Le marche de l’art a la lumiere de la theorie de la complexite

Les quartiers de galeries d’art émergent puis déclinent. Ils ont un temps leur heure de gloire, rassemblant les tenants de l’avant-garde, avant que d’autres centres ne viennent prendre leur place. Après la seconde guerre mondiale, triomphait à Paris, le quartier de galeries de Saint-Germain-des-Prés, comme centre de l’avant-garde (Verlaine, 2008). Au même moment, le Downtown de New York accueille encore peu de galeries, mais les artistes américains de Greenwich villages, qui sont progressivement sortis du complexe d’infériorité longtemps éprouvé vis-à-vis de la suprématie parisienne, s’apprêtent déjà à « voler l’idée d’art moderne », selon le titre provocateur de Guilbault (1988). Deux décennies plus tard, les galeries New Yorkaises investissent SoHo, qui devient la figure de proue de la créativité artistique en Occident (Simpson, 1981). Après une période de doute dans les années 1990, où SoHo succombe à la pression foncière, et où l’East End londonien ou le Mitte berlinois, par leur dynamisme artistique, commencent à concurrencer New York, sur la scène de l’art contemporain, le quartier de Chelsea parvient à attirer, au tournant des années 2000 la plus forte densité de galeries au monde (Molotch & Treskon, 2009). Cependant, les yeux se tournent désormais loin des centres traditionnels de l’art moderne, pour s’orienter vers les nouveaux centres artistiques des pays émergents, eux aussi dotés de quartiers de galeries emblématiques : Kala Ghoda à Mumbai (Ithurbide, 2014), Al Quoz à Dubai (Moghadam, 2012), 798 à Pékin (Ren & Sun, 2012). La liste des prétendants est encore longue.

Des centres artistiques en construction : contribution à une pensée complexe de la mutation des systèmes socio-productifs

Afin de contribuer à un dépassement des paradigmes simplificateurs issus du courant de la ‘ville créative’, nous élaborons un modèle analytique sur la base des théories de la complexité. Ce modèle nous sert à explorer la problématique centrale de cette thèse : le processus de polarisation dans l’économie culturelle et créative. L’application de ce modèle complexe à la compréhension de ce phénomène nous conduit à l’identification de trois hypothèses.

Au delà de la ville créative : vers une approche complexe 

Ambrosino et Guillon (2014) mettent en exergue, à travers ‘quatre tournants culturels des sociétés urbaines’, le rôle central que la culture a pris, dans l’économie des villes et les politiques urbaines. La multiplication des stratégies de promotion de l’image des villes puisant dans leurs ressources culturelles spécifiques (Vicari-Haddock & D’Ovidio, 2010) en constitue un signe visible. De manière plus structurelle, la mutation vers une économie postfordiste où l’importance croissante de la valeur symbolique, expérientielle des biens et des services, vient reconfigurer les chaînes de valeur, remettre en cause la standardisation (Lash & Urry, 1993). Cette mutation s’accompagne d’intérêt croissant porté à l’économie culturelle et créative, qui été identifié dès les années 1980 comme un potentiel champ de croissance économique (Hesmondhalgh, 2008).

A première vue, ces tournants culturels apparaissent comme des réponses consensuelles aux crises multiformes que rencontrent les villes depuis les années 1970. Face à l’essoufflement des industries manufacturières, l’économie culturelle et créative laisse entrevoir de nouveaux relais de croissance. Face aux départs de populations, les politiques culturelles entendent redonner de l’attractivité aux villes en améliorant le cadre de vie. Face à la dévalorisation de quartiers historiques ou industriels, on entrevoit la possibilité de nouveaux usages (Andrés & Grésillon, 2011) : des musées dans d’anciennes usines, des ateliers d’artistes dans des édifices réhabilités. Ces tournants culturels, d’apparences consensuelles ne sont pourtant pas dénués de contradictions. D’une part, ils se traduisent par l’affirmation de discours incantatoires sur le développement urbain par la culture, dont ‘l’effet Bilbao’ ou la ‘classe créative’, mots d’ordres qui se sont largement diffusés au cours des deux dernières décennies. Dénonçant le simplisme de ces modèles de développement, nombre d’observateurs ont prôné une approche permettant de rendre compte de la complexité afin d’étudier la créativité urbaine (Storper & Scott 2009 ; Comunian, 2010). D’autre part, une seconde contradiction provient de la structuration spatiale de l’économie culturelle et créative, qui tend à se concentrer dans un nombre limité de pôles à rayonnement mondial. La Silicon Valley pour les nouvelles technologies, Hollywood pour le cinéma, New York pour l’art contemporain, les différents secteurs de l’économie culturelle et créative se polarisent dans des centres qui constituent non seulement des points d’attraction pour les professionnels du secteur, mais aussi des modèles, que d’autres territoires tentent de répliquer. Mais comment peut-on affirmer que l’économie culturelle constitue un modèle pour le développement des villes quand il y a un si petit nombre de territoires élus et que la plupart des territoires qui s’interrogent sur le développement par la culture sont exclus et considérés comme périphériques au regard de ces pôles ? C’est cette seconde contradiction que cette thèse se propose d’analyser en détail, en questionnant la formation de ces pôles.

