Le lobbying, une stratégie de représentation interne des intérêts
La construction de la politique agricole commune
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le rapprochement entre la France et l’Allemagne fut une priorité pour de nombreux hommes d’Etat ouesteuropéens. En France, Jean Monnet, directeur général du Plan, et Robert Shuman, ministre des Affaires étrangères élaborent un projet de marché commun du charbon et de l’acier. Le Benelux, l’Italie et l’Allemagne se joignent à l’initiative, et ratifient, le 18 avril 1951, le traité de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA). Celui-ci entre en vigueur dès l’année suivante. La CECA constitue le premier pas vers la CEE. L’intégration politique et économique se poursuit en 1952 à travers l’élaboration d’une Communauté européenne de défense (CED). Cependant, après plusieurs changements de gouvernement, le climat politique, en France, n’est plus favorable à l’intégration européenne. Le projet de la CED est
rejeté. Il faut alors relancer l’idée européenne. Le rapport Spaak1, rédigé en 1956, forme les bases des traités instituant la Communauté économique européenne (CEE) et la Communauté européenne de l’énergie atomique (EURATOM). Le traité de Rome, signé en 1957, entre en vigueur en 1958.
La place de l’agriculture en France et en Europe
En France, le nombre d’actifs agricoles est passé de 5.5 millions en 1950 à près de un million en 2002. Au premier trimestre 2004, 929 000 personnes déclarent être actives agricoles lors de l’enquête sur l’emploi de l’INSEE. Dans le même temps la part de l’agriculture dans le produit intérieur brut (PIB) chutait sous l’effet de la croissance économique des autres secteurs. Avec plus de 62 milliards d’euros en 2003, l’hexagone contribue pour 22% à la production agricole de l’UE à quinze, l’Italie suit avec 15%, l’Allemagne et l’Espagne se classent juste derrière. L’élargissement de l’UE à vingt-cinq n’a pas perturbé ce classement. De même la France reste de loin le premier bénéficiaire de la PAC : en 2004, elle a reçu 9,4 milliards d’euros d’aides agricoles, sur un total de 44,8 milliards12, soit près de 21% des dépenses agricoles de l’UE.
Le triangle institutionnel
Trois institutions majeures se trouvent au cœur du processus décisionnel européen. Le système politique européen est régulièrement appréhendé à travers l’image du « triangle institutionnel » formé par la Commission, le Parlement européen et le Conseil24. La légitimité de ces trois instances diffère. Les modes d’action des groupes d’intérêt s’adaptent aux prérogatives et au
fonctionnement de ces institutions. La Commission européenne est un acteur non étatique qui produit des politiques publiques. Officiellement, il s’agit de l’institution politiquement indépendante qui représente et défend les intérêts de l’Union européenne dans son ensemble. Elle propose à ce titre des textes législatifs, des politiques et des programmes d’action, et elle est responsable de la mise en œuvre des décisions du Parlement et du Conseil. Ses prérogatives sont assez étendues, puisqu’elle dispose entre autres du monopole formel de l’initiative.
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Table des matières
Introduction .
Première partie. Eléments d’une sociologie de la représentation des intérêts
agricoles français au niveau national et européen.
Chapitre premier : La PAC, la France, et ses agriculteurs : une histoire
mouvementée
1- L’évolution de la PAC et de la construction européenne et le rôle moteur de la
France
1.1 La construction de la politique agricole commune .
1.2 Les réformes de la PAC et la prudence française
1.3 La place de l’agriculture en France et en Europe
1.4 La France ou la défense d’une vision de la PAC et de l’Europe.
1.5 Le triangle institutionnel
2- Evolution du système de représentation des intérêts agricoles en France : du syndicalisme aux groupes d’intérêt agricoles
2.1 Le monde agricole avant 1945
2.2 Le mythe de l’unité agricole face à la différenciation socio-économique
croissante des agriculteurs.
2.3 Le particularisme de la cogestion et de la protestation
2.4 La place hégémonique de la FNSEA-CNJA contestée .
2.5 L’encadrement syndical agricole européen à vocation générale : Handicaps et ressources organisationnelles du COPA
2.6 Deux cas d’étude : la betterave à sucre et le tabac
Deuxième chapitre. Etudier des actions collectives transnationales : Théories et méthodes
1- Recherche et définition de l’objet : l’action collective des groupes d’intérêt en Europe
1.1 Apports et limites théoriques des modèles d’analyse classiques
1.2 Définition de l’action collective
1.3 Des actions collectives multi niveaux.
1.4 La dimension transnationale des actions collectives.
2- Un dispositif méthodologique à la recherche d’une articulation entre les niveaux
individuels et collectifs et l’analyse in situ des réformes
2.1 L’articulation des niveaux microsociologique et macrosociologique : l’utilisation de l’entretien pour saisir les logiques organisationnelles.
