Le lexique dans La Tragédie du roi Christophe et Une tempête d’Aimé Césaire

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Les échos lexicologiques entre nos auteurs ?

Il serait surprenant d’observer des échos lexicaux entre Victor Hugo, Aimé Césaire et Vincent Placoly. Néanmoins, quatre de nos œuvres sont encadrés par un système monarchique, et deux d’entre elles posent la question d’un pouvoir absolu. D’un point de vue contextuel, on peut donc les confronter.
L’analyse lexicologique précédente fait apparaître quelques points communs. En effet, le vocable « roi » ou « majesté » revient majoritairement dans cinq de nos œuvres, Don Juan faisant exception. S’agit-il du même vocable dans ces cinq pièces ? Le titre « empereur » – et son gouvernement « empire »
sont présents dans Dessalines en majorité, et également dans Hernani. Peut-on donc comparer Dessalines et Don Carlos ? Don Juan semble à part dans notre corpus. Mais si on observe le classement précédent, le vocable « Dieu » figure parmi les trois vocables les plus repris à la fois dans Don Juan et dans Ruy Blas ; nous ne parlerons pas ici de Hernani où « Dieu » n’est présent que dans des expressions. Peut-on alors analyser le personnage de Don Juan comme un négatif de Ruy Blas ?
Dessalines et Christophe ont de cela en commun qu’ils gouvernent tous les deux Haïti. Mais le premier fut empereur, le deuxième roi. Il ne s’agirait donc pas, a priori, du même type de gouvernance. Déjà, Dessalines se distingue de Christophe par ses faits d’armes : bras droit de Toussaint Louverture, il est encore chef des soldats à l’ouverture de la pièce. Dessalines prouve tout au long de la pièce sa combativité, faisant face avec rage à chaque obstacle. Néanmoins, il ne tue pas – ni n’en donne l’ordre – ceux qu’il considère comme ennemi de l’état ; il se contente de les destituer de leurs biens. Quand Pétion et son armée lève les armes contre l’empereur, il retourne au combat sans hésitation.
Christophe, bien que combattant aux côtés de l’empereur, fut d’abord un « nègre à talent », peu habilité à première vue à manier les armes. Dans sa volonté de construction, il prend son pouvoir comme acquis, malgré le rappel de Hugonin : « Vive le Roi Christophe ! »47 Ce mot est en italique pour marquer l’insistance. On peut interpréter le ton de deux manières : soit le peuple manque de respect au titre, soit celui-ci n’est pas encore défini. La scène suivante conforte la deuxième interprétation : il s’agit de la préparation de la cérémonie de couronnement, qui conduit l’intrigue tout au long de l’acte I. Cependant, Christophe agit déjà en monarque, se voulant à la fois moralisateur auprès de son peuple, et ennemi du Sénat dirigé par Pétion. Il tente par-là d’imposer son autorité. Lorsque le roi estime qu’un citoyen ne travaille pas assez bien ou qu’il est en désaccord, il le tue ou le fait assassiner sans aucun procès. A la fin, il sombre dans une forme de folie paranoïaque qui le mène au suicide. D’un point de vue militaire, Dessalines est plus courageux que Christophe. C’est sans doute ce qui différencie les deux vocables « empereur » et « roi ».
Dans Hernani, Don Carlos est d’abord roi, puis empereur. On retrouve cette même distinction entre les deux titres : il est couard et volage, presque violeur, lorsqu’il est encore roi, puis il se métamorphose au moment même où il apprend qu’il peut devenir empereur. En réalité, acquérir cette position est une élévation de responsabilité, alors il veut également élever son âme pour être reconnu parmi les plus grands empereurs, prenant exemple sur César et Charlemagne. Dès qu’il apprend son couronnement, il se montre clément envers Hernani, et bienveillant envers son peuple : ce n’est plus le même homme.
Dans Une tempête, le roi de Naples est en partie responsable de l’exil de Prospero et Miranda. Le banni a besoin d’un stratagème pour obtenir réparation. Sinon, sa condamnation se serait prolongée, sans doute à perpétuité. Dans cette pièce, le roi est encore une fois peu magnanime. Seule l’épreuve du naufrage lui permet de se rendre compte qu’il n’est pas « audessus de l’humaine condition ! »48 Sans cet exercice de survie, il aurait sans doute continué à régner sans se soucier de Prospero et de sa fille.
Enfin, dans Ruy Blas, le roi est totalement absent du champ scénique. La reine est alors la garante du pouvoir. On peut donc y voir un roi qui délaisse sa femme autant que son royaume. D’ailleurs, cette « chasse » qui le distrait tant masque sans doute son adultère, d’après les connotations langagières du XIXe siècle. C’est donc une nouvelle fois un roi volage, tout comme Don Carlos. Le vocable « roi » dans nos cinq pièces renvoie à la même fonction, très critiquée par les auteurs à travers les actes des monarques.

