Les interprétations sémantiques des mots « mime » et « imitation »
De nos jours, le terme « mime » signifie :
a. L‟artiste qui interprète son rôle par les mouvements du corps, c‟est àdire bannit le discours articulé et s‟exprime uniquement grâce aulangage corporel et au mouvement.
b. Toute forme théâtrale où la parole joue un rôle nul ou insignifiant. Selon cette définition, l‟art du « mime » inclut l‟art de la pantomime, laquelle se définit comme : « l‟art de s‟exprimer par les mouvements du corps et les mimiques sans avoir recours à la parole. » En effet, dans l‟art dramatique actuel, il n‟y a pas de limite nette entre le mime et la pantomime. L‟opposition entre mime et pantomime se fonde sur une question de stylisation et d‟abstraction. Le mime tend vers la poésie, élargit ses moyens d‟expression, propose des connotations gestuelles que chaque spectateur interprètera librement. La pantomime dénote fidèlement le sens de l‟histoire montrée. Au sujet de ce genre particulier et captivant d‟art théâtral, le théâtrologue grec Alexis Solomos nous dit qu‟il plonge ses racines aux origines de l‟humanité : « Il est né en même temps que le monde et que le mensonge. » De même, le grand poète Théodore de Banville s‟exclamait : « L‟histoire de la pantomime !!… c‟est l‟histoire de l‟humanité. » Les chercheurs nous donnent l‟étymologie du mot « mime » : il est issu du grec κίκνο (mimos) qui signifie « imitateur » et est lié étymologiquement au verbe κηκνχκαη (mimoumé) qui signifie représenter ou reproduire une action10. Ernst Robert Curtius compare le grec κί-κνο19/361 (mi-mos) au sanscrit mâ-yâ qui signifie illusion, charme11. Cependant ils précisent que le mime du monde antique ne doit pas être confondu avec le sens actuel que nous donnons à ce mot12. Les explications sommaires et condensées sur la signification de ce terme pour les anciens Grecs, que nous trouvons dans les dictionnaires de grec ancien, prêtent à ce mot des sens très simples :
1. Celui qui imite la voix de quelqu‟un d‟autre : « … γιώζζεο απηήο Φσθίδνο κηκνπκέλσ » (glossis aftis fokidos mimouméno) = nous imiterons l’accent phocidien (Eschyle, Les Choéphores, 564)13, « … Κνύξαη Γειηάδεο … πάλησλ δ΄αλζξώπσλ θσλάο θαί θξεκβαιηαζηύλ κηκεïζζαη ίζαζηλ » (Kourai Diliades … panton d‟anthropon fonas kai krembalistin mimeïsthai isasin) = Les jeunes Déliades qui savent bien avec des cymbales imiter les voix de tous les hommes (3e hymne homérique, dédié à Apollon).
2. L‟acteur (comédien/interprète) : Aristote (Poétique 3/1448a)15 et Platon (La République 602 A)16 utilisent la forme κηκεηήο (mimitis) « imitateur » pour désigner le comédien.
3. Celui qui joue des rôles de bouffons, de femmes ou d‟animaux : on trouve chez Démosthène κίκνηο γεινίσλ (mimis yélion) (Démosthène18)17, c‟est-à-dire celui qui imite quelque chose en vue de provoquer le rire. Chez Plutarque (Sylla, 36)18 nous lisons κίκνηο γπλαημί (mimis ginéxi), c‟est-à-dire celui qui imite les femmes, tandis que chez Euripide (Rhésos, 256)19, ηεηξάπνπλ κῖκνλ ἔρσλ έπηγαίνπ ζεξφο (tetrapoun mimon echon epigeou thiros), c‟est-à-dire celui qui imite un quadrupède.20/361
4. L‟art de l‟imitation.
5. Un genre de drame en prose ou en vers qui représente de façon simple la vie quotidienne et les personnages familiers, lequel semble avoir été créé par les Doriens de Sicile.
Comme nous le constatons dans les interprétations sémantiques cidessus, trois éléments fondamentaux constituent la notion de « κίκνο » :
1) L‟imitation comme représentation, 2) L‟imitation (le mime) comme performance, et 3) Le Mime comme genre de texte dramatique. En accord avec ces éléments – éléments fondamentaux qui définissent l‟art du théâtre- nous pourrions simplement définir le mime grec antique comme un genre d‟art dramatique qui s‟est développé dans la Grèce antique et plus particulièrement dans la Grèce dorienne.
