Le méthane dans les négociations autour du changement climatique

Le méthane dans les négociations autour du changement climatique

Les enjeux autour du changement climatique ont figuré sur la table des négociations des pays du monde depuis au moins 1992 lorsque la Convention Cadre sur le Changement Climatique s’est déroulée à Rio de Janeiro. Les décennies suivantes ont vu alterner des périodes d’avancées (ratification du protocole de Kyoto en 1997) et de recul (échec des négociations à la conférence de Copenhague en 2009) par rapport à la signature d’un accord international en vue de lutter contre le changement climatique impliquant tous les gros émetteurs de gaz à effet de serre, principal forçage du changement climatique. Les négociations entre les différents pays de la planète sur les questions climatiques peuvent être analysées en utilisant des analogies à la théorie des jeux pour expliquer les raisons des échecs. En particulier, le changement climatique peut être comparé au « dilemme du prisonnier » énoncé par Albert Tucker en 1950.

Le dilemme du prisonnier a été initialement formulé pour illustrer l’interrogatoire de deux prisonniers qui ont commis ensemble un délit et sont arrêtés et placés dans des cellules séparées sans moyen de communication entre eux. Le juge qui les interroge instaure les règles de négociations suivantes :
— si l’un des deux prisonniers dénonce l’autre, il sera libre et l’autre écopera de la peine maximale (vingt ans par exemple) ;
— si les deux prisonniers se dénoncent l’un et l’autre, ils seront tous deux condamnés à une peine moyenne (dix ans par exemple) ;
— si aucun des deux prisonniers ne dénonce l’autre, la peine sera minimale (cinq ans par exemple).

Par conséquent, la « meilleure » solution pour l’intérêt collectif des deux prisonniers serait de se taire puisque dans ce cas là ils n’écoperaient que de cinq ans de prison. Cependant, à titre individuel, le prisonner qui se tait s’expose à ce que l’autre le dénonce et ressorte libre. De plus, comme aucun des deux prisonniers ne peut savoir ce que va faire l’autre, il est fort probable dans ces conditions que les prisonniers choisiront tous deux la dénonciation, et écoperont donc chacun de dix ans de prison. En d’autres mots, la solution la plus rationnelle pour chacun des individus pris séparément (dans le doute, dénoncer l’autre) est la plus mauvaise au niveau collectif.

Dans le contexte du changement climatique, on retrouve un dilemme du même ordre dans les négociations entre les pays qui essayent de trouver un terrain d’entente sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre pour lutter contre le changement climatique. Considérons deux pays (A et B) qui cherchent à trouver un accord commun pour lutter contre le changement climatique, voici les opportunités qui se présentent à eux :
— si l’un des deux pays ne souhaite pas faire d’efforts pour réduire ses émissions en vue de lutter contre le changement climatique, il n’améliorera pas sa situation face au changement climatique et pourrait faire subir à l’autre pays les conséquences de ses non-décisions
— si les deux pays ne prennent aucune décision pour lutter contre le changement climatique, l’ampleur du changement climatique et le coût sociétal à long terme seront maximaux
— au contraire, si les deux pays prennent des mesures de réduction des émissions des gaz à effet de serre, ils bénéficieront tous les deux de leurs efforts communs et contribueront à une baisse des effets du changement climatique à un coût immédiat probablement important mais partagé .

Cependant, les décisions politiques à prendre et les efforts à faire pour lutter contre le changement climatique sont généralement vus comme un frein pour le développement économique d’un pays étant donné le modèle économique dominant fondé sur la croissance. Ainsi, on comprend bien que la meilleure décision à l’échelle du pays (ne pas prendre de décisions et continuer son développement) n’est pas la meilleure décision pour les deux pays pris collectivement. En effet, il est très probable que le pays A et le pays B mis face à cette situation décideraient de ne pas prendre de décisions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le but de ne pas freiner leur développement économique, tout en espérant que d’autres pays prennent des décisions contre lechangement climatique et qu’ils puissent alors en bénéficier indirectement. Onaboutirait alors à la pire solution où aucun accord sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre ne serait signé. Cet écueil est devant nous et il n’est pasencore gagné aujourd’hui, à la fin de l’année 2014, que la COP21 (21e Conférence des Parties de la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique) qui se réunira fin 2015 à Paris aboutisse à un accord del’envergure souhaitée eu égard aux enjeux duchangement climatique.

