Le mariage et ses composantes dans la Chine traditionnelle

La sphรจre du privรฉ

Lโ€™รฉducation

Lโ€™รฉducation est probablement le premier prรฉrequis pour une รฉmancipation fรฉminine. Aborder ce sujet en premier lieu de cette partie sur la sphรจre de lโ€™intime peut sembler contradictoire tant lโ€™รฉducation semble aujourdโ€™hui faire partie du domaine public. Mais on ne peut nier que lโ€™acquisition du savoir est dโ€™abord une dรฉmarche intime avant dโ€™รชtre un enjeu national.
Un regard superficiel sur lโ€™histoire de lโ€™รฉducation fรฉminine chinoise peut laisser lโ€™impression que cette derniรจre รฉtait inexistante avant le XXe siรจcle. Or, cette affirmation est ร  nuancer, mรชme si lโ€™รฉducation nโ€™a jamais รฉtรฉ un domaine dรฉpourvu de division selon les genres. Que cela soit par rapport aux modalitรฉs dโ€™enseignements ou bien vis-ร -vis du contenu, les femmes ont toujours รฉtรฉ exclues du systรจme Maรฎtre – Disciples, et nโ€™ont jamais pu prรฉtendre aux examens impรฉriaux. La diffรฉrence selon les genres dans lโ€™รฉducation sโ€™inscrit aussi dans le contenu. Pour illustrer cela, on peut citer les Quatre livres pour femmes (ๅฅณๅ››ไนฆ็ป Nรผ Si Shu Jing), ce sont des ouvrages indรฉpendants compilรฉs sous la dynastie des Ming (1368-1644), sur le mรชme modรจle que les ยซ Quatre livres (ๅ››ไนฆ si shu) ยป. Le premier ouvrage figurant sur cette liste sont les Prรฉceptes pour les femmes (ๅฅณ่ชก Nรผ jie) , de lโ€™historienne Ban Zhao ็ญๆ˜ญ (vers 48-116), diffusรฉ sous les Han orientaux (25-220). Dans cet ouvrage adressรฉ ร  ses filles, lโ€™autrice dรฉtaille en huit courtes parties les vertus que doivent dรฉvelopper les femmes chastes.
Le second ouvrage date des Tang (618 โ€“ 907) et sโ€™intitule Analectes pour femmes (ๅฅณ่ฎบ่ฏญ nรผ lunyu) รฉcrit par Song Ruoxin ๅฎ‹่‹ฅๆ–ฐ et par sa jeune sล“ur Song Ruozhao ๅฎ‹่‹ฅ็…ง, il se compose sur le modรจle du Lunyu, les autrices reprennent les prรฉceptes moraux dรฉveloppรฉs par Ban Zhao. Quant aux ouvrages restant, ils datent tous deux des Ming. Le premier sโ€™intitule Instructions domestiques (ๅ†…่ฎญ nei xun) rรฉdigรฉ par lโ€™impรฉratrice Xu ๅพ , il est destinรฉ aux dames du palais. Le deuxiรจme, quant ร  lui, sโ€™intitule Leรงons pour les femmes (ๅฅณ่Œƒๆทๅฝ• nรผ fanjielu), รฉcrit par Madame Liu, la mรจre du lettrรฉ Wang Xiang ็Ž‹็›ธ, et se concentre en particulier sur les grandes femmes des temps jadis, รฉrigรฉes en modรจle de vertu. Ces ouvrages sont destinรฉs ร  parfaire lโ€™รฉducation des jeunes filles. Bien que de format divers, ces textes transmettent essentiellement une image de la femme vertueuse et chaste, en accord avec lโ€™orthodoxie morale nรฉo-confucรฉenne. Traditionnellement, les femmes sont cantonnรฉes au domaine de lโ€™intime, cโ€™est donc logiquement que les Quatre livres pour femmes ne sortent jamais de la sphรจre du privรฉ lorsquโ€™ils รฉvoquent le champ dโ€™action des femmes. Tout dans cette รฉducation est orientรฉ pour faire des jeunes filles qui la reรงoivent des ยซ รชtres de lโ€™intรฉrieur ยป (ๅ†…ไบบ nei ren), des รฉpouses et des mรจres vertueuses. Lโ€™objectif nโ€™est pas de faire de ces jeunes filles de parfaites lettrรฉes. Il faut bien comprendre que parmi la mince couche de la population fรฉminine qui sait lire et รฉcrire, une partie encore plus infime parvient ร  valoriser ces compรฉtences dans une production culturelle. Les femmes ayant marquรฉ la littรฉrature ou autres existent bien รฉvidemment, mais elles font figures dโ€™anomalies structurelles, ne devant leur destin quโ€™ร  leur capacitรฉ et leur cadre familial en gรฉnรฉral.
Un autre point important de lโ€™รฉducation dโ€™une jeune fille est lโ€™apprentissage des travaux dโ€™aiguilles. Au-delร  de lโ€™aspect purement รฉconomique, le filage et le tissage sont perรงus comme un vecteur de valeurs morales pour les femmes, que ce soit via lโ€™apprentissage desย compรฉtences mise en ล“uvre lors des tissages (la discipline individuelle, la patience, etc.) ou de maniรจre plus globale dans la reproduction dโ€™un schรฉma social, dรฉfinit comme ยซ idรฉal ยป, comme lโ€™illustre ce passage du livre des rites, le Liji (็คผ่ฎฐ) : ยซ sโ€™acquittant de la totalitรฉ du travail de la soie et du chanvre, lโ€™รฉpouse est le partenaire idรฉal du mari. ยป . Mรชme dans les couches aisรฉes de la population, oรน cette compรฉtence nโ€™est en rien une nรฉcessitรฉ รฉconomique, les petites filles apprennent ร  filer et tisser dรจs leur plus jeune รขge, pendant que leurs frรจres perfectionnent leur apprentissage de la lecture et des armes.
Une autre variante ayant impactรฉ lโ€™รฉducation et le statut des femmes en gรฉnรฉral est le Nรฉoconfucianiste, et le dogme quโ€™une femme vertueuse est une femme ignorante, il semblerait que ce tournant idรฉologique ait eu lieu durant la dynastie des Song. En effet, le confucianismeย  connaรฎt un nouveau souffle ร  cette pรฉriode. Cette nouvelle impulsion est notamment incarnรฉe par Zhu Xi ๆœฑ็†น (1130-1200), qui veut ยซ retrouver lโ€™esprit originel de Confucius ยป , renouer avec une lecture existentielle des textes canoniques. Zhu Xi se montre prรฉoccupรฉ par la santรฉ morale de la sociรฉtรฉ, insistant sur la nรฉcessitรฉ des rites comme fonction pรฉdagogique et sociale, ses Rites familiaux et son รฉtude รฉlรฉmentaire, ont jouรฉ un grand rรดle jusquโ€™au Qing dans la transmission dโ€™une certaine orthodoxie morale, nรฉfaste aux femmes . De maniรจregรฉnรฉrale la pression sociale qui pรจse sur les subordonnรฉs de la hiรฉrarchie confucรฉenne, que cela soit des jeunes ou des femmes, sโ€™alourdit ร  cette รฉpoque.