Les sources littéraires d’inspiration

Les œuvres de notre corpus trouvent des correspondances lexicologiques, qui révèlent des thématiques et des problématiques identiques. En réalité, toute œuvre littéraire s’inscrit dans la continuité d’une tradition, soit en la respectant, soit en la rejetant. Parfois, cette littérarité se produit de manière inconsciente. Le plus souvent, les auteurs reconnaissent leurs sources d’inspiration. C’est le cas pour Victor Hugo et Aimé Césaire, car le premier vouait à Shakespeare une admiration sans faille, et le deuxième a recréé l’une de ses pièces, La Tempête. En outre, Dessalines n’échappe pas à l’inspiration shakespearienne. Victor Hugo a lui-même influencé des auteurs postérieurs ; Vincent Placoly ne fait pas exception. Mais le romantique a-t-il été si important pour Placoly au point d’en reconnaître les contours discursifs dans les œuvres de notre corpus ? Nous nous attarderons enfin sur un ouvrage en particulier, Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, inspiré à la fois de Ruy Blas, et trouvant des résonances dans Dessalines.

Le souffle de Shakespeare

Dans son ouvrage William Shakespeare, Victor Hugo ne se contente pas d’une biographie sur l’auteur élisabéthain : il s’engage dans un manifeste pour le romantisme, où le concept de génie est développé de trois manières différentes : le génie intellectuel supérieur aux autres hommes car il a mené sa réflexion sur la condition humaine à son extrémité, tel que le personnage de Hamlet ; le génie intellectuel engagé, qui prend la plume pour défendre les opprimés ; enfin, le génie collectif qui devrait, selon Hugo, pouvoir s’exprimer dans le cadre d’une démocratie. Nous ne rentrerons pas immédiatement dans ce débat, sauf pour comparer le héros shakespearien au héros hugolien dans nos œuvres.
C’est sans doute là une des définitions possibles du héros romantique. Hernani et Ruy Blas correspondent à ce portrait du héros romantique. En effet, le premier est torturé entre son devoir de vengeance et son amour, quand le deuxième est divisé entre l’obéissance à son maître, sa loyauté envers le roi et son amour pour la reine. La souffrance des personnages est telle qu’elle dépasse le cadre mental en envahissant le corps, à tel point que Hernani cherche bien souvent la mort :
Je suis coupable ; mais sois tranquille, – elle est pure. C’est là tout ; moi coupable, elle pure ; ta foi Pour elle, – un coup d’épée ou de poignard pour moi.
Torturé par des dilemmes qui ont construit son identité, le héros romantique parcourt des questionnements liés à une crise existentielle : Hernani est partagé entre son passé et son présent, Ruy Blas se prend au jeu du travestissement au point d’en oublier sa condition, et les deux doivent lutter pour être libres d’aimer. Hamlet incarnait déjà cette identité malmenée, divisé entre son devoir de venger son père – tout comme Hernani – et l’amour pour Ophélie. Contrairement aux héros hugoliens cependant, le héros shakespearien rejette la jeune fille pour mettre en lumière la trahison de son oncle.