2.2 De l’intérêt d’une étude des stratégies des groupes en période de réforme
Deuxième partie : Le rôle des organisations dans la construction des positions communes nationales et européennes..
Troisième chapitre. Représentation organisationnelle et consensus de
mobilisation autour d’intérêts hétérogènes
Introduction
Première section : Des structures syndicales de la tabaculture en France et en Europe historiquement implantées et fortement organisées, unies face à la
réforme de l’OCM tabac de 2003.
1- Histoire d’une agriculture originale et traits culturels de groupe : la culture du tabac
1.1 Le tabac : une affaire d’Etat.
1.2 1970 : la fin des monopoles et la création de l’OCM tabac.
1.3 Des réformes difficiles : 1992 et 1998
1.4 2003 : une réforme sous haute surveillance
2- Les tabaculteurs en France un groupe structuré et uni
2.1 La réforme de l’OCM en France
2.2 L’accès à la filière tabacole ou la situation de domination d’acteurs stigmatisés.
2.3 Le monopole de représentation de la FNPT
2.4 Les relations ambigües de la FNSEA et de la FNPT ou comment la difficulté de défendre un secteur stigmatisé, peu compétitif et fortement subventionné
3- Face à la stigmatisation et aux difficultés : Le nécessaire regroupement des tabaculteurs européens au sein de l’UNITAB
3.1 Les tabaculteurs européens : un groupe hétérogène
3.2 Création et de l’organisation communautaire tabacole : l’UNITAB
3.3 L’UNITAB : une association au fonctionnement souple en quête de légitimité
3.4 Consensus de mobilisation et stigmatisation du tabac
4- Défense des agriculteurs européens du COPA et défense des tabaculteurs
européens : une cohabitation difficile
Deuxième section : Evolutions de la structuration organisationnelle du secteur betteravier face à la réforme de 2004 : des groupes puisants soumis au risque des divisions
1- le contexte : une réforme complexe
1.1 Aperçu historique
1.2 Fonctionnement de l’OCM sucre.
1.3 La réforme de l’OCM sucre et ses contraintes internes et externes.
1.4 De la complexité d’une enquête de terrain en période de réforme.
2- En France : hégémonie de la CGB et disparités des intérêts
2.1 Un groupe hétérogène
2.2 Fonctionnement de la CGB
2.3 Les liens entre la CGB et la FNSEA..
3- La proposition de la CGB
de rachat de Béghin Say : une opportunité politique favorable à la création d’une association rivale
4- Les producteurs de betterave européens, un groupe unifié ?
4.1 Création et fonctionnement de la CIBE
4.2 Prestige et structuration de la CIBE
Introduction
4.3 Le partenaire de la CIBE au niveau européen : le COPA.
4.4 La construction du « problème » par les betteraviers européens.
4.5 La Coordination paysanne européenne : une organisation contestataire et non catégorielle
Quatrième chapitre : Influences et limites de la socialisation à l’Europe des
représentants d’intérêts : la naissance d’une élite agricole unifiée ?.
1- Lobbyistes agricoles, lobbyistes en agriculture, carrière et recrutement des représentants d’intérêt du COPA
1.1 L’accès au terrain
1.2 Un groupe professionnel segmenté
1.3 Les logiques de recrutement des lobbyistes.
1.4 Stabilité et mobilité du personnel du COPA : des formes de professionnalisation hétérogènes.
2- Hétérogénéité et loyauté au groupe des représentants d’intérêts des associations agricoles de filière
2.1 Les lobbyistes des associations agricoles européennes de filière
2.2 Hétérogénéité et cohésion des représentants d’intérêts nationaux membres de l’UNITAB et homogénéité et division à la CIBE.
3- La socialisation à l’Europe des représentants d’intérêts et l’apprentissage du consensus dans les eurogroupes
Troisième partie. Alliances et oppositions de différents mondes
organisationnels dans les secteurs du tabac et du sucre: des réseaux d’action
publique hétérogènes.
