Le loup prédateur dans la tradition littéraire
Nous qualifions davantage le loup de « grand » et « méchant » que de « doux » et «tendre ». Ce constat est sans aucun doute lié à nos traditions littéraires et culturelles qui véhiculent cette image topique d’un loup prédateur. Éloigné de la civilisation et du monde des hommes, cet animal impressionne par son caractère sauvage, sa carrure majestueuse et ses différentes caractéristiques comme ses crocs acérés ou ses pattes puissantes . À ses spécificités physiques s’ajoutent un régime carnivore et une vie en meute qui génèrent autour du loup à la fois inquiétude et fascination. Il n’est donc pas rare dans les différentes œuvres littéraires traditionnelles d’y croiser le loup, le prédateur et méchant de l’histoire, qui agit motivé par la ruse ou par sa voracité. Perrault raconte que le loup « court de toutes ses forces » , « contrefait sa voix », « dévore » la grand-mère du petit chaperon rouge. Il conclut son conte par une morale où, bien que « tous les loups ne soient pas de la même sorte », tous sont « dangereux » ; tel est le fin mot de l’histoire, issue d’une Histoire qui fait remonter au Moyen-âge la peur ancestrale d’un animal réellement dangereux pour l’homme et ses troupeaux.
C’est donc en toute logique qu’aujourd’hui cet animal est associé à l’image de prédateur mise en lumière pleinement dans le conte du Petit Chaperon rouge qui a connu au fil des siècles de multiples réécritures où, bien que la fin diffère, le loup est toujours le prédateur, source de danger pour cette fillette qui rend visite à son aïeule. Les frères Grimm ont notamment introduit dans le conte de Perrault le personnage du chasseur qui sauve de justesse le petit chaperon rouge et sa grand-mère et finalement cette figure héroïque masculine ne fait que renforcer l’image de prédateur associée au loup. Le chasseur, humain, qui s’oppose au loup, animal ; le chasseur qui intervient à l’aide de son couteau pour ouvrir le ventre du loup qui a eu le temps de les avaler auparavant ; le chasseur qui passe par hasard devant la maison de la grand-mère tandis que le loup rusé y parvient de son plein gré, motivé par son appétit … de multiples oppositions entre le loup et le chasseur qui mettent en lumière la perversité du loup et créent l’effroi malgré la présence du personnage du chasseur relativement rassurante. Tout lecteur, enfant ou adulte, par la présence du chasseur dans cette réécriture du conte, réalise d’autant plus la dangerosité du loup et ce qui se serait passé sans ce sauveur inespéré… La présence d’un autre être humain a tendance aussi à humaniser encore plus le loup, dont chacun comprend qu’il n’est que le medium symbolique pour signaler un homme dangereux.
Le loup est donc présenté dans les plus anciennes œuvres littéraires qui en font un personnage central comme l’archétype du mal et par les nombreuses réécritures et l’ancrage des traditions, il en est devenu mythique : dans l’imaginaire collectif, le loup est un animal nuisible, impressionnant par son physique, effrayant par les traits humains qu’on lui attribue tels que la ruse ou la tromperie, et la force si on se réfère à la geste très populaire encore sous l’Ancien régime du Roman de Renard. Que ce soit dans les différentes versions du Petit Chaperon rouge ou dans les Fables de La Fontaine, le loup est le personnage qui fait pencher les rapports de force en sa faveur, s’attaquant toujours aux plus faibles dont il triomphe, « sans autre forme de procès », incarnant la loi du plus fort. Bien qu’humanisé par l’attribution de la parole et le caractère qu’on lui dessine, le loup demeure par son action qui repose sur un rapport de force déséquilibré, une bête animée par ses instincts primaires, comme la faim. C’est sans doute pour cette essence animale que le loup est qualifié de «prédateur » et non de « chasseur ». Le prédateur pratique la prédation, il s’empare d’une proie pour la dévorer et se nourrit de sa substance pour sa propre survie, puis parfois pour celle de sa progéniture, tandis que le « chasseur » cherche certes lui aussi à subvenir à ses besoins mais aussi à se protéger. Le chasseur est donc dans un rapport de force davantage frontal où le chassé peut toujours échapper ou se retourner contre le chasseur, tandis que le statut de prédateur est associé nécessairement au triomphe par la force et s’oppose radicalement au statut de proie défaitiste. Le loup, présenté comme un prédateur, est donc dans un rapport de force exclusif où il demeure dominant. Cependant, celui du Petit Chaperon rouge n’est pas le même que celui de La Fontaine ; Perrault fait part de ce constat en supposant une classification de ces différents prédateurs dans la morale de son conte : « Je dis le loup / car tous les loups ne sont pas de la même sorte ». Cette domination du prédateur prend différents aspects selon l’œuvre littéraire qui l’illustre : le loup est principalement montré dans la tradition littéraire tantôt comme prédateur sexuel, tantôt comme tyran politique.
Le loup, prédateur sexuel
Le conte use des images pour rendre accessibles à tout public, notamment aux plus jeunes, des sujets sérieux, voire sensibles, tels que l’abus sexuel. Le conte peut donc être l’écrit de l’implicite où se cachent de multiples symboles qui rendent prévisible l’issue de l’histoire. Ce n’est d’ailleurs pas tant l’histoire que la morale qui en découle qui intéresse ce genre à la fois didactique et né de l’imaginaire. Ainsi l’acte sexuel est représenté par de multiples objets et détails dès le début du récit. D’abord, le titre du conte Le Petit Chaperon rouge peut tout à fait renvoyer en lui même à l’acte de défloraison : tel le chaperon qui protège la tête, zone fragile du corps, l’hymen protège le sexe féminin de toute pénétration ; quant à la couleur rouge, elle symbolise le sang, trace et preuve de l’acte. Tout ce qui constitue l’apparence de la fillette la présente comme un être vulnérable à la merci de son prédateur.
L’acte sexuel est rendu évident par la personnification du loup qui crée un parallèle immédiat entre le monde de l’imaginaire et le monde réel, entre le méchant de l’histoire et le prédateur sexuel. Cette personnification est notamment perceptible à la fin de l’histoire au moment où le loup a déjà avalé la grand-mère et pris sa place dans le lit. Le petit chaperon rouge arrive alors et, étonné, détaille les différents traits de la grand-mère jamais remarqués auparavant : « Comme tu as de grandes oreilles, grand-mère ! » s’exclame l’enfant dans la version des frères Grimm. S’ensuivent les yeux, la bouche, les mains… Le petit chaperon rouge découvre à travers une description progressive le corps du loup. Ce choix de remplacer les termes animaux comme gueule, museau, babines, poils par des termes proprement humains explicite l’allusion au rapport sexuel qui va avoir lieu de manière imagée, à travers la dévoration, entre le loup et le petit chaperon rouge. Chez Perrault, l’acte sexuel est d’autant plus visible avec « le petit chaperon rouge [qui] se déshabille et va se mettre dans le lit ».
|
Table des matières
Introduction
Première partie : Le loup prédateur dans la tradition littéraire
1.1 . Le loup, prédateur sexuel
1.2 . Le loup, tyran politique
Deuxième partie : Métamorphose du loup au XXIesiècle
2.1 . La symbolique moderne autour du personnage du loup
2.2 . Analyse de l’œuvre d’Amélie Fléchais
Troisième partie : Le loup en pédagogie
3.1 . L’intérêt pédagogique
3.2 . La mise en œuvre pédagogique : entre facilités et difficultés
Conclusion
Bibliographie
Index
Annexes
Télécharger le rapport complet