De l’Europe à la Caraïbe

Changer d’espace géographique implique forcément un déplacement des problématiques. Nous connaissons les tensions entre l’Europe, responsable de la colonisation et de la traite négrière, et les anciennes colonies que sont les Antilles françaises. Pourtant, Vincent Placoly a proposé une nouvelle version de Don Juan, et Aimé Césaire a repris La Tempête de Shakespeare. Mais ces références européennes sont subversives : les auteurs martiniquais se servent de ce patrimoine culturel pour le réadapter à la société antillaise, à la fois pour prouver qu’ils possèdent cette culture patrimoniale, et également pour que les œuvres soient plus efficaces sur la scène caribéenne. Nous traiterons donc chacune des adaptations l’une après l’autre.

Don Juan, l’Antillais ?

Dans « [l’] Avertissement » au lecteur, en préambule de sa pièce, Vincent Placoly cite le créateur du personnage séducteur : Tirso de Molina. Il nous rappelle le contexte espagnol et colonial de la pièce, où les jeunes hommes « étaient des jeunes gens libertins, riches, peu croyants et courageux, comblés de tout ce que la vie pouvait offrir de luxe à la jeunesse interrogative. »78 En affirmant cette source, il inscrit sa création dans la tradition baroque. En littérature, il est défini ainsi: …on s’accorde à y voir la coexistence d’un certaine nombre de caractères : le goût de l’originalité, voire du surprenant, tant dans les thèmes que dans l’expression, l’abus du style métaphorique, la volonté, parfois outrancière, de se libérer des traditions et des règles, un idéal de mouvement traduisant la conception foncière du transitoire et du changeant dans l’homme, une volonté de pousser jusqu’à l’outrance la violence des passions ou la force des caractères.79
Le personnage de Molina est évidemment baroque, car il correspond en tout point à cette définition : original, car il se moque du mariage en abusant les jeunes filles mariées ou pas ; il se libère ainsi « des traditions et des règles » ; enfin, une des caractéristiques communes à toutes les versions est le vagabondage du personnage principal, dont l’impétuosité est poussée à l’extrême. Celui de Placoly porte-t-il les mêmes caractéristiques ?
Chez Tirso de Molina, comme chez Molière et Mozart, Don Juan regorge de personnages, affiliés à la noblesse royale. Le personnage éponyme lui-même est fils de Don Diego de Tenorio, un duc. Le Roi est central dans la pièce, car il cherche à rendre justice sur terre :
Tenorio, vous savez en quelle estime je vous tiens ? Nous marierons ce garçon avec Isabela, et nous rendrons la paix du cœur à l’innocent duc Octavio. Puis don Juan partira en exil.80
Chez Placoly, aucun personnage n’incarne cette volonté de justice. Qu’en est-il de son valet, Sandopi ? Il est sa conscience, tout comme Catalinon est celle du Don Juan espagnol. D’ailleurs, ce sont ces deux hommes qui amènent à définir le comportement de leur maître respectif :
Vous êtes un fléau pour les femmes, mon maître. Pour les mettre en garde contre vous, il faudrait que le crieur public proclame : « Méfiez-vous du séducteur ! Méfiez- vous du pire dupeur d’Espagne ! » DON JUAN C’est un titre qui me plaît assez.

D’une langue à l’autre

Toute traduction est une réinterprétation de texte, nous dit l’adage. La Tragédie du roi Christophe et Don Juan ne font pas exception au proverbe. Mais la version créole de la pièce césairienne se prétend une simple réécriture de l’œuvre originale. Nous tenterons d’éclaircir ce point de vue. Quant à Don Juan, les variations semblent nombreuses d’un texte à l’autre, conférant une dimension différente selon la langue de l’auteur. Il s’agit donc d’une adaptation en français du texte créole. A partir de ce constat, quelle résonance chacun des textes proposent-ils ?