Un autre aspect qui est souvent évoqué pour expliquer l’échec des négociations précédentes sur le changement climatique est la durée de vie des gaz à effet de serre anthropiques dans l’atmosphère, notamment du dioxyde de carbone (plus de 100 ans), qui rend les décisions politiques pour lutter contre le changement climatique en inadéquation avec les durées usuelles des mandats politiques. A cause de l’inertie atmosphérique du dioxyde de carbone, les effets de mesures de réductions prises aujourd’hui ne seront mesurables que dans plusieurs décennies (IPCC, 2013 : Summary for Policymakers). Par ailleurs, limiter l’augmentation de température au cours du 21e siècle demandera de s’attaquer aussi aux autres gaz à effet de serre comme le méthane(Shindell, 2001). Depuis une dizaine d’annéesenviron, un fort intérêt s’est concentré sur le méthane, second gaz à effet de serre anthropique. Il présente notamment l’avantage d’avoir un temps de vie plus court (une dizaine d’années) que le dioxydede carbone et de participer également à la photo-chimie de l’ozone. Ainsi, réduire lesémissions de méthane pourrait à la fois avoir l’avantage de lutter contre le changement climatique à des horizons temporels relativement courts (plus en adéquation avec les résultats attendus des décisions politiques actuelles) et aussi de limiter les pics de pollution (notamment à l’ozone, (Fiore et al., 2002)) qui se rencontrent très régulièrement dans certaines métropoles.

Cependant, prendre des décisions internationales de réduction des émissions de méthane nécessite de bien comprendre le cycle biogéochimique contemporain du méthane. Ce cyle représente les échanges de méthane entre les réservoirs pertinents pour la période actuelle : l’atmosphère, les surfaces continentales et les océans. L’estimation des flux d’échanges entre ces réservoirs est donc une question scientifique importante. En outre, la mise en place d’accords internationaux pour réduire les émissions de méthane induit le besoin d’une quantification précise de ces émissions à l’échelle des pays. Dans ce contexte, estimer les sources et puits de méthane est un enjeu important dans le cadre général du changement climatique en cours.

Estimer les flux de méthane

La mesure directe est l’approche qui paraît la plus naturelle pour estimer les flux de méthane vers l’atmosphère. Cependant, la grande hétérogénéité des sources émettrices de méthane rend très locale une mesure des flux. De plus la grande variabilité temporelle de certaines sources de méthane nécessiterait des mesures à très hautes fréquences. Ainsi, les mesures directes des flux de méthane sont peu nombreuses et ne fournissent, actuellement, que des informations à des échelles locales (1 m2 à 1 km2 ). Cependant, ces mesures sont très précieuses pour calibrer les modèles de végétation dynamique qui calculent les émissions de méthane à partir d’une représentation des processus émetteurs (Ringeval et al., 2010). Ces modèles permettent de faire le lien entre les échelles locales et régionales/globale, et participent à ce qu’on appelle l’approche montante (« bottom-up » en anglais). D’autres modèles, appelés modèles inverses, utilisent des observations atmosphériques pour contraindre les flux de méthane. Cette méthode entre dans ce qu’on appelle l’approche descendante (« top-down » en anglais). On parle d’approche montante lorsqu’on cherche à connaître la quantité de méthane émise dans l’atmosphère en quantifiant les émissions de méthane à la surface par un processus ou un ensemble de processus. Ainsi, on s’intéresse à ce qui se passe en surface (en bas/au départ) pour comprendre les concentrations atmosphériques (en haut/après transport et transformation dans l’atmosphère). Diverses méthodes sont utilisées pour quantifier ces émissions : les émissions par les zones humides sont, par exemple, estimées grâce à des modèles biogéochimiques qui contiennent différentes paramétrisations construites à partir de connaissances des processus biogéochimiques contribuant à l’émission de méthane. Les émissions anthropiques (par exemple, les émissions liées à la culture du riz, à l’utilisation des énergies fossiles, à l’exploitation du bétail, à la fermentation des déchets) sont généralement estimées à partir de statistiques d’utilisation de l’énergie par les industries, les particuliers, les activités agricoles et la connaissance des facteurs d’émissions de méthane des différents secteurs de l’énergie. On parle d’approche descendante lorsqu’on utilise des observations de concentrations atmosphériques pour quantifier les émissions de surface grâce à l’apport d’un modèle de chimie-transport qui permet de relier les émissions à la surface aux observations. En effet, les mesures des concentrations atmosphériques en un point de l’atmosphère sont le reflet de l’émission d’une certaine quantité de méthane à la surface qui subit ensuite divers processus physico-chimiques dans l’atmosphère. Ainsi, on comprend bien qu’une représentation correcte de ces processus physico-chimiques peut permettre de déterminer la provenance et la quantité réelle de méthane émis en surface. Contrairement à l’approche montante, l’approche descendante ne requiert pas de connaître explicitement les processus biogéochimiques à l’origine des émissions de méthane (il est même théoriquement possible de détecter des émissions de méthane sans savoir si elles sont d’origines biogéniques ou non), mais elle requiert de représenter correctement les processus atmosphériques qui « mélangent et atténuent » le signal des flux de méthane transmis au lieu de la mesure. La représentation de ces processus s’effectue généralement grâce à un modèle numérique.

