Le lien entre le pré et le postpartum en psychopathologie
Pourquoi une annonce « médicale » aurait elle un impact plus grand pendant la grossesse ? Cette question revient fréquemment dans la bouche des somaticiens du prénatal confrontés à la situation d’annonce. Une réponse partielle peut être amenée par l’importance de la temporalité spécifique de la grossesse pour la structuration et des modulations des représentations maternelles, concernant aussi bien le futur enfant, la représentation que se fait la femme de ses capacités maternelles et la place qu’elle va prendre en tant que mère dans sa famille et dans la société.
De nombreux auteurs se sont penchés sur l’émergence de ces représentations et leur développement.
Les représentations maternelles pendant la grossesse
Le concept de représentation maternelle et son évolution au cours de la grossesse
La représentation (Laplanche & J.-B., 2002) désigne « ce que l’on se représente, ce qui forme le contenu concret d’un acte de pensée » et en particulier la reproduction d’une perception antérieure ». Selon Freud, la représentation se construit à l’appui de la « trace mnésique », signe coordonné avec d’autres issus de l’association des perceptions. Le lien avec le somatique est souligné. La représentation se conçoit en lien avec l’investissement psychique. Il n’existe pas, selon lui de « trace mnésique pure », qui désignerait une représentation et qui serait totalement désinvestie aussi bien par le système conscient que par le système inconscient. Nous nous intéressons ici à la représentation de chose que Freud a défini comme « un investissement, sinon d’images mnésiques directes de la chose, du moins en celui de traces mnésiques plus éloignées, dérivées de celle-ci » .
Les représentations maternelles pendant la grossesse, un modèle dynamique
En 1915 Freud, (Sigmund Freud, 1915, 1988), attribue le désir de grossesse à la phase œdipienne, en considérant ce désir comme un manque du pénis et ensuite le désir d’avoir un enfant du père. Pour H. Deutsch, en 1945 (Deutsch, 1945), ce désir est plus spécifique, un désir féminin en soit, celui « d’incorporer le pénis paternel pour en faire un enfant », marquant un concept biopsychologique central dans la construction de l’identité féminine. Puis pour M. Bydlowsky, « Le désir d’enfant est le lieu de passage d’un désir absolu car l’enfant imaginé, l’enfant à venir est, pour la femme, l’objet par excellence. Ce qui est désiré est moins un enfant concret que la réalisation du plus vivace des souhaits infantiles » (Bydlowski, 1997). La grossesse constitue pour la femme un moment complexe pour la réorganisation psychique qui aide l’apparition de rêveries, pensées et affects. C’est avec le concept de crise de maturation de Bibring (G.L. Bibring, 1959; G.L. Bibring, Dwyer, Huntington, & Valenstein, 1961), que celui ci avance le principe de processus dynamique. Il met en évidence comment la grossesse constitue un tournant irréversible dans le cycle vital d’une femme, pendant lequel celle-ci revit les conflits infantiles des phases précédentes de son développement et, en particulier, des premières relations et identifications avec sa mère. Cette crise est suivie par l’acquisition d’un nouveau niveau d’intégration, caractérisé par l’élaboration et la résolution des conflits infantiles précédents. Cependant, cette crise comporte une double valence. Elle prépare la femme à l’élaboration de son vécu et à l’acquisition d’un niveau d’intégration plus mûr et marque une extrême vulnérabilité, avec des risques implicites de distorsions psychopathologiques. Une profonde déstructuration et une réorganisation du sens d’identité de la femme ont donc lieu, et la mère peut vivre ces changements dus à la grossesse comme une menace à son intégrité. Plusieurs auteurs ont avancé qu’après l’adolescence, la grossesse constituait un troisième processus de séparation–individuation, selon la description de Mahler et al. (Mahler, Pine, & Bergman, 1980). En effet, la femme parvient par la maternité à une individuation d’elle-même plus grande et mieux articulée en tant que femme et mère, grâce à une différenciation de ses propres limites et de son espace intérieur par rapport à sa mère, à son partenaire et aux autres figures significatives de son entourage. Afin de compléter ce processus d’individuation avec succès, la grossesse pousse la femme à affronter une série de tâches adaptatives et transformatrices déclenchées par les changements somatiques et psychiques. Ces changements comportent des modifications substantielles dans le monde représentationnel de la femme. Ce processus implique en même temps l’élaboration de nouvelles représentations mentales de soi en tant que mère et celles du futur enfant, qu’une révision des représentations de soi qui se sont constituées pendant l’enfance. En 1997, Bydlowski (Bydlowski, 1997) présente le concept de transparence psychique. Elle dissocie ce concept en deux termes qui sont spécifiques de la grossesse, quelqu’en soit le stade de développement. Le premier consiste en un état relationnel particulier caractérisé par un état d’appel à l’aide latent et quasi permanent. Le second exprime que pour les femmes, la corrélation entre la situation de gestation actuelle et les remémorations infantiles va de soi, sans soulever de résistance notable. Cette authenticité particulière de la vie psychique est perceptible dès les premières semaines de la gestation. L’état de conscience paraît modifié et le seuil de perméabilité à l’inconscient comme au préconscient abaissé. Ainsi, d’anciennes réminiscences et des fantasmes régressifs affluent-ils à la conscience sans rencontrer la barrière du refoulement.
