La distribution e-cinéma : de l’essai pilote à la mise en oeuvre d’un plan stratégique (2014-2018)
Dans ce chapitre, nous chercherons à retracer, une à une, chacune des grandes étapes de l’élaboration et de la mise sur le marché du modèle de distribution que représente le e-cinéma, depuis sa genèse jusqu’au début de l’année 2018.
Les prémices : la sortie en ligne de Welcome to New York
Le 17 avril 2014, Vincent Maraval et Brahim Chioua – fondateurs de la société Wild Bunch – annoncent, par le biais d’un entretien accordé au quotidien Le Monde, que la sortie française du nouveau film d’Abel Ferrara, Welcome to New York (2014), dont ils sont à la fois producteurs et distributeurs, aura lieu sur Internet, en vidéo à la demande, et non en salles de cinéma, comme on aurait pu s’y attendre. Dans cet article, Vincent Maraval explique :
Cela fait longtemps qu’on voulait tenter une expérience de distribution en ligne.
On n’aime pas le terme VoD. Pour nous, c’est du cinéma à la maison, comme cela se fait aux États-Unis et dans de nombreux pays, où les films sortent en même temps en salles et sur Internet. Cela part du principe selon lequel la consommation d’un film à domicile et celle d’un film au cinéma ne sont pas concurrentielles. Soit on décide de rester chez soi et on a le choix entre l’iPad, la télé, un DVD, un livre… Soit on sort et on arbitre entre le concert, le cinéma, le stade, etc. En France, comme la loi interdit la simultanéité de la salle et de la VoD, on a fait le choix d’Internet. Dans d’autres pays, aux États-Unis notamment, le film sortira en même temps en salles et sur le Web.
À en croire ces déclarations, le choix d’une sortie en vidéo à la demande découlerait donc du désir initial d’organiser une sortie multisupport inspirée du modèle day-and-date – désir refoulé par les contraintes de la législation française. Quant aux raisons qui ont mené Wild Bunch à un premier essai de sortie en ligne à ce moment précis et avec ce film en particulier, Vincent Maraval se justifie de la manière suivante.
Welcome to New York est mis en ligne le 17 mai 2014 à 21 heures, sur les plateformes FilmoTV, CanalPlay, Google Play, Videofutur, iTunes, MYTF1 VOD, ainsi que sur le boîtier multiservice (la « box ») de plusieurs FAI (Fournisseurs d’accès à Internet), proposé au prix de 6,99 euros. Wild Bunch organise aussi, au même moment, à Cannes, une projection au Star – un cinéma du centre-ville –, et une projection de presse (suivie d’une conférence en présence du réalisateur et des acteurs, retransmise en direct sur BFMTV) sous une tente, au Nikki Beach, un club de plage de la Croisette. Le film bénéficie ainsi de la très grande couverture médiatique du Festival de Cannes, dont la 67e édition a débuté trois jours plus tôt, le 14 mai, alors même qu’il n’y est pas programmé.
Par la suite, il enregistre en France – d’après les chiffres rendus publics par le distributeur – 48 000 actes pour sa première journée d’exposition, 100 000 après une semaine, et 160 000 au terme de son exploitation.
Précisons que s’il est aujourd’hui d’usage de considérer (aussi bien chez les professionnels que dans la presse) Welcome to New York comme le premier film sorti en France en e-cinéma, nous n’avons, pour notre part, trouvé aucune mention de ce terme dans les discours contemporains de sa sortie. En effet, celle-ci est, à l’époque, tantôt qualifiée de sortie « en VoD », tantôt de sortie « en ligne » ou « sur Internet », mais jamais de sortie « en e-cinéma ». À notre connaissance, le II.2.
L’élaboration d’un modèle de distribution identifiable
Le 30 octobre 2014, à travers un communiqué de presse, Wild Bunch annonce, pour le courant de l’année 2015, le lancement de « la première société européenne de e-distribution », destinée à « offrir un modèle de distribution alternatif à des oeuvres cinématographiques, à des films événements, avec l’objectif d’élargir l’audience et d’en assurer la viabilité économique », pour reprendre les mots du communiqué61. Dans l’article du Monde qui relaie cette information le 7 novembre 2014, Vincent Grimond – président de Wild Bunch – explique qu’il ne s’agit pas, à proprement parler, de la création d’une société, mais d’un département de Wild Bunch que dirigera Vincent Maraval. De plus, il précise que les films en e-distribution ne sont pas des films qui n’ont pas leur place en salles. Mais on estime que s’ils sortaient en salles, justice ne leur serait pas rendue. Soit parce qu’ils n’auraient pas la carrière qu’ils méritent, du fait de l’engorgement des salles et de la rotation rapide des films sur les écrans. Soit parce qu’ils ne pourraient pas supporter les 700 000 ou 800 000 euros de frais de sorties en salles. […] Si un film a un potentiel d’un million d’entrées, vous le sortez en salles. Si vous misez sur 300 000 entrées, vous vous posez la question.