La définition du mime grec antique
Une ancienne définition de « mime » qui a été préservée grâce au grammairien Diomède (fin du IVe siècle après J.-C.) est : « κίκνο εζηίλ κίκεζηο βίνπ ηά ηε ζπγθερσξεκέλα θαί αζπγρψξεηα πεξηέρσλ» (mimos estin biou ta te sygkechorimena kai asugchorita periechon)31, et en latin : Mimus est sermonis cuius libet et motus sine reverentia, vel factorum et turpium cum lascivia imitatio, c‟est-à-dire : le mime est une imitation de la vie qui comprend ce qui est convenable et ce qui ne l‟est pas. Cette définition, centrée sur la matière du mime, a naturellement été écrite alors que le christianisme était devenu dominant. Les mots « ζπγθερσξεκέλα θαί αζπγρψξεηα » (sygkechorimena kai asygchorita) signifiaient alors les choses convenables, permises et celles qui ne l‟étaient pas ; ils se réfèrent donc à la morale chrétienne qui s‟était déjà déclarée opposée à ce genre théâtral32. Evanthius, rhéteur et grammairien dont on situe le décès vers 359 après J.-C. 33, dit que le mime imitait depuis des temps très anciens des choses mineures et des personnages superficiels : « Mimos ab diuturna imitatione vilium rerum et levium personarum 34 . » Les études les plus récentes utilisent le mot « mime » pour ranger dans ce genre toutes les sortes de spectacle qui n‟étaient ni la tragédie ni la comédie anciennes. Ceci eut pour conséquence l‟absence de détermination claire de l‟objet « mime » si bien que l‟approche de la recherche devient particulièrement difficile. Voyons par exemple la définition de Daremberg et Saglio35 : « Le terme de mimos a trois acceptions : il désigne l’acteur, homme ou femme, qui produit une imitation ; l’imitation elle-même ; enfin un genre voisin de la comédie, et dont le premier représentant est, pour nous, Sophron de Syracuse. Au plus bas degré parmi les acteurs-mimes peuvent être placés ces baladins dont les imitations vocales (chevaux 31 Μαλζνύιεο, Ρνβήξνο Α., Ζξψλδα, Μηκίακβνη, éd. Δμάληαο, Athènes, 2000, p. 9. 32 Μαλδειαξάο, Βαζίιεηνο, Οη Μίκνη ηνπ Ζξψλδα, éd. Καξδακίηζα, 1986, p. 19. 33 Smith, William, Dictionary of Greek and Roman Biography and Mythology, Boston, 1867, p. 60. 34 Reich, Hermann, Der Mimus, Ein litterar-entwickelungsgeschichtlicher Versuch, Berlin, 1903, p. 50. 35 Daremberg, Charles & Saglio, Edmond, Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines, vol. 3, éd. Librairie Hachette, Paris, 1877, p. 1899. 24 24/361 hennissants, taureaux mugissants, bruit des torrents et de la mer, grondement du tonnerre, etc.) étaient très en faveur auprès du public. Le mime est quelquefois aussi un danseur : le terme d’orchêstês s’applique à lui ; et cette identification est naturelle, car, ainsi qu’on l’a justement montré, la séparation que notre art orchestique met entre la mimique et la danse n’existe pas chez les Grecs au même degré : bien que les monuments figurés nous montrent « des pas de danse… qui paraissent, comme les nôtres, entièrement dépourvus de sens mimétique », le danseur grec est le plus souvent un mime : l’objet de son art est l’imitation individuelle ou l’imitation en masse [Saltatio]. Un certain nombre de danses sont des imitations d’animaux, de personnages typiques ou de scènes plaisantes. Le morphasmos est défini par Pollux : pantodamôn zôôn mimêsis, et les danses appelées skôps, leôn, glaux, alôpêx, geranos, n’en sont, sans doute, que des formes particulières ; à la catégorie des danses typiques se rattachent l’aggelikê, où l’on reproduisait la gesticulation et les attitudes des messagers, et la danse laconienne des upogupônes ; parmi les danses qui sont proprement des scènes comiques, on peut mentionner la klôpeia et la klopê tôn eôlôn kreôn : celle-ci était spécialement appelée mimétique ; la klôpeia était peut-être une scène à un seul personnage, la mimique du voleur pouvant marquer d’une manière assez claire l’intervention du volé ; une danse d’un autre caractère, la karpaia des Aenianes et des Magnètes, était un mime à deux personnages : un laboureur sème son champ en se retournant fréquemment, comme un homme qui a peur : un brigand survient, et une lutte s’engage dont les boeufs et la charrue sont l’enjeu. D’un genre analogue est la scène des amours de Bacchus et d’Ariadne, qui termine le Banquet de Xénophon : la physionomie et les gestes des acteurs donnent une impression de réalité saisissante, mais il n’est pas fait usage de la parole [Pantomimus]. Parallèlement à ces danses mimétiques où une action suivie et complète est représentée par simple gesticulation, se développe un autre genre de mime, plus voisin de la comédie : il ne se borne pas à l’imitation des gestes typiques, il représente aussi par la parole ou par le chant des scènes bouffonnes et des parodies. Ce mime, qui est, par excellence, le divertissement populaire, n’a pas un développement rectiligne : nous le verrons plus loin naître spontanément dans des fêtes dionysiaques, mais on en voit d’autre part une espèce profane, dont on peut chercher l’origine dans les parades des thaumatopoioi. Le jongleur n’a pas de plus sûr moyen que la mimique pour retenir ou attirer les passants [Balatro, Cinaedus] : il imitera, par exemple, des bruits ou des animaux et pourra même contrefaire quelque personnage ridicule, parmi les gens qui font cercle autour de lui. Nous voyons d’ailleurs que les mots thaumatopoioi, mimoi, êthologoi, sont constamment rapprochés. Athénée nous montre une sorte 25 25/361 d’ascension de jongleur à mime : un thaumatopoiois appelé Nymphodoros devint presque aussi célèbre que Créon, le plus renommé des mimes italiotes. Le crieur public Ischomachos eut une carrière analogue : il produisit d’abord ses imitations dans la rue (en kuxlois), puis, ayant acquis de la renommée, il joua des mimes dans des théâtres forains (en thaumasin).» Dans son livre Der Mimus (1903), Reich suit l‟exemple de Daremberg et Saglio en examinant le Mime depuis les bouffons lacédémoniens (Dicélistes) jusqu‟au théâtre de marionnettes et depuis Épicharme jusqu‟au théâtre d‟ombres36. Les éléments qu‟il considère comme étant caractéristiques du Mime sont : l‟intrigue succincte et élémentaire, la caractérologie grossière, l‟improvisation, l‟humour « vulgaire » des fonctions et excrétions corporelles, la parodie, la satire et encore l‟indispensable présence de la figure théâtrale de l‟arnaqueur, du fripon irrésistiblement attiré par toutes sortes d‟astuces et de supercheries .
L’approche aristotélicienne
Aucun des nombreux ouvrages d‟Aristote n‟a eu autant d‟influence que son petit traité intitulé « Πεξί Πνηήζεσο » (Péri Piiseos) qui pourtant n‟a même pas été intégralement conservé. La Poétique est connue en Europe seulement en 1458 par la traduction latine de Giorgio Valla, qui a été éditée dans les imprimeries de Venise. Dès le XIIIe siècle après J.-C. en Europe, les idées et les thèses d‟Aristote dans le domaine de la philosophie furent un champ d‟affrontements en même temps qu‟elles avaient valeur de postulat. À une époque, donc, où la conception aristotélicienne est dominante, l‟interprétation de La Poétique était un champ d‟affrontements littéraires. De la Renaissance à la fin de la période classique, l‟analyse et l‟interprétation de la littérature était basée sur La Poétique d‟Aristote, car elle était considérée comme la première étude complète et systématique sur la poésie. Une des conséquences les plus fâcheuses fut que l‟ouvrage fut considéré comme un livre obligatoire de norme . Ainsi les points de vue d‟Aristote ont marqué tous les domaines littéraires qui se sont plus ou moins occupés de l‟origine du théâtre et du théâtre en général44. Le domaine de la littérature classique avec la théorie interprétative prépondérante de Wilamowitz-Moellendorff Ŕ qui s‟est centré principalement sur le genre dramatique de la tragédie avec pour critère l‟analyse d‟Aristote Ŕ s‟occupe de façon minime de l‟origine du théâtre. Les informations de Wilamowitz-Moellendorff ne se différencient pas de celles, très