Le microorganisme : Clostridium acetobutylicum
Généralités
Le genre des Clostridies est composé de plus de 80 espèces Gram positives ce qui en fait un des plus grands dans le règne des procaryotes. Ce genre est classifié sous la base de quatre critères : métabolisme anaérobie strict, formation d’endospores, incapacité à réduire les sulfates et présence d’une paroi cellulaire de type Gram + . Clostridium acetobutylicum se présente à l’état végétatif sous la forme de bâtonnets arrondis et dont la mobilité est assurée par des flagelles péritriches. La taille de cette bactérie varie entre 2,4 x 0,6 µm et 4,7 x 0,9 µm selon la souche considérée. Les spores formées pendant sa croissance sont quant à eux ovoïdes, mesurent 1,2 x 2,4 µm et sont facilement indentifiables de part leur réfringence. Tolérantes à l’oxygène et thermorésistantes, ces spores ont la capacité de pouvoir germer après de très longues périodes « d’hibernation » lorsque l’environnement redevient favorable. Clostridium acetobutylicum est devenu un organisme modèle pour la production de solvants par voie fermentaire et de nombreuses données physiologiques sont connues à son sujet. La séquence complète du génome de la souche ATCC 824 est connue (Nolling et al., 2001).
Historique
Clostridium acetobutylicum a été un des premiers microorganismes utilisé dans l’industrie pour la production de solvants. Pendant la première guerre mondiale, le procédé Weizmann est utilisé pour produire de l’acétone nécessaire à la fabrication d’un explosif : la cordite. Entre les deux guerres mondiales, du butanol va également être produit par fermentation et sert d’intermédiaire notamment dans la fabrication de caoutchoucs synthétiques. Ces procédés ont été remplacés dans les années 50 par des procédés de pétrochimie alors plus rentables. Actuellement, l’épuisement des ressources en pétrole, la forte augmentation du prix du baril ainsi que les enjeux écologiques suscitent de nouveaux intérêts pour la production biologique de solvants.
Un des facteurs qui a limité l’utilisation industrielle des Clostridies est le phénomène de dégénérescence observé après de nombreux repiquages ou lors de cultures continues et qui est caractérisé par la perte de la capacité du micro organisme à produire des solvants (acétone et butanol) et à sporuler. Il a été montré que la perte de la production de solvants était concomitante à la perte d’un méga-plasmide de 210 kb (pSOL1) et s’explique par le fait qu’une partie des gènes associés à la production de solvants sont portés par pSOL1 (Cornillot et al., 1997). Ce phénomène de dégénérescence de la souche peut être évité en condition de limitation phosphate où une sélection s’effectue vers une souche stable productrice de solvants (Bahl et al., 1982) (Bellamacina, 1996).
Métabolisme
Métabolisme des sucres
Le métabolisme primaire de C. acetobutylicum convertit les hexoses et les pentoses en pyruvate, ATP et NADH.
Métabolisme du glucose
Les hexoses sont dégradés par la voie d’EMBDEN-MEYERHOF-PARNAS où une mole d’hexose est convertie en 2 moles de pyruvate, 2 moles d’ATP et 2 moles de NADH . Les trois étapes les plus importantes de la glycolyse sont catalysées par la glycéraldéhyde 3- phosphate déshydrogénase (Gapdh), la phosphoglycérate kinase (Pgk) et la pyruvate kinase (Pyk). La Gapdh convertit le glycéraldéhyde 3-phosphate en 1,3 biphosphoglycérate avec production de NADH. La Pgk transforme le 1,3 biphosphoglycérate en 3-phosphoglycérate avec production d’un ATP et la Pyk quant à elle, convertit le phosphoénolpyruvate en pyruvate avec production d’un ATP.
Métabolisme du xylose
C. acetobutylicum est capable de métaboliser un certain nombre de pentoses dont le xylose via la voie des pentoses-phosphates. Avant son entrée dans la voie des pentoses-phosphates, le xylose est importé dans la cellule à l’aide d’un transporteur puis converti en xylulose-5-P par une réaction d’isomérisation (en xylulose) suivie d’une réaction de phosphorylation. Le xylulose-5-P est ensuite converti, via une séquence transcétolase/transaldolase, en fructose-6-P et glycéraldéhyde-3-P pour rejoindre le circuit classique de la glycolyse .