En mars 2015, dans un nouveau communiqué, Wild Bunch donne plus de précisions quant au lancement de son « service de e-cinéma » : il aura lieu quelques jours plus tard, le 27 mars 2015, et sera inauguré par la sortie en ligne du film Les Enquêtes du département V : Miséricorde (Kvinden i buret, 2013, réalisé par Mikkel Nørgaard)63. Un premier calendrier de sorties est également révélé : Vampires en toute intimité (What We Do in the Shadows, 2014, réalisé par Taika Waititi et Jemaine Clement), dont la réalisation de la version française a été confiée au duo de réalisateurs Nicolas [Charlet] et Bruno [Lavaine], annoncé pour l’été 2015 ; 99 Homes (2014, réalisé par Ramin Bahrani), annoncé pour septembre 2015 ; Un incroyable talent (One Chance, 2013, réalisé par David Frankel), annoncé pour l’automne 2015 ; et The Green Inferno (2013, réalisé par Eli Roth) et Sinister 2 (2015, réalisé par Ciaran Foy), annoncés pour le quatrième trimestre 2015.
La promotion des Enquêtes du département V : Miséricorde s’accompagne d’un travail de communication autour du e-cinéma, consistant à le présenter, en premier lieu, comme un modèle de distribution complémentaire à la salle et permettant d’augmenter le potentiel de rentabilisation de certains films, comme on peut le voir ici, dans un entretien donné par Gregory Strouk – directeur général de Wild Side, filiale de Wild Bunch – au site Internet Cineuropa.org, et publié le 26 mars 2015.
IDENTIFIER LE E-CINÉMA : ASPECTS STRUCTURELS
À présent que le e-cinéma est circonscrit dans l’espace et dans le temps, il convient de s’intéresser en profondeur à ce qu’il est en tant que tel, à son architecture.
Chercher à mettre au jour les conventions qui le régissent revient à s’interroger sur ce qui fonde son identité en tant que produit industriel, et sur la manière dont sont configurées les offres qui lui sont relatives.
Il est important de prendre conscience du fait que le produit e-cinéma se compose de plusieurs éléments. En effet, le modèle de distribution cinématographique (ou le modèle de vidéo à la demande, selon le point de vue que l’on décide d’adopter) qu’il constitue représente une partie de sa proposition commerciale.
Cependant, en tant que modèle de distribution, il n’est pas une fin, mais un moyen, servant avant tout à mettre sur le marché un ensemble de produits qui sont les films.
Cette seconde partie, centrale, suivra un déroulement plus horizontal qu’il ne pouvait l’être – perspective historique oblige – dans la première partie, et sera elle aussi composée de deux chapitres. Dans le premier, nous chercherons à analyser le e-cinéma en tant que modèle, et dans le deuxième, en tant que produitfilm.
Le modèle e-cinéma : une forme hybride et plurielle
La succession des stades de l’élaboration puis de la construction progressive du modèle e-cinéma nous a offert un premier aperçu de l’aspect structurel de ce modèle qui, entremêlant les logiques de distribution, se situe au carrefour de plusieurs modalités d’exploitation traditionnellement dissociées. L’apparence composite qu’il arbore nous persuade donc, dans la perspective d’une recherche d’identification du modèle, d’axer ce chapitre sur le caractère hétéroclite du e-cinéma. Nous proposons pour cela deux entrées, à partir desquelles nous développerons notre analyse. La première concernera la question de l’hybridité du modèle, et la seconde sera focalisée sur la question de sa pluralité. En l’abordant sous ces deux angles, nous nous y intéresserons aussi bien en tant que modèle de distribution que d’offres commerciales. Par cette démarche, nous espérons réussir à définir les contours du modèle et à cerner les caractéristiques qui lui sont propres – si tant est qu’elles existent.
