Les protéines alimentaires fournissent de l’azote et des acides aminés (AA). Parmi les 20 AA constituants des protéines alimentaires, 9 sont considérés comme nutritionnellement indispensables chez l’homme : le tryptophane, la valine, la leucine, l’isoleucine, la lysine, la thréonine, la méthionine, la phénylalanine, et l’histidine (Boutry, Bos et al. 2008). Le caractère indispensable de ces AA a été initialement défini sur la base de « l’impossibilité de l’organisme animal à les synthétiser à partir de composés normalement disponibles à une vitesse correspondant aux besoins ».
Les AA ont plusieurs fonctions métaboliques mais leur fonction quantitativement principale est leur rôle de précurseur pour la synthèse des protéines corporelles. Les AA sont aussi des précurseurs pour la biosynthèse de composés divers qui jouent des rôles physiologiques variés tels le glutathion, la créatine, la carnithine, l’hème de l’hémoglobine qui sont spécifiquement synthétisés par l’organisme à partir d’un ou plusieurs AA. Certains AA (glutamine, aspartate et glycine) sont également les précurseurs azotés et carbonés utilisés pour la synthèse des ribo- et désoxyribonucléotides, précurseurs pour la synthèse d’ARN et d’ADN. De plus, des AA comme l’arginine et la glutamine sont des précurseurs d’AA non présents dans les protéines comme l’ornithine et la citrulline qui jouent des rôles importants dans le métabolisme détoxifiant (cycle de l’urée par exemple) et dans le métabolisme interorgane. Enfin, certains AA comme la glutamine ou le glutamate sont des précurseurs d’intermédiaires du cycle de Krebs et sont des substrats oxydatifs principaux ou secondaires de nombreux phénotypes cellulaires qui les utilisent comme source d’énergie.
Par ailleurs et plus récemment, les AA en tant que tels ou via la production intracellulaire de métabolites pourraient avoir des « fonctions signal » associées à des modifications métaboliques et physiologiques. Par exemple, l’arginine via l’activité catalytique d’une des isoformes de la « nitric oxide synthase » (NOS) est un précurseur dans les cellules endothéliales du monoxyde d’azote, entité radicalaire impliqué dans la régulation de la pression artérielle. On doit également considérer les fonctions de neurotransmetteur de certains AA tels le glutamate ou le tryptophane (précurseur de sérotonine) ou d’amines biogènes (comme par exemple l’histidine précurseur d’histamine). Enfin, un AA comme l’arginine peut à la fois exercer des fonctions de régulateur métabolique indirect en activant la première étape de l’élimination de NH4+ /NH3 dans le cycle de l’urée hépatique ou en exerçant des fonctions sécrétagogues par exemple vis-à-vis des cellules β des îlots de Langerhans pancréatiques. Le rôle de la leucine en tant que molécule signal de la protéosynthèse a également fait l’objet de nombreuses études (AFSSA 2008). De fait, l’AA le plus étudié à la fois in vitro (Dardevet, Sornet et al. 2000) et in vivo (Anthony, Anthony et al. 2000) est la leucine qui a un effet direct sur l’activation de la synthèse protéique principalement au niveau du muscle squelettique. Elle augmente également la synthèse protéique dans le tissu adipeux (Lynch, Patson et al. 2002) et la synthèse de protéines particulières dans le foie (Anthony, Anthony et al. 2001).
Le glutamate, dont nous avons vu qu’il jouait un rôle de neurotransmetteur, est un AA strictement non indispensable car il peut être synthétisé à partir de plusieurs précurseurs. C’est un composé présent dans tous les organismes vivants (Mallick 2007). De par la présence de récepteurs au L-glutamate sur de nombreux phénotypes cellulaires, celui-ci est impliqué dans de nombreuses fonctions physiologiques. Tout d’abord, le L-glutamate est le principal neurotransmetteur excitateur du système nerveux central (SNC) des vertébrés (Moult 2009). De plus, cet AA est le plus important substrat oxydatif pour les cellules épithéliales intestinales (Blachier, Boutry et al. 2009). Le glutamate est aussi un précurseur de nombreux autres métabolites qui jouent un rôle important dans les fonctions physiologiques comme le glutathion (défense contre le stress oxydant), le N-acétylglutamate (régulateur métabolique activateur du cycle de l’urée) et l’α-cétoglutarate (intermédiaire du cycle de Krebs) (Uchiyama, Mori et al. 1981; Reeds, Burrin et al. 1997; Blachier, Boutry et al. 2009). De plus il joue un rôle significatif dans la biosynthèse d’AA notamment au niveau des cellules épithéliales intestinales (proline, ornithine, citrulline, aspartate, alanine) (Windmueller and Spaeth 1975).