Les patterns représentationnels
A partir des années 1980, plusieurs études se sont intéressées à distinguer les différents «styles maternels» spécifiques de la période de grossesse. Raphaël Leff (Raphael-Leff, 1986) parle ainsi de style maternel «facilitant», «régulateur» et «réciproque». Fonagy (Fonagy, Steele, & Steele, 1991), lui, utilisant l’Adult Attachment Interview (Main & Goldwyn, 1998) classe un échantillon de femmes enceintes selon les trois typologies bien connues de l’attachement («secure autonome», «évitante » et «préoccupé »»). Ammaniti propose, lui, trois catégories de représentations : « intégrées–équilibrées »; « étroites–désinvesties » ; « non intégrées–ambivalentes » (Ammaniti M., 1999). Il souligne qu’il y a une plus grande perméabilité entre le domaine somatique, qui subit des modifications hormonales et des transformations corporelles à cause de la présence et de la croissance du fœtus, et le domaine mental. L’étroite interrelation entre la dimension corporelle et la dimension mentale réactive, à des niveaux conscients, préconscients et inconscients, les expériences passées qui se mêlent avec le présent, polarisées autour du soi infantile et du soi adulte. Cette double expérience est clairement visible dans les oscillations identificatoires qui ont lieu pendant la grossesse et qui se manifestent chez la femme comme une tendance à se replier sur elle-même et à se retirer dans une sorte de fusion mentale avec le fœtus d’une part et, d’autre part, à s’identifier avec une mère attentive qui saura prendre soin de l’enfant. Cette double identification de la femme avec celui dont elle prend soin et celui qui reçoit les soins rappelle l’union infantile désirée et idéalisée avec la mère. Par la grossesse, la femme se trouve donc dans une position singulière, puisqu’elle est en même temps fille de sa mère et mère de son enfant. Elle peut, pendant cette période, confronter et réélaborer ces expériences grâce à cette double identification avec sa mère et le fœtus. Plusieurs auteurs (G. Bibring & Valenstein, 1976; Deutsch, 1945; Pines, 1982) ont insisté sur le fait qu’il est nécessaire de prendre en compte la relation fantasmatique et réelle de la femme avec sa mère pendant la grossesse. Ils insistent de façon particulière sur l’importance de l’identification de la femme avec une « bonne image maternelle » qui ne signifie pas seulement que la femme a expérimenté une bonne relation infantile avec sa mère, mais aussi qu’elle a été capable de la reconnaître en tant que telle et de faire référence à cette relation dans son expérience actuelle sans se laisser pour autant gagner par des éléments conflictuels. Pines (Pines, 1982) considère qu’une expérience suffisamment bonne avec sa propre mère, permet à la femme, par le biais d’une régression temporaire due à la grossesse, de s’identifier avec une mère omnipotente et fertile, capable de donner la vie, et en même temps avec elle-même enfant, de réaliser ainsi une maturation et une croissance du soi. Parfois la régression due à la grossesse et à la maternité peut-être aussi vécue comme une expérience douloureuse, qui comporte un risque pour l’identité et l’autonomie de la femme à cause de la réactivation de ce désir infantile de fusion avec la mère qui peut déterminer une faillite partielle de la séparation–individuation. La grossesse apparaît aussi comme un des moments pendant lesquels le rapport profond entre fantaisie et réalité peut devoir faire face à des oscillations remarquables en faveur de l’une ou de l’autre, créant ainsi un déséquilibre dans lequel l’aspect fantasmatique peut être prééminent. La conséquence de cela est un ralentissement du processus adaptatif envers la réalité, ou bien au contraire, une forte limitation des fantaisies, agie de façon défensive pour nier la naturelle ambivalence présente dans le processus de grossesse.