1- Qu’est ce qu’un réseau d’action publique ?
Cinquième chapitre : Les soutiens privés et publics limités des tabaculteurs
français dans le réseau d’action publique tabacole
1-Des alliés peu profitables
1.1 La première transformation
1.2 Les industriels des cigarettes
1.3 Les fumeurs
2- Des opposants puissants
2.1 Les consommateurs
2.2 Les associations de santé
2.3 Les associations environnementales.
2.4 La position inconfortable des associations de développement
3- Entre soutien et méfiance : Les liens des planteurs et des instances décisionnelles nationales.
3.1 Des administrations nationales multiples : l’ONIFLHOR, la DPEI et la MGA
3.2 Un accès privilégié des élites administratives nationales à la Commission européenne : les comité
3.3 Une analyse cognitive de la politique publique tabacole .
Introduction
3.4 L’isolement entre les élites administratives françaises et les autres administrations européennes.
3.5 L’ambigüité des liens entre le ministre de l’agriculture français et les planteurs : les négociations au Conseil.
4- Le Parlement européen et la Commission : ambivalence et hostilité vis-à-vis des tabaculteurs
Sixième chapitre. Le réseau d’action publique dans le secteur betteravier : des rapports de force favorables aux betteraviers français.
1- Interdépendances et proximité des planteurs majoritaires avec les décideurs publicset éloignement des outsiders
1.1 Les betteraviers et les fabricants de sucre : des partenaires influents et unis aux ressources institutionnelles, économiques et symboliques développées.
1.2 Une interprofession structurée face à des pouvoirs publics attentifs .
1.3 Le référendum sur la Constitution européenne et les agriculteurs français
2- Des acteurs agricoles contestataires à l’écart des sphères décisionnelles nationales .
3- Les pouvoirs publics européens : convergence idéologique avec les syndicats majoritaires et niveau d’émergence de ressources pour les outsiders nationaux.
3.1 Les réseaux d’influence des betteraviers majoritaires au niveau européen et leur proximité avec les pouvoirs publics communautaires
3.2 La Commission européenne : un entrepreneur politique aux puissants effets
socialisateurs
3.3 Le Parlement européen (PE) comme second pôle de lobbying des organisations majoritaires
3.4 Le Conseil, une entité intergouvernementale.
4- L’implantation inégale des acteurs périphériques sur la scène politique et leurs alliances improbables.
4.1 Des acteurs agricoles transnationaux contestataires
4.2 Le militantisme institutionnalisé des organisations extérieures au champ agricole
5- La convergence cognitive des betteraviers majoritaires et des pouvoirs publics nationaux et européens .
Quatrième partie : « L’espace des possibles » modes d’action européen: la
recherche de consensus et l’utilisation de l’expertise
Septième chapitre. Les stratégies externes à l’échelle de l’UE : Protestation,manifestations de second degré et radicalisation des actions.
1- Le répertoire d’action traditionnel des agriculteurs français : de la contestation régulière et violente à la modération
2- Ethnographie de la manifestation transnationale des tabaculteurs européens : la manifestation comme front du refus
3- Les manifestations de papier des betteraviers européens : des cortèges policés et divisés
Introduction
4- Plate-forme transnationale et grève de la faim, les stratégies externes des syndicats minoritaires
Huitième chapitre les stratégies internes : l’expertise comme mode d’action privilégié des groupes dominants
1- Origines, significations et hétérogénéité des pratiques de lobbying
1.1 La place des groupes d’intérêt et du lobbying dans l’espace politique
communautaire
1.2 Le lobbying, une stratégie de représentation interne des intérêts
2- L’expertise comme mode dominant de représentation des intérêts
2.1 L’expertise une caractéristique des sociétés démocratiques ?
2.2 Ambigüité de la notion d’expert dans les comités d’experts de la Commission européenne
2.3 L’influence et la légitimité des groupes d’experts « scientifiques ».
2.4 Des comités consultatifs (advisory committee) aux groupes consultatifs (advisorygroup): réformes et évolutions.
3- Les effets de la technicisation : socialisation à une forme d’action publique et dépolitisation sur la scène bruxelloise
3.1 Des groupes consultatifs « tabac » hors normes
3.2 Les groupes consultatifs « sucre » : des réunions policées
3.3 « L’équilibre des tensions » européen et la gouvernance « par les experts
Conclusion générale
BIBLIOGRAPHIE
Liste des sigles
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