Lโ€™รฉmergence des actions en faveur de lโ€™รฉducation fรฉminine

Cet รฉtat de fait perdure jusquโ€™au XIXe siรจcle, oรน divers facteurs dont lโ€™implantation des missionnaires chrรฉtiens viennent bousculer les codes en matiรจre dโ€™รฉducation. En 1922 , The Foreign Missions Conference of North America (FMCNA), une association chrรฉtienne, publie une รฉtude sur lโ€™รฉducation en Chine. Dans le chapitre consacrรฉ ร  lโ€™รฉducation des femmes, lโ€™auteur procรจde ร  un bref รฉtat des lieux de lโ€™รฉducation fรฉminine en Chine : ยซ Schools for girls are of comparatively recent origin in China, but it would be erroneous to assume that no women received any education whatever in ancient China. Many well-to-do homes conducted private school for the children of the family. (โ€ฆ) [But] the great mass of girls received no training in the reading of books or writing of compositions. ยป . Il ne sโ€™agit pas dโ€™un ouvrage historique prรฉtendant ร  une objectivitรฉ absolue, mais le propos est relativement nuancรฉ, cโ€™est pourquoi nous nous permettons de nous appuyer sur son contenu pour dresser un bref historique de lโ€™implantation de lโ€™รฉducation fรฉminine sous la houlette des missionnaires. La premiรจre รฉcole destinรฉe ร  des Chinoises est crรฉรฉe en 1825 par une missionnaire, Miss Grant, ร  Singapour. Miss Alderley, membre de lโ€™Association pour Promouvoir l’Education des Femmes en Asie (The Society for Promoting Female Education in the East) ouvre une รฉcole de filles ร  Java en 1837, puis une autre ร  Ningbo en 1844. Le traitรฉ de Nankin (1842) permet aux missionnaires de crรฉer des รฉcoles dans les cinq ports ouverts aux รฉtrangers : onze รฉcoles de filles sont ainsi fondรฉes entre 1847 et 1860. En 1858, la signature d’un nouveau traitรฉ entre le gouvernement chinois et les gouvernements amรฉricains, anglais et franรงais autorise les missionnaires ร  propager leur foi sur l’ensemble du territoire chinois, et les รฉcoles de filles se multiplient. La crรฉation de ces รฉcoles, quโ€™elles soient ร  destination des hommes ou des femmes, ne poursuit pas un simple but humanitaire, lโ€™objectif est avant tout de propager la foi chrรฉtienne. ร€ leurs dรฉbuts, les รฉcoles de missionnaires recrutent surtout leurs รฉlรจves dans les familles dรฉfavorisรฉes, car ces derniรจres nโ€™ont rien ร  perdre et voient dans les รฉcoles de missionnaire un moyen pour leur progรฉniture dโ€˜acquรฉrir une certaine รฉducation notamment classique alors que les familles chinoises les plus culturellement aisรฉes ne voient aucun avantage ร  confier lโ€™รฉducation de leurs enfants ร  des missionnaires รฉtrangers . Quelques familles voient progressivement lโ€™intรฉrรชt dโ€™envoyer ainsi leurs filles sโ€™รฉduquer, en 1902, quelque 4 373 filles sont inscrites dans divers รฉtablissements dโ€™enseignement tenus par des missionnaires.

