Le microbiome, un organe à part entière
Un peu d’évolution et d’épistémologie sur les microbiomes
Le monde est façonné de microorganismes, que ce soit des bactéries, archées, virus et eucaryotes unicellulaires. Si nous devions reprendre l’année calendaire de l’histoire de la Terre, les procaryotes seraient là depuis fin février, alors que les premiers organismes multicellulaires n’apparaîtraient que fin septembre. Responsables de l’oxygénation de nos océans puis de notre atmosphère il y a 2.5 Milliards d’années grâce à la photosynthèse, les microorganismes perpétuent leur rôle au sein de la boucle microbienne en jouant un rôle majeur dans les cycles biogéochimiques, notamment dans le recyclage de la matière et dans la séquestration du carbone. Les microorganismes grouillent littéralement sur Terre avec une biomasse qui équivaut aujourd’hui à 17% de la biomasse totale sur Terre, après les plantes. Dans les océans, cette biomasse atteint les 70%, avec ~ 1 milliard de bactéries/litre et 10 fois plus de virus (Hendrix, 2002), allant jusqu’à atteindre 90% dans les aquifères et en sous-sols (Bar-On et al., 2018). Leur présence est ubiquiste, que ce soit dans les eaux abyssales, leurs roches souterraines, ou même dans les déserts glaciaux de l’Antarctique et arides du Sahara. Ils nous surplombent également en étant présents dans les nuages, et nous entourent dans notre mobilier, nos animaux et nous-mêmes. L’évolution des métazoaires s’est donc déroulée parmi eux mais également à partir d’eux. Les eucaryotes proviennent d’un ancêtre commun de ~ 2 milliards d’années, qui résulterait d’une fusion entre une bactérie et une archée. Ce scénario est encore en débat, mais serait celui de la plus grande symbiose à partir de laquelle nous puisons notre origine : la théorie de l’endosymbiose (Lane and Martin, 2015; Martin et al., 2015; Archibald, 2015). De cette union, nous dénombrons une diversité d’espèces approximant 370 000 végétaux, 5 millions d’insectes, 28 000 poissons et 5 500 mammifères.
Malgré leur importance dans l’évolution de la Terre et de ses habitants, leur découverte n’est que relativement récente et la compréhension de leur diversité et fonctionnement reste encore bien méconnue. Le premier explorateur du monde microbien fut le drapier hollandais Antonie van Leeuwenhoek, qui mit au point au XVIIe siècle le premier microscope capable d’atteindre un grossissement de 270 fois, soit ~5 fois supérieur à celui des microscopes complexes du polymathe anglais Hooke. Examinant les liquides turbides des eaux de lacs, il s’aperçut que celles-ci grouillaient de minuscules créatures dansantes qu’il nomma par la suite “animalcules” (Leeuwenhoek, 1674). Il fut ainsi le premier à avoir pu observer des microorganismes issus de sources différentes comme les eaux de bassins, les eaux de pluies et même de ces dents. Malheureusement, ses découvertes n’eurent que peu de succès auprès de la communauté scientifique, qui était principalement concentrée sur les pathogènes humains et les maladies infectieuses associées. Ce n’est que deux siècles plus tard que la distinction entre « bons » et mauvais «germes» commence à naître (Hiss and Zinsser, 1910).
A partir du XIXe siècle, des scientifiques observèrent que les lichens, les anémones de mer et certains vers plats étaient issus d’une association entre un animal et des algues microscopiques. Vivant avec un animal hôte et fournissant des nutriments en échange de minéraux ou de protection, ces microalgues forment un parfait partenariat, du nom de “symbiose”, issu du grec “ensemble” et “vivant” (Sapp, 1994; Duperron, 2017). Le terme de “microflore” fut alors assigné à ces ensembles de microalgues symbiotiques (Zacharias, 1896; Bachmann, 1901) et reste encore aujourd’hui un terme courant pour désigner les microorganismes associés à un hôte. Ce même siècle, des scientifiques tels que Arthur Isaac Kendall décrivirent la multitude de bactéries symbiotiques présentes dans la “flore intestinale” (Kendall, 1923). L’intestin est alors considéré comme un incubateur parfait dans lequel s’accumulent des bactéries suivant une succession définie par l’âge et les aliments ingérés. Ces ensembles microbiens, les espèces mais également leurs gènes, en association avec leur hôte, constituent ce que l’on nomme aujourd’hui le microbiome (Turnbaugh et al., 2006). Les travaux qui vont suivre cette introduction se basent principalement sur les gènes portés par ces ensembles microbiens, d’un point de vue fonctionnel. Nous utiliserons donc majoritairement le terme de microbiome, à la place de microbiote, communément utilisé. Ce dernier terme se définit comme étant l’ensemble des espèces microbiennes commensales, pathogènes et symbiotiques « qui partagent littéralement notre corps » d’un point de vue taxonomique (Lederberg and McCray, 2001).
