Le marché des euro-obligations de 1963 à 2008: une organisation au risque de la bureaucratie

Depuis près d‘un demi-siècle, les sources de financement des entreprises et des États se sont accrues en volume et en nature, les procédures s‘y rattachant sont devenues plus complexes et plus onéreuses pour les émetteurs, et les marchés financiers se sont globalisés. Un marché particulier créé en 1963 a connu une évolution remarquable. Il s‘agit de celui des euroobligations.

D‘après La Bruslerie, une euro-obligation est « un titre de créance négociable émis en eurodevises par un syndicat international de banques et placé principalement dans d‘autres pays que celui dont la monnaie sert à libeller l‘emprunt » . La grande majorité d‘entre eux sont des titres au porteur et préservent ainsi l‘anonymat des investisseurs. Le marché qui sous tend la négociation de tels actifs est exemplaire des changements organisationnels de la finance moderne à plus d‘un titre. Tout d‘abord, il s‘agit d‘un marché financier déréglementé, puisqu‘il n‘a jamais été soumis au contrôle direct des États. Ensuite, il a su s‘adapter de manière remarquable, depuis plus de quarante ans, aux modifications de l‘environnement international. Enfin, dans le même temps, il a toujours permis aux entreprises, aux États et aux organisations internationales de trouver une source de financement en suivant les conseils avertis des intermédiaires financiers.

Le marché euro-obligataire de 1963 à 2008 : une étude empirique 

Le développement du marché euroobligataire : trois phases distinctes

Notre étude de l‘évolution du marché des euro-obligations suit en premier lieu une perspective historique qui porte sur l‘identification des acteurs, les modalités d‘organisation du marché et de son environnement. De son émergence à aujourd‘hui, l‘appréhension du développement d‘un marché financier semble devoir d‘abord se fonder sur une analyse qui va nous permettre de le définir selon ses acteurs et son organisation interne. Phénomène économique au premier abord, le marché euro-obligataire devient une organisation avec ses membres, ses règles de fonctionnement et son organisme professionnel. Prolongement à l‘origine d‘un marché à court terme des eurodevises, il va peu à peu construire son mode d‘organisation. C‘est donc autour de transactions économiques que se met en place cette organisation et cette étude historique va nous conduire à dégager des variables organisationnelles qui feront l‘objet d‘une analyse ultérieure.

Dans le cadre de l‘étude du développement du marché euro-obligataire de 1963 à 2008, nous sommes amenée à distinguer trois phases de développement. Cette distinction est rendue possible par l‘identification de facteurs entraînant une modification des comportements des acteurs du marché, c’est-à-dire que nous mettons en évidence des stimuli au sens de Skinner . Ces derniers, « ensemble de causes entraînant un ensemble de comportements » sont regroupés selon deux catégories fonctionnelles : des stimuli internes qui ont pour origine les actes des différents acteurs composant le marché et des stimuli externes qui sont relatifs à l‘environnement de ce dernier. Pour rendre compte du développement du marché euroobligataire, nous avons donc intégré ces deux dimensions à notre analyse si bien que la distinction des différentes phases de développement s‘est opérée selon une double logique : d‘une part, une logique propre au marché (stimuli internes) et d‘autre part une logique liée aux caractéristiques de l‘économie mondiale (stimuli externes). Par logique de marché, nous entendons tous les éléments internes à la structure du marché qui vont contribuer à faire évoluer les pratiques d‘échange et qui sont souvent le fait des intermédiaires financiers. Par logique liée aux caractéristiques de l‘économie mondiale, nous comprenons les indicateurs traditionnels d‘analyse de l‘économie mondiale qui ont une influence sur le marché euroobligataire comme par exemple la volatilité des taux d‗intérêts, des taux de change et le niveau des taux d‘inflation.

Notre analyse par phase s‘appuie sur des éléments de statistiques descriptives portant sur le développement du marché, sur les instruments et les monnaies utilisés et sur les acteurs principaux (emprunteurs et banques). Nos calculs personnels à partir de la base de données SDC Platinum permettent de mettre en évidence le volume annuel d‘émission et le nombre de titres émis depuis la création du marché ainsi que le degré de concentration et l‘origine géographique des chefs de file. Les statistiques financières de l‘O.C.D.E (Organisation de Coopération et de Développement Economiques) sont disponibles pour une période allant de 1963 à 1997 et indiquent les montants levés selon l‘origine géographique des emprunteurs, leurs monnaies de dénomination et les instruments utilisés. A partir de 1997, ces statistiques n‘étant plus publiées par cet organisme, nous avons recours aux statistiques descriptives publiées par la B.R.I. (Banque des Règlements Internationaux). Cependant si cette institution fournit des informations sur des variables similaires celle de l‘O.C.D.E (origine géographique des emprunteurs, monnaies et instruments) elle ne distingue pas, au sein du marché international des capitaux, les obligations étrangères des euro-obligations.