LE L-GLUTAMATE, LE MONOSODIUM GLUTAMATE ET LE GOUT UMAMI
Présentation du L-glutamate et du monosodium glutamate
Le L-glutamate
L’acide glutamique a été découvert en 1866 par Karl Rithausen, un scientifique allemand, dans le gluten de blé (Dillon 1991). Le L-glutamate, la forme anionique de l’acide glutamique, est l’un des 20 acides aminés (AA) naturels. Sa chaîne latérale contient un résidu carboxyle, ce qui en fait un AA acide, dicarboxylique et polaire. Sa formule chimique est la suivante : C5H9NO4 (figure 1A) et sa masse molaire est de 147,13 g/mol. Il existe deux stéréoisomères L et D, seule la forme L existant dans les protéines. Il est présent dans de nombreux aliments à la fois sous forme libre et sous forme liée dans les protéines ou les peptides. Le glutamate est un additif alimentaire autorisé par l’union européenne sous forme acide (E620) d’après la directive 95/2/CE du parlement européen et du conseil du 20 février 1995 concernant les additifs alimentaires autres que les colorants et les édulcorants. Le L-glutamate est utilisé pour augmenter la flaveur des aliments depuis des milliers d’années.
Le monosodium glutamate
Il existe différents sels de l’acide glutamique : le glutamate monosodique ou monosodium glutamate (MSG), le glutamate monopotassique, le diglutamate de calcium, le glutamate d’ammonium et le diglutamate de magnésium. Ce sont tous des additifs alimentaires autorisés par l’union européenne : E621 à E625 respectivement. Cependant, ils ne sont pas autorisés dans le lait, les émulsions de graisse et d’huile, les pâtes, les produits à base de cacao ou de chocolat et les jus de fruits (Beyreuther, Biesalski et al. 2007). Le MSG est le plus largement utilisé par les industries agroalimentaires en tant qu’exhausteur de goût dans les plats préparés (soupes, assaisonnements, pizzas, …) mais aussi dans les plats « faits maison » dans le monde entier (Bellisle 1999). On le retrouve en grande quantité dans la cuisine asiatique. Sa formule chimique est la suivante C5H8NNaO4 (figure 1B) et sa masse molaire est de 169,13 g/mol.
Découverte du goût umami
La nourriture et/ou les ingrédients riches en AA libres ont été utilisés en cuisine depuis des siècles et dans toutes les cultures pour augmenter les qualités sensorielles des aliments. Il y a 100 ans, Kikunae Ikeda, un professeur de l’université impériale de Tokyo, a isolé le Lglutamate d’une algue nommée « konbu » et a identifié un goût unique différent des goûts salé, sucré, aigre et amer (Lindemann, Ogiwara et al. 2002). Ikeda a nommé ce goût « umami », dérivé de l’adjectif japonais « umai » qui signifie délicieux (Ikeda 2002). Il breveta son invention avec l’aide de Saburosuke Suzuki II de la compagnie Suzuki Seiyakusho Co. qui deviendra Ajinomoto Co. Le goût umami est maintenant reconnu comme le cinquième goût. De nombreuses recherches sur ce cinquième goût ont été effectuées à partir des années 1980. Dans la nature, les composés qui ont le goût umami sont les suivants : le MSG et le monopotassium glutamate ; l’inosine 5’-monophosphate (IMP) et la guanosine 5’- monophosphate (GMP) ; certains autres AA comme le L-aspartate et certains peptides. Les réponses gustatives à ces molécules ont été étudiées chez l’Homme et l’animal. Chez l’Homme, une synergie existe entre le MSG et l’IMP ou la GMP (Kurihara and Kashiwayanagi 2000). Par exemple 0,5mmol/L de GMP seul ou 1,5mmol/L de MSG seul ne sont pas à l’origine du goût umami mais la consommation d’une mixture de GMP et de MSG à ces concentrations permet l’identification d’un fort goût umami. Cette synergie n’est pas observée dans certains modèles expérimentaux tels les rats ou les chats.
Les aliments non cuisinés ainsi que les préparations culinaires contiennent divers types et combinaisons de composés à l’origine du goût umami. Ces variations de combinaisons de composés reconnus globalement comme associés au goût umami est à l’origine de différences subtiles dans la perception du goût umami par les différents individus. De nouvelles composantes continuent à être découvertes qui sont potentiellement des stimuli pour la perception du goût umami ou qui améliorent le goût umami de composés connus (Chaudhari, Pereira et al. 2009). Quand les aliments sont supplémentés en composés umami, des interactions avec les composants de l’aliment sont possibles. Le L-glutamate contribue donc largement aux caractéristiques gustatives des aliments qui en contiennent (Kurihara and Kashiwayanagi 2000). Par exemple, le goût de la chair de crabe peut être reproduit à partir d’un mélange de glycine, d’alanine, d’arginine, de MSG, d’IMP et de sel selon des ratios particuliers. Quand un des constituants umami est éliminé, le goût « chair de crabe » n’est plus perçu.
