Le médecin généraliste comme coordinateur
Faire avec des difficultés inhérentes au profil socio-économique et professionnel de la patiente
● la reprise envisagée comme une nécessité financière : Les difficultés financières et administratives induites par l’arrêt de travail supplantaient souvent les problèmes intrinsèques au travail » J’ai envie de dire les gens sont plus embêtés par les problèmes assurantiels et bancaires que par les problèmes de travail, je trouve » . L’interruption de versement des indemnités perçues par la patiente en cas de prolongation de son arrêt ou la menace de cette interruption pouvaient contraindre à une reprise plus précipitée » Le côté financier c’est ça, au bout d’un moment ce qui s’est passé c’est que, en plus au bout d’un moment, la Sécu va commencer à mettre le ola et puis financièrement et bien il faut reprendre « . La reprise du travail motivée par des nécessités financières était finalement le reflet d’une société ne valorisant pas le travail “I: Après on cherche les motivations du retour au travail, elles ne sont pas toujours claires. Des fois c’est simplement des histoires d’argent et on est un peu déçu, un peu désolé. E : Désolé pourquoi ? I : Désolé parce que ce n’est pas très glorieux pour la société d’être obligé d’envoyer les gens au travail pour gagner trois sous pour faire vivre sa famille. Un peu triste. On paye des tas gens à rien foutre. Voilà c’est comme ça”
● Le régime social peu favorisant des professions indépendantes et libérales les rendant plus vulnérables Les professions libérales et indépendantes, dont le régime social semblaient désavantageux dans ce contexte, étaient poussées plus rapidement à reprendre le travail » Elle était à temps libéral alors bah y avait la pression financière de la reprise de travail là par contre « , un médecin prenait même sa profession comme exemple de cette précarité » Je pense qu’en libéral, comme nous, médecins, ça peut être un gros problème d’être absent un an (…) financièrement c’est difficile parce que on a toujours nos charges qui sont là ». Le Régime Social des Indépendants (RSI) était particulièrement mis en cause et notamment dans l’impossibilité de mettre en place un aménagement du temps de travail lors de la reprise pour les patientes » Et là où j’ai des soucis, c’est avec RSI qui ne veut pas de mitemps thérapeutique et qui demande que le travail soit repris complètement, tout de suite » Dans ces situations, les médecins pouvaient alors avoir eu l’expérience de patientes qui avaient baissé les bras et dû reprendre le travail de manière anticipée « Elle a reçu des courriers un peu pas sympas du style « maintenant, vous allez reprendre parce qu’on ne veut plus vous couvrir » etc. et ça a été jusqu’à une visite d’expertise . Et là, elle dit : « C’est bon, je ne vais pas à Nantes, je reprends mon travail » » .
● Les agricultrices et les commerçantes identifiées comme professions particulièrement à risque Les agricultrices cultivaient l’image du labeur et d’une quasi-abnégation pour leur travail dans l’esprit des médecins, en partie pour les raisons de couverture sociale citées juste avant, mais peut-être aussi liée à une représentation un peu séculaire d’une profession acharnée au travail » On n’a pas parlé des agricultrices, mais elles ne se mettent pas en arrêt de travail, hein. Elles bossent « . Le médecin s’inquiétait donc plus pour ces patientes « Elle va reprendre le travail. Je serai plus inquiète parce que j’aurai peur qu’elle…qu’elle ait pas pris le temps de se reposer. » Les commerçantes ne s’autorisaient que rarement un arrêt de travail, là encore en partie par nécessité financière, mais également pour éviter de culpabiliser de laisser son commerce à l’abandon : “La commerçante s’arrête pas.” : “Laisser son commerce et rester chez elle c’est très très pénible donc elle me dit : « j’ouvre pas, donc je me cache pour ne pas ouvrir. »”
La nécessaire approche du poste de travail
Le médecin généraliste s’efforçait d’être au plus prêt d’une congruence entre l’idée qu’il se faisait du poste de travail et la réalité du travail. En abordant la reprise du travail, le médecin cherchait indubitablement à apprécier le poste de travail de sa patiente. Il pouvait déjà, comme vu plus haut, chercher à identifier les répercussions physiques et fonctionnelles du cancer chez sa patiente, notamment au niveau du lymphoedème et des douleurs résiduelles « Elles disent si elles ont mal, si elles ont des lymphangites, si elles sont gênées pour tel ou tel mouvement ».
● La représentation de poste de travail avec contraintes particulières : L’approche de la pénibilité du poste de travail passait par l’identification des professions ou situations que le médecin jugeait à risques, liées à des contraintes physiques importantes (essentiellement le port de charge lourde) ou encore à des mouvements répétitifs et nécessitant une grande dextérité « Moi je pense qu’un travail physique va poser plus problème… », « Mouvements répétitifs surtout. (…) travail à la chaîne, donc quand même la nécessité d’être rapide », « Si c’est un travail de…de répétition, d’ouvrière, quoi! » Il découlait des difficultés intrinsèques à chaque poste de travail dans la représentation du médecin, comme par l’exemple donné d’une chanteuse lyrique et l’importance donnée à la récupération d’une capacité pulmonaire suffisante avant d’envisager de reprendre le travail « C’est une chanteuse lyrique et du coup c’était plus cet aspect physique. Capacité pulmonaire! Qui a été…bon, un peu compliqué » ou encore d’une employé en pépinières « Si, quelqu’un qui travaillerait dans des pépinières ou des choses comme ça, de pas se blesser, enfin de pas… « .
● Le travail de nuit représenté comme limitant la reprise : Le travail de nuit était redouté par le médecin car plus difficile à tenir par la suite « aidesoignante de nuit, ça va être plus compliqué à mettre en oeuvre, une dame qui travaille en usine avec des horaires de nuit, ça va être plus compliqué à mettre en oeuvre, voilà. « , « Mais je pense que c’est principalement sur le rythme qu’elle pouvait avoir, la nuit c’est vraiment quelque chose qu’elle avait beaucoup de mal à faire maintenant » .
● Une approche forcément limitée par le manque de connaissance du médecin : Le médecin pouvait être bloqué dans l’appréciation nécessaire de ce poste de travail. A cela plusieurs raisons évoquées: sa non-spécialisation et le manque de connaissance 23 concernant le monde du travail “un certain avis d’expertise qu’on n’a pas forcément d’ailleurs parce qu’on ne connaît pas leurs conditions de travail » et une évaluation ne reposant que sur le discours de la patiente “on sait ce qu’elles nous en disent mais on sait pas forcément la réalité du terrain professionnel ».
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Table des matières
LISTE DES ABREVIATIONS
INTRODUCTION
METHODES
RESULTATS
1 Les représentations de la capacité de la patiente au retour au
travail après un cancer du sein
1.1 La perception des difficultés et appréhensions de la patiente
1.1.1 La fatigue en premier lieu
1.1.2 Des incapacités fonctionnelles liées aux traitements projetées avec la capacité de reprendre le poste de travail
1.1.3 Un état de pseudo-déprime aux contours mal définis
1.1.4 Des modifications corporelles exposées au regard des autres qui influencent le retour au travail
1.1.5 Faire avec des difficultés inhérentes au profil socio-économique et professionnel de la patiente
1.1.6 L’impact de l’origine culturelle dans la reprise du travail
1.2 La primauté du “feeling” et de l’expérience du clinicien
1.2.1 L’importance du ressenti en complément du discours de la patiente
1.2.2 La rencontre de deux expériences: l’expérience professionnelle du médecin et sa relation avec la patiente
1.3 Les repères cliniques retenus pour la reprise du travail
1.3.1 L’amélioration de l’état physique comme critère nécessaire
1.3.2 La reprise nécessaire d’une vie quotidienne
1.3.3 Une capacité psychologique retrouvée et la prise en compte de la motivation
1.4 La nécessaire approche du poste de travail
2 Les représentations du travail par le médecin généraliste
2.1 Les valeurs du travail mobilisées par le médecin généraliste
2.1.1 Un lien social à faciliter en s’adaptant au contexte
2.1.1.1 La promotion des loisirs comme maintien des activités collectives
2.1.1.2 L’intérêt de rencontrer et de partager dans les associations de malades avec une proposition limitée en milieu rural
2.1.1.3 La prise en compte du maintien du lien avec les collègues et du milieu professionnel
2.1.2 Une place à retrouver
2.1.2.1 Réinvestir son poste
2.1.2.2 Retrouver son statut social
2.1.2.3 Se repositionner dans la famille
2.1.3 Le travail comme signe de bonne santé
2.1.3.1 La reprise du travail comme rémission
2.1.3.2 Le rôle thérapeutique du travail
2.2 Encourager à repenser son poste en évoquant les risques du stress
au travail
3 Les médecins face à l’évènement « cancer » dans la biographie de leur patiente
3.1 Accompagner la patiente dans sa trajectoire de vie
3.1.1 Cancer et parenthèse de vie
3.1.2 Entre continuité et discontinuité
3.1.3 Faire avec des trajectoires professionnelles particulières
3.2 Redevenir acteur dans la trajectoire de soin de la patiente
3.2.1 Evolution de la place donnée au médecin généraliste du diagnostic de la maladie à la reprise du travail
3.2.2 Les représentations qu’ont les médecins généralistes de leurs rôles
3.2.3 Un médecin peu sollicité pour des situations finalement peu fréquentes et majoritairement sans difficultés
3.2.4 Se repositionner dans les relations interprofessionnelles
3.2.4.1 Le médecin du Travail, partenaire incontournable à solliciter
3.2.4.2 Le médecin généraliste comme coordinateur
3.2.4.3 Les relations avec les autres intervenants dans la reprise du travail
DISCUSSION
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
LISTE DES FIGURES
TABLE DES MATIÈRES
ANNEXES
I- Guide d’entretien initial
II- Guide d’entretien final
III- Exemple verbatim: entretien n°5
IV- Extrait tableau de codage
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