La première phase de 1963 à 1968 est celle de la création et de l‘organisation du marché. La délimitation de cette phase semble corroborer l‘emploi de notre double logique. La logique interne au marché domine entre ces dates car le marché s‘y est organisé sans aucune crise, la première a lieu en décembre 1968 en raison d‘un retard important dans la livraison des titres. La seconde logique (logique externe) éclaire quant à elle la fin de la grande croissance. Cette période a été marquée selon Cotta par trois caractéristiques : la première se comprend comme la réalisation d’une intégration de l’économie mondiale, la deuxième est l’absence de troubles majeurs provoquée par cette réalisation et enfin la troisième est relative aux variations limitées des prix.

En 1969 la combinaison de ces trois caractéristiques prend fin. En effet, la dernière d’entre elles n’est plus présente à la fin des années soixante, conduisant ainsi à la fin d’une remarquable période de stabilité qui aura duré près de trente ans.

La deuxième phase de développement du marché euro-obligataire va de 1969 à 1983. Elle est caractérisée par l‘innovation financière, par l‘organisation du marché secondaire (logique interne) et également par le début d‘une période d‘instabilité des taux d‘intérêts et des taux de change résultant d‘une transformation profonde de l‘économie mondiale (logique externe). En effet, la hausse du niveau général des prix commencée en 1969 n’aurait sans doute pas eu pour fonction de transformer inexorablement la structure de l’économie mondiale si un événement brutal, inattendu et de grande ampleur ne s’était produit à deux reprises au cours de la décennie soixante-dix remettant en cause un ordre établi et rappelant une notion laissée de côté pendant deux décennies : le transfert .

Le transfert des années soixante-dix a pour origine le quadruplement puis le doublement du prix de la principale ressource énergétique mondiale : le pétrole. La multiplication par quatre, puis par deux, du prix du pétrole réorganise la structure de l’économie mondiale, faisant apparaître de nouveaux pays aux balances de paiements excédentaires , donc de nouveaux investisseurs à la recherche d‘opportunités de placement. Cette profonde transformation engendre également de nouveaux besoins de financement qui trouvent un débouché sur le marché euro-obligataire.

La troisième phase de développement du marché euro-obligataire s‘étend sur une période allant de 1984 à 2008. Sur un plan externe, elle est marquée par la globalisation des marchés financiers induite par un mouvement de déréglementation financière qui élargit l’origine géographique et la nature des emprunteurs tandis que de nouveaux compartiments du marché international des capitaux constituent de nouveaux moyens de collecte de fonds et d’opportunités de placements. Dans une logique interne aux marchés, elle correspond à une phase de maturité dominée par les intermédiaires financiers qui se voient confier à travers leur association professionnelle un rôle prédominant permettant à l‘innovation financière de se poursuivre et conduisant à une consolidation organisationnelle du marché.

Ainsi trois phases se dégagent du développement du marché euro-obligataire de 1963 à nos jours. La première phase de 1963 à 1968 est celle de la création et de l‘organisation du marché. La deuxième phase qui s‘étend de 1969 à 1983 constitue une phase d‘adaptation aux turbulences monétaires et de taux d‘intérêts. Enfin la troisième et dernière phase de 1984 à 2008 correspond à une période de maturité dominée par un rôle accru des intermédiaires financiers. Ces trois phases ont été déterminées en tenant compte des modifications majeures de l‘environnement économique et financier du marché et des changements profonds induits par ses acteurs directs.

Une phase de création et d‘organisation : 1963-1968 

Deux conditions préalables à la création du marché des euro obligations 

Pour qu‘un marché à long terme des eurodevises vît le jour, encore fallait-t-il que deux conditions préalables soient réunies : d‘une part la liberté des paiements opérée en 1958 grâce à la convertibilité des monnaies et d‘autre part la même année l‘émergence d‘un marché à court terme des devises.

La condition de possibilité de la création du marché : la liberté des paiements

La condition première à la liberté des paiements a été rendue possible par le retour à la convertibilité des monnaies. Cette dernière est dite totale ou interne dès lors que les nonrésidents et les résidents d‘un pays peuvent convertir la monnaie nationale en devises étrangères. Prévue dans les accords de Bretton Woods, elle a nécessité près de quinze ans aux pays européens qui sont passés progressivement du bilatéralisme au multilatéralisme sous l‘impulsion des États-Unis . La liberté des paiements n’a pas fait l’objet de grandes difficultés mais elle a pris quatorze ans. Elle a été pourtant la condition de possibilité de la création d’un marché international des capitaux et donc de la naissance d’un marché à long terme des eurodevises .