Lโ€™รฉducation fรฉminine et les dรฉbuts de la Rรฉpublique

Avec lโ€™avรจnement de la Rรฉpublique en 1912, les politiques en faveur de lโ€™รฉducation se renforcent. Bien quโ€™elle soit dรฉjร  fortement prรฉsente, lโ€™idรฉe dโ€™une รฉducation pour faire des femmes des ยซ bonnes รฉpouses et des mรจres vertueuses ยป (่ณขๅฆป่‰ฏๆฏ Xianqi liangmu), devient ร  cette รฉpoque le modรจle dโ€™une ยซ bonne ยป รฉducation. Cโ€™est un phรฉnomรจne qui nโ€™est pas propre ร  la Chine : aprรจs la Rรฉvolution Amรฉricaine (1765 โ€“ 1783), รฉmerge dans les annรฉes 1790, le concept de ยซ Republican Motherhood ยป : l’idรฉe que les femmes servent le mieux la rรฉpublique naissante en devenant des mรจres รฉduquรฉes et vertueuses capables de former leurs fils ร  รชtre les citoyens pensants et rationnels, qualitรฉs requises par un gouvernement fondรฉ sur le consentement des gouvernรฉs . Ce schรฉma sโ€™applique donc รฉgalement ร  la Chine et aux balbutiements rรฉpublicains, les femmes รฉchouent ร  obtenir les mรชmes droits politiques que les hommes, et si lโ€™รฉducation รฉvolue, elle reste vectrice dโ€™inรฉgalitรฉ entre les hommes et les femmes. Nรฉanmoins lโ€™implantation dโ€™un nouveau systรจme scolaire reste un des objectifs prioritaires de la nouvelle Rรฉpublique , systรจme au sein duquel lโ€™รฉducation fรฉminine a une place primordiale . Le principe dโ€™รฉducation mixte pour les premiรจres annรฉes dโ€™รฉducation primaire est soutenu par le nouveau ministre provisoire de lโ€™รฉducation, Cai Yuanpei, dรจs janvier 1912 . Bien que soit promulguรฉ un programme scolaire commun aux deux genres, les filles, contrairement aux garรงons, suivent des cours de couture et de broderie ร  l’รฉcole. ร€ la fin des annรฉes 1910, les filles des รฉcoles secondaires doivent aussi suivre des cours supplรฉmentaires comme le jardinage et le mรฉnage . Elles doivent รฉgalement suivre des cours pratiques de tricot, de broderie, de filature de coton et d’artisanat, matiรจres absentes desย  cursus masculins. Car si le socle dโ€™รฉducation primaire devient relativement commun entre garรงons et filles, lโ€™รฉducation secondaire, elle, reste divisรฉe selon le genre. Ces rรฉformes sont entรฉrinรฉes en septembre 1912 , les รฉcoles professionnelles et des รฉcoles normales supรฉrieures pour filles sont รฉgalement encouragรฉes par ces rรฉformes . Nรฉanmoins, dans les faits, lโ€™รฉducation fรฉminine et plus gรฉnรฉralement lโ€™รฉmancipation fรฉminine reste assujettie au bon vouloir des chefs militaires qui commencent ร  prendre de plus en plus de pouvoir dans certaines provinces.
Analyser concrรจtement les opinions des contributrices de presse durant cette pรฉriode est assez dรฉlicat, cela sโ€™explique en partie par le choix des sources primaires accessible, le Funรผ Shibao, seul journal de genre ayant survรฉcu ร  la censure de Yuan Shikai, nโ€™est pas exactement le journal le plus engagรฉ en faveur de lโ€™รฉgalitรฉ radicale entre les sexes. Une chose en revanche demeure, que lโ€™รฉducation fรฉminine, que cela soit dans le cadre institutionnel ou sociรฉtal, se concrรฉtise de plus en plus. Non seulement la question de lโ€™รฉducation est portรฉe par des politiques favorables, mais en outre de nombreuses femmes ayant รฉtudiรฉ au Japon, participent ร  lโ€™avรจnement de la Rรฉpublique, et font le choix dโ€™ouvrir des รฉcoles pour filles.

