur la définition exacte de l’identité professionnelle, « ce qu’on met derrière exactement, ce n’est pas simple. ». L’identité professionnelle n’est pas forcément une notion sur laquelle les ergothérapeutes s’interrogent dans leur pratique, et lorsqu’ils se posent la question ils émettent des difficultés pour l’expliquer.
Une identité professionnelle marquée et singulière
E1, E2 et E3 s’accordent à dire que dans leur structure respective les ergothérapeutes sont reconnus et occupent une place à part entière. E2 explique que cette reconnaissance se traduit par « on a une identité très forte parce que tout le monde nous connait. ». E3 ajoute que l’identité professionnelle des ergothérapeutes est construite lorsque les missions et champs d’actions sont définis, « donc maintenant nos missions sont vraiment bien identifiées ». De plus E2 insiste sur l’importance de pouvoir prendre la parole et s’exprimer sur leurs missions et leurs activités, « je ne sais pas si on peut appeler ça un pouvoir mais on est quand même assez présents sur la structure. ».
E1 et E4 se rejoignent dans le fait que l’ergothérapeute possède un champ de pratiques très large. E1 explique que l’ergothérapeute est le professionnel qui a un regard sur le retour à domicile et la vie des patients après la rééducation, « on est les principaux acteurs qui vont toucher un peu à tout, que ce soit coordonner le projet de retour à domicile, le projet professionnel ». E4 souligne que l’ergothérapeute s’intéresse en plus à l’environnement social de la personne, « je fais partie avec l’assistante sociale, des professionnels qui sont le plus en lien avec les proches. ». Les deux ergothérapeutes s’accordent à dire que les ergothérapeutes développent dans leur pratique des compétences de coordination mais aussi des compétences relationnelles. De plus, l’étendue du champ d’action est expliquée par E3, « avoir des missions de rééducation, de réadaptation. On fait des cahiers des charges de fauteuil roulant, aménagement de domicile ». E4 rejoint aussi E3 sur cette diversité des missions de l’ergothérapeute, « avec comme moyens, bah des moyens assez divers, que ce soit en rééducation, en réadaptation ou en éducation. ».
Pour E1, l’identité professionnelle est marquée lorsque « je trouve qu’ici on a beaucoup plus une vraie expertise. ». La reconnaissance des compétences et des activités de l’ergothérapeute tend donc à renforcer leur identité professionnelle.
L’identité professionnelle reste néanmoins différente d’un ergothérapeute à l’autre. En effet, E3 explique que la vision de l’ergothérapie peut diverger entre collègues, en fonction de leur année de formation, « par rapport à mes autres collègues on a pas non plus la même vision. ».
E4 insiste sur la singularité de l’ergothérapie en rééducation. Tous les participants s’accordent et pointent la vision globale de la personne que les ergothérapeutes possèdent.
Une pratique centrée sur les occupations
Tous les participants (E1, E2, E3, E4) insistent sur la prise en compte des activités ou des occupations des personnes dans les prises en soin. E2 qualifie sa pratique « d’occupation centrée », E1 insiste aussi sur le fait que « on parle que d’occupations », E4 parle aussi du fait d’être « centrés sur l’activité ». L’approche occupationnelle semble être un fondement de la pratique des participants. E3 ajoute « moi clairement, je suis beaucoup plus sur les occupations, les activités de la vie quotidienne avant tout quoi. ». E1 insiste sur le fait que l’activité est essentielle dans la pratique, « au niveau de sa pratique d’être vraiment centré uniquement sur les activités ». E4 ajoute que la considération de la famille et de l’entourage dans les activités de la personne est aussi prise en compte lors du processus d’intervention, « j’essaie d’orienter vraiment sur des mises en activité, du lien avec l’entourage ». Les activités sont au coeur de la pratique en ergothérapie, du processus de définition des objectifs jusqu’à la réévaluation de l’intervention.
En plus d’avoir une approche sur les occupations de la personne prise en soin, les ergothérapeutes ajoutent avoir une approche écologique. E1, E2, E3 et E4 expliquent tous que des mises en situations les plus écologiques possibles sont proposées en ergothérapie. E1 explique que pour travailler sur une activité, il essaie de se rapprocher au maximum des conditions dans la vie quotidienne, « L’habillage de travailler que l’habillage, […], leurs propres affaires, leurs propres chaussettes ». E4 ajoute que les mises en situation sont un moyen privilégié lorsque cela est possible, « j’essaie de mettre en situation, si possible le plus écologique les personnes, que ce soit en toilette, habillage, ménage, bricolage en fonction de leurs habitudes. ». Les mises en situations sont aussi proposées lors de la préconisation d’aides techniques pour E3, « on est amené à faire des essais de fauteuil roulant en ville. Euh… pas mal de mises en situation écologiques. ». Pour E1, ces mises en situations permettent d’être « beaucoup plus au coeur des problématiques occupationnelles du patient. ».
