Le jugement esthétique, frein à la mise en œuvre de la pratique artistique

De la faculté de juger

Après avoir éclairci le lien étroit qui unit l’esthétique et la sensibilité, il est opportun de s’intéresser au jugement esthétique en tant que tel, c’est-à-dire à notre faculté de juger une œuvre d’art. Cette succession entre la sensibilité inhérente à l’esthétique et la notion de jugement n’est pas faite au hasard puisque la faculté de juger est, elle aussi, intimement liée à la sensibilité.
En effet, Emmanuel Kant dans sa Critique de la faculté de juger (1995, p. 114) nous rappelle que « le jugement esthétique est celui dont le principe de détermination réside dans une sensation qui est reliée immédiatement avec le sentiment de plaisir ou de déplaisir ». Ce jugement esthétique se rapporte selon lui au goût, au sentiment. Si Jean-Marie Schaeffer fait une nette distinction entre le plaisir et l’émotion, Kant ne les dissocie pas autant et par « plaisir et déplaisir », il se rapporte à l’émotion et à la sensibilité.
L’auteur fait la distinction entre deux types de facultés de juger. Le premier est la faculté de juger réfléchissante, c’est-à-dire un simple pouvoir de réfléchir suivant un certain principe sur une représentation qui serait donnée (rendant possible un concept).
Le second type de jugement est la faculté de juger déterminante qui serait un pouvoir de déterminer un concept pris comme sujet de jugement. En l’occurrence, la faculté de juger porterait sur un concept rendu possible par un « pouvoir de connaitre ».
À ce sujet, Kant fait la distinction entre deux grandes catégories de jugement esthétique. D’une part, nous retrouvons les jugements qui portent sur la beauté, donc sur la valeur esthétique pure d’une œuvre. D’autre part, il est question des jugements qui portent sur le sublime. Ces derniers sont donc intimement liés à la notion de moralité et de raison étant donné que le sublime (nous le verrons plus tard) est dépendant d’une notion d’éducation et de valeurs portées par une œuvre d’art à des fins morales. C’est pour cette raison que Kant apporte une précision en insistant sur le fait que le jugement de goût (et non le jugement esthétique) n’est pas un jugement de connaissance (en lien avec le sublime) donc pas un jugement logique qui reposerait sur une interprétation permanente, mais un jugement esthétique qui se rapporterait au goût, au sentiment.
Emmanuel Kant dans sa Critique de la faculté de juger met en lien trois composantes :
La faculté de juger est celle qui permet de subsumer une intuition (le particulier) sous un concept (l’universel) : son opération met donc en présence le conditionné (l’intuition), ce qui en constitue la condition (le concept) et en principe un troisième terme a savoir le critère en vertu duquel il est possible de rapporter le conditionné à sa condition. (1995, p. 49)
Ainsi, la faculté de juger intervient simplement comme un juge qui applique une règle générale.
Pour Kant (1995, p. 123), le jugement esthétique ne peut être celui dont le prédicat ne peut pas être seulement une connaissance c’est-à-dire le concept d’un objet, bien qu’il puisse contenir les conditions subjectives d’une connaissance en général. Il rajoute alors que le « concept d’une fin réelle de la nature » ne peut pas être à l’origine de la faculté de juger si elle est prise pour elle-même puisque le jugement esthétique sera alors erroné car trop rattaché au « pouvoir de connaitre ».

