La lecture de deux romans dโAbdoulaye Sadji, Maรฏmouna et Nini, mulรขtresse du Sรฉnรฉgal, en premiรจre annรฉe de Lettres modernes, avait suscitรฉ en nous un certain intรฉrรชt sur la cohabitation entre les cultures europรฉenne et africaine. Cette coexistence qui, notons-le en passant, a dรฉbutรฉ avec lโesclavage et a continuรฉ avec la colonisation, รฉtait ร lโorigine des unions entre Blancs et Nรฉgresses et entre Noirs et Blanches. Ce sont ainsi ces liens qui donneront naissance au Mรฉtis nรฉgro-africain. En lisant le denier roman citรฉ, notre regard sโรฉtait attardรฉ sur Nini, le personnage principal. Lโhรฉroรฏne, ainsi que toute la communautรฉ mulรขtresse, sโobstine ร dรฉnigrer les Nรจgres. Les femmes mรฉtisses se considรจrent dans le roman comme membres de la communautรฉ des Blancs. Lโidentitรฉ du Mรฉtis est ainsi sรฉparรฉe de la culture de lโhomme noir. Le besoin de ressembler le plus au Blanc est instigateur chez les mulรขtresses dโun sentiment visant ร renier les valeurs du monde noir. Les Mรฉtisses voient lโhomme noir comme infรฉrieur ร elles. La dรฉshumanisation du Noir par le Mรฉtis dรฉtermine ainsi les relations entre membres dโune mรชme sociรฉtรฉ. Ces propos de Nini lors de la visite de son amant Martineau en sont illustrateurs :
Pensez-vous arriver ร faire de ces gens-lร des gens comme nous, capables de sโรฉlever ร notre niveau de civilisation, dรฉbarrasser de leur complexe dโinfรฉrioritรฉ ร notre รฉgard ? Je trouve, moi, que cโest une vaste utopie (Sadji, 1988 : 142) .
Ce passage dรฉvoile le racisme de la communautรฉ mulรขtresse envers les Noirs. Elle adopte une attitude vaniteuse et narcissique envers eux. Les Mรฉtisses se surestiment et condamnent les Noirs ร une รฉternelle infรฉrioritรฉ.
Lโidentitรฉ du Mรฉtis nรฉgro-africainย
Les premiers Mรฉtis nรฉgro-africains ont dโabord vu le jour durant la longue nuit de lโesclavage. Les nรฉgriers recouraient aux Nรฉgresses pour satisfaire leurs libidos. Les rapports ne se limitaient pas au commerce dโesclaves noires ou aux services entre maรฎtre et sujet. Les Blancs prenaient les femmes de couleur pour leur bon plaisir. Les colonisateurs aussi disposaient des femmes noires ร leur grรฉ ร lโinstar des esclavagistes. Les Blancs abusaient de leurs servantes pour lโassouvissement de leurs inclinations concupiscentes. Bon nombre de Mรฉtis verront le jour de cette maniรจre. Lโesclavage et la colonisation marquent ainsi lโavรจnement de la naissance du Mulรขtre en Afrique noire. Celui-ci est confrontรฉ ร des difficultรฉs dโintรฉgration sociale. Lโacceptation de son statut de Mรฉtis par certaines personnes sโavรจre difficile, voire impossible.
La naissanceย
Des romanciers nรฉgro-africains ont montrรฉ que lโesclavage et la colonisation ont รฉtรฉ ร lโorigine du mรฉtissage biologique. Ils ont donnรฉ lโinformation selon laquelle les unions entre Blancs et Nรฉgresses donnรจrent naissance aux premiers Mรฉtis. Pendant la journรฉe, les Blancs traitaient les femmes noires comme de simples esclaves. Une fois la nuit arrivรฉe, elles devenaient des รชtres dรฉsirables. Leurs corps restaient ainsi pour les Blancs des objets de jouissance. Yambo Ouologuem, dans son ลuvre intitulรฉ Devoir de violence porte tรฉmoignage. Le narrateur du rรฉcit, dรฉcrit une scรจne de viol des femmes noires pendant les dรฉportations. Ce passage est une illustration : chaque blanc obtient plus de dix femmes noires ร son choix. (Ouologuem, 1968 : 37). Ces viols รฉtaient naturellement ร lโorigine de la naissance de Mรฉtis. Les pauvres Nรฉgresses pouvaient se retrouver dans les bras du premier Blanc venu. Des rencontres fortuites donnรจrent donc naissance ร des Mulรขtres.