Le mouvement Quatre Mai et ses suites : รฉgalitรฉ, mixitรฉ, universitรฉ

Le mouvement du Quatre Mai et plus largement celui de la Nouvelle culture, marque un renouveau dans les dรฉbats sur lโ€™รฉducation. De nouvelles revendications su r lโ€™รฉducation fรฉminine รฉmergent dans les discours militants ร  la faveur du mouvement, notamment pour une รฉducation commune entre hommes et femmes. Au-delร  du contexte gรฉnรฉral qui est ร  lโ€™effervescence intellectuelle, et de la revitalisation des dรฉbats auto ur de la ยซ question de la femme ยป, les รฉvolutions sur la question de lโ€™รฉducation sโ€™expliquent aussi par le fait que les jeunes intellectuelles qui prennent la parole sont souvent elles -mรชmes les รฉtudiantes des รฉcoles de filles ayant essaimรฉ dans le sillage des premiรจres actions pour lโ€™รฉmancipation fรฉminine. Elles ont grandi dans une sociรฉtรฉ oรน lโ€™รฉducation fรฉminine primaire devenait de plus en plus acceptรฉe. En 1908 le nombre de Chinoises scolarisรฉes dans le premier niveau dโ€™รฉducation est de 20.557, en 1919 ce chiffre passe ร  215,226 . Elles ont aussi eu pour modรจle des femmes ayant luttรฉ pour lโ€™รฉmancipation fรฉminine au tournant du siรจcle . Les principales revendications concernant lโ€™รฉducation fรฉminine qui รฉmerge ร  la faveur du Quatre Mai concernent principalement lโ€™รฉducation supรฉrieure et lโ€™รฉgalitรฉ dans lโ€™รฉducation entre hommes et femmes, notamment via la promotion dโ€™รฉtablissement mixte. En octobre 1919, la Fรฉdรฉration nationale des associations pour lโ€™รฉducation ( ๅ…จๅ›ฝๆ•™่‚ฒไผš่”ๅˆไผš quanguo jiaoyuhui lianhehui) rend un avis favorable concernant lโ€™รฉducation supรฉrieure des femmes et la mixitรฉ dans certains รฉtablissements . Nรฉanmoins, les directives officielles insistent toujours sur la nรฉcessitรฉ dโ€™enseigner aux jeunes filles, et uniquement aux jeunes filles, lโ€™importance des ยซ affaires domestiques (ๅฎถไบ‹ jiashi) ยป ainsi que sur la nรฉcessitรฉ de continuer la sรฉparation entre les sexes dans les รฉcoles professionnelles . Quant ร  lโ€™enseignement supรฉrieur pour les femmes, ce nโ€™est quโ€™aprรจs mai 1919 quโ€™est รฉtabli le premier รฉtablissement officiel dโ€™รฉducation supรฉrieure pour les femmes : lโ€™Ecole normale supรฉrieure pour les femmes de Pรฉkin . En aoรปt 1919, une jeune femme du nom de Deng Chunlan (1898 -1982) publie une lettre ouverte dans deux journaux renommรฉs pour demander lโ€™autorisation dโ€™entrer ร  lโ€™universitรฉ de Pรฉkin. Cai Yuanpei rรฉpond en janvier 1920 quโ€™il est tout ร  fait disposรฉ ร  laisser entrer des femmes ร  Beida . Le mois dโ€™aprรจs trois femmes sont admises en auditeurs, puis rapidement, six autres femmes suivent. Elles ont entre dix-neuf et vingt-huit ans, six dโ€™entre elles รฉtudient la philosophie, deux lโ€™anglais et une le chinois . Fรฉvrier 1920 marque aussi lโ€™embauche de la premiรจre femme professeur ร  Beida, Chen Hengzhe (1890-1976), en tant quโ€™enseignante dโ€™histoire occidentale. Cette derniรจre, aussi connue sous le nom de Sophia Zen, a effectuรฉ une partie de sa scolaritรฉ aux Etats-Unis grรขce ร  une bourse gouvernementale, dโ€™abord au Vassar College de 1915 ร  1919, oรน sous lโ€™influence de ses professeurs elle se passionne pour lโ€™histoire comparรฉe et dรฉcide alors de complรฉter son cursus par un M.A ร  lโ€™universitรฉ de Chicago validรฉ en 1920 . Outre son poste de professeur obtenu immรฉdiatement aprรจs son retour en Chine, Chen Hengzhe est aussi une contributrice rรฉguliรจre de presse et notamment au sein de la revue Xin Qingnian . Progressivement les mล“urs รฉvoluent sur la scolarisation, et outre la progression de la scolarisation des fillettes, les changements se font de plus en plus rapidement, dรจs 1921, on compte 651 Chinoises scolarisรฉes dans trente et une universitรฉs chinoises.