Une hybridation des modes d’exploitation
L’hybridité du modèle e-cinéma réside d’abord dans sa double aspiration, sa double vocation. Celle d’être, comme nous l’avons vu dans le précédent chapitre, un modèle de distribution associé à l’exploitation cinématographique, alors qu’il reste avant tout, techniquement parlant, une offre de vidéo à la demande, autrement dit provenant de l’exploitation vidéo. Le e-cinéma est construit sur la réappropriation d’un espace, celui de l’exploitation vidéo, par (et pour) l’exploitation cinématographique. À moins qu’il ne faille plutôt considérer que ce soit l’exploitation vidéo qui se réapproprie un peu de l’exploitation cinématographique.
En chevauchant deux terrains d’exploitation qui ne sont normalement pas censés se croiser, mais plutôt se succéder, le e-cinéma devient un modèle d’exploitation des films que l’on pourrait qualifier d’« agent double », servant à la fois les intérêts de l’exploitation cinématographique et ceux de l’exploitation vidéo. La manière dont il est positionné dans l’espace de l’exploitation vidéo le démontre assez bien.
Telle que présentée en 2015 par Wild Bunch et TF1 Vidéo, la chronologie d’exploitation du e-cinéma est la suivante : une période d’exploitation en e-cinéma d’une durée de six semaines (on trouve aussi cinq semaines, ou encore quarantecinq jours), suivie d’une période de quelques semaines (« un à deux mois »)
pendant laquelle le film n’est plus disponible, suivie pour terminer d’une exploitation vidéo (physique et/ou dématérialisée)90. Les films distribués en e-cinéma ont donc la particularité d’effectuer successivement une exploitation cinématographique et une exploitation vidéo via le même support de diffusion et au sein du même espace d’exploitation. Cette construction participe bien évidemment de la volonté que nous avons mise en avant dans le précédent chapitre d’associer le e-cinéma (et a fortiori les films distribués en e-cinéma) au cinéma et pas à la vidéo.
Or, les plateformes de vidéo à la demande fonctionnent généralement avec un catalogue de films dont l’exclusion est déterminée notamment par la durée d’acquisition des droits d’exploitation qui ont été négociés entre les éditeurs vidéo et les ayants droit des films. La plateforme Netflix (présente sur le marché français depuis 2014) explique par exemple sur son site Internet.
En reproduisant tel quel le schéma d’exploitation habituel du cinéma en salles, le e-cinéma se démarque des autres propositions de vidéo à la demande en créant une identité qui lui est propre par l’incorporation au sein des catalogues des plateformes de vidéo à la demande d’un flux de diffusion différent (davantage séquencé), et d’une gestion alternative de l’intégration/exclusion (donc de la rotation) des films. Cela contribue en outre à segmenter l’exploitation vidéo en deux espaces : un espace de l’exploitation vidéo destiné à l’exploitation vidéo « traditionnelle » des films, et un espace de l’exploitation vidéo destiné à l’exploitation « cinématographique ».
Que Wild Bunch et TF1 Vidéo aient convenu en 2015 d’un jour de la semaine consacré aux sorties en e-cinéma (le vendredi92) participe de cette même logique d’imitation. Calqué sur celui de la salle, ce principe est encore une fois une manière de détacher le e-cinéma de l’exploitation vidéo et de l’associer à l’exploitation cinématographique. De surcroît, il permet de favoriser l’identification du modèle par le public et d’installer l’idée d’un rendez-vous régulier (même si, contrairement aux sorties salles, il n’y a pas de sorties e-cinéma chaque semaine, du moins ce n’est pas le cas avant l’apparition de la plateforme e-cinema.com), qui reste l’un des meilleurs moyens de générer un intérêt et d’attiser une attente. Par ailleurs, ce choix du vendredi n’est pas dénué de sens. En dehors du fait de faire en sorte que soient fédérées toutes les sorties affiliées à un même canal de distribution, placer les sorties e-cinéma sur un créneau hebdomadaire postérieur à celui des sorties salles (le mercredi en France) permet de faire référence à cette « logique salle » sans pour autant se placer en concurrence directe vis-à-vis d’elle (on peut tout de même se demander si les distributeurs e-cinéma auraient eu le droit d’organiser leurs sorties e-cinéma le mercredi). Ce choix est sans doute aussi tout simplement stratégique : étant donné qu’une location vidéo à la demande dure en général quarante-huit heures, il semble assez judicieux de mettre les films à la disposition du public juste avant le week-end, moment de la semaine où les gens sont potentiellement plus disposés à ce type de pratiques domestiques.
