Une réelle demande de la part des bénéficiaires
Dans de nombreuses associations, il ressort que les bénéficiaires de l’action sociale ne sont pas seulement en recherche de soutien matériel, mais également de contacts et de liens humains.
Cette demande peut être explicite, comme par exemple lorsqu’ils viennent dans des structures d’accueil comme la péniche « Le Balajo ». Dans ce cas, les personnes cherchent à être en relation avec les autres, à retrouver une vie sociale le temps d’un après-midi. Ils cherchent aussi à trouver le calme, à se soustraire aux regards souvent dévalorisants des passants, et des critères relationnels qui existent dans la rue.
Mais cette demande peut aussi être plus implicite, moins avouée. Aux Restos du Cœur par exemple, Catherine RUSCICA nous confirme: « Bien souvent derrière la demande alimentaire, il y a d’autres demandes ». Cela signifie que les bénéficiaires se rendent aux Restos aussi pour voir du monde, parler, rester autant de temps qu’ils le veulent… La distribution devient alors un prétexte aux relations sociales. Cette demande de lien humain existe aussi dans les structures plus spécialisées : l’association « Pause Diabolo » par exemple, spécialisée dans l’aide aux toxicomanes, reçoit de nombreuses visites allant dans ce sens. Même si selon Christine HAYDONT, l’une des responsables, c’est « toujours plus facile de dire que l’on vient pour les copains, ou pour voir des professionnels ».
Retrouver l’estime de soi
Au delà des simples bons moments passés dans les structures d’accueil, ces relations informelles peuvent apporter beaucoup aux bénéficiaires dans leur parcours de réinsertion. Il ressort en effet que le sentiment d’être « comme tout le monde » est primordial pour ces personnes. Et il suffit de choses très simples pour retrouver ce sentiment : faire un pique nique, aller voir un match de football, ou encore lire le journal. « Ce n’est pas parce qu’on a un frigo vide qu’on n’a pas le droit de lire, bien au contraire ».
Par cette phrase, Catherine RUSCICA résume bien l’importance des activités, de la lecture ou des discussions pour les personnes sans ressources. Selon elle, «c,’est loin d’être superflu, cela fait partie de la vie ».
C’est la raison pour laquelle les Restos du Cœur proposent de plus en plus d’ateliers lecture, essayant de travailler sur la qualité et la diversité des livres proposés, pour répondre au mieux aux goûts et aux intérêts de chacun. De son côté, la Péniche Accueil met en place des ateliers d’art-thérapie, où les personnes peuvent découvrir les techniques en Art Plastique et s’exprimer à travers le dessin. Une coiffeuse bénévole vient également tous les mardis pour refaire une beauté à un public qui n’a pas les moyens de se payer le luxe de soins esthétiques.
Loin d’être superflus, ces divers ateliers sont les instruments d’un réel travail de revalorisation de la personne, facteur important de réussite de l’action sociale : avoir envie de se faire plaisir, de s’épanouir ou d’entreprendre, sont des choses qui se perdent facilement avec l’exclusion, alors qu’elles sont indispensables à la réinsertion. Retrouver un peu d’estime de soi peut être un véritable levier pour avoir envie de s’en sortir. En effet, de nombreuses personnes exclues n’osent même pas se présenter devant un employeur ou rechercher un logement, tant leur image d’eux mêmes est négative. Il devient alors impossible pour elles de se réinsérer.
Dans le même ordre d’idées, il est très important de développer les activités dans lesquelles on se sent utile, qui donnent l’impression de « faire quelque chose de ses dix doigts », comme le jardinage, la cuisine, ou la participation aux tâches communes. De plus en plus d’associations l’ont compris et développent ce genre d’activités, et il est maintenant largement reconnu que le travail sur l’estime de soi est essentiel à la réintégration dans la société.
L’importance des valeurs humaines telles que l’entraide ou la solidarité
Tout comme l’estime de soi, les valeurs humaines sont loin d’être inutiles dans la rue, il existe de réels codes qui permettent à chacun de s’identifier et de développer du lien. L’entraide et la solidarité sont notamment des valeurs très présentes, qui permettent à beaucoup de personnes de « tenir ».
