LE MASQUE-ÉCRAN
LE MASQUE-HABITATION
MASQUE À DEUX FACES
Des différents masques tribaux qu’il m’a été donné de découvrir à travers mes recherches initiales, c’est le Sirige des Dogon qui m’a interpellé davantage. Ce masque, qui peut mesurer jusqu’à six mètres de haut, présente une façade étroite et compartimentée évoquant une maison à étages. Cette verticalité qui crée un lien entre le sol et le ciel rappelle les gratte-ciels. Le Sirige des Dogon m’a fait prendre conscience que l’habitation agit d’une certaine façon comme un masque en protégeant ses occupants du monde extérieur tout en projetant une façade savamment contrôlée. De ce constat découle mon intérêt à créer des rapprochements entre le corps et l’habitation, la peau et les murs, les tatouages et les graffitis, des masques contemporains qui contribuent à l’expression du super-soi.
L’analogie entre le visage et la maison a maintes fois été explorée. Des illustrations datant d’aussi loin que le XVIe siècle comparent d’ailleurs la bouche et la porte, les yeux et les fenêtres et les narines et un hublot de ventilation.
La maison a la particularité de pouvoir être décorée à l’intérieur comme à l’extérieur. En ce sens, elle se différencie du corps humain, dont les composantes internes sont en tout temps cachées. Elle se distingue également du masque classique, habituellement décoré sur sa face externe seulement. La maison nous offre donc les deux faces d’un même masque, l’une destinée aux voisins et aux passants et l’autre destinée au cercle familial et aux visiteurs. Les gens qui habitent en condo ou en appartement ont au contraire peu de contrôle quand à l’aspect extérieur de leur habitation, mis à part le fait qu’ils peuvent y ajouter quelques éléments de décoration. L’immeuble à logements est uniforme en sa façade extérieure, mais animé d’une multitude de personnalités. Pour l’habitant, l’importance d’exprimer son individualité à travers les arrangements intérieurs s’en trouve augmentée.L’habitat n’a pas une fonction passive. S’il ne servait qu’à protéger ses habitants des intempéries, il ne comprendrait aucun élément esthétique. Or, comme le corps humain ou le masque, l’habitat est un instrument de distinction. Sa fonction active est de « constituer une unité signifiante et pertinente au sein de l’espace social d’une culture. » Le masque et l’habitation ne peuvent pas être interprétés s’ils ne sont pas placés en contexte. Ils supposent tous deux, présents à leurs côtés, d’autres masques ou habitations qui permettent d’établir une comparaison, de valider un statut.
DERRIÈRE LA FAÇADE, LES COULISSES
La notion de façade, qui s’applique tant au devant de l’habitation qu’à la façade personnelle d’un individu, revêt pour moi un intérêt particulier. Elle rappelle le masque, qui couvre souvent le devant du visage seulement ou qui concentre ses détails sur le côté face.
Goffinan souligne la tendance à établir une distinction entre le devant et le derrière de l’habitation, la façade étant généralement mieux décorée, réparée et entretenue. Derrière la façade, dans l’espace compris entre les limites de l’habitation ou du corps, se trouve l’intérieur. La définition du mot renvoie tant à l’intérieur domestique qu’à l’intérieur de la personne. Les mots intérieur et intestin partagent d’ailleurs une étymologie commune ; les deux dérivent du latin intus, qui signifie dedans . C’est là, dans l’intimité, que naît le supersoi, que s’élabore le personnage qui sera exposé à autrui.
BODYBUILDING : FUSION DU CORPS ET DE L’HABITATION
L’oeuvre Bodybuilding, que j ‘ a i présentée lors de ma première session d’études à la maîtrise, évoquait le lien entre le corps humain et l’habitation. Il s’agissait d’un buste creux, apposé sur un socle recouvert de gazon synthétique. De face, la sculpture texturée et entièrement blanche représentait le buste d’un homme aux traits caricaturaux. Dans le creux du dos se trouvaient différentes pièces d’une maison, toutes imprégnées d’une ambiance unique. En plus d’établir un parallèle évident entre les parties anatomiques et les pièces de la maison, l’oeuvre véhiculait l’idée qu’on peut à la fois habiter et être habité par quelque chose. A l’intérieur de l’habitation, toutes les pièces n’ont pas la même âme. En fait, on pourrait dire que chacune d’entre elles agit comme un masque. L’appropriation d’un lieu par un individu ou un groupe passe par un marquage territorial qui consiste à disposer des objets personnels dans l’espace. Le choix des objets et des matériaux, leur emplacement et leur entretien donnent à l’habitation sa personnalité propre. Les photographies personnelles et les diplômes accrochés aux murs, tout comme les trophées, les livres et les bibelots qu’on retrouve dans une bibliothèque ou disposés ailleurs dans la maison, en disent long sur les habitants. Même les pièces apparemment neutres sont lourdes de significations à leur façon. La décoration et les objets qui meublaient les pièces de mon buste laissaientIl n’y a pas qu’à l’extérieur de l’habitation qu’une distinction est établie entre la région antérieure et la région postérieure. Goffinan souligne qu’il y a dans la demeure une distinction entre les pièces où les invités sont reçus et celles qui sont réservées aux habitants. Comme au théâtre, certaines pièces sont des coulisses auxquelles le public n’a pas accès, alors que d’autres servent à la performance. Comme je le mentionnais dans le chapitre précédent, les nouvelles technologies tendent à briser cette frontière, puisque les gens utilisent souvent leur webcam ou leur appareil photo numérique alors qu’ils se trouvent dans des pièces jadis interdites aux spectateurs. En même temps que la demeure se referme sur la famille et les amis, elle ouvre ses portes à un tout nouveau public.
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Table des matières
LISTE DES FIGURES
INTRODUCTION
PREMIER CHAPITRE : LE MASQUE-ÉCRAN
1.1. Le masque et le super-soi
1.2. Planète privée dans espace public
1.3. Dévisager : Expérimentation sur le thème du masque
1.4. Analogie du théâtre, soi intime et soi social
1.5. Le masque numérique : Quand l’écran dévoile
1.6. Et la lumière fiit
DEUXIÈME CHAPITRE : LE MASQUE-HABITATION
2.1. Masque à deux faces
2.2. Derrière la façade, les coulisses
2.3. Bodybuilding : Fusion du corps et de l’habitation
2.4. La peau et les murs
2.4.1. Les tatouages et le maquillage
2.4.2. Les graffitis, éraflures sur la ville
TROISIÈME CHAPITRE : LE MASQUE SUPER HÉROÏQUE
3.1. Super-héros du quotidien
3.2. Batman, la nuit et la ville
3.3. Identité civile
3.4. Héros en collants
3.5. Lourdes Grobet et ses luchadores
3.6. Persona et ombre
3.7. The mask
3.8. Banksy : L’art mur à mur
3.9. Sortis du moule
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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