De manière plus anecdotique, on retrouve cette même forme de reproduction de la logique salle sur la plateforme e-cinema.com. On relève en effet toute une série de références directes à l’imaginaire véhiculé par le « système » de la salle de cinéma, allant des slogans à la revendication on ne peut plus explicite (« La première salle de cinéma en ligne », « Vos nouveaux rendez-vous cinéma du vendredi », etc.) à la manière dont est présentée l’offre tarifaire (l’abonnement à la plateforme, qui donne accès à tous les contenus proposés sur la plateforme, est nommé « pass liberté », tandis que le paiement d’un film à l’acte pour un non abonné est appelé « e-billet »).
Reprenant des caractéristiques de l’exploitation vidéo pour les combiner au prestige que procure l’imaginaire de l’exploitation en salles, le e-cinéma est en définitive un modèle qui, dans un même mouvement, prétend exister sans la salle (ou plutôt en dehors, à côté), tout en exploitant l’imagerie que celle-ci véhicule.
Nous nous devons cependant de remettre en question l’affirmation selon laquelle le e-cinéma serait un modèle de l’exploitation cinématographique. S’il permet d’assurer la sortie exclusive de films inédits et qu’il est élaboré autour d’une imitation du cinéma en salles, l’idée qu’il soit un modèle de distribution cinématographique ne repose que sur le discours communicationnel des distributeurs e-cinéma. Par conséquent, on ne peut faire semblant d’ignorer que, bien qu’il imite certains traits du cinéma en salles, le e-cinéma n’en demeure pas moins ontologiquement différent.
Une pluralité de modèles
L’analyse des offres e-cinéma présentes sur le marché sur la période étudiée permet de remettre en question l’unité du modèle e-cinéma. En effet, la chronologie d’exploitation que nous décrivions plus tôt n’est pas celle adoptée par tous les acteurs du secteur. La plateforme e-cinema.com en est le meilleur exemple. Les films y sont mis à l’honneur pendant la semaine de leur mise en ligne, puis sont remplacés la semaine suivante par la nouvelle sortie e-cinéma.
Néanmoins, ils restent disponibles dans le catalogue de la plateforme (pendant au moins un an après leur mise en ligne, pour ce que nous avons pu constater) et ne disparaissent pas, même momentanément de l’offre. En mai 2017, au moment de la promotion de la plateforme, il était annoncé que les films resteraient disponibles sur la plateforme pendant une durée de douze semaines . Il semblerait que cette période soit en réalité celle de l’exclusivité e-cinéma des films, au terme de laquelle on peut imaginer qu’ils sont exploités sur d’autres supports (DVD, Bluray, etc.) simultanément à leur disponibilité en vidéo à la demande sur e-cinema.com.
De la même façon, l’analyse des dates de sortie de chacun des films du corpus donne l’occasion d’apercevoir des irrégularités. En effet, si entre le 27 mars 2015, date de la sortie des Enquêtes du département V : Miséricorde, et le 9 septembre 2016 (inclus), date de la sortie de Eye in the Sky (2015, réalisé par Gavin Hood), toutes les sorties e-cinéma ont bien lieu un vendredi – à une exception près : Le Règne de la beauté, qui sort le jeudi 3 septembre 2015 –, elles s’effectuent ensuite systématiquement, à compter du 20 octobre 2016, un jeudi. Et ce jusqu’au vendredi 1er décembre 2017, date à laquelle E-cinema.com sort son premier film, Outrage Coda. Après cela, sur tout le reste de la période dont rend compte le corpus (jusqu’au 30 mars 2018 inclus), les sorties ont toutes lieu un vendredi, hormis Permission (2017, réalisé par Brian Crano), qui sort le jeudi 1er mars 2018. Ces quelques variations, anecdotiques, sont, vraisemblablement, à mettre sur le compte de considérations stratégiques de la part des distributeurs.
Soulignons d’ailleurs que ces derniers semblent – si on se fie à ces dates – s’accorder la plupart du temps sur le choix du jour de la semaine consacré aux sorties e-cinéma.