De La Tragédie à la Trajédi

Qu’est-ce qui [justifie les traductions du français au créole], puisque, comme on le sait, les lecteurs du créole sont généralement bien alphabétisés en français ? A cette question, réponse peut être pourtant donnée : parfaire la langue créole.
Ce travail participerait donc à la reconnaissance du créole comme langue à part entière. L’ouvrage datant de 2010, il s’inscrit dans cette revendication, qui a donné lieu à l’enseignement du créole et à la création du CAPES dans l’Éducation Nationale française à partir de septembre 2011. Auparavant, la langue antillaise ne bénéficiait pas d’une telle reconnaissance de la part de l’État. Cette action est dans le prolongement du militantisme créoliste, fondé par Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant – entre autres.
A la première lecture, le texte se veut fidèle à celui de Césaire, malgré le passage du français au créole. Néanmoins, on relève quelques particularités – peu nombreuses, mais existant tout de même – du texte créole. Cependant, ne maîtrisant pas parfaitement la finesse de la langue régionale martiniquaise, il sera difficile pour le chercheur que nous sommes d’établir des comparaisons. Il nous semblait néanmoins important d’évoquer l’existence de cette version.

La censure d’un dictateur à l’autre

Dans ce régime de Vichy, le Lieutenant de Viasseau Bayle, chef du service d’information, refuse aux césairiens une relance de Tropiques, estimant la revue révolutionnaire, raciale et sectaire, […] [donnant] le signal de la révolte contre une patrie qui a été pour eux une si bonne patrie. 119
Sous le régime de Vichy, la Martinique voit la suppression de son Conseil Général en 1940, au profit d’un Gouverneur aux pleins pouvoirs. Même les Conseils Municipaux sont dissous. Les villes sont dès lors gérées par des békés, propriétaires de plantations. Au-dessus de ces élus est nommé l’Amiral Robert. Bras droit du président Pétain, il applique à la lettre le régime de Vichy. La radio devient le principal média de propagande dès 1941, jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale. Le système éducatif est également revu, formant davantage d’élèves aux métiers manuels quand la scolarisation dans le secondaire diminue. Il est plus facile d’endoctriner une jeunesse ouvrière, peu cultivée, qu’une jeunesse intellectuelle. En parallèle, deux moyens sont employés pour réduire les protestations :
Le régime sanitaire et social est avantageux ; Des festivités sont organisées sur toute l’île.
Le pain et les jeux sont distribués. Mais les Martiniquais ne s’en contentent pas. Aussi, pour assurer la paix, l’Amiral Robert met-il en place un régime policier répressif, s’appliquant à tous les opposants de la IIIe République. La colonie subit la même « Lettre du Lieutenant de Vaisseau Bayle, chef du service d’information, au directeur de la revue Tropiques, Fort-de-France, le 10 mai 1943 », in Tropiques 1941-1945, éditions Jean-Michel Place, 1978, « Documents annexes », p. XXXVII-XXXVIII politique pétainiste qu’en métropole, provoquant un retour en arrière dans les rapports sociaux : un peu moins de cent ans après l’abolition de l’esclavage, les békés reprennent le pouvoir, et les « nègres » souffrent.

Tropiques, une revue résistante

C’est dans ce contexte que la revue Tropiques paraît. De 1941 à 1945, les auteurs résistent au totalitarisme en rappelant à leurs camarades les richesses écologiques, intellectuelles et fraternelles de la Martinique. Les articles détournent ainsi le débat politique en se concentrant les premières années sur la faune et la flore de l’île :
Ces différentes figures de rhétorique, en des lieux déterminés des textes, étaient destinés dans le contexte politique du moment, avec un clin d’œil en direction du lecteur antillais, à exprimer la pensée des écrivants tout en la masquant aux yeux des autorités de Vichy.120
Ou comme le dit Aimé Césaire : « La revue est née à une époque particulièrement ingrate, dans des conditions politiques dangereuses… »121 Elle a pour vocation de donner une image plus positive de la Martinique dans un contexte fasciste, mais aussi de véhiculer une forme d’opposition à l’extrémisme. Aimé Césaire exprime cette volonté dès la « Présentation » de la revue, dans le premier numéro du 1er avril 1941 :
Où que nous regardions, l’ombre gagne. L’un après l’autre les foyers s’éteignent. Le cercle d’ombre se resserre, parmi des cris d’hommes et des hurlements de fauves. Pourtant nous sommes de ceux qui disent non à l’ombre. Nous savons que le salut du monde dépend de nous aussi. Que la terre a besoin de n’importe lesquels d’entre ses fils. Les plus humbles.