C’est dans les lieux d’échange et d’écoute comme les associations d’accueil que l’entraide peut le plus se développer : les personnes sont moins sur le qui-vive, et elles apprennent à se connaître dans un contexte différent de celui de la rue. C’est dans ces moments là qu’on peut se conseiller mutuellement des foyers d’hébergement, échanger quelques tuyaux de la rue, ou simplement prendre des nouvelles.
La camaraderie est très importante dans la rue, pour des personnes qui sont le plus souvent isolées et séparées de leur famille: les personnes rencontrées partageant la même situation prennent alors une importance beaucoup plus grande, comme une nouvelle famille. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas, mais de nombreuses relations de fraternité se développent dans la rue. L’entraide et la solidarité peuvent aussi prendre des formes plus concrètes: aux Restos du Cœur notamment, des ateliers d’insertion existent, où les personnes apprennent un métier, et deviennent salariés. Ce sont le plus souvent des métiers manuels, et c’est une grande joie et une motivation pour eux de savoir que le fruit de leur travail est destiné aux personnes qui sont dans le besoin, grâce aux circuits des Restos.
Pour les acteurs de l’action sociale, une efficacité décuplée par la qualité des relations humaines pendant le travail.
Le lien humain et la convivialité, facteurs d’attraction et de pérennisation d l’action sociale
De bonnes relations humaines sont certes indispensables pour les bénéficiaires de l’action sociale, comme nous venons de le voir précédemment. Mais leur importance ne doit pas non plus être négligée du côté des acteurs de l’action sociale, bénévoles ou salariés. Il y a plusieurs raisons à cela : Tour d’abord, la bonne ambiance et la convivialité comptent beaucoup dans ces secteurs, elles sont un réel facteur d’attraction pour ceux qui y travaillent. On ne s’engage pas dans le domaine social pour gagner de l’argent, ou « faire carrière », les motivations sont ailleurs : contact avec les autres, altruisme, envie d’apporter de l’aide à ceux qui en ont besoin, épanouissement personnel… C’est pourquoi on pourrait craindre un réel manque de travailleurs sociaux si ces considérations n’étaient pas présentes dans les structures sociales.
Au delà de l’engagement de départ, les bonnes relations au sein de l’équipe sont déterminantes pour donner envie aux acteurs de s’investir sur la période la plus longue possible, et par là même favoriser au maximum la réussite de l’action sociale : des personnes qui ont de l’expérience, qui connaissent les bénéficiaires et qui savent comment se comporter avec eux pourront apporter une aide beaucoup plus efficace, que si le turnover est trop important.
Ainsi, le discours est le même dans la plupart des associations : la convivialité fait partie du bénévolat, et l’ambiance de travail est très importante. Les bénévoles viennent aussi pour le lien humain, parce qu’ils y trouvent leur compte, parce que « faire une partie de cartes ou simplement discuter, c’est sympa » . Et c’est la raison pour laquelle certains viennent depuis plus de 20 ans ; on ne peut pas faire de l’action sociale longtemps si on ne s’y retrouve pas un minimum soi même.
En outre, la principale qualité demandée aux bénévoles est de rester accueillants, à l’écoute. Il faut que les bénéficiaires passent de bons moments, se sentent accueillis et aient envie de revenir.
Il est également important pour un bénévole de ne pas oublier pourquoi il donne de son temps pour une association. On vit certes des expériences très enrichissantes en tant que bénévole, mais le véritable but est de s’engager pour une cause, pas pour soi. En effet, quand on a des fonctions dans une structure, il faut tenir ses engagements pour ne pas déstabiliser toute l’équipe, et pour ne pas laisser de côté les bénéficiaires, qui comptent réellement sur les associations.
Cet aspect a notamment été mis en avant par la responsable des Restos du Cœur, Mme RUSCICA, qui insiste sur l’importance de garder à l’esprit le fait que les bénévoles sont là pour les bénéficiaires, pas pour eux, même si cela n’empêche pas de passer des bons moments. Cela évite aussi que des ambitions ou des prises de pouvoir se développent, et déséquilibrent ou perturbent l’ambiance saine au sein de l’équipe. De plus, dans toute association à caractère social, le but n’est pas de garder les gens, même si l’action est plus efficace avec des personnes aguerries : ce qui est souhaité aux bénéficiaires est de ne plus avoir besoin d’aide, et aux bénévoles demandeurs d’emploi de retrouver du travail.