Les femmes esclaves violรฉes par les nรฉgriers blancs pouvaient jouir de la libertรฉ lorsquโelles mettaient des enfants mรฉtis au monde. Le viol รฉtait un moyen dโaffranchissement pour elles. Ainsi beaucoup dโentre ces Nรฉgresses voulaient รชtre prises par des Blancs. La sanction de lโacte de ces derniers restait ainsi lโacquisition du statut de femme libre. Les fils de ces Nรฉgresses qui portaient les noms des familles de leurs mรจres bรฉnรฉficiaient aussi de quelques privilรจges. Le narrateur, dans Nini, mulรขtresse du Sรฉnรฉgal, renseigne sur la vie aisรฉe dโune communautรฉ mรฉtisse dont les aรฏeuls avaient jouit de la libertรฉ et de quelques privilรจges pour avoir engendrรฉ des Mรฉtis.
Le viol des femmes noires avait parfois des consรฉquences dรฉfavorables sur les Mรฉtis quโelles engendraient. Ceux-ci pouvaient ressentir des tourments psychiques qui faisaient obstacles ร leur รฉpanouissement. Dans Moi, Tituba sorciรจre noire de Salem de Maryse Condรฉ, le personnage principal fait un triste aveu dรจs le dรฉbut du rรฉcit. Et Tituba de dire :
Abรฉna, ma mรจre, un marin anglais la viola sur le pont du Christ the King, un jour de lโan 16** alors que le navire faisait voile vers la Barbade. Cโest de cette agression que je suis nรฉe. De cet acte de haine et de mรฉpris (Condรฉ, 1986 : 13).ย
Ces propos de lโhรฉroรฏne mettent en exergue ses sentiments de dรฉgoรปt et de rรฉvolte. Tituba semble nourrir une haine envers le Blanc qui lโa engendrรฉe. Le problรจme de son adaptation se pose. La prise de conscience de lโacte ร la suite de laquelle elle est nรฉe, provoque chez elle un sentiment de souffrance. Lโinnocente Tituba vit avec un sentiment dโaffliction causรฉ par sa naissance.
Les relations familiales du Mรฉtisย
Lโhomme blanc, idรฉalisรฉ par le Noir pendant la colonisation, inspirait aux Nรฉgresses une envie dรฉmesurรฉe de vivre maritalement avec lui. La femme de couleur, pour affirmer sa valeur, cherchait ร รชtre lโรฉpouse dโun Blanc. Lโaspiration des Nรฉgresses bravait lโobstacle qui sรฉparait les deux communautรฉs. La femme noire รฉtait obsรฉdรฉe par le besoin dโรชtre acceptรฉe par la communautรฉ blanche. Le mariage รฉtait devenu ainsi le plus grand moyen destructeur des barriรจres qui sรฉparaient la communautรฉ blanche et la communautรฉ noire. Devenir la femme de lโhomme idรฉalisรฉ atteste de leur acceptation par la sociรฉtรฉ autarcique des Blancs. Ceux-ci รฉtaient donc des personnes divinisรฉes aux yeux des Nรฉgresses. La valeur dโune femme est ainsi insรฉparable de ses liens avec le Blanc. Abdoulaye Sadji, dans son roman Nini, mulรขtresse du Sรฉnรฉgal informe sur une telle attitude. La demande en mariage de M. Darrivey ร la jeune mulรขtresse Dรฉdรฉe est prรฉsentรฉe dans la ville de Saint Louis comme un รฉvรฉnement capital. Les filles mulรขtresses รฉprouvent un sentiment dโรฉmerveillement ร la demande du Blanc. Toute leur communautรฉ se prรฉoccupe du mariage. Ainsi Dรฉdรฉe nโest plus pour les Mulรขtresses une fille quelconque. Elle est la future รฉpouse dโun Blanc. La convoitise gagne ainsi le cลur des jeunes filles de son statut. Chacune nourrit le rรชve dโรชtre ร la place de la chanceuse Dรฉdรฉe. Le personnage principal du roman, Nini, dรฉsapprouve secrรจtement le mariage. Elle pense en รชtre plus digne. Frantz Fanon, dans Peau noire, masques blancs sโintรฉresse ร lโรฉvรฉnement lorsquโil รฉcrit :
Le jour oรน le blanc a dit son amour ร la mulรขtresse, quelque chose dโextraordinaire a dรป se passer. Il y a reconnaissance, intรฉgration dans une communautรฉ qui semblait hermรฉtique. (Fanon, 1971 : 48).ย
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Table des matiรจres
Introduction
Premiรจre partie: lโidentitรฉ du Mรฉtis nรฉgro-africain
Chapitre 1:la naissance
Chapitre 2:les relations familiales du Mรฉtis
Chapitre3.: lโentourage du Mรฉtis
Deuxiรจme partie : les conditions de vie du Mรฉtis
Chapitre 1 : les prรฉjugรฉs
Chapitre 2 : la frustration
Chapitre 3 : la marginalisation
Troisiรจme partie : le message des romanciers
Chapitre 1 : la condamnation des prรฉjugรฉs
Chapitre 2 : lโaffirmation de lโidentitรฉ
Chapitre 3 : pour une meilleure insertion sociale
Conclusion
Tables des matiรจres