minces, que nous donne Aristote, c’est-àdire que la tragédie provient du dithyrambe, tandis que la comédie trouve ses racines dans les chants phalliques. « Γελνκέλεο δ’ νπλ απ’ αξρήο απηνζρεδηαζηηθήο θαη απηή (ηξαγωδία) θαη ε θωκωδία, θαη ε κελ από ηωλ εμαξρόληωλ ηνλ δηζύξακβνλ, ε δε από ηωλ ηα θαιιηθά, α έηη θαη λπλ ελ πνιιαίο ηωλ πόιεωλ δηακέλεη 29/361 λνκηδόκελα » (Aristote, La Poétique, 1449a, vers 9 à 15), soit : Ainsi donc la tragédie comme la comédie commencèrent par l‟improvisation. La tragédie naquit des poèmes dithyrambiques et la comédie des poèmes phalliques, qui subsistent encore aujourd‟hui dans de nombreuses cités. Wilamowitz centre simplement sa recherche sur l‟origine du dithyrambe, en soutenant que celui qui l‟a façonné et par extension le créateur de la tragédie, fut Arion. Celui-ci a représenté pour la première fois, dans des concours de musique à Corinthe, le dithyrambe (qui était auparavant sans rythme et plein de cris inarticulés) avec une mélodie bruyante et pleine de fougue, accompagnée de danse en ronde. Ο Γηζύξακβνο, le Dithyrambe était un chant en l‟honneur de Dionysos. Il était entonné par un chœur d‟hommes ou de garçons avec un accompagnement à la flûte, lors des fêtes dionysiaques. Le thème était initialement la naissance de Bacchus, mais par la suite le cadre devintplus large. On pense que le mot provient : a) du qualificatif « Γηζύξακβνο » donné à Dionysos, né deux fois, l’une de Sémélé et l’autre de la cuisse de Zeus, et b) de δηο-ζύξα-βαίλσ, venir de deux ouvertures. Son évolution a conduit à la naissance de la tragédie. Cependant, certains autres chercheurs soutiennent que le dithyrambe n‟était pas un chant en l‟honneur seulement de Dionysos, mais aussi d‟autres dieux, hypothèse basée sur le fait qu‟Aristote ne mentionne pas le dithyrambe en tant que chant exclusif de Dionysos. Σα Φαιιηθά άζκαηα, les chants Phalliques étaient des chansons improvisées au contenu moqueur et grivois que chantaient les groupes d‟initiés (thiasotes) de Dionysos pendant la période de célébration des Dionysies champêtres, en portant un énorme phallus, symbole de fécondité. 30/361 Ο Δμάξρσλ(-νληνο), l‟exarchonte51 était le soliste improvisateur qui débutait et dirigeait le chant choral dans les diverses cérémonies. Σα θαιιηθά, les phalliques étaient des fêtes rustiques en l‟honneur de Dionysos mais aussi à d‟autres dieux liés à la fécondation et à la reproduction de la nature, telle Déméter52, qui étaient célébrés dans toutes les régions de la Grèce. Οη ζίαζνη, les thiases53 étaient les groupes d‟initiés au culte de Dionysos dont les membres s‟appelaient ζηαζψηεο, thiasotes. Selon le dictionnaire de Souda, publié au Xe siècle, le terme provient soit du verbe ζέσ/théo qui signifie courir, soit du verbe ελζνπζηάσ/enthousiao qui signifie être envahi par le dieu, être en extase. Plutarque (De l‟amour des richesses, 527d) nous présente la description d‟une telle fête qui avait lieu dans la campagne de l‟Attique de la midécembre à la mi-janvier. Le noyau dur des manifestations festives était le cortège du phallus. Le meneur du cortège tenait une amphore pleine de vin et un sarment de vigne. Puis suivait un homme traînant un bouc, animal symbolique de la puissance de fécondation, qui était sacrifié au dieu Dionysos. Ensuite venait un autre portant une corbeille d‟osier pleine de figues sèches et enfin le dernier qui promenait en haut d‟une perche le phallus, symbole par excellence des forces de fécondation. Le cortège phallique désirait transmettre à la terre les forces de fécondité symbolisées par le phallus et activer ses forces productives pour une nouvelle année de bonne récolte. Les participants à la fête étaient déguisés, ils fardaient leur visage ou portaient un masque, couronnaient leur tête de lierre et portaient le phallus suspendu au cou ou à la taille. Ils se grisaient en buvant le vin nouveau de l‟année, chantaient des chansons obscènes et moqueuses, dites phalliques, et dansaient des danses comiques.