Le e-cinéma étant avant tout une offre de vidéo à la demande, il paraît à présent naturel de chercher à l’identifier en tant que modèle de vidéo à la demande.
On divise habituellement la vidéo à la demande en deux grands types d’offres : la vidéo à la demande par abonnement (VàDA), ou subscription video on demand (SvoD), fonctionnant sur le principe de l’abonnement à une plateforme de vidéo à la demande pour accéder à ses programmes, et la vidéo à la demande payante à l’acte, ou transactional video on demand (TvoD), fonctionnant sur le principe de l’offre à l’unité d’un programme présent sur une plateforme. Cette seconde modalité se divise elle-même en deux catégories : la vidéo à la demande à l’achat, ou electronic sell-through (EST), et la vidéo à la demande locative, ou download to rent (DTR), deux modèles qu’on trouvait déjà dans l’exploitation vidéo sur supports physiques. Ces quatre modalités constituent la majorité des offres de vidéo à la demande proposées sur le marché. Il existe, bien évidemment, d’autres formes de vidéos à la demande, telles que la vidéo à la demande gratuite, ou free video on demand (FvoD), et les services de télévision de rattrapage (TVR), ou catch-up TV, mais ces deux modalités ne vont pas nous intéresser ici, puisque le e-cinéma ne se présente que sous la forme d’offres tarifées, et ne propose que des contenus dits « de cinéma ». Il faut encore distinguer deux catégories dans la vidéo à la demande, relatives cette fois-ci au terminal Internet par lequel est proposée l’offre de vidéo à la demande : la vidéo à la demande accessible via l’offre d’un FAI (Fournisseur d’accès à Internet), et la vidéo à la demande accessible via l’offre d’un service par contournement, ou over-the-top content (OTT), c’est-à-dire hors offres d’un FAI. Précisons que les modèles de vidéo à la demande présentés dans cette typologie ne comportent pas d’incompatibilité les uns vis-àvis des autres, et peuvent se côtoyer au sein d’une même offre commerciale.
Ainsi, lorsqu’on analyse le « circuit d’exploitation » – l’ensemble des services de vidéo à la demande sur lesquels les films sont rendus disponibles – de chacun des films sortis en e-cinéma sur la période étudiée, on constate une pluralité de configurations. Déjà, concernant le nombre de services de vidéo à la demande sollicités.
Tous les films (soixante-et-un) sont accessibles via au moins un service par contournement, mais près de la moitié (vingt-sept) le sont aussi via une ou plusieurs offres d’un ou de plusieurs FAI (Orange, Free, Bouygues Telecom, Numericable, SFR, et/ou VideoFutur).
Les informations collectées n’étant pas assez détaillées, nous ne sommes pas en mesure d’avancer des chiffres précis concernant les modèles d’offre de vidéo à la demande propres à chaque film. On peut néanmoins affirmer que les soixante-et-un films sont proposés à travers au moins une offre de vidéo à la demande locative payante à l’acte, et que si plusieurs films sont proposés au sein du catalogue d’un ou de plusieurs services de vidéo à la demande par abonnement – tels que CanalPlay, FilmoTV, et surtout e-cinema.com –, aucun ne nécessite qu’on souscrive obligatoirement à un abonnement ; toutes les configurations d’exploitation permettent la location des films à l’unité. On sait toutefois que certains films sont également proposés à l’achat (puisque c’est une des propositions de TF1 Vidéo à l’annonce de son label « eCinéma »101), sans pour autant pouvoir en déterminer le nombre exact. On peut ainsi noter que tous les films sont mis à la disposition du consommateur en vidéo à la demande locative, payante, à l’acte, et accessible à partir d’un terminal OTT.
Au demeurant, ces quelques exemples montrent que, d’une part, le e-cinéma n’apporte pas de nouveaux modèles de vidéo à la demande sur le marché, d’autre part, que malgré l’existence de récurrences, on ne peut pas considérer qu’il soit associable à un modèle de vidéo à la demande en particulier. Sur cet aspect, il est une offre de vidéo à la demande comme une autre, parmi d’autres. Modèle polymorphe à la nature ambiguë et à l’identité changeante, le e-cinéma ne peut plus, à ce stade de notre travail, être réduit à un objet monolithique.
En étant constitué d’un ensemble d’offres relativement hétérogène, il démontre l’absence de normes universelles. Certaines constantes sont néanmoins observables, et si le modèle adopte plusieurs tournures, elles n’en sont pas moins construites autour d’un socle structurel commun.