L’intérêt porté à son rôle n’arrive que plus tard, avec l’émergence de nouvelles techniques de cultures anaérobies, découlant ainsi en 1962 et en 1969 aux premières ébauches microbiennes du corps humain par Theodor Rosebury intitulé “Microorganisms Indigenous to Man” et “Life on man” (Rosebury, 1962, 1969). A l’issue de ces portraits microbiens, d’autres recherches naquirent, avec notamment les études de René Dubos, qui étudia pour la première fois des souris en condition axénique (i.e. stérile), démontrant ainsi l’importance du microbiome pour le développement et la physiologie de son hôte (Dubos, 1959). Ces découvertes majeures sur l’importance que le microbiome peut avoir pour la santé et le bien-être de l’hôte, le placèrent comme un organe à part entière (Stappenbeck et al., 2002; Backhed et al., 2004; Turnbaugh et al., 2006).
Les premières techniques d’observations des espèces microbiennes consistant à les isoler sur des milieux de culture permirent de découvrir une grande diversité de nouvelles espèces. De nos jours, il est possible d’isoler de nombreuses espèces microbiennes, même extremophiles, notamment grâce à de nouveaux milieux séléctifs (Merino et al., 2019). Cecidit, ces techniques ne permettent pas d’acquérir l’ensemble du vivant qui ne représenterait que 0.1-18% de la diversité totale des biomes (Rappé and Giovannoni, 2003; Pedrós-Alió and Manrubia, 2016; Hofer, 2018; Steen et al., 2019). Ce n’est qu’en 1960 que l’américain Carl Woese décida de se baser sur les molécules conservées au sein de toutes les espèces, et non plus sur des caractères phénotypiques. Il se pencha ainsi sur la description de la molécule de fabrication des protéines : le ribosome, et plus particulièrement sur son ARNr 16S . Grâce à cette technique innovante, il décrivit seize ans plus tard la troisième branche du vivant, qu’il nommera les Archéobactéries, aujourd’hui appelées Archées (Woese and Fox, 1977). Cette innovation moléculaire, basée sur l’assignation taxonomique à partir de gènes conservés, révolutionna le monde de la microbiologie et fut nommée la Metagénomique (Handelsman, 2007). La méthode Sanger, la plus utilisée, permit le séquençage de divers génomes et révolutionna ainsi le domaine de la biologie moléculaire. Toutefois, cette méthode nécessitait un immense effort de séquençage très chronophage et couteux. Alors que le génome humain fut séquencé en 10 ans avec la méthode de Sanger et couta près de 3 milliards de dollars, il est aujourd’hui possible avec les techniques de séquençage à haut débit nouvelles générations (NGS), de le séquencer en quelques jours pour moins de 1 000 dollars. Les chercheurs purent séquencer ainsi une multitude d’échantillons provenant de milieux et d’organismes divers, notamment de l’humain. La majorité de ces microorganismes était alors inconnue (Eckburg, 2005) et ce n’est qu’à partir du début du millénaire que les feux des projecteurs illuminèrent la grande diversité microbienne libre et associée aux organismes (Figure 1.1.1). Des projets d’envergures internationales ayant pour but de décrire le microbiome de la Terre (Earth Microbiome Project) (Gilbert et al., 2014), de l’humain (The Human Microbiome Project Consortium, 2012) et même de son mobilier (Home Microbiome Project) (Azad et al., 2013) furent menés à bien et mirent en évidence l’importance des microorganismes dans l’environnement, au sein et sur l’organisme.