La première contradiction a été largement soulignée dans la littérature académique (Chatterton, 2000 ; Peck, 2005 ; Pratt, 2010). Deux slogans ou modes d’action ont été particulièrement influents auprès des décideurs des villes désireux de mettre la culture au centre de leur stratégie de développement territorial. D’une part, la rhétorique de « l’effet Bilbao  » a été mobilisée pour légitimer la construction d’équipements culturels censés participer du développement territorial (Baudelle et al., 2015). D’autre part la théorie de la ‘classe créative’, promue par Richard Florida (2002) est parvenue à convaincre de nombreux décideurs qu’ils devaient rendre leur ville attractive pour les individus créatifs afin de développer leur économie. Erigée en nouveau paradigme par son auteur (Florida, 2011), cette théorie est pourtant controversée. De multiples critiques ont pointé ses faiblesses d’un point de vue méthodologique (Vivant, 2006 ; Marcuse, 2003), théorique (Markusen, 2006, Storper & Scott, 2009), ou encore politique (Pratt, 2011 ; Peck, 2005 ; Vicari Haddock & D’Ovidio, 2010). Ses détracteurs ont souligné la nécessité de rendre compte de la complexité de l’économie culturelle (Storper & Scott, 2009). C’est ainsi en s’appuyant sur la théorie de la complexité, que Comunian (2010) a entendu proposé une alternative :

« Le développement culturel d’une ville (c’est-à-dire, le processus par lequel elle devient une ‘ville créative’) est un système complexe adaptatif répondant aux principes de la théorie de la complexité. Cela implique une critique et une remise en cause de toute politique top-down et les solutions de consultants standardisées, et encourage l’utilisation d’une compréhension centrée davantage sur les agents et les interactions, à la fois pour les chercheurs et les décideurs ». ( :1158) .

Processus complexe, évolutif, dépendant au sentier

La géographie économique évolutionnaire s’est intéressée aux théories sur les systèmes complexes dans le but de dépasser l’opposition entre deux manières de penser l’évolution économique des territoires (Boschma & Frenken, 2006) : « Plutôt que de se concentrer sur les processus de mobilité universelle qui sous-tendent l’agglomération (néoclassiques) ou l’unicité des institutions de territoires (institutionnalistes), une approche de géographie économique évolutionnaire considère l’économie comme un processus évolutif qui se déroule dans l’espace et le temps ». Ainsi, en se distinguant de l’approche statique promue dans la théorie de la classe créative qui comparait des villes et des territoires à un instant t pour statuer sur son caractère créatif, la théorie des systèmes complexes appelle à observer l’évolution des territoires créatifs comme un processus itératif et non linéaire. La théorie de Richard Florida se focalise sur les comportements résidentiels des individus créatifs, comme facteur de développement d’une ville créative. Prenant le contrepied de cette approche mécanique, l’approche complexe de la ville créative prône une analyse des dynamiques historiques qui mènent à la spécialisation d’un territoire dans un domaine de l’économie culturelle (Scott & Storper, 2009).