La sphรจre publique

Le travail

Si notre premiรจre partie sur la rรฉvolution de lโ€™intime sโ€™ouvrait sur lโ€™รฉducation, il est logique que celle sur la conquรชte de lโ€™espace public sโ€™ouvre sur le travail.
Dans son essai de 1897, intitulรฉ ยซ Sur lโ€™รฉducation des femmes ยป, que nous avons dรฉjร  รฉvoquรฉ en analysant la thรฉmatique de lโ€™รฉducation, Liang Qichao avance que lโ€™arriรฉration de la Chine prend racine dans le manque dโ€™รฉducation des femmes et du fait quโ€™elles ont fini par devenir des ยซ parasites ยป de la sociรฉtรฉ. ยซ Aujourdโ€™hui tout le monde sโ€™inquiรจte de la pauvretรฉ en Chine. La pauvretรฉ rรฉsulte du fait quโ€™une personne est obligรฉe de faire vivre plusieurs autres. Quoiquโ€™il y ait eu plusieurs facteurs expliquant la dรฉpendance de plusieurs personnes vis-ร -vis dโ€™une seule, jโ€™avancerais que le non-travail des femmes est le facteur originel. ยป
Si le lien entre dรฉveloppement de la nation et รฉmancipation fรฉminine se retrouve une nouvelle fois mis en exergue, ce nโ€™est pas tant sur cette dynamique quโ€™il convient de revenir mais plutรดt sur lโ€™idรฉe de non-travail des femmes. De la mรชme maniรจre, il pourrait sembler inutile de sโ€™appesantir sur les propos de Liang Qichao si cette vision ne semblait pas รชtre trรจs largement partagรฉe dans les articles de la premiรจre dรฉcennie du XXe siรจcle. Or, de tous les sujets abordรฉs cโ€™est celui oรน le statut socio-รฉconomique des autrices et des auteurs se fait le plus ressentir. Car si les femmes jouissants dโ€™un statut social รฉlevรฉ, aux pieds bandรฉs, recluses dans leur gynรฉcรฉe peuvent difficilement รชtre considรฉrรฉes comme des membres producteurs dโ€™une sociรฉtรฉ capitaliste au tournant du XXe siรจcle, ce nโ€™est dโ€™une part pas le cas des femmes les plus pauvres, et dโ€™autre part cela occulte les causes de cet รฉloignement du marchรฉ du travail.
Comme pour lโ€™รฉducation, dans le sujet du travail plusieurs problรฉmatiques affleurent dans les textes chinois qui traitent de cette thรฉmatique. La premiรจre problรฉmatique qui semble intรฉressante ร  analyser : est peut-on rรฉellement parler dโ€™un groupe homogรจne lorsquโ€™on parle des ยซ deux cent millions de femmes chinoises ยป ? Cette catรฉgorisation qui englobe lโ€™ensemble de la population fรฉminine chinoise se retrouve รฉnormรฉment dans les premiers textes sur lโ€™รฉmancipation des femmes. Les autrices dressent-elles en rรฉalitรฉ le portrait de leurs consล“urs appartenant ร  la mรชme classe sociale, ou bien certains points soulevรฉs sont gรฉnรฉralisables ร  lโ€™ensemble des femmes ? Un autre sujet primordial ร  soulever est le type de travail prรฉconisรฉ, faut-il sโ€™insรฉrer dans le schรฉma des professions traditionnelles ayant cours en Chine, ou au contraire saisir les nouvelles opportunitรฉs de travail liรฉ ร  lโ€™industrialisation et la globalisation croissante de la sociรฉtรฉ ? Mais avant de tenter de rรฉpondre ร  ces interrogations, il semble pertinent de tenter de comprendre les spรฉcificitรฉs du marchรฉ du travail chinois tel quโ€™il รฉtai t ร  lโ€™orรฉe du siรจcle et de la place des femmes dans celui-ci.

Lโ€™exclusion progressive des femmes du secteur productif

Comme nous lโ€™avons dรฉveloppรฉ prรฉcรฉdemment la sociรฉtรฉ chinoise est une sociรฉtรฉ basรฉe sur la division selon le genre et cela sโ€™illustre particuliรจrement dans le domaine du travail.
Formulรฉe au Ve siรจcle avant notre รจre, cette maxime populaire ยซ les hommes labourent et les femmes tissent ็”ท่€•ๅฅณ็ป‡ nan geng nรผ zhi ยป en est la parfaite illustration. Si lโ€™on prend cette citation de maniรจre littรฉrale, il est intรฉressant de constater que si les travaux agricoles sont toujours globalement associรฉs aux hommes ร  la fin de lโ€™Empire, le travail du textile, lui, nโ€™est plus reelement considรฉrรฉ comme une prรฉrogative fรฉminine.
Pendant plus de 2000 ans, le textile, au mรชme titre que lโ€™agriculture, joue un rรดle fondamental dans le fonctionnement de lโ€™Etat chinois. Dans lโ€™Antiquitรฉ, les tissus servent de moyen รฉchange et de monnaie de rรฉfรฉrence, et ce mรชme aprรจs le dรฉveloppement de la monnaie mรฉtallique. Dรจs Zhou jusquโ€™aux rรฉformes de la fin des Ming, tous les foyers sont autant redevables dโ€™un impรดt en tissus et en fils que dโ€™un impรดt en grains. Ce sont les rรฉfo rmes fiscales des annรฉes 1570-1580 connues sous le nom de yitiao bianfa (ไธ€ๆก้žญๆณ•) ยซmรฉthode du coup de fouet uniqueยป, qui introduisent la possibilitรฉ pour les foyers de paysans et dโ€™artisans les plus aisรฉs de substituer lโ€™impรดt par de la monnaie, celui-ci intรฉgrait donc auparavant le grain produit par les hommes et les textiles produits par les femmes, et cela de maniรจre รฉgale.
Les foyers non paysans sont imposรฉs de la mรชme faรงon. Ainsi mรชme chez les propriรฉtaires fonciers, les femmes doivent elles aussi assurer une production en textiles. Avant les rรฉformes, les foyers urbains qui nโ€™รฉtaient pas eux-mรชmes producteurs de tissus รฉtaient obligรฉs dโ€™en acheter pour sโ€™acquitter de leur impรดt. Ceci dit, mรชme aprรจs que les rรฉformes du ยซ coup de fouet unique ยป eurent permis de substituer lโ€™impรดt en nature par des paiements en argent, les prรฉlรจvements en tissus ont nรฉanmoins continuรฉ. Le systรจme fiscal impose donc une division sexuelle gรฉnรฉrale du travail dans laquelle la totalitรฉ des femmes des foyers paysans sont tisserandes tandis que leurs maris sont obligรฉs de rester dans les champs pour produire des cรฉrรฉales ou des fibres vรฉgรฉtales. En dโ€™autres termes, les exigences de ce systรจme รฉconomique, maintiennent lโ€™existence dโ€™un secteur productif fรฉminin et permettent dโ€™exacerber lโ€™importance de la contribution fรฉminine ร  lโ€™รฉconomie domestique. Pratiquement tous les foyers possรจdent lโ€™รฉquipement pour faire du fil de bonne qualitรฉ, mรชme si en gรฉnรฉral ceux de qualitรฉ supรฉrieure sont rรฉservรฉs en prioritรฉ aux impรดts. Le filage et le tissage ne sont en rien des activitรฉs annexes ou de loisir pour les foyers paysans et peuvent mรชme contribuer ร  en augmenter les revenus, comme lโ€™illustrent ces quelques donnรฉes : ยซ Le tissage de la soie prenait beaucoup de temps, une ou deux semaines peut-รชtre pour un rouleau, au lieu de deux jours seulement dans le cas des fibres vรฉgรฉtales mais la rapiditรฉ du travail variait selon que le mรฉtier รฉtait ou non ร  pรฉdale et en fonction de lโ€™expรฉrience de lโ€™opรฉratrice. Le traitรฉ mathรฉmatique Jiuzhang suanshu (Les neuf chapitres sur les procรฉdures