Les représentations, prémices de la relation
Les résultats des recherches conduites sur les styles de représentations maternelles montrent comment ces différents styles restent stables au cours du temps et comment ils sont en mesure d’influencer de façon significative la relation précoce mère-enfant. La situation interactive qui s’établit, dès le début, entre la mère et l’enfant se présente comme un «système» complexe qui donne lieu à un ajustement graduel entre les deux membres qui le composent (Brazelton, Tronick, Adamson, Als, & Wise, 1975; Yarrow & Goodwin, 1965). Dès la naissance, l’attitude maternelle et le répertoire comportemental de l’enfant se rencontrent, donnant lieu à un processus visant à la connaissance réciproque. Dès ce momentlà, il est possible que se développe entre eux ce degré de synchronisation, visant à la construction d’un dialogue harmonique, nécessaire à leur rapport. Pendant les premiers mois de la vie de l’enfant, le moment de l’allaitement, en particulier, est la situation qui prédispose la mère et son bébé à un intense échange physique et affectif dans lequel les communications, véhiculées à travers les yeux, le contact tactile, les pleurs, les vocalises et le langage maternel, peuvent revêtir une grande importance. Déjà les premières succions, les cycles succion-pause de l’enfant semblent tendre à une certaine rythmicité réglant l’interaction comme une sorte d’événement «précurseur du dialogue» (Spitz, 1993). Pendant la grossesse, la graduelle et croissante attention que la mère adresse au fœtus comme à un «autre» que soi constitue ainsi les prémices du futur lien d’attachement mère-enfant (Fonagy et al., 1996; CH Zeanah et al., 1993; CH Zeanah, Keener, Stewart, & Anders, 1985) et rend possible les bases d’une configuration spécifique de «maternage» (Stern, 1995).
L’ambivalence par rapport au fœtus
Freud, en 1915 (Sigmund Freud, 1915, 1988), souligne que « la haine est plus ancienne que l’amour et réside au fond de toutes les relations d’affection et d’amour entre les être humains. » Le fœtus peut être ainsi dès le début de son existence source de déplaisir pour la future mère, dans la mesure où il constitue un opérateur symbolique entre réalité, imaginaire, et fantasme (Sirol, 1999). Il induit ainsi des mouvements hostiles à chaque grossesse, mais chaque fois de façon inédite. La présence du fœtus ayant pour corollaire l’actualisation de conflits psychiques intenses chez la femme enceinte induit donc une ambivalence ordinaire. Ce concept d’ambivalence fait référence à l’idée qu’aux souhaits de vie et de développement du fœtus, s’associent des désirs contraires (Benhaim, 2001). Ces sentiments hostiles, sadiques, destructeurs, participent de ce fait au processus normal du devenir mère, et à tout ce qui a pu être décrit sous le terme de maternalité par Racamier (Racamier, 1979), ou des raisons de haïr son bébé relevées, le premier, par Winnicott dans « la haine contre le contre transfert » (D.W. Winnicott, 1947, 1969). Néanmoins, ces sentiments tendent à être refoulés dans l’inconscient parental, pouvant défensivement entraîner l’idéalisation ou la surprotection de l’objet pour protéger leurs enfants de leur propre agressivité. « La haine de la femme enceinte envers son fœtus est contenue dans l’ambivalence du travail psychique que la grossesse lui impose. Ce travail consiste à refouler ou à contrôler sentiments et pensées agressives, hostiles et destructrices pour lui permettre d’aménager le vécu de la grossesse. » Ainsi dans les situations non pathologiques, la femme enceinte n’a pas conscience de sa haine envers son fœtus, sauf au travers d’ « embarras, soucis, empêchements, attention parfois excessive que lui impose sa grossesse ». Elle ne sait pas que sa lutte contre l’émergence de la haine, la prépare à devenir mère. Elle ne se doute pas que ce combat l’aide à se sensibiliser, être attentive à son futur bébé. La haine, qu’elle refoule et aménage, participe au processus de la maternalité et à celui de la préoccupation maternelle primaire. Chaque grossesse impose à la femme enceinte un retour aux étapes infantiles de son développement qui ont été source de haine (Klein, 1957) ainsi qu’un lourd travail psychique : le deuil de son corps d’avant la grossesse, la position d’égale de sa mère, la fabrication de l’enfant imaginaire face à l’enfant réel. De son côté le futur père peut ressentir également de la haine de manière plus directe à travers une réaction nettement narcissique : affects dépressifs, vécu abandonnique, jalousie et rivalité. De plus, en tant qu’opérateur symbolique entre réalité et fantasme, le fœtus peut devenir substitut de la représentation de la différence des sexes et de l’imago maternelle archaïque sadique. Mais c’est sous certaines conditions que « ce sentiment violent, profondément enfoui dans l’inconscient, peut s’intensifier dans des circonstances défavorables, et conduire à l’inconséquence, à la maltraitance et à l’intention d’anéantir le fœtus » (Sirol, 2004). Cette ambivalence apparaît ainsi sur le plan clinique dans le déni de grossesse, les phobies d’impulsion, la dépression du post partum et lors des psychoses puerpérales. De même cette ambivalence présente chez la femme au cours de la grossesse ressurgit lors du diagnostic anténatal, car il fait alors collusion avec la réalité en particulier lors de l’évocation de la possibilité d’infanticide créé par l’IMG . Il amène alors ce mouvement agressif de la mère ordinairement refoulé à un niveau conscient, destructeur.