Gu et al (2010) ont récemment identifié une grande majorité des gènes responsables de l’utilisation du xylose chez C. acetobutylicum. Le transporteur permettant l’entrée du xylose dans la cellule est encodé par le gène xylT (cac1345) et des expériences de mutagenèse chez C. acetobutylicum ainsi que de complémentation chez E. coli ont permis de montrer son implication dans le transport du xylose in-vivo. La xylose isomérase de C. acetobutylicum XylA-II (cac2610) a également été identifiée et purifiée. Son activité spécifique est similaire à la xylose isomérase XylA présente chez E. coli et son expression dans une souche d’E. coli ∆xylA permet de restaurer sa capacité à métaboliser le xylose. Il est cependant notable que cette xylose isomérase présente très peu de similarité avec celles d’autres Clostridies, d’E. coli et de B. subtilis. Le même protocole expérimental leur a permis d’identifier la xylulose kinase XylB (cac2612) de C. acetobutylicum et de valider son rôle invivo. L’activité spécifique mesurée pour la xylulose kinase de C. acetobutylicum est bien plus faible que celle d’E. coli ce qui pourrait en partie expliquer le faible taux de croissance de cet organisme sur ce substrat. La présence d’une protéine régulatrice de l’expression des gènes de la voie du xylose a été proposée et vérifiée chez un certain nombre d’organismes comme B. subtilis. Chez C. acetobutylicum, un répresseur XylR (cac3673) est également présent et reconnaît un motif de l’ADN composé de 25 paires de bases inversées répétées. L’implication de ce répresseur dans la régulation de la voie du xylose est supportée par le fait que les gènes xylA-II et xylB sont organisés en opéron et présentent un site de fixation de XylR en amont du gène xylA-II. Un tel motif de fixation de XylR est également retrouvé en amont du gène xylT .
En plus de la régulation par XylR, la voie du xylose est soumise chez B. subtilis à une répression catabolique induite par le facteur de transcription CcpA. L’utilisation du xylose par C. acetobutylicum est également connue pour être sujette à ce phénomène de répression catabolique dans la mesure où il a été montré que la présence de glucose bloque de manière réversible le métabolisme du xylose (et des pentoses en général) (Grimmler et al., 2010). La présence de cette répression catabolique est un des facteurs limitant l’utilisation de C. acetobutylicum pour la fermentation d’hydrolysats lignocellulosiques dans la mesure où ils contiennent généralement à la fois du glucose et du xylose. Ren et al (2010) ont identifié sur le génome de C. acetobutylicum un gène (cac3037) codant putativement pour la protéine CcpA. Afin de vérifier l’implication ou non de cette protéine dans le mécanisme de répression catabolique, ils ont construit, à l’aide de la méthode ClosTron, une souche mutante de C. acetobutylicum chez laquelle le gène cac3037 (824CcpA) a été inactivé.
L’analyse du niveau d’expression des gènes xylA-II et xylB révèle une transcription bien plus active dans la souche 824CcpA en comparaison avec la souche sauvage. Cultivée dans un milieu comportant un mélange de glucose et de xylose, cette souche mutée s’avère capable d’utiliser les deux substrats simultanément mais présente une incapacité presque totale à réassimiler le butyrate, causant une baisse de la croissance et de la production de solvants. L’ajout de carbonate de calcium dans le milieu de culture (connu pour ses capacités de tampon pH et pour améliorer la fermentation du xylose (Kanouni et al., 1998)) permet d’améliorer la consommation des sucres et d’atteindre des productions d’acétone (4,42 g.l⁻¹), de butanol (9,9 g.l⁻¹) et d’éthanol (0,78 g.l⁻¹) bien supérieures à celles obtenues avec la souche sauvage sur le même milieu (acétone : 2,62 g.l⁻¹; butanol : 8,56 g.l⁻¹). La concentration finale en butyrate de la souche 824CcpA reste néanmoins 4 fois plus élevée que pour la souche sauvage entrainant une baisse du rendement solvant/substrat. Les raisons de l’impact de l’inactivation du régulateur CcpA sur la reconsommation des acides restent à être élucidées, même si la baisse du niveau de transcription de l’opéron ctfAB, observé par les auteurs des ces travaux, constitue un début d’explication.
Xiao et al en 2011 arrivent également à lever la répression catabolique par le glucose chez C. acetobutylicum en inactivant le gène glcG qui encode l’enzyme II du système phosphotransférase (PTS), dépendant du phosphoénolpyruvate (PEP), permettant le transport du glucose. La souche mutante obtenue (824glcG) voit sa consommation de xylose augmenter de près de 50 % lors de fermentations effectuées en présence de glucose. Ils remarquent que la capacité de la souche à consommer le glucose n’est pas affectée par l’inactivation du gène glcG, supposant la présence de voies alternatives de transport du glucose. De plus, la surexpression des gènes xylT, xylA-II et xylB permet à la souche d’augmenter encore sa capacité à utiliser le xylose avec 16,82 g.l⁻¹ de xylose consommé dans un milieu contenant 40 g.l⁻¹ de glucose et 20 g.l⁻¹ de xylose.