Nécessité de la modélisation numérique

La mise en oeuvre des approches montantes et descendantes s’appuie fortement sur la modélisation numérique. En effet, on cherche à mieux comprendre le cycle biogéochimique du méthane dans un système très complexe (interactionsphysicochimiques multiples, processus non-linéaires, système naturel, imbrication d’échelles) pour les échelles régionales à planétaires, et avec une précision spatiale et temporelle la plus fine possible. La complexité d’un tel système et l’impossibilité de le suivre continuellement et à toutes les échelles impose l’utilisation de modèles numériques.Historiquement, la modélisation numérique en sciences atmosphériques est née avec l’arrivée des premiers ordinateurs en 1950 et avait pour but principal de faire des prévisions météorologiques. Ce n’est qu’à partir des années 1980 que l’on a commencé à utiliser les modéles numériques pour étudier l’évolution du climat et pour acquérir des connaissances sur des processus physiques encore mal compris. La modélisation inverse fait un double appel à la modélisation numérique. En premier lieu, il s’agit de représenter le transport et la chimie atmosphérique de gaz traces en s’appuyant sur une traduction numérique des équations régissant l’évolution de l’atmosphère. En second lieu, il s’agit d’optimiser les flux d’échange de méthane grâce à la mise en équations numériques de la théorie des méthodes inverses. Dans ce cadre, les interprétations des inversions atmosphériques pour la compréhension des cycles biogéochimiques doivent prendre en compte les erreurs liées à la modélisation numérique. Notamment, la représentation du transport et de la chimie atmosphérique des gaz traces est une source d’incertitude réelle puisqu’elle repose sur la simplification par discrétisation spatiale et temporelle d’un système complexe.