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Table des matières
I. INTRODUCTION
II. LE LIEN ENTRE LE PRE ET LE POSTPARTUM EN PSYCHOPATHOLOGIE
A. LES REPRESENTATIONS MATERNELLES PENDANT LA GROSSESSE
1. Le concept de représentation maternelle et son évolution au cours de la grossesse
2. L’ambivalence par rapport au fœtus
3. Représentations maternelles et psychopathologie du nourrisson et de la dyade
B. INTERACTIONS PRECOCES MERE ENFANT ET PSYCHOPATHOLOGIE
C. LA QUESTION DE L’IMAGE ET DE SON TRAITEMENT PAR RAPPORT AUX REPRESENTATIONS
D. L’IMAGE ECHOGRAPHIQUE ET LA QUESTION SPECIFIQUE DES « SOFT MARKERS » EN MATERNITE
E. LA PLACE DU TRAUMA DANS LA PSYCHOPATHOLOGIE DU NOURRISSON ET DE LA DYADE
1. Développement, biologie et interactions
2. Données chez l’homme
F. PSYCHOPATHOLOGIE DE L’ENFANT DANS SA PREMIERE ANNEE, PLACE DE LA PSYCHOPATHOLOGIE DE LA DYADE
III. QUESTION 1 : SUSPICION A L’ECHOGRAPHIE FŒTALE : CLINIQUE D’UN TRAUMA ?
A. ARTICLE : « SUSPICION DE MALFORMATION ET ECHOGRAPHIE FŒTALE : QUAND L’IMAGE SIDERE ET BOULEVERSE LES REPRESENTATIONS MATERNELLES », CHAMP PSYCHOSOMATIQUE, ACCEPTE
IV. QUESTION 2 : QUEL EST L’IMPACT DES SOFT MARKERS DE L’ECHOGRAPHIE FŒTALE SUR LES REPRESENTATIONS MATERNELLES ET LES INTERACTIONS PRECOCES MERE-ENFANT ?
A. ARTICLE : « LA SURVEILLANCE ECHOGRAPHIQUE PRENATALE DES GROSSESSES A SUSPICION DE MALFORMATION : ETUDE DU RETENTISSEMENT SUR LES REPRESENTATIONS MATERNELLES », NEUROPSYCHIATRIE DE L’ENFANT ET DE L’ADOLESCENT, 2007
B. ARTICLE : « PRENATAL ULTRASOUND SCREENING: FALSE POSITIVE SOFT MARKERS MAY ALTER MOTHERINFANT INTERACTION. », SOUMIS
V. QUESTION 3 : QUEL EST LE PROFIL DES BEBES DE MOINS D’UN AN SUIVIS EN CLINIQUE SPECIALISEE 0-3 ANS ?
A. ARTICLE: « PHENOMENOLOGY, PSYCHOPATHOLOGY AND SHORT TERM OUTCOME OF 102 INFANTS AGED 0 TO 12 MONTHS CONSECUTIVELY REFERRED TO A COMMUNITY BASED 0 TO 3 MENTAL HEALTH CLINIC.” INFANT MENTAL HEALTH JOURNAL, 2010
VI. DISCUSSION
A. LES SOFTS MARKERS, PARADIGME DES BOULEVERSEMENTS APPORTES PAR LES AVANCEES TECHNOLOGIQUES DANS LE DOMAINE DU DEPISTAGE PRENATAL
B. ACCOMPAGNEMENT/ MODALITES DE COPING DES PARENTS
C. INTERACTIONS PRECOCES, LE MODELE DE LA SYNCHRONIE
D. L’IMPACT DU STRESS PRENATAL SUR LE DEVELOPPEMENT DE L’ENFANT, QUEL MODELE ?
VII. LIMITES ET PERSPECTIVES
A. LIMITES
B. PERSPECTIVES
VIII. CONCLUSION
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