Mais pour ceux qui le peuvent, leur implication à long terme dans l’association est bien souvent conditionnée à l’ambiance de travail qui y règne.
Des situations difficiles qui rendent les échanges et les discussions informelles indispensables
Une des particularités du domaine social réside dans la difficulté des situations rencontrées au quotidien. Les personnes concernées vivent des expériences traumatisantes qui les obligent à solliciter l’aide des associations, et sur le long terme cette succession de difficultés peut aussi avoir un impact sur l’état d’esprit et le bien-être des acteurs sociaux.
C’est une autre raison pour laquelle les échanges et les bonnes relations de travail sont tellement importants dans le domaine social, au delà de l’aspect attractif.
Cette constatation est présente dans toutes les associations d’aide aux personnes défavorisées : étant confrontés à des situations lourdes, à un public en grande souffrance, il est primordial pour les acteurs sociaux de pouvoir parler des choses qu’ils vivent pendant leur travail. Cela permet à la fois d’évacuer l’angoisse qui peut naître, d’éviter de trop prendre sur soi, et de réfléchir comment résoudre au mieux la situation de la personne. C’est d’autant plus le cas lorsque les travailleurs sociaux sont confrontés à des violences verbales, voire physiques ; c’est rare et dans la plupart des cas ce n’est pas dirigé directement contre eux, mais dans ces cas là il faut absolument pouvoir en parler avec les autres membres de son équipe.
De plus, quand on s’investit dans le social, il faut être prêt à des échecs : il n’est pas toujours possible d’améliorer les situations auxquelles on est confronté en tant que travailleur social, certaines sont en quelque sorte « irrécupérables », la personne ne peut plus s’en sortir, et dans ces cas là il ne faut pas que le sentiment de culpabilité naisse ou qu’on se sente responsable de cet échec.
La communication est également très importante pour la transmission des informations utiles pour l’action, notamment sur les bénéficiaires, pour une meilleure rapidité et efficacité, et pour leur éviter de répéter les mêmes choses trop de fois. Pour cela les discussions sont certes utiles, mais d’autres outils sont également à disposition, comme des cahiers de liaison ou des fichiers informatiques.
Un aspect humain que les pouvoirs publics ne peuvent satisfaire, de par leur éloignement avec les bénéficiaires.
L’organisation du système de protection sociale en France
Tout comme dans les associations, la raison d’être du système social français est de lutter contre la précarité et l’exclusion, à la fois par solidarité avec les personnes en difficulté, que pour le bien et la cohésion de la société toute entière. La protection sociale représente ainsi l’ensemble des mécanismes de prévoyance collective qui permettent aux individus ou aux ménages de faire face financièrement aux conséquences des risques sociaux, c’est à dire aux situations pouvant provoquer une diminution des ressources ou une hausse des dépenses. Différents organismes, mécanismes et systèmes d’aide financière ont ainsi été créés dans la seconde moitié du XXème siècle pour tenter d’apporter des solutions à la pauvreté grandissante, après guerre.
C’est en 1946, à la création de la IVème République, que la protection sociale pour les chômeurs est inscrite pour la première fois dans la Constitution. Il est inscrit dans le préambule de la constitution de la IVème, puis de la Vème République que « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ». La solidarité sociale telle que nous la connaissons aujourd’hui est ainsi institutionnalisée pour la première fois.
Elle se traduit depuis dans une organisation à trois niveaux : Premièrement, la Sécurité Sociale, définie au niveau national, couvre les risques de la vie courante comme la maladie, le chômage, la vieillesse, pour les personnes qui cotisent. Elle est la même pour tous les Français. Les organismes principaux qui la composent sont les Caisses d’Assurance Maladie (notamment la CPAM ), la Caisse d’Allocations familiales (CAF) , les Caisses de retraite, et Pôle Emploi.
Ensuite, les aides sociales de l’État viennent compléter les remboursements de la Sécurité Sociale. Elles sont spécifiques et attribuées en fonction des ressources et de la situation des personnes. Elles dépendent des directives du Conseil Général, et peuvent donc différer selon les départements. Les CCAS (Centres Communaux d’Action Sociale) notamment, acteurs majeurs de ces aides, sont financés par le Conseil Général et fournissent un accompagnement de proximité aux populations.