Un engagement précoce

Lorsqu’il rédige cette ode, La Mort du Duc de Berry, Victor Hugo est reçu par Chateaubriand lui-même, qui en fit son disciple. La volonté de Hugo est légendaire au point qu’on lui prête la fameuse déclaration : « Je veux être Chateaubriand ou rien ! ». Légendaire, car cette phrase demeure introuvable.
Il se détache également des auteurs martiniquais par son statut social : issu d’une famille de petite bourgeoisie, il avait des livres à disposition. Il bénéficia donc d’une instruction, qui n’était alors pas à la portée de tous. Cependant, il n’en avait pas conscience dans sa jeunesse, cherchant à briller dans son milieu familial et politique plutôt que de se constituer sa propre idéologie. C’est ainsi qu’en 1816, lors de la défaite de Napoléon à Waterloo, il écrivit :
Mais du sang des Français cimentant tes malheurs, Ta chute même, hélas, nous fit verser des pleurs. Champs de Waterloo, bataille mémorable, Jour à la fois pour nous, heureux et déplorable.
Le jeune poète est alors âgé de 14 ans, et compose ses premiers poèmes en pension. Le dernier vers oppose deux sentiments, la joie et la tristesse, qui semblent oxymoriques. Cependant, le bonheur évoqué par Victor Hugo est dû à la vaillance de l’empereur lors du combat, qu’il a perdu, d’où les pleurs finaux ; le génie du poète jaillit dans le résumé de la bataille destiné aux Français en deux adjectifs. Néanmoins, cette admiration pour Napoléon est encore balbutiante. En effet, il prend d’abord position pour les Bourbons, sans doute par amour pour sa mère, dont il est violemment séparé lors de sa scolarisation en pension. Ce choix du père est une vengeance face la décision de Sophie de se séparer de son époux. Victor Hugo est meurtri par la coupure du lien maternel.
Jeune adulte et père de famille, il se rapproche de son père, qui combattit dans l’armée de l’empire ; il l’écoute parler de Napoléon. Mais lorsque Charles X est couronné roi, le poète est invité au sacre ; il dédie alors au nouveau monarque une ode, intitulée « Ode sur le sacre ».
Lorsque Marion Delorme est censurée par le roi, Victor Hugo compose Hernani, pièce dans laquelle le roi Don Carlos est un piètre souverain, mais qui s’élève en devenant empereur. L’admiration pour Napoléon, d’abord en opposition au règne de Charles X, devient un topos poétique.
Une conscience politique se forme alors chez l’auteur : face au coup d’état de Louis Napoléon Bonaparte contre la démocratie, il tente de soulever le peuple français. Il fallut attendre le retour de son exil pour qu’il soit reconnu comme le chef de file du Romantisme, prenant vraiment conscience des inégalités sociales et éducatives, dénoncées dans ses plus grands romans, à commencer par Les Misérables, mais aussi Le Dernier jour d’un condamné dans lequel il développe l’idée que l’absence d’instruction conduit à la délinquance. On voit encore aujourd’hui quel point sa thèse est d’actualité, lorsque la mairie de Rome décide en octobre 2016 d’offrir cinq cents euros aux élèves majeurs en bons pour la culture, affirmant que c’est le dernier rempart face à l’embrigadement terroriste.