Cette pratique tournée vers les occupations met aussi en lumière la vision globale de la personne que les ergothérapeutes possèdent. E4 explique « Donc je dirais en termes d’identité, une vision très globale de la personne, que ce soit sur ses attentes comme sur son entourage, professionnel, environnement physique et… humain ».
Cependant, E4 souligne, que si dans sa pratique les mises en situation écologiques ne sont pas réalisables, d’autre moyens sont utilisés comme l’adaptation d’une activité « soit des exercices qui se rapprochent des contraintes de l’activité visée mais qui ne va pas être écologique. ». De plus, des moyens plus analytiques sont parfois utilisés en ergothérapie, « Ou que la mise en activité […]. Donc soit en exercices ciblés sur une fonction, soit ciblé sur un geste, voilà en fonction des besoins de la personne. ».
Les ergothérapeutes interrogés essaient de fonder leur pratique sur les occupations de la personne, de la prendre en compte dans sa globalité mais aussi de favoriser la reproduction d’un contexte dit écologique pour les séances de rééducation ou de réadaptation. Néanmoins, quand cela n’est pas réalisable, les ergothérapeutes utilisent des activités dites analytiques, moins centrées sur les activités importantes pour la personne.
Le tournant apporté par l’utilisation du MCREO sur l’identité professionnelle
L’utilisation du MCREO par E1 et E4 s’est déroulée de manière progressive. E1 explique « j’ai commencé à utiliser progressivement la MCRO », la mise en place du modèle a été réalisée à travers l’utilisation de son outil, qu’est la MCRO. Tandis que E4 a développé l’utilisation de ce modèle dans le service, « en fait quand je suis arrivée dans le service, […] et moi j’ai essayé de le mettre en place progressivement. ».
Seul E3 avait été formé lors de ses études au MCREO et a donc pu l’utiliser directement. Il explique « Moi après je sais que ma formation s’est construite là-dessus donc je m’y réfère automatiquement. ».
E1, E2 et E4 constatent un changement des pratiques après l’utilisation du MCREO. En effet, ils s’accordent à dire que l’utilisation du modèle a fait évoluer leur pratique, « de changer un peu notre pratique » souligne E2, « mais ça change pas mal de choses. » insiste E1. Sur les changements de pratique, E1 constate que par l’utilisation du modèle, il a pu se détacher de la vision analytique de la rééducation en ergothérapie, « Oui, oui parce que moi j’ai été élevée à la déficience, incapacité, […] c’est horrible à dire mais maintenant quand j’y pense mais je faisais des cônes, je faisais des cubes, […]. Alors que maintenant, euh… je crois que c’était, depuis deux ans j’ai dû utiliser trois fois des cônes. ». Cette vision est partagée par E2 « Je ne fais plus du tout d’analytique. ». E4 constate dans sa pratique « j’arrive à un peu plus à orienter sur quelque chose qui soit plus ergo, plus biopsychosocial, plus global ».
Par l’utilisation du MCREO, E1, E2 et E4 constatent être dans une démarche plus centrée sur la personne et ses occupations qu’auparavant. En effet, E2 souligne être davantage occupation centrée lors des prises en soin, « mais c’est vrai que je suis beaucoup plus tourné vers l’occupation. ». E4 constate aussi ce changement, « du coup, je pense que le fait que j’ai orienté davantage ma pratique sur les activités en utilisant la MCRO. ». E1 souligne aussi le fait d’être plus axé sur les activités de la personne, « Et alors que maintenant je vais être là […] et bien sauf qu’à la fin sa pomme il arrive à l’éplucher. ». Ce changement de pratique s’accompagne aussi d’un changement de vocabulaire, « j’utilisais un vocabulaire biomécanique. » comme le précise E4, « j’essaie de faire appel au vocabulaire du modèle. ».
Les quatre participants s’accordent pour dire que le modèle a permis un renforcement de l’identité professionnelle pour soi. E2 explique « en même temps, je suis sortie de l’école, je ne comprenais pas ce que je faisais, ça ne me parlait pas, je n’y voyais pas de sens. » et ajoute qu’avant « J’étais un peu entre deux métiers, je ne savais vraiment pas trop ce que c’était que l’ergothérapie ». Pour E4, le modèle permet « D’un peu plus transposer vraiment mes spécificités d’ergo. ». E3 explique aussi que le modèle permet de légitimer sa pratique par son internationalité, « Légitime aussi parce qu’il peut être utilisé par tous les ergothérapeutes, un modèle qui a vraiment été créé pour l’ergothérapie, par les ergothérapeutes quoi. ». E1 et E2 se rejoignent sur le fait que le modèle leur a permis de retrouver du sens à la profession, « c’est nettement plus intéressant et revalorisant et c’est beaucoup plus clair même pour soi » souligne E1. E2 partage le même sentiment, « je trouve beaucoup plus de sens à ce que je fais. ».