La théorie de la performance de Turner-Schechner
Comme nous l‟avons mentionné plus haut, la théorie de l‟origine du théâtre à partir des chamans trouve son assise théorique dans l‟anthropologie comparée. Au contraire, la théorie de la performance vient du domaine théorique de l‟anthropologie symbolique. L‟anthropologie symbolique peut être considérée comme une réaction au structuralisme soutenu, entre autre, par Lévi-Strauss. Le structuralisme était fondé davantage sur la linguistique et la sémiotique. Lévi-Strauss s‟est aliéné les anthropologues (majoritairement Américains) parce qu‟il s‟est concentré sur le sens tel qu‟il est établi par les contrastes entre divers aspects de la culture et non sur le sens tel qu‟il peut provenir des formes de symboles. Les structuralistes insistaient également sur la séparation des actions d‟avec les acteurs, tandis que les anthropologues symboliques croyaient aux actions « centrées sur les acteurs. » De plus, 44/361 le structuralisme utilisait les symboles uniquement en fonction de leur place dans le « système » et non en tant que partie intégrale de la compréhension du système105. Cette division entre l‟idéalisme des anthropologues symboliques et le matérialisme des structuralistes a dominé les années 1960 et 1970. L‟anthropologie symbolique peut être subdivisée en deux approches principales. L‟une est associée à Clifford Geertz et à l‟Université de Chicago, l‟autre à Victor W. Turner et à Cornell. David Schneider fut aussi une personnalité majeure pour le développement de l‟anthropologie symbolique, même s‟il n‟entre pas entièrement dans l‟une ou l‟autre des écoles de pensées ci-dessus. La grande différence entre les deux écoles consiste dans leurs influences respectives. Geertz, très influencé par le sociologue Max Weber, s‟intéressait au fonctionnement de la « culture » et non à la manière dont fonctionnent les symboles dans le processus social. Turner, influencé par Émile Durkheim, s‟intéressait au fonctionnement de la société et à la manière dont les symboles fonctionnent dans la société. Turner, reflétant ses racines anglaises, s‟intéressait beaucoup plus à investiguer si les symboles fonctionnent réellement dans le processus social comme les autres anthropologues symboliques le pensaient. Geertz s‟intéressait particulièrement à la manière dont les symboles fonctionnent dans la culture, c‟est-à-dire, sur la façon dont les individus voient, ressentent et pensent le monde. Victor Witter Turner (1920-1983) est la principale personnalité de l‟autre branche de l‟anthropologie symbolique. Né en Ecosse, Turner fut influencé très tôt par l‟approche structurelle-fonctionnelle de l‟anthropologie sociale britannique. Cependant, alors qu‟il entamait une étude des Ndembu en Afrique, son intérêt passa de l‟économie et de la démographie au symbolisme rituel. Son approche des symboles était très différente de celle de Geertz. 45/361 Turner ne s‟intéressait pas aux symboles en tant que véhicules de « culture » comme Geertz, mais à la place, il étudiait les symboles comme « opérateurs du processus social » et il pensait que « l‟expression symbolique de sens partagés, et non pas l‟attrait des intérêts matériels, sont au cœur des relations humaines. » Les symboles « provoquent l‟action sociale » et exercent « des influences déterminables poussant les personnes et les groupes à l‟action. » Turner sentit que ces « opérateurs », par leur organisation et leur contexte, produisent « des transformations sociales ». Ces transformations sociales font cadrer les membres d‟une société aux normes de cette société, résolvent les conflits et aident au changement de statut des acteurs. Ainsi donc, Schechner s‟efforça de définir sa théorie de la performance, influencé principalement par Turner : « Les cultures s‟expriment pleinement et sont rendues conscientes d‟elles-mêmes dans les performances rituelles et théâtrales… Une performance est une dialectique de “flux”, c‟est-à-dire, de mouvements spontanés où l‟action et la conscience ne font qu‟un, et de “réflexion” où le sens principal, les valeurs et les objectifs d‟une culture sont vus “en action”, tandis qu‟ils forment et expliquent le comportement. Une performance est déclarative de notre humanité commune. » En deux mots, nous dirons que le sens de la « performance » qui est introduit est : la simulation culturelle et sociale ou le changement d‟identité. Les positions de Schechner reflètent les influences d‟un grand nombre de modèles de recherche contemporains qui sont des révisions de théories philosophiques, psychologiques et sociologiques antérieures ou des positions nouvelles.