Vincent Placoly a timidement fait ses entrées en politique. Comme Césaire, il a fait ses études au lycée Louis le Grand, trente ans plus tard, soit une génération après. Comme Césaire, il se lie d’amitié avec des étudiants caribéens et africains, tels que Daniel Maragnes et Omar Blondin Diop. Comme Césaire, il est marqué par l’injustice subie par son peuple, mise en place par un gouvernement colonial, malgré la départementalisation. Enfin, comme Césaire, il commence à militer dans certains partis à Paris, tels que le Parti Communiste et l’IVe Internationale qui rend hommage à tous les ouvriers, quelles que soient leurs origines. Pourtant, Aimé Césaire et Vincent Placoly, avant d’être les leaders de leur mouvement politique, eurent des débuts discrets. La principale ressemblance entre les deux hommes, que nous n’avons pas encore citée, est qu’ils ont façonné leurs idées politiques en commençant par écrire des articles : Aimé Césaire fait revivre l’Etudiant Noir en 1934, et Vincent Placoly affine sa plume en travaillant très tôt sur son premier roman La Vie et la mort de Marcel Gonstran, ainsi qu’en témoigne Daniel Maragnes :
Dans les temps qui ont suivi et jusqu’à son retour à la Martinique, nous rêvions d’écriture en échangeant nos pages. Il écrivait le roman qui devint « la vie et la mort de Marcel Gonstran » que je considère comme l’un des plus grands romans antillais.167
Le passage par l’écriture fut une évidence, voire une obligation, pour Placoly. Ses articles se voulant critiques littéraires furent en réalité un prétexte à dénoncer l’apartheid sous fond de république dont les Martiniquais étaient victimes :
Dans les chroniques, les compilations d’historiens, les rapports de gendarmeries, les témoignages colportés, soulèvements de nègres égalent insurrections d’esclaves, émeutes de noirs équivaut à troubles, de même que la défaite, le repli, la fuite, produisent l’image d’un pourchassement de loups dans la mangrove insondable, cette informe écologie d’avant la création où les corps se meuvent obscurément dans les ténèbres… 168
D’après Placoly, les fondements de l’identité doivent prendre racine dans une culture et une langue commune. Or, l’identité antillaise doit se renforcer et s’affirmer afin de pouvoir lutter contre la domination française. Pour cela, il faut que les Martiniquais eux-mêmes reconnaissent leur propre valeur culturelle et cessent de considérer le créole comme étant un français déformé. D’où l’importance de l’écriture :
S’il ne s’était agi d’une véritable gangrène de l’espritantillais actuel, nous ne les aurions pas pris au sérieux. Seulement, ils sont là pour occulter (alors qu’il ne fait pas de doute que nous aurions besoin de toute notre énergie),pour occulter et casser le ressort nécessaire à toute révolution, la conscience de soi-même. 169
Affirme-t-il au sujet des « thèses misérabilistes » qui, pourtant soutenues par des Martiniquais, s’abaissent devant la culture dominante. Apparaît clairement l’argument, que le leader du G.R.S. défendra jusqu’à sa mort, que la révolution, l’engagement, sont avant tout littéraires. Le théâtre s’impose alors comme évidence : il reconnaît lui-même que, dans une révolution, c’est le média privilégié pour véhiculer ses idées. L’homme de lettres et l’homme politique sont indissociables, l’art devant se mettre au service du combat idéologique.