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Table des matières

Introduction
Introduction – Problématique, méthodologie et démarche de recherche
Problématique et formulation de la question de recherche : de l‘examen d‘un marché aux questionnements organisationnels
Méthodologie de recherche : adoption d‘une démarche abductive et de la méthode des cas
Méthode de recherche : analyse diachronique et confrontation de la théorie à l‘observation
L‘évolution du marché euro-obligataire pris sous l‘angle événementiel
Le marché euro-obligataire dans une histoire longue : les pratiques
Confrontation des analyses historiques au corpus théorique dédié à l‘organisation
Chapitre 1 – Le développement du marché euro-obligataire : trois phases distinctes
1.1 Une phase de création et d‘organisation : 1963-1968
1.1.1 Deux conditions préalables à la création du marché des euro-obligations
1.1.2 La création du marché des euro-obligations
1.1.3 Des règlementations domestiques destinées à réduire la spéculation favorisent l‘essor du marché des euro-obligations
1.1.4 Statistiques résumées sur la période 1963-1968
1.2 Une phase d‘adaptation aux turbulences monétaires et de taux d‘intérêts : 1969-1983
1.2.1 Un moyen pour s‘adapter à l‘incertitude croissante sur l‘évolution des taux d‘intérêt et des taux de change : l‘innovation financière
1.2.2 Une organisation du marché secondaire : la création et le développement des centrales de compensation
1.2.3 Statistiques résumées sur la période 1969-1983
1.3 Un marché marqué par un rôle accru des intermédiaires et plus une grande diversification : 1984-2008
1.3.1 Une innovation financière toujours soutenue
1.3.2 Une organisation renforcée des intermédiaires financiers : le poids de la déréglementation
1.3.3 Statistiques descriptives sur la période 1984-2008
Conclusion du chapitre 1
Chapitre 2 – Le marché euro-obligataire : des pratiques, une association professionnelle et une spécialisation des chefs de file
2.1 Les procédures de placement des titres euro-obligataires
2.1.1 Les placements privés
2.1.2 Les placements publics
2.2 Les contrats d‘émission des titres euro-obligataires : typologie, règlement des litiges et coût d‘une émission
2.2.1 L‘underwriting agreement : le contrat entre le chef de file et l‘émetteur
2.2.2 Les contrats propres au processus de syndication bancaire
2.3 Un organisme professionnel qui se structure peu à peu pour devenir un régulateur : de l‘A.I.B.D. à l‘I.CM.A
2.3.1 Une association professionnelle des marchés primaires et secondaires destinée à constituer une instance de consultation, de concertation et de formation de ses membres, et visant à une auto régulation du marché : l‘A.I.B.D. de 1968 à 1984
2.3.2 L‘émancipation du marché primaire de 1984 à 2005 pour pouvoir édicter des recommandations issues d‘un consensus : A.I.B.D., I.S.M.A. et I.P.M.A
2.3.3 Une association professionnelle pour édicter des standards et renforcer un pouvoir hiérarchique sur ses membres : l‘I.C.M.A
2.4 Une spécialisation géographique : le recours à la classification hiérarchique ascendante pour constituer une typologie temporelle
2.4.1 Méthodologie
2.4.2 Traitement des données
2.4.3 Résultats et commentaires : des regroupements identifiés
Conclusion du chapitre 2
Chapitre 3 – Pourquoi peut-on considérer le marché des euro-obligations comme une organisation comme une autre ?
3.1 Le marché euro-obligataire en tant qu‘organisation : l‘impératif technologique de Barnard
3.2 Le marché euro-obligataire en tant qu‘organisation : les rationalités de Simon
3.3 Le marché euro-obligataire en tant qu‘organisation : l‘espace coopératif de Blau et Scott
3.4 Le marché euro-obligataire en tant qu‘organisation : le nœud contractuel de Jensen et Meckling
Conclusion du chapitre 3
Chapitre 4 – Quelles formes organisationnelles pour le marché des euro-obligations ?
4.1 Cadre d‘analyse de la forme organisationnelle : le marché et/ou la firme
4.1.1 La légitimation d‘une organisation firme : les travaux de Coase
4.1.2 Les travaux de Williamson : l‘identification des facteurs de coûts conduit à justifier l‘existence d‘une forme organisationnelle
4.1.3 L‘allocation des droits de propriété légitime la forme organisationnelle : les travaux d‘Alchian et Demsetz
4.2 Les formes organisationnelles du marché euro-obligataire : du marché au marché régulé puis du marché régulé à la firme bureaucratique
4.2.1 Le marché des euro-obligations : une approche par les formes organisationnelles
4.2.2 Au-delà de la régulation par la forme organisationnelle : la prégnance d‘un mode de coordination bureaucratique d‘experts
Conclusion du chapitre 4
Conclusion

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