L’identification des ergothérapeutes par les autres professionnels et les usagers
Le second thème mis en lumière lors des entretiens est l’identification des ergothérapeutes par les autres professionnels et les usagers. Il se compose des trois sous-thèmes qui portent sur une identité professionnelle parfois difficile à maintenir, l’identification facilitée des ergothérapeutes par les usagers ainsi que les moyens mis en place en soutien à l’identité professionnelle des ergothérapeutes.
Une identité professionnelle parfois difficile à maintenir
Les quatre ergothérapeutes interrogés reconnaissent qu’au sein de leur structure, les spécificités des ergothérapeutes sont reconnues ainsi que leurs champs d’intervention. E2 insiste sur le fait que « tout le monde sait qui sont les ergothérapeutes. ». E2, E3 et E4 mettent l’accent sur la reconnaissance par les autres professionnels de l’expertise des ergothérapeutes par rapport aux activités de la vie quotidienne. E3 explique « Dès qu’il y a besoin pour le repas, pour la toilette, ils savent que quand ça concerne vraiment les activités de la vie quotidienne, on va être contactés ». E2 ajoute que la reconnaissance de la profession passe aussi par la présence dans les réunions d’équipe, « on nous appelle dans pleins de situations pour intervenir que ce soit en réunion ou dans d’autres situations ».
E1 et E3 s’accordent pour constater que le rôle de l’ergothérapeute et son approche centrée sur les occupations sont connus des autres professionnels de l’équipe. E3 explique « je pense que les médecins ont bien compris que sans nous il n’y aurait pas de sortie quoi, que ce serait beaucoup plus compliqué. ». E3 ajoute « on est vraiment occupation centrée donc du coup, ils savent qu’on ne fait pas de Puissance 4… », « ils savent qu’on est occupation centrée, ils ne nous parlent pas trop de préhensions ou autres ». E2 constate aussi que certains professionnels parlent maintenant aux ergothérapeutes en termes d’activités et de problèmes occupationnels, « la première chose qu’il me dit quand c’est en ergo […], qu’est-ce qu’il se passe ? ». E4 ajoute la notion d’évolution de la perception des autres professionnels par l’utilisation du MCREO, « le fait d’utiliser le modèle, […] je peux intervenir sur quelque chose de plus global que l’environnement physique, […], les choses comme ça. ».
Néanmoins, les quatre ergothérapeutes s’accordent pour dire que pour certaines professions, la vision de l’ergothérapie tarde à évoluer. Notamment, du côté des médecins rééducateurs ou des chirurgiens, mais aussi d’autres professionnels de l’équipe. E1 explique « ils comprennent mais ils ont du mal à se détacher de l’analytique. », tout comme E2 « tous les médecins nous connaissent mais ils ne connaissent pas forcément notre métier. », « les neuropsychologues pas toutes, les APA pas tous non plus. ». E4 souligne la difficulté avec certaines professions, « par contre ce qui est difficile c’est avec les chirurgiens. ». E4 ajoute que cette évolution de l’identité professionnelle des ergothérapeutes pour les autres professionnels peut être ralentie par « elle est un peu influencée par l’image des formations complémentaires […] ou certaines actions qu’on peut mener. ». Quant à E3, il ne sait pas comment les autres professionnels perçoivent réellement les ergothérapeutes, « euh, je ne sais pas comment ils nous perçoivent. ». Il semble donc exister dans les structures une ambivalence de l’identité pour autrui et des représentations des ergothérapeutes dans leur approche occupation centrée.
L’identification facilitée des ergothérapeutes par les usagers
E1, E2 et E3 remarquent que l’utilisation du MCREO dans leur pratique a permis à leurs patients de mieux comprendre ce qu’est l’ergothérapie. La compréhension de l’ergothérapie selon E1 et E4 est facilitée, « ça amène les usagers à mieux comprendre ce qu’est l’ergothérapie. ». E2 et E4 soulignent que lors de l’arrivée en rééducation des patients, « souvent ce sont les patients qui ne connaissent pas notre métier. », « parce que souvent ils arrivent en structure, ils ne savent pas ce qu’est l’ergothérapie. ». Pour E4, le MCREO influence la perception que les patients ont de l’ergothérapie, « mais je pense que du coup, l’identité professionnelle là, elle est changée pas par rapport à mes collègues mais plus par rapport aux usagers. ». Alors selon E4, son identité professionnelle est changée vis-à-vis des patients, « Donc en termes d’identité professionnelle, je pense que ça marque plus l’identité professionnelle auprès des usagers. ».