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Table des matières

PREMIERE PARTIE : LA TRAVERSEE DES SIECLES
CHAPITRE 1 : DE L’EMPRUNT A L’ADAPTATION
A. Les échos lexicologiques dans notre corpus
A. 1. Les échos lexicologiques chez un même auteur
A.1.1. Le lexique dans La Tragédie du roi Christophe et Une tempête d’Aimé Césaire
A. 1. 2. Le lexique dans Don Juan et Dessalines ou la passion de l’indépendance de Vincent Placoly
A. 1. 3. Le lexique dans Hernani et Ruy Blas de Victor Hugo
A. 2. Les échos lexicologiques entre nos auteurs ?
B. Les sources littéraires d’inspiration
B. 1. Le souffle de Shakespeare
B. 2. De Victor Hugo à Vincent Placoly
B. 3. Le cas de Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand
C. Réécriture ou adaptation d’un patrimoine littéraire ?
C. 1. De l’Europe à la Caraïbe
C. 1.1. Don Juan, l’Antillais ?
C. 1. 2. Quelles tempêtes ?
C. 2. D’une langue à l’autre
C. 2. 1 De La Tragédie à la Trajédi
C. 2. 2. Les Don Juan de Vincent Placoly
CHAPITRE 2 : DES AUTEURS EN TRAVERS DE LA SOCIETE
A. Des intellectuels gênants
A. 1. La censure d’un dictateur à l’autre
A. 1. 1. Tropiques, une revue résistante
A. 1. 2. « Portrait d’un dictateur » ou la censure des révolutionnaires
A. 2. L’exil
A. 3. Des oeuvres problématiques
B. Politiciens malgré eux ?
B. 1. Un engagement précoce
B. 2. Un engagement paradoxal ?
CHAPITRE 3 : DU MARRONNAGE AU MARRONISME
A. Le marronnage littéraire
A. 1. Des personnages marron
A. 2. Résistance idéologique
A. 3. Vers un nouvel ordre social ?
B. La rupture avec les règles classiques
B. 1. Une unité d’action ?
B. 2. Le temps et le lieu : des unités ?
B. 3. La (dé)construction de l’intrigue
C. Un corpus marroniste ?
C. 1. Le marronisme totémique
C. 2. Le marronisme zénithal
C. 3. Le marronisme écorital
DEUXIEME PARTIE : EFFETS DE MIROIR
CHAPITRE 1 : MAITRES ET VALETS, LA QUESTION DU DOUBLE
A. La face sociologique
A. 1. Le valet malheureux
A. 2. Le bouffon
B. La face politique
B. 1. Le valet comme miroir inversé du maître
B. 2. L’ascension sociale : une chimère dangereuse
B. 3. Caliban et Ruy Blas, deux combattants isolés ?
C. La face idéologique
C. 1. Des valets et des valeurs
C. 2. Le nom
C. 3. Tuer le père
C. 4. Le nom, affranchissement du Moi
CHAPITRE 2 : HOMMES ET FEMMES
A. La dame de coeur
A. 1. L’amante
A. 2. La mère
A. 3. La femme comme objet de fantasmes
B. Sous le joug masculin
B.1. La domination masculine
B. 2. La femme prisonnière
B. 3. La femme victime de violences masculines
C. La garantie d’une perpétuité
C. 1. Miranda ou le lien filial
C. 2. Défilée ou la mémoire de Dessalines
C. 3. Madame Christophe, incarnation de la matrice
CHAPITRE 3 : LE HEROS, UN MIROIR DE L’AUTEUR ?
A. Du discours à la création
A. 1. De la dénonciation à l’action
A. 2. Le théâtre bienveillant
A. 3. Un héros exemplaire ?
A.3.1. Un héros tragique
A. 3. 2. Les alliances
A. 3. 3. Dessalines, un humaniste ?
B. Se mettre en scène
B. 1. Les tirades
B. 2. Les didascalies
B. 3. Trois discours politiques
C. Le poète, un tyran ?
C.1. Les personnages tyranniques
C. 2. La poésie au service du pouvoir absolu
C. 3. Auteurs et personnages
TROISIEME PARTIE : DE LA CIRCULARITE A LA SPIRITUALITE
CHAPITRE 1 : L’ESPACE, UN LIEU DE QUESTIONNEMENTS
A. Les didascalies : une mise en abyme d’un espace circulaire
A. 1. Un enfermement spatial
A. 2. La symbolique de l’espace
A. 3. Au point de départ ?
B. Les déplacements des personnages : un déplacement de l’intrigue ?
B. 1. Centres et périphéries
B. 2. Le décentrement comme principe de construction dramaturgique
CHAPITRE 2 : DE LA MISE EN SCENE
A. L’illusion théâtrale
A. 1. Le théâtre et le conte : deux arts distincts ?
A. 2. Le public
A. 3. « L’acteur possédé »
B. Corps et voix
B. 1. Présence et absence
B. 2. Le silence
B. 3. Choix théâtraux
C. Les éléments circulaires
C. 1. Les décors
C. 2. La musique
C. 3. Les déplacements
CHAPITRE 3 : LE DISCOURS HELICOÏDAL, UN EVEILLEUR DE CONSCIENCE ?
A. L’élévation du discours : de l’horizontalité à la verticalité
A. 1. De la poétique
A. 2. Les systèmes d’opposition
A. 3. Les figures de style et les expressions
B. Les différents chants
B. 1. Les chants des conteurs
B. 2. Les chansons populaires
B. 3. Les chansons en didascalies
C. La part du sacré
C. 1. La nature comme lieu de (re)connexion
C. 2. Le merveilleux comme secours à l’existence
C. 3. Le vaudou
CONCLUSION
INDEX
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
Annexes 1 : articles de Vincent Placoly
Annexes 2 : Tableaux lexicologiques

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