mathรฉmatiques) qui date du premier siรจcle avant notre รจre propose un exemple dans lequel une femme ยซ habile ร  tisser ยป travaille ร  un rythme de 2,5 ร  5 pieds par jour, selon quโ€™elle est en bonne forme ou fatiguรฉe. A quarante pieds par rouleau, cela signifierait quโ€™il fallait entre 8 et 16 jours ร  une bonne tisserande pour produire un rouleau, probablement de taffetas. Il nโ€™est pas facile de trouver des chiffres permettant de calculer la valeur ajoutรฉe par le tissage aux diffรฉrentes pรฉriodes. Sous les Han Antรฉrieurs le Jiuzhang suanshu met le prix de la soie grรจge entre 240 et 345 sapรจques par livre (jin) ; le prix dโ€™un rouleau de taffetas (pesant une livre sโ€™il est aux normes de lโ€™administration fiscale) est de 512 sapรจques soit un peu plus du double de la qualitรฉ infรฉrieure de soie grรจge. Le tissu de chanvre ne valait que 125 sapรจques le rouleau. ยป
En outre, dans les familles de lโ€™รฉlite, possรฉdant un capital important, une รฉpouse quโ€™elle soit principale ou secondaire, qualifiรฉe dans ce domaine, peut reprรฉsenter une vรฉritable plus value รฉconomique pour la famille. Par exemple, dans lโ€™histoire des Han, on nous apprend que lโ€™รฉpouse du richissime gรฉnรฉral Zhang Anshi participait elle -mรชme ร  la production textile et รฉtait ร  la tรชte dโ€™une รฉquipe de 700 personnes, les bรฉnรฉfices engendrรฉs รฉtaient considรฉrables pour sa famille.
ร€ lโ€™รฉpoque des Song, on peut dรฉjร  distinguer quatre types dโ€™รฉtablissements producteurs de tissus: Les deux premiรจres catรฉgories sont les familles paysannes et les familles dites manoriales, autrement dit, les grandes familles de lโ€™รฉlite rurale ou urbaine. Dans ces deux catรฉgories, le travail y est essentiellement assurรฉ par une main-dโ€™ล“uvre fรฉminine. Ensuite vienne les manufactures dโ€™Etat, les sources sont trop succinctes pour connaรฎtre prรฉcisรฉment la division sexuelle du travail, mais il semble quโ€™ร  cette รฉpoque, contrairement aux รฉpoques Ming et Qing oรน les femmes seront cantonnรฉes aux opรฉrations de dรฉvidage et de doublage, le tissage peut indiffรฉremment รชtre confiรฉ ร  des ouvriers masculins ( ๅทฅๅŒ  , gongjiang, littรฉralement artisan de sexe masculin) que fรฉminin (ๅฅณๅทฅ, nรผgong, ouvriรจre). Mais, une large proportion de la main-dโ€™ล“uvre est de sexe masculin. Puis pour finir les ateliers urbains, de diffรฉrent type, qui fonctionnent globalement sur le mรชme modรจle que les manufactures dโ€™Etat.
La main-dโ€™ล“uvre est soit recrutรฉe dans le cercle familial, soit directement recrutรฉe dans la rue, les artisans en quรชte de travail se rassemblant dans un lieu public attendant en groupe sous lโ€™รฉgide dโ€™un chef de guilde que lโ€™on vienne les embaucher . Ce systรจme excluant de facto les femmes Malgrรฉ la multiplication des moyens de production textile, la majoritรฉ du textile produit en Chine jusquโ€™ร  la fin des Song lโ€™est par des familles paysannes ou bien manoriales en milieu rural. Et non seulement la main-dโ€™ล“uvre y est presque exclusivement fรฉminine mais, en outre les femmes disposent dโ€™un savoir-faire technique unique et se trouvent aussi en charge du contrรดle et de la gestion de la production. De plus, bien que la plus grande partie des textiles produits dans ce cadre fรปt des tissus ordinaires, ceux-ci ne sont pas limitรฉs ร  lโ€™autoconsommation et ont une vรฉritable une valeur marchande.