Enfin, un vaste domaine social s’est développé petit à petit pour compléter ces aides de l’État, regroupé dans un troisième niveau appelé « Action Sociale ». Ces actions complémentaires sont menées par des acteurs publics, privés ou associatifs, et ne concernent pas uniquement le volet budgétaire : elles peuvent regrouper des aides financières, matérielles, mais aussi des accompagnements à la réinsertion, à l’autonomie, ou encore divers soutiens psychologiques et moraux. Le domaine de l’Action Sociale peut regrouper des structures comme les associations, ou les fondations d’entreprise. Ce sont celles qui sont les plus proches des populations.
La complémentarité du système social Français avec les associations
L’aide sociale des services publics, aussi importante soit-elle, n’est qu’un maillon dans le parcours de réinsertion d’un individu, en aucun cas elle ne peut être suffisante : des actions de proximité intégrant du lien social doivent absolument être développées en parallèle, pour assurer des résultats efficaces.
Il est possible d’observer une certaine complémentarité entre ces deux catégories d’acteurs de l’action sociale : services sociaux et associations.
En quelque sorte, on peut affirmer que si l’aide des pouvoirs publics était suffisamment importante et complète, il n’y aurait pas besoin des associations à caractère social. Les associations prennent en charge ce sur quoi l’État ne peut pas avoir d’emprise, comme l’accueil individualisé des personnes, la distribution de produits de base, l’estime de soi ou encore l’accès à la culture.
Nous pouvons citer certains exemples d’actions menées par les associations, qui tentent d’apporter des réponses aux problèmes liés à l’exclusion sociale, et qui ne peuvent se développer qu’à une petite échelle, ou leur efficacité risquerait d’en pâtir. C’est le cas pour le développement de microcrédits personnels à taux 0%, les aides au départ en vacances, l’apprentissage de la langue française pour les personnes illettrées ou analphabètes, ou encore les actions en milieu carcéral, qui favorisent la réinsertion des détenus à leur sortie.
Pour cela, l’État délègue des actions et des responsabilités au secteur associatif, notamment en leur fournissant des subventions selon leur domaine d’action, après appel à projet. Certaines associations sont reconnues « d’utilité publique » par l’État suite à la procédure de droit français de Reconnaissance d’Utilité Publique (RUP), qui leur permet de bénéficier de certains avantages spécifiques, et leur confère également un surplus de légitimité. Les sociétés nationales de la Croix Rouge par exemple bénéficient du statut d’auxiliaire des pouvoirs publics établi par les conventions de Genève , qui leur permettent d’être l’un des premiers partenaires de l’État dans le champ humanitaire, tout en restant indépendantes et libres de leurs choix.
De leur côté, les associations font en sorte que leurs bénéficiaires aient la connaissance la plus complète possible du système de protection sociale français, afin qu’ils sachent quels sont leurs droits et à quels organismes s’adresser, ce qui est loin d’être toujours le cas.
À la Péniche « Le Balajo » par exemple, les bénévoles et travailleurs sociaux poussent au maximum leurs passagers à s’inscrire à Pôle Emploi. Le but n’est pas forcément qu’ils touchent une allocation chômage, car la plupart en sont encore loin, mais le seul fait d’y être inscrit va permettre d’entamer de nombreuses démarches indispensables à la réinsertion.
De façon générale et légèrement caricaturée, la complémentarité entre les pouvoirs publics et les associations dans le domaine social se répartit ainsi: les aspects financier et administratif reviennent aux services publics, tandis que les aides matérielles, les actions de proximité et les actions centrées autour du lien humain sont davantage à la charge des associations.
Des systèmes d’aide utiles, mais parfois débordés et éloignés de la réalité des bénéficiaires
La complémentarité entre les services sociaux français et les associations que nous venons d’étudier met en évidence certains manques dans l’action sociale d’État, que le secteur associatif tente de combler.
Premièrement, le fait que les services sociaux soient destinés au plus grand nombre est une force, mais aussi une faiblesse pour l’action des pouvoirs publics : en effet, contrairement aux associations, il est impossible pour des structures comme les CCAS de s’adapter à la situation de chaque bénéficiaire, comme cela serait idéal pour une action sociale vraiment efficace. La qualité de la réponse s’en ressent donc forcément.