Le message sensoriel correspondant au goût umami a été abondamment étudié et décrit. En 1987, Kurihara a décrit les mécanismes fondamentaux par lesquels les stimuli gustatifs sont perçus. Un stimulus chimique est d’abord reconnu par des récepteurs membranaires au niveau des papilles puis le message chimique est transmis au cerveau pour être reconnu. Le MSG ajouté à de nombreux aliments (mais pas tous) augmente la palatabilité de ceux-ci (Beauchamp 2009). Cette augmentation de la palatabilité est particulièrement évidente dans certains aliments liquides telles les soupes. De manière intéressante, une étude de Steiner et al. a été faite chez des nouveau-nés qui ingéraient du MSG seul ou avec de la soupe puis il a été évalué leurs expressions faciales en réponse à une exposition orale brève. Le MSG seul n’a pas provoqué d’expressions faciales positives (par rapport à de l’eau) alors que l’ingestion de MSG avec de la soupe entraînait des expressions faciales positives (par rapport à de la soupe sans MSG).
|
Table des matières
I. INTRODUCTION GENERALE
II. DONNEES BIBLIOGRAPHIQUES
1. LE L-GLUTAMATE, LE MONOSODIUM GLUTAMATE ET LE GOUT UMAMI
1.1. Présentation du L-glutamate et du monosodium glutamate
1.1.1. Le L-glutamate
1.1.2. Le monosodium glutamate
1.2. Découverte du goût umami
1.3. Apport en L-glutamate et MSG dans les aliments
1.4. Production et consommation
2. RECEPTEURS AU L-GLUTAMATE ET EFFETS PHYSIOLOGIQUES
2.1. Les récepteurs au L-glutamate et au goût umami
2.1.1. Les récepteurs ionotropiques au L-glutamate
2.1.2. Les récepteurs métabotropiques au L-glutamate
2.1.3. Les récepteurs au L-glutamate dans les tissus périphériques
2.1.4. Les récepteurs au goût umami
2.2. Effets au niveau du système nerveux central
2.3. Effets au niveau du tractus gastro-intestinal
2.3.1. Effet du glutamate
2.3.2. Effet de la vidange gastrique et/ou du volume gastrique sur les phénomènes de rassasiement et de satiété
2.4. Effets au niveau du pancréas endocrine et exocrine
3. METABOLISME DU L-GLUTAMATE
3.1. Métabolisme et fonction du L-glutamate dans l’intestin
3.1.1. Le L-glutamate, un substrat oxydatif dans les cellules épithéliales de l’intestin
3.1.2. Le L-glutamate, un précurseur d’autres acides aminés et de la synthèse protéique dans la muqueuse intestinale
3.1.3. Le L-glutamate, un précurseur de glutathion et d’acétylglutamate dans la muqueuse intestinale
3.1.4. Métabolisme du L-glutamate et de la L-glutamine dans les cellules épithéliales du côlon
3.2. Métabolisme et fonction du L-glutamate dans le foie
3.2.1. Rôle central du L-glutamate dans le métabolisme hépatique
3.2.2. Zonation hépatique et métabolisme du L-glutamate
3.3. Métabolisme et fonction du L-glutamate dans le muscle
3.4. Concentration circulante en acide glutamique et en glutamine
3.4.1. Concentration en condition normale
3.4.2. Concentration lors d’une supplémentation en MSG
4. EFFETS BENEFIQUES ET DELETERES DU MSG A DOSE NUTRITIONNELLE ET SUPRANUTRITIONNELLE
4.1. Le syndrome du restaurant chinois
4.2. Le MSG et ses effets sur la prise alimentaire et l’obésité
4.3. Toxicité du L-glutamate
4.4. Apport journalier acceptable en MSG
4.5. Sensibilité individuelle au MSG
III. TRAVAUX PERSONNELS
1. HYPOTHESES ET OBJECTIFS DU TRAVAIL
2. ARTICLES
2.1. Article 1 : Effets d’une supplémentation en monosodium glutamate sur le métabolisme de la glutamine chez le rat adulte
2.1.1. Résumé de l’étude
2.1.2. Article 1
2.2. Articles 2 : Le monosodium glutamate augmente la distension antrale et les acides aminés plasmatiques après un repas standard chez l’Homme
2.2.1. Résumé de l’étude
2.2.2. Article 2
3. DISCUSSION
3.1. Effets d’une supplémentation en MSG sur la physiologie gastro-intestinale chez le rat et l’Homme
3.2. Effets du MSG sur le métabolisme des acides aminés chez le rat et l’Homme
3.3. Autres effets du MSG chez le rat et l’Homme
3.4. Aspects méthodologiques
3.4.1. Notions de doses nutritionnelles et extra-nutritionnelles en MSG
3.4.2. Mesure de la vidange gastrique
IV. CONCLUSION GENERALE
Télécharger le rapport complet