Les microbiomes comme métacommunautés
“Je suis vaste et je contiens des multitudes” Walt Whitman
Chaque animal, à l’exception de certaines chenilles (Hammer et al., 2017), possède son propre microbiome, façonné par son environnement, ses gènes et son histoire (Ley et al., 2006; Dethlefsen et al., 2007; The Human Microbiome Project Consortium, 2012; Relman, 2012). Celui-ci va ainsi varier dans l’espace mais également dans le temps, que ce soit à l’échelle de la journée (Thaiss et al., 2014) ou à l’échelle de l’année (Caporaso et al., 2011). Les métazoaires sont des créatures chimères, formant un assemblage avec de multiples espèces microbiennes dont la variabilité spatio-temporelle est structurée via quatre processus : la dispersion, la sélection, la dérive et la diversification (spéciation) (Leibold et al., 2004; Vellend, 2016; Miller et al., 2018). Nous pouvons considérer les microbiomes comme des métacommunautés reliées par la dispersion d’espèces en interaction (Leibold et al., 2004) et en évolution, dont l’abondance relative est soumise à des processus de dérive et de sélection .
Dispersion
La dispersion est un déterminant important de la diversité microbienne au sein de l’hôte (Henry et al., 2013). Les théories écologiques suggèrent que le développement d’un écosystème est souvent influencé par des “effets de priorité” (priority effect, en anglais), par lesquels l’ordre et la durée des colonisations déterminent les interactions entre les espèces. Ces différents microbiomes transmis peuvent ainsi influencer plusieurs aspects de la biologie de l’hôte (e.g. son comportement, son métabolisme ou sa résistance face aux pathogènes) (Ferrari and Vavre, 2011; Feldhaar, 2011; Ottman et al., 2012; McLean et al., 2016; Martino et al., 2017). Dans la théorie des métacommunautés, l’interaction entre le microbiome et son hôte peut finalement contribuer à la distribution spatiale de ce dernier et dominer les interactions intra et/ou interspécifiques dans une communauté (Chandler et al., 2011; Brown et al., 2019), pouvant influencer in fine les services écosystémiques (Frago et al., 2012, 2017; Hrček et al., 2016).
Deux types de transmissions peuvent être différenciés. La transmission dite verticale, qui se fait d’une génération à une autre (hérédité) et la transmission horizontale, qui va ce faire par l’acquisition de microorganismes provenant de ses congénères ou de l’environnement (Sachs et al., 2011).
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Table des matières
1. Introduction
1. I – Le microbiome, un organe à part entière
1. I. A – Un peu d’évolution et d’épistémologie sur les microbiomes
1. I. B – Les microbiomes comme métacommunautés
i) Dispersion
ii) Séléction
iii) Dérive
iv) Diversification
1. I. C – Rôles des microbiomes
1. II- Cas du microbiome des poissons téléostéens
1. II. A- Description du microbiome des poissons téléostéens
i) L’eucaryome
ii) L’archaeome
iii) Le virome
iv) Le bactériome
1. II. B – Déterminants du microbiome des poissons téléostéens
i) Facteurs extrinsèques
ii) Facteurs biotiques
1. II. C – Rôles du microbiome intestinal des poissons
1. II. D – Cas du microbiome des poissons coralliens
i) Les récifs coralliens
ii) Les poissons coralliens et leur rôle pour les services écosystémiques
iii) Les microbiomes associés aux poissons coralliens
1. III – Objectifs de la thèse
2. Méthode d’analyse du microbiome entérique des poissons récifaux
2. I – Collecte des échantillons
2. I. A- Campagnes de prélèvements
i) La pêche
ii) La collecte des données biométriques
iii) Dissection
2. I. B- Extraction des acides nucléiques
2. II – Mesure de la diversité taxonomique
2. II. A- Le bactériome
i) Amplification par PCR
ii) Traitement bioinformatique des séquences
iii) Calcul du core microbien
2. II. B- L’archaeome
2. III – Mesure de la diversité fonctionnelle
2. III. A- Par amplification (q)PCR
i) Données du metabarcoding de l’ARNr 16S
ii) PCR et qPCR de gènes fonctionnels
2. III. B – Par chromatographie sur phase gazeuse
i) Extraction des gaz
ii) Chromatographie sur phase gazeuse
3. Inventaire du core microbien
3. I – Inventaire du bacteriome : Manuscrit A
3. II – Inventaire de l’archaeome : Manuscrit B
4. Déterminants biotiques
4. I – Effet de la phylogénie : Manuscrit C
4. II – Effet du régime alimentaire : Manuscrit D
5. Déterminants extérieurs
5. I – Réponse du microbiome à la transition d’un régime corallien à un régime de macroalgue : Manuscrit E
6. Conclusions