Les bouffons de l’Olympe
Selon Hegel, « La religion est le domaine dans lequel un peuple définit ce qu‟il considère comme vrai ». L‟homme homérique croyait en un monde rationnel où tout obéit aux lois de l‟ordre cosmique et sacré dont Zeus est le gardien. Pour cet homme, la présence des dieux est tout aussi certaine que l‟existence des choses et des actes est démontrée de façon indéniable. Dans divers passages de l‟Iliade et de l‟Odyssée, nous lisons que l‟apparition d‟un dieu ou d‟une déesse suscite étonnement et admiration. Il ne s‟agit pas de sentiments religieux devant le surnaturel mais de réactions devant le « beau ». Les belles femmes et les héros vigoureux sont admirés tandis que l‟armement exécuté avec art est également « merveilleux à voir ». Le mot « ζαπκάδεηλ » = admirer dérive du verbe « ζεάζζαη » = voir, tout comme les mots « ζεόο, ζεά, ζέα » et « ζέαηξν »= dieu, déesse, vue et théâtre. Ce sentiment d‟admiration est une caractéristique propre aux premiers Grecs. Ils admirent les personnes et les choses qui ne leur sont ni étrangères ni inconnues, mais qui sont plus belles et plus parfaites que celles de leur vie de tous les jours. Pour eux, les dieux sont plus beaux et plus parfaits qu‟eux-mêmes, car les dieux « ξεία δώνληεο », c‟est-à-dire mènent une vie douce et sans soucis. La vitalité particulière qui caractérise l‟existence des dieux est due à deux raisons. D‟abord, ils échappent à la tristesse et à l‟imperfection liées à la mort ; ensuite, – et c‟est peut-être la raison la plus importante Ŕ ils vivent une vie consciente parce qu‟ils connaissent le sens et le but de leurs actes, contrairement aux mortels. Les querelles, les contestations, les machinations et les déconvenues, les fêtes, les joies et les peines ne sont pas inconnues des dieux. Au contraire, elles rendent leur vie parfaites. Les dieux seraient morts s‟ils ne connaissaient pas la jalousie, l‟ambition, la victoire et la défaite, la colère, la joie et la peine. Ainsi, le rire comme les bouffons des dieux ne pouvaient pas être absents de la vie quotidienne des Olympiens. Le terme « γεισηνπνηόο » signifie celui qui provoque le rire, le bouffon. Érasme dans son ouvrage « L‟éloge de la folie » énumère les divinités dont les actes ou l‟apparence provoquaient le rire et divertissaient les autres dieux : « Le faible Priape fait beaucoup rire les dieux, mais ils rient aussi quand Hermès représente les larcins et les infamies qu‟il a commis. Dans les festins divins, Héphaïstos est leur bouffon et il les amuse beaucoup, avec sa boiterie, ses propos obscènes et les blagues qu‟il raconte. Et ils s‟amusent aussi en voyant le Vieux-Silène299 danser la kordax300 avec le Vieux-Silène ou Silène : Selon Diodore de Sicile, il était fils d‟une nymphe, née d‟Hermès, et de Pan, précepteur de Bacchus (Diod. III, 72); mais pour d‟autres, il état fils de Gaïa. Nonnos de Panopolis confond Silène avec les Satyres et le situe dans la suite de Dionysos. On le représentait comme un vieillard chauve, petit et gros comme une outre de vin, toujours ivre, gai, bavard et souvent monté sur un âne, parce qu‟il était trop aviné pour pouvoir marcher. Xénophon et Plutarque le considéraient comme un sage méprisant les biens de ce monde et comparaient Socrate avec lui. (Xén. Banquet V, 7 ; Plut. Banquet XXXII). Ses attributs étaint l‟outre, l‟âne, le thyrse (grand bâton), le canthare (coupe à vin), la couronne de lierre et parfois la panthère. À l‟époque romaine les Satyres se confondent avec les Silènes et le Vieux-Silène, considéré comme leur père et appelé Papposilène, est représenté de façon plus vulgaire. Cependant, une sculpture romaine remarquable, au musée du Louvre, le représente en homme mûr, aux traits