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Table des matières
INTRODUCTION
I. Présentation du projet de recherche
I.1. Introduction
I.2. Objectifs
II. Etude bibliographique
II.1. Le microorganisme : Clostridium acetobutylicum
II.1.1. Généralités
II.1.2. Historique
II.2. Métabolisme
II.2.1. Métabolisme des sucres
II.2.1.1. Métabolisme du glucose
II.2.1.2. Métabolisme du xylose
II.2.2. Les voies métaboliques de production
II.2.2.1. La réaction phosphoroclastique
II.2.2.2. Le métabolisme intermédiaire
II.2.2.3. Les voies de production des acides organiques
II.2.2.3.1. La voie de l’acétate
II.2.2.3.2. La voie du butyrate
II.2.2.4. Les voies de production des solvants
II.2.2.4.1. La voie de l’éthanol et du butanol
II.2.2.4.2. La voie de l’acétone
II.2.2.5. Les voies de production du lactate et de l’acétoïne
II.2.3. Le flux métabolique d’électrons
II.2.3.1. Les enzymes impliquées dans le flux d’électrons
II.2.3.2. Le basculement du flux électronique
II.2.3.3. Rôle du flux d’électrons dans la régulation du métabolisme
II.2.4. Les différentes phases fermentaires
II.2.4.1. Un métabolisme biphasique
II.2.4.2. Paramètres influençant la solvantogenèse
II.3. Outils d’ingénierie génétique chez C .acetobutylicum
II.3.1. Transformation de C .acetobutylicum avec des vecteurs d’expression
II.3.2. Inactivation, insertion et mutation de gènes chez C. acetobutylicum
II.3.3. Répression de gènes chez C. acetobutylicum
II.4. Ingénierie métabolique de C. acetobutylicum
II.4.1. Ingénierie des voies de production des acides organiques
II.4.2. Ingénierie de la voie de production de l’acétone
II.4.3. Ingénierie des voies de production du butanol et de l’éthanol
II.4.4. Ingénierie du métabolisme central
II.4.4.1. Partie haute
II.4.4.2. Partie basse
II.5. Production d’isopropanol par voie fermentaire
II.5.1. Généralités sur l’isopropanol
II.5.2. Production d’isopropanol par C. beijerinckii NRRL B593
II.5.3. Ingénierie métabolique d’E. coli pour la production d’isopropanol
II.5.4. Ingénierie métabolique de C. acetobutylicum pour la production d’isopropanol
II.6. La bifurcation d’électrons comme mode de conservation de l’énergie
II.6.1. Historique
II.6.2. Principe et exemples
III. Matériel et méthodes
III.1. Souches et plasmides utilisés
III.2. Milieux de culture et conditions de croissance
III.2.1. E. coli
III.2.1.1. Culture en milieu liquide
III.2.1.2. Culture en milieu solide
III.2.1.3. Antibiotiques utilisés
III.2.2. C. acetobutylicum
III.2.2.1. Culture en milieu liquide
III.2.2.1.1. Culture en fiole
III.2.2.1.2. Culture en bioréacteur de type batch
III.2.2.1.3. Culture en bioréacteur de type chémostat
III.2.2.2. Cultures en milieu solide
III.2.2.3. Antibiotiques utilisés
III.2.3. Conditions de stockage des souches
III.3. Techniques de génie génétique
III.3.1. Isolement et manipulation des acides nucléiques
III.3.1.1. Préparation d’ADN plasmidique d’E. coli
III.3.1.2. Préparation d’ADN génomique de C. acetobutylicum
III.3.1.3. Transformation d’E. coli
III.3.1.4. Transformation de C. acetobutylicum
III.3.1.5. Techniques de clonage
III.3.1.6. Amplification de fragments d’ADN
III.3.1.7. Table des oligonucléotides
III.3.1.8. Synthèse d’oligonucléotides
III.3.1.9. Analyse informatique des séquences
III.3.1.10. Construction des vecteurs d’expressions
III.3.1.10.1. Vecteur pCLF952/pCLF942
III.3.1.10.2. Vecteur pCLF952-thl-atoAD et pCLF952-thl-atoAD-OPT
III.4. Techniques analytiques
III.4.1. Détermination de la densité optique
III.4.2. Dosage des substrats et produits de fermentation
III.5. Mesure des activités enzymatiques
III.5.1. Préparation des extraits cellulaires
III.5.2. Dosage des protéines
III.5.3. Activité Thiolase
III.5.4. Activité CoA transferase
III.5.5. Activité acétoacétate décarboxylase
III.5.6. Activité alcool déshydrogénase secondaire
III.5.7. Activités hydrogénases
III.5.7.1. Activité de consommation de l’hydrogène
III.5.7.1.1. Hydrogénase de C. acetobutylicum
III.5.7.1.2. Hydrogénase de T. maritima
III.5.7.1.3. Hydrogénase d’A. woodii
III.5.7.2. Activité de production de l’hydrogène
IV. Ingénierie métabolique de C. acetobutylicum pour la production d’un mélange IBE à partir d’hexoses et de pentoses
CONCLUSION