E2 émet cependant des doutes sur la représentation de l’ergothérapie auprès des patients après leur séjour de rééducation, « je ne sais pas trop ce qu’ils ont pu dire sur l’ergothérapie et s’ils arrivent à l’expliquer à quelqu’un d’autre. ».
Les moyens mis en place en soutien à l’identité professionnelle des ergothérapeutes
Pour soutenir leur identité professionnelle auprès des autres membres de l’équipe, trois des ergothérapeutes (E1, E2, E4) ont mis des moyens en place. E2 et E4 s’accordent sur la nécessité de prendre des temps pour expliquer le rôle de l’ergothérapeute au sein de la structure et ses missions, « quelqu’un qui arrive, un nouveau, on essaie de lui expliquer ce que c’est rapidement ils savent. ». E4 ajoute que ces temps d’échanges peuvent être bénéfique à la place que les ergothérapeutes occupent, « j’ai pu leur expliquer. ».
E2 explique aussi « j’ai appris au médecin, ce que c’était que l’occupation centrée et ce qui tournait autour. », « on fait des présentation ». Une démarche pédagogique semble entreprise pour mieux faire connaitre leur approche, leurs valeurs et le coeur de leur métier.
En ce qui concerne l’utilisation du MCREO, E1, E2 et E4 passent par des temps de communication autour du modèle avec les autres membres de l’équipe pluridisciplinaire. E1 et E4 expliquent que cette présentation de l’approche proposée par le modèle passe par la présentation de l’outil d’évaluation MCRO, « on leur a déjà parlé, on a déjà montré la MCRO, on a déjà présenté le projet de service. », « j’ai expliqué aux kinés quand j’ai mis en place l’outil de la MCRO, j’ai expliqué les intérêts. ». E2 souligne l’importance que le médecin prescrivant l’ergothérapie comprenne mieux les missions, « on l’a présenté au médecin. ».
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Table des matières
1. Introduction
1.1 Emergence du thème
1 .2 Thème général
1.3 Résonance du thème
1.3.1 Question socialement vive
1.3.2 Utilité
1.3.3 Enjeux
1.4 Revue de littérature
1.4.1 Construction de la revue de littérature
1.4.2 Apports de la démarche centrée dans la rééducation post-AVC
1.4.3 Limites de cette démarche avec cette population
1.4.4 Utilisation de modèles pour soutenir cette démarche
1.5 Problématique pratique
1.6 Enquête exploratoire
1.6.1 Objectifs généraux et spécifiques
1.6.2 Population cible et site d’exploration
1.6.3 Outil de recueil de données
1.6.4 Traitement des données recueillies
1.7 Question initiale de recherche
1.8 Cadre de référence
1.8.1 Approche centrée sur la personne
1.8.2 Le Modèle Canadien du Rendement et de l’Engagement Occupationnels (MCREO)
1.8.3 Identité professionnelle
1.8.4 Problématisation théorique
1.9 Question et objet de recherche
2. Matériel et méthodes
2.1 Choix de la méthode de recherche
2.2 Caractéristiques de la population cible
2.2.1 Critères d’inclusion et d’exclusion
2.2.2 Sites d’exploration
2.3 Choix et construction de l’outil théorisé de recueil des données
2.3.1 Entretien semi-directif
2.3.2 Anticipation des biais
2.4 Déroulement de la recherche
2.4.1 Test de faisabilité et de validité
2.4.2 Déroulé de l’enquête
2.4.3 Choix des outils de traitement des données et d’analyse des résultats
3. Résultats
3.1 Description succincte de la population interrogée
3.2 Une identité professionnelle floue tendant à se renforcer
3.2.1 L’identité professionnelle : un concept parfois flou pour les ergothérapeutes
3.2.2 Une identité professionnelle marquée et singulière
3.2.3 Une pratique centrée sur les occupations
3.2.4 Le tournant apporté par l’utilisation du MCREO sur l’identité professionnelle
3.3 L’identification des ergothérapeutes par les autres professionnels et les usagers
3.3.1 Une identité professionnelle parfois difficile à maintenir
3.3.3 Les moyens mis en place en soutien à l’identité professionnelle des ergothérapeutes
3.4.2 Les limites du modèle et de la MCRO dans le domaine de la rééducation
3.4.3 La favorisation de la collaboration et de la pluridisciplinarité
4. Discussion des données
4.1 Interprétation des résultats et éléments de réponses à l’objet de recherche
4.2 Critiques du dispositif de recherche
4.3 Apports, intérêts et limites des résultats pour la pratique professionnelle
4.4 Transférabilité pour la pratique professionnelle
4.5 Perspectives de recherche
Références bibliographiques
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