La notion de beauté et ses représentations erronées

Il était nécessaire, dans cette troisième sous-partie, de nous intéresser à la notion de beauté. C’est cette notion, de par ses représentations erronées, qui s’impose la plupart du temps comme un frein à la production artistique des élèves.
Avant tout, il est important de recontextualiser cette notion de beauté en revenant un peu plus de deux siècles en arrière.
À la fin du XVIIIème siècle, à Paris, est créé le Salon de l’Académie royale de peinture et de sculpture. Ce « Salon » consiste en une exposition (apparentée à une accumulation) dans le Salon Carré du Louvre. Là-bas, sont exposés tous les artistes dignes de ce nom, qui ont, par leur dur labeur et par leur présence dans le milieu, su prouver qu’ils y avaient leur place. Cependant, tous les artistes n’ont pas la même reconnaissance et ne bénéficient donc pas des mêmes emplacements lors de cette exposition. Sur le modèle des expositions italiennes, l’idée est d’exposer les artistes qui avaient fait leurs preuves à l’École des Beaux-Arts.
Dès cette époque, va être redéfinie la notion de « beauté » qui ne concernera finalement plus la valeur esthétique propre à chacune des œuvres mais concernera les valeurs portées par celles-ci. Ainsi, la hiérarchie des genres va s’imposer : la peinture d’histoire, celle qui représente des faits historiques réels ou imaginaires (il pouvait s’agir de peinture allégorique, profane ou religieuse), est classée à la tête de cette hiérarchie.
D’ailleurs, seuls les peintres d’histoires avaient accès aux postes les plus importants de l’Académie et de l’École des Beaux-Arts.
En-dessous de la peinture d’histoire arrivent le portrait puis la peinture de genre (représentation de la vie quotidienne), bien moins considérés que la peinture d’histoire mais bien plus reconnus que le paysage et la nature morte, qui se retrouve à la fin de cette hiérarchie.
Cette hiérarchie des genres semble donc s’opposer totalement aux théories de Kant qui soutient que la faculté de juger doit passer majoritairement par le sentiment et non seulement par la capacité d’un individu à interpréter une œuvre d’art, à en identifier son sujet.
C’est à cette époque, et notamment à partir de la deuxième partie du XVIIIème siècle que les canons de beauté vont être redéfinis. Avec la découverte des vestiges de Pompéi et d’Herculanum, l’art des Anciens, celui des Romains et des Grecs, s’impose comme un modèle pur et parfait qu’il faut désormais suivre. Ainsi, des peintres classiques du XVII ème siècle tels que Poussin, Le Brun, Lorrain vont être considérés comme de très grands peintres et vont inciter d’autres artistes à poursuivre ce mouvement comme c’est le cas de Subleyras, Rigaud ou encore David.
En reprenant les canons de Polyclète et autres penseurs et sculpteurs de l’Antiquité, la beauté s’impose désormais comme la représentation parfaite du corps, équilibré, réaliste, souple et lisse.
Cependant, des auteurs comme Kant et Schaeffer viennent s’opposer à cette idée de perfection suppose un concept de l’objet dans une recherche de perception alors même que « la perfection n’a pas la moindre chose à voir avec le sentiment de plaisir ou de déplaisir. » Jean-Marie Schaeffer parle d’un principe de « bonne forme » (initié par le classicisme) qui prédomine alors même que des œuvres qui vont à l’encontre de ce principe ont existé à toutes les périodes de l’histoire de l’art. Il rappelle que « l’idée selon laquelle il existerait un « pur mode de donation esthétique immédiat », à travers lequel une forme pure produirait un sentiment esthétique tout aussi pur, ne correspond à rien de réel » et : Même l’oeuvre d’art la plus pauvre, ou la plus minimaliste constitue un « paquet » de stimuli extrêmement complexe baignant dans un contexte historique, culturel et proprement artistique qui informe sa réception. Il n’est donc pas sûr qu’on puisse extrapoler à partir de la fluence de la bonne forme dans un dispositif expérimental à la fluence dans une oeuvre d’art – ne serait ce que parce qu’en pratique la définition de ce qu’est une « bonne forme en art est loin d’aller de soi. (2015, p. 222).

La dichotomie du « beau » et du « laid »

Pour commencer, Jean-Marie Schaeffer nous rappelle que depuis l’émergence de l’art moderne, une œuvre d’art peut posséder du mérite esthétique sans entrer dans les canons de beauté communs. Il rajoute d’ailleurs que ce n’est pas seulement l’art moderne qui vient créer cette rupture, mais qu’il existe des arts, à toutes les époques, qui ont été en opposition avec ces canons de beauté classique, comme c’est le cas des arts asiatiques.
Carole Talon-Hugon dans L’Esthétique (2008, p. 18), précise qu’il existe différentes caractéristiques du beau : l’intégrité qui correspond à une idée d’achèvement, la proportion convenable (harmonies des parties entre elles en relation avec les canons de beauté classiques) ainsi que l’éclat, c’est-à-dire la couleur. Pour l’auteur, « la beauté est une propriété objective de certains objets, de certains êtres et de certaines œuvres ». Cela fait alors échos aux propos de Kant pour qui la beauté n’est pas un jugement personnel puisque quelque chose ne peut pas être beau seulement pour soi, ça doit l’être pour tout le monde. Il fait donc la distinction entre ce qui est beau (jugement objectif) et ce qui et agréable (jugement subjectif).
Jean-Pierre Marquet, dans son article « Du dessein au dessin », traite de la nécessaire distinction entre le « dessin » et le « dessein » (en tant qu’image mentale) pour viser l’épanouissement d’une certaine créativité. L’auteur part du constat selon lequel les élèves se créent leurs propres barrières en ne distinguant pas le dessin en tant qu’image figurative devant se rapprocher de la réalité (le dessein) du dessin comme expression artistique à part entière (le dessin).
Cependant, cette distinction n’est pas évidente dans l’esprit des élèves de l’école élémentaire. Pour eux, la seule véritable distinction qui existe est celle du « beau » et du « laid ». Les élèves ont été questionnés à ce sujet et de ce questionnement est ressorti un constat : le « beau » correspond à ce qui est le plus proche de la réalité, le plus proche de l’image mentale qu’ils s’en sont faite et par opposition, le « laid » s’impose quand la représentation est trop éloignée de la réalité.
À titre d’exemple, lorsqu’il a été demandé aux élèves de réaliser un paysage monochrome (les termes de « paysage » et de « monochrome » ayant été préalablement définis), l’exercice s’est avéré pour eux difficile. En effet, représenter un paysage en ne