Les dรฉbuts de lโ€™analyse de la problรฉmatique du travail fรฉminin

Dรจs 1898, la problรฉmatique du travail des femmes apparaรฎt entre les pages du Nรผxuebao premiรจre gรฉnรฉration, dans le neuviรจme numรฉro , ยซThe Profusion of Women Workers, (nรผgong zhisheng) ยป, on apprend รฉgalement dans ce numรฉro, que Shanghai compte ainsi, un nombre de travailleuses estimรฉ entre 60.000 et 70.000, elles sont employรฉes principalement dans les usines de textiles et dans les manufactures de thรฉs. ย Certes, comparativement ร  la population de Shanghai, estimรฉe ร  environ un million en 1900 , 70.000 peut sembler faible. Mais cela illustre le fait quโ€™on trouve dรฉjร  des femmes insรฉrรฉes dans le monde du travail avant mรชme la gรฉnรฉralisation des discours sur le travail fรฉminin. Le fait que les manufactures de textiles soient lโ€™un des secteurs qui embauche le plus les femmes est รฉgalement intรฉressant par rapport aux donnรฉes que nous avons prรฉcรฉdemment dรฉveloppรฉes.

Les dรฉbuts de la Rรฉpublique, entre acquis et rรฉgression

Avec lโ€™รฉtablissement de la Rรฉpublique, รฉnormรฉment de femmes qui sโ€™รฉtaient impliquรฉes dans le processus rรฉvolutionnaire concentrent leurs efforts sur les problรฉmatiques de lโ€™รฉmancipation fรฉminine. Leur premier combat concerne lโ€™รฉquitรฉ politique et lโ€™obtention du droit de vote pour les femmes mais la seconde Constitution de mars 1912 anรฉantit tous leurs espoirs . La plupart fontย  alors le choix dโ€™orienter leurs actions vers le dรฉveloppement du travail des femmes et investissent leur richesse, leur talent et leur รฉnergie dans le dรฉveloppement des industries et de lโ€™artisanat fรฉminin. Leur objectif รฉtant de crรฉer plus dโ€™emplois pour les femmes . Mais ces femmes ont รฉgalement pour objectif de participer ร  lโ€™รฉconomie nationale en crรฉant des entreprises industrielles et commerciales promouvant des produits locaux pour renforcer l’รฉconomie du pays . Certaines militantes se tournent aussi vers le monde des affaires, mais il est indรฉniable que les combats politiques continuent de les animer. Par exemple, en fรฉvrier 1913, une certaine Lin Zongxue et sa sล“ur Zhang Fuzhen fondent le grand magasin Zhiquan, proclamant que ยซ Heaven bestows men and women equal rights; peopleโ€™s livelihood precedes other principles the Republic ยป , Le 10 octobre 1913, les sล“urs affichent un couplet patriotique qui tourne en ridicule le despotisme de Yuan Shikai et cรฉlรจbre lโ€™anniversaire de la Rรฉpublique . Un acte clairement osรฉ au vu du contexte. Quelques articles sur le travail des femmes dans lโ€™industrie paraissent dans le Funรผ Shibao comme par exemple en fรฉvrier 1913 lโ€™article ยซ Les femmes et lโ€™industrie (ๅฆ‡ๅฅณไธŽๅฎžไธš Funรผ yu shiye) dโ€™une certaine He Zhang Yazhen (ไฝ•ๅผตไบžๆŒฏ) . De maniรจre gรฉnรฉrale, le Funรผ Shibao est un journal qui promeut le travail des femmes mais il ne semble pas mettre en avant lโ€™aspect purement รฉmancipatoire que peut avoir le travail des femmes. Durant les premiรจres annรฉes de la Rรฉpublique,le travail est avant toutes choses un moyen de participer ร  lโ€™effort national pour redresser la nation. Au final, il faut attendre le Quatre Mai et les annรฉes vingt pour voir รฉmerger une rรฉflexion structurelle sur le travail et celui des femmes en particulier. Rรฉflexion qui nโ€™est pas รฉtrangรจre ร  la montรฉe du marxisme au sein des รฉlites intellectuelles, ou au contexte international influencรฉe par la fin de la Grande Guerre.

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Table des matiรจres
Remerciementsย 
Avertissementย 
Introductionย 
I. Les femmes et lโ€™essor de la presse
II. La sphรจre du privรฉย 
1) Lโ€™รฉducation
Lโ€™รฉmergence des actions en faveur de lโ€™รฉducation fรฉminine
Les premiers discours sur lโ€™รฉducation
La question de lโ€™รฉducation dans la presse fรฉminine des dรฉbuts
Lโ€™รฉducation fรฉminine et les dรฉbuts de la Rรฉpublique
2) Le rapport au corps
Les pieds bandรฉs, entre prรฉjugรฉ et rรฉalitรฉ
La promotion dโ€™un corps fortifiรฉ par lโ€™exercice physique
Le contrรดle des naissances
3) Mariage, divorce et sexualitรฉ
Le mariage et ses composantes dans la Chine traditionnelle
La fin de lโ€™Empire, entre critique du mariage traditionnel et รฉbauche de redรฉfinition
Le dรฉbut de la pรฉriode Rรฉpublicaine, entre acquis et recherche
La nouvelle culture, quelles modalitรฉs, pour quelles relations ?
III. La sphรจre publiqueย 
1) Le travail
Lโ€™exclusion progressive des femmes du secteur productif
Les dรฉbuts de lโ€™analyse de la problรฉmatique du travail fรฉminin
Les dรฉbuts de la Rรฉpublique, entre acquis et rรฉgression
Femmes, travail et prolรฉtariat aprรจs la Premiรจre Guerre mondiale
2) Les droits politiques
Nation et Rรฉvolutions, remettre en cause le pouvoir
La premiรจre vague de militantisme pour le suffrage
Femmes et reconnaissance politique, une relation compliquรฉe
Conclusionย 
Bibliographie
Sources antรฉrieures ร  1927 ou reprenant des textes antรฉrieurs ร  1927
Sources postรฉrieures ร  1927ย 

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