Ensuite, il serait faux de dire que les considérations humaines ne sont pas présentes dans les services publics. Seulement, elles ne constituent pas le fondement même de l’action comme cela peut être le cas dans le secteur associatif, et dépendent du bon vouloir de l’employé qui y travaille.
De plus, un des principaux problèmes de structures comme Pôle Emploi, qui affecte réellement leur efficacité, est qu’il leur manque les moyens nécessaires pour répondre à toutes les demandes. La demande est trop forte, les salariés sont débordés et ne sont pas en mesure de consacrer beaucoup de temps à chacun. Ils « font avec les moyens du bord » , et cela se transforme malheureusement parfois en aide sociale à la chaîne, au détriment d’une solution adaptée à chacun, qui offrirait de meilleures chances de réussite.
La même problématique se pose d’ailleurs aussi dans les associations, quand le nombre de bénéficiaires est trop élevé par rapport au nombre de bénévoles.
Un problème de confiance se pose enfin entre les bénéficiaires de l’action sociale et les structures « officielles » associés aux pouvoirs publics. Pour les personnes désocialisées, de tels lieux peuvent paraître très éloignés de leurs représentations et codes sociaux, voire de leurs objectifs de réinsertion. Ils vont donc avoir des difficultés à aller vers de telles structures, ils vont moins faire confiance aux acteurs qui y travaillent, contrairement aux bénévoles des associations, avec lesquels une relation stable et humaine peut se mettre en place, avec le temps.
Les bénéficiaires ne voient pas forcément l’intérêt d’aller vers des organismes comme Pôle Emploi : accueillis de façon rapide et impersonnelle, sans entrevoir de perspectives immédiates de travail, ils n’ont finalement aucune envie d’y aller, comme nous le dit Vanessa BAYSSE en parlant des bénéficiaires de La Péniche.
Les associations de proximité, seules à pouvoir intégrer la problématique du lien humain dans leurs actions.
Le lien humain, véritable fondement de certaines associations
Comme nous l’évoquions précédemment, le lien humain n’est qu’un plus dans les services proposés par les pouvoirs publics, alors que dans certaines associations, il peut constituer un fondement de l’action, en étant placé au cœur des activités.
Il est aisé de se rendre compte de cela en écoutant le discours au sein de certaines associations. A La Péniche par exemple, le lien humain est à la base de la structure, qui a été créée pour accueillir les personnes souffrant d’isolement et de solitude. Selon Vanessa BAYSSE, assistante sociale au Balajo, « on ne peut pas aller loin sans lien social, c’est indispensable à l’action sociale » . Ce sont des endroits dans lesquels tout tourne autour des relations humaines, les bénéficiaires viennent pour cela, et la plupart des bénévoles aussi. Il est donc plus facile de se concentrer sur cet aspect ici que dans les structures débordées par des tâches plus matérielles. Il en va de même aux Restos du Cœur, qui ont mis en place un endroit dédié à l’accueil sans condition des bénéficiaires : le « Camion », une camionnette fixe installée tous les soirs à Villeurbanne (69), où les personnes peuvent venir manger une soupe et rester autant de temps qu’ils le souhaitent. L’objectif premier du « camion », contrairement à la distribution alimentaire, est de « parler avec les gens de la rue, de créer du lien, autour d’un repas chaud » . Certaines personnes qui y viennent ont un toit, mais sont très seules et recherchent avant tout de la compagnie. C’est le but premier du Camion : rompre la solitude.
Les associations d’aide aux personnes précaires, vivant dans la rue, ne sont pas les seules à mettre le lien humain au centre de leurs considérations et actions. Dans les cités et banlieues, également, il existe de nombreuses associations de médiation sociale, qui s’adressent à un tout autre public : des familles ou des jeunes habitant les cités, souvent repliés sur leur quartier, à l’écart de la vie économique et sociale de leur ville, et concernés par d’autres problématiques et d’autres formes de précarité. Pour ces personnes, les associations de médiation sociale ne proposent pas des aides matérielles, mais plutôt une ouverture sur de nouvelles activités et projets, un accès à la vie culturelle, sportive ou économique, souvent absents dans ces quartiers peu attractifs et éloignés des centres villes.