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Table des matières

1 Introduction
1.1 Le méthane dans les négociations autour du changement climatique
1.2 Estimer les flux de méthane
1.3 Nécessité de la modélisation numérique
1.4 Objectifs et contenu des travaux de thèse
2 Le méthane dans le système climatique
2.1 Le méthane
2.1.1 …un gaz à effet de serre puissant
2.1.2 …un acteur de la chimie atmosphérique
2.2 Le cycle du méthane
2.2.1 Les sources du méthane atmosphérique
2.2.2 Quelques sources du méthane atmosphérique en questions
2.2.3 Les puits du méthane atmosphérique
2.3 Les variations des concentrations atmosphériques de méthane
2.3.1 …depuis 800 000 ans
2.3.2 …pour les années récentes
2.3.3 Le débat actuel sur la contribution des différentes sources et puits au bilan total du méthane atmosphérique
2.4 Les incertitudes actuelles sur les sources et puits de méthane
3 La modélisation inverse appliquée au méthane atmosphérique : principes théoriques et description de PYVAR
3.1 Exemple simple à deux dimensions
3.1.1 Estimation statistique
3.1.2 Approche bayésienne
3.2 La modélisation inverse des concentrations atmosphériques de méthane à l’échelle planétaire
3.2.1 Résolution du problème inverse
3.3 Le système inverse au LSCE : PYVAR-LMDz-SACS
3.3.1 Le modèle de chimie-transport : une version « offline » du modèle de circulation générale LMDz
3.3.2 Le modèle de chimie simplifié : SACS
3.3.3 Le module d’inversion : PYVAR
3.3.4 En quoi PYVAR-LMDz-SACS diffère-t-il des autres systèmes inverses ?
3.4 Les composantes des inversions de méthane atmosphérique
3.4.1 Connaissance a priori des sources de méthane
3.4.2 Connaissance a priori du puits chimique
3.4.3 Les données d’observation
3.4.4 Les matrices de variance/covariance des erreurs
3.5 Les limitations de la modélisation inverse
4 Impact de l’erreur transport sur les inversions de méthane des années 2000
4.1 Objectifs de l’étude
4.2 Principaux résultats
4.2.1 Erreurs liées à la modélisation du transport à l’échelle mondiale, régionale et locale
4.2.2 Echanges inter-hémisphériques et variabilité synoptique
4.2.3 Sensibilité au réseau de mesures et quantification des erreurs d’observation
4.3 Publication : « Impact of transport model errors on the global and regional methane emissions estimated by inverse modelling »
4.4 Etudes complémentaires
4.4.1 Diagnostics sur les erreurs d’observation
4.4.2 Comparaison de profils verticaux de méthane simulés par différents CTMs avec des mesures avions
5 La modélisation du transport atmosphérique de gaz traces dans LMDz
5.1 L’équation de transport d’une espèce trace dans l’atmosphère
5.2 Les paramétrisations physiques du transport sous-maille dans LMDz
5.2.1 La turbulence de couche limite
5.2.2 Le transport non-local dans la couche limite : le modèle du thermique
5.2.3 La convection profonde
5.2.4 Mise à jour du transport des traceurs dans LMDz
5.3 Présentation de l’étude sur la modélisation du transport atmosphérique de gaz traces par LMDz
5.3.1 Introduction
5.3.2 Principaux résultats
5.4 Publication : « Atmospheric transport and chemistry of trace gases in LMDz5B : evaluation and implications for inverse modelling »
5.4.1 Introduction
5.4.2 Modelling of atmospheric transport in LMDz
5.4.3 Evaluation of atmospheric transport in the PBL
5.4.4 Modelling of large-scale atmospheric transport
5.4.5 Conclusions and implications for inverse modelling of trace gas emissions and sinks
5.4.6 Acknowledgements
5.5 Etudes complémentaires
5.5.1 Simulations de la hauteur de couche limite
5.5.2 Simulations de la concentration de radon-222
6 Estimation des sources et puits de méthane entre 2006 et 2012 : bilan et influence du transport atmosphérique
6.1 Mise à jour du système inverse et inversions réalisées
6.1.1 Présentation du nouveau système inverse
6.1.2 Mise à jour du modèle adjoint et du modèle tangent-linéaire
6.1.3 Performances du système
6.1.4 Les différentes inversions réalisées
6.2 Estimation des sources et puits de méthane pour 2010
6.3 Sensibilité des inversions de méthane aux paramétrisations physiques
6.3.1 Présentation
6.3.2 Principaux résultats
6.4 Publication draft : « Sensitivity of the recent methane budget to LMDz sub-grid scale physical parameterizations »
6.4.1 Introduction
6.4.2 Set-up of variational methane inversions
6.4.3 Consistency between surface-based and satellite-based inversions
6.4.4 Impact of physical parameterizations on global methane fluxes
6.4.5 Impact of physical parameterizations on regional methane flux estimates
6.4.6 Conclusions
6.5 Variabilité interannuelle des émissions de méthane entre 2006 et 2012
6.5.1 La période 2006-2008
6.5.2 La période 2009-2012
6.5.3 Evaluation des estimations obtenues par modélisation inverse avec les flux simulés par un modèle de végétation
6.6 Tendance dans les émissions de méthane entre 2006 et 2012
6.7 Evaluation des inversions atmosphériques
6.7.1 Evaluation grâce à des mesures de surface
6.7.2 Evaluation grâce à des profils verticaux mesurés durant les campagnes « BARCA »
6.8 Le puits chimique par OH
7 Conclusions

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