fins et au corps harmonieusement développé, tenant dans ses bras Dionysos bébé. source : Αιέμαλδξνο Ραγθαβήο, Λεμηθφλ ηεο Διιεληθήο Αξραηνινγίαο, éd. Αλέζηε Κσλζηαληηλίδνπ, Αthènes, 1888, tome II, p.1190. Kordax : danse comique et aussi danse de l‟ancienne comédie. Ele était considéré comme humoristique et souvent comme vulgaire et paillarde. Athénée la met avec l‟ππνξρεκαηηθή φξρεζε (sorte de danse folâtre accompagnée de chant, en l‟honneur du dieu Apollon à Délos) et il écrit que toutes deux sont « badines » (ΗΓ’ 630Δ, 28). Puis il ajoute (631D) : « ν κελ θφξδαμ παξ’ Έιιεζη θνξηηθφο| pour les Grecs, la kordax est importune [ ou rustaude, vulgaire ] ». Polydeukès (IV, 99) la décrit cyclope Polyphème pieds nus, tandis que les nymphes dansent la gymnopédie et que les Satyres sautent en dansant l‟Atellane. Et Pan les fait rire avec ses chansons paillardes et avinées qu‟ils préfèrent, quand ils commencent à boire l‟ambroisie, aux chants harmonieux des Muses. »
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Table des matières
Introduction
I. Notions et théories sur le mime, le théâtre et le rire
A. La notion de « Mime » grec antique
A1. Les interprétations sémantiques des mots « mime » et « imitation »
A2. Les aventures du mot « κίκνο »
A3. La définition du mime grec antique
B. Les théories modernes sur l‟origine de l‟art dramatique
B1. L‟approche aristotélicienne
B2. L‟origine rituelle du théâtre
B3. Autres théories sur les origines du théâtre grec
B4. Le Mime, oublié des théories sur l‟origine du théâtre
C. La notion de mimèsis pour les anciens grecs
C1. Les Pythagoriciens
C2. L‟imitation platonicienne
C3. Aristote Ŕ Nouvelle divergence sur la notion d‟imitation
D. Approche des notions : « rire » et « comique/plaisanterie »
D1. L‟analyse sémantique du rire
D2. Théories sur les notions de rire et de comique
D3. Le point de vue d‟Aristote sur la « comédie » et le « rire » d‟après le manuscrit Tractatus Coislinianus
D4. Le rire de Démocrite : la comédie de la vie et aussi du théâtre
D5. Thersite : bouffon homérique ou personnification de la « masse anonyme du peuple » ?
II. D‟homère à La COMÉDIE dorienne
A. Les précurseurs homériques et les troupes comiques
A1. Les bouffons de l‟Olympe
Α2. Héphaïstos et le bouclier d‟Achille
A3. Les précurseurs de la comédie aux périodes homériques et archaïques
Α4. Les troupes des représentations rituelles
Α5. Les premières troupes d‟amuseurs
B. La farce dorienne
Β1. La farce dorienne et les mimes
Β2. L‟origine sociale de la comédie et de la farce
Β3. Les Doriens, une population purement agricole
Β4. La farce de Mégare et ses personnages types
B5. Les personnages types de la farce dorienne
B6. La scène
III. Le Mime sicilien
Α. De la farce dorienne au Mime sicilien
Α1. Le Mime « littéraire » et « non littéraire »
Α2. La naissance et le développement du Mime écrit
Α3. Phormis (ou Phormos), Dinoloque et Xénarque
B. Épicharme et Sophron
B1. Épicharme
B2. Les parodies mythologiques d‟Épicharme
B3. Les comédies de caractères et de mœurs d‟Épicharme
B4. Sophron le Syracusain
IV. Le Mime alexandrin (ou hellénistique)
Α. L‟époque hellénistique
Α1. Les termes alexandrin et hellénistique
Α2. Le cadre historique
Α3. L‟Alexandrie des Ptolémées
Α4. De l‟homme-citoyen à l‟individu-sujet
Α5. La période individualiste de la philosophie grecque
Α6. Les principales caractéristiques de la littérature hellénistique
B. Le Mime de l‟époque hellénistique
B1. L‟époque hellénistique, âge d‟or du Mime
Β2. Théocrite, mimographe romantique de « l‟amour »
Β3. Théocrite : La Magicienne
Β4. Théocrite : Les Syracusaines
B5. Hérondas
B6. L‟œuvre d‟Hérondas
B7. Les mimes d‟Hérondas
Conclusion
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