À Lyon, par exemple, l’association « Nes et Cités » illustre parfaitement cela : œuvrant dans les quartiers sensibles, son but principal est de favoriser la réinsertion sociale par le biais des relations humaines et de l’épanouissement personnel. Pour cela, ils mettent en place des techniques de médiation sociale qui favorisent la compréhension et la coopération entre habitants des quartiers, pouvoirs publics et acteurs institutionnels.
Des critères indispensables pour intégrer le lien humain dans l’action
Intégrer du lien humain dans l’action sociale est globalement reconnu comme positif : si l’on interroge les acteurs sociaux quels qu’ils soient, la réponse sera quasiment toujours la même : les relations humaines contribuent systématiquement à l’efficacité de l’action.
Cependant, dans la pratique, il n’est pas toujours possible de les prendre en compte autant qu’il le faudrait, certains critères et conditions sont nécessaires pour cela.
En premier lieu, la proximité géographique est l’un des premiers critères requis à la mise en place d’actions centrées autour du lien humain : il faut que les bénéficiaires puissent venir aussi souvent et aussi longtemps qu’ils le souhaitent, sans que la distance soit un frein.
Ensuite, une certaine proportionnalité est nécessaire entre le nombre d’acteurs sociaux et de bénéficiaires. Il faut un certain nombre de salariés ou de bénévoles pour pouvoir assurer un suivi efficace des bénéficiaires.
Ces effectifs vont en effet conditionner le temps que chaque travailleur peut passer avec les bénéficiaires dont il s’occupe. Et le temps est l’un des facteurs les plus importants pour pouvoir intégrer les relations humaines dans l’action sociale. Quand on est pressé, que les bénéficiaires ou les clients s’enchaînent et qu’il faut respecter un planning rigoureux, on n’est pas en mesure de s’attarder sur chaque cas, de vraiment écouter la personne et de prendre en compte les petits détails de sa situation qui vont peut-être être déterminants pour lui permettre de s’en sortir.
En outre, la fréquence et le suivi des relations avec les bénéficiaires sont également très importants : les confidences venant de personnes qui ont le plus souvent vécu des ruptures ou des traumatismes viennent rarement pendant la première rencontre, ou lors de rendez-vous trop formels. Ce n’est qu’avec le temps et l’instauration d’une relation de confiance que les personnes osent se confier peu à peu.
Par exemple à La Péniche, les passagers apprécient beaucoup le fait qu’un travailleur social les suive et connaisse leur histoire ; ils ne sont ainsi pas obligés de la répéter chaque fois à quelqu’un qu’ils ne connaissent pas. Dans de tels lieux, ils peuvent également choisir la personne à laquelle ils vont le plus se confier, elle ne leur est pas imposée. C’est seulement eux, après s’être familiarisés avec les lieux, ou s’être attachés à quelqu’un, qui vont décider ou non de raconter leur histoire et de se faire aider.
Il en va de même à Pause Diabolo , où les salariés prennent le temps d’accueillir les personnes, de leur fournir un lieu où ils peuvent se poser, et même d’aller vers eux lors de sessions de recherche des usagers de drogues dans les lieux urbains où ils sont susceptibles de passer du temps. Selon Christine HAYDONT, apprendre à connaître les bénéficiaires est indispensable, sinon toutes les actions menées ne peuvent pas porter leurs fruits. Et apprendre à connaître une personne est impossible dans les services sociaux publics, avec si peu d’effectifs.
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Table des matières
INTRODUCTION
I) Le lien humain, une composante primordiale de l’action sociale
A) Le lien humain, facteur de réussite de l’action sociale pour ses bénéficiaires comme pour ses acteurs
B) Des considérations humaines nécessairement adossées à une action sociale de proximité
C) Une hypothèse appuyée par des travaux sociologiques
II) Des actions qui doivent cependant être encadrées et adossées à des considérations matérielles pour une réelle efficacité
A)Un lien humain à développer en complémentarité avec des actions plus matérielles
B) Dans la pratique, les limites des actions centrées uniquement autour du lien humain
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
TABLE DES MATIÈRES
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