Le produit d’un développement de marché
Une première série de classifications amène à relativiser une éventuelle originalité du produit-film e-cinéma dans le paysage cinématographique français.
Pour commencer, l’analyse de la durée de chacun des films du corpus révèle que celle-ci oscille, pour l’ensemble du corpus, entre quatre-vingts et cent trente-sept minutes, ce qui fait des soixante-deux films concernés par notre étude des longsmétrages. Un réflexe de spectateur (de surcroît cinéphile) consisterait ensuite à chercher à établir une typologie centrée sur les genres filmiques et/ou cinématographiques auxquels pourraient être affiliés les films du corpus. Cette forme de classification est cependant quelque peu problématique, comme le montrent les principaux travaux réalisés à ce sujet, puisqu’elle repose en grande partie sur des critères de caractérisation abstraits et sujets à interprétation. Elle est par conséquent trop approximative. Nous lui préférerons donc, dans la suite de ce chapitre, des typologies fondées sur des éléments plus tangibles. Il reste toute-fois possible de se hasarder à distinguer trois catégories : la fiction, le documentaire et l’animation. Dès lors, l’examen de l’appareillage promotionnel des films du corpus permet de relever l’absence de films présentés au moment de leur promotion et/ou de leur exploitation en e-cinéma comme des documentaires ou des films d’animation. On peut donc avancer l’idée que le corpus est composé dans son intégralité de films de fiction en prises de vues réelles. Cette déduction est bien entendu à prendre avec précaution, les frontières entre, d’une part, la fiction et le documentaire, de l’autre, la prise de vue réelle et l’animation, étant en réalité bien plus complexes à établir qu’elles n’y paraissent. L’âge moyen du produit-film e-cinéma est également un point significatif sur lequel il convient de s’interroger. En prenant comme repères l’année de production de chacun des films du corpus et l’année de sa sortie en France en e-cinéma, et en calculant ensuite le nombre d’années d’écart que cela représente pour chaque film, on obtient les résultats suivants, reportés dans un tableau.
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Table des matières
INTRODUCTION
Aller au cinéma sans sortir de chez soi
La perte d’hégémonie de la salle de cinéma : un glissement paradigmatique
Définir le e-cinéma, redéfinir le cinéma
Perspectives méthodologiques
PREMIÈRE PARTIE. – CONTEXTUALISER LE E-CINÉMA : ÉLÉMENTS HISTORIQUES
Chapitre I. La sortie en ligne : l’expérimentation de nouveaux modèles (2005-2015)
I.1. Sur les marchés anglo-saxons
I.2. Sur les marchés de l’Union européenne
Chapitre II. La distribution e-cinéma : de l’essai pilote à la mise en oeuvre d’un plan stratégique (2014-2018)
II.1. Les prémices : la sortie en ligne de Welcome to New York
II.2. L’élaboration d’un modèle de distribution identifiable
DEUXIÈME PARTIE. – IDENTIFIER LE E-CINÉMA : ASPECTS STRUCTURELS
Chapitre III. Le modèle e-cinéma : une forme hybride et plurielle
III.1. Une hybridation des modes d’exploitation
III.2. Une pluralité de modèles
Chapitre IV. Le(s) produit(s)-film(s) e-cinéma : entre standardisation et différenciation
IV.1. Le produit d’un développement de marché
IV.2. Une diversité de produits-films
TROISIÈME PARTIE. – CARTOGRAPHIER LE E-CINÉMA : PAYSAGES ÉCONOMIQUES
Chapitre V. Le micro-environnement du e-cinéma : une concurrence intrasectorielle
V.1. Un secteur concentré
V.2. Plusieurs positionnements stratégiques
Chapitre VI. Le macro-environnement du e-cinéma : segmentations et interdépendances
VI.1. Un espace segmenté
VI.2. Des espaces interdépendants
CONCLUSION : PENSER DES (E-)CINÉMAS
BIBLIOGRAPHIE
I. Sources primaires
II. Littérature secondaire
ANNEXES
Annexe 1 : Références complètes des films sortis en France en e-cinéma sur les trois premières années (par ordre chronologique des sorties françaises)
Annexe 2 : Circuit d’exploitation en vidéo à la demande des films sortis en France en e-cinéma sur les trois premières années (par ordre chronologique des sorties françaises)
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