Système complexe, ouvert, multiscalaire, émergent

Un système complexe est constitué d’un ensemble d’agents hétérogènes en interaction à plusieurs échelles. L’approche de la complexité se distingue donc d’une focalisation sur des entités fermées, mais retrace les interactions à multiples échelles entre des ensembles territoriaux ayant des fonctions différenciées dans la géographie de la créativité. Ainsi, l’approche complexe se démarque des démarches de classements qui ont caractérisé le paradigme de la classe créative, avec notamment les critères des trois T (Talents, Tolérance, Technologie) (Florida, 2005). Elle rend difficile l’attribution d’une grille standardisée d’impacts attendus, économiques, sociaux, urbains, puisque ceux-ci sont subordonnés à la fonction de l’entité territoriale considérée dans un système créatif complexe. Cette approche se caractérise par l’analyse des dynamiques organisationnelles territorialisées de différents secteurs des industries créatives (Scott, 2000 ; While, 2003 ; Bathelt et al. 2004 ; Halbert et al., 2008).

Système réflexif

La notion de système réflexif s’oppose à l’image consensuelle de la ville créative que le discours de Richard Florida ou de l’effet Bilbao entend diffuser. Cette notion permet de réintégrer les valeurs portées par les acteurs qui constituent ce système urbain et créatif. Ces acteurs sont porteurs d’un discours qui projette une certaine image du système dont ils sont partis prenantes, cette image est performative, c’està-dire qu’elle a pour but d’orienter l’action, de former des coalitions. On peut distinguer deux courants. L’un cherche à déconstruire le discours de la ville créative. Cette approche constructiviste, qui n’hésite pas à dénoncer l’instrumentalisation de la culture pour légitimer des politiques urbaines néolibérales (McGuigan, 2005), s’applique à analyser les intérêts et les valeurs des acteurs porteurs de la rhétorique de la ville créative (Vanolo, 2008 ; Catungal & Leslie, 2009). Un second courant consiste dans le fait de considérer les individus créatifs comme des acteurs urbains. Loin d’être passifs, les artistes et acteurs culturels sont porteurs de valeurs, qu’ils peuvent exprimer dans l’espace urbain soit en restant dans le champ culturel, soit en passant dans le champ de l’activisme (Markusen, 2006 ; Silver et al., 2010 ; McAuliffe, 2012 ; Mayer, 2013 ; Novy & Colomb, 2013).

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PARTIE I – LE MARCHE DE L’ART A LA LUMIERE DE LA THEORIE DE LA COMPLEXITE : VERS UN CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE
CHAPITRE 1 – UNE GEOGRAPHIE DES SYSTEMES COMPLEXES: THEORIES ET METHODES
CHAPITRE 2 – ORGANISATION ET TERRITOIRES DU MARCHE DE L’ART
CHAPITRE 3 : AGGLOMERATION, CLUSTER, SCENE ARTISTIQUES : ENQUETER SUR LES DYNAMIQUES DE POLARISATION DU MARCHE DE L’ART
PARTIE II – LES DYNAMIQUES TERRITORIALES DU MARCHE DE L’ART GLOBAL : UN SURVEY INTERNATIONAL
CHAPITRE 4 – ANALYSE MULTISCALAIRE DE LA TERRITORIALISATION DES GALERIES D’ART DANS LE MONDE
CHAPITRE 5 – VILLE HUB ET MISE EN SCENE : LE CAS DE SINGAPOUR
CHAPITRE 6 – TRAJECTOIRE HISTORIQUE ET DYNAMIQUES URBAINES DE LA VILLE-SCENE : LA TOPOGRAPHIE FLUCTUANTE DES GALERIES D’ART NEW YORKAISES
PARTIE III – LA CONSTRUCTION D’UN NOUVEAU CENTRE : ENQUETE SUR LE MARCHE DE L’ART D’ISTANBUL
CHAPITRE 7 – POLARISATION DU SECTEUR ARTISTIQUE STAMBOULIOTE : UNE ANALYSE MULTI-SCALAIRE
CHAPITRE 8 – LA CONSTRUCTION DES QUARTIERS DE GALERIES PAR LE BAS : CHOIX D’IMPLANTATION ET ANCRAGE TERRITORIAL
CHAPITRE 9 – ISTANBUL VILLE SCENE : HISTOIRE DU MARCHE DE L’ART, RUPTURES ET CHANGEMENTS URBAINS
CHAPITRE 10 – ISTANBUL VILLE HUB : METTRE EN SCENE ISTANBUL, SUR LE MARCHE DE L’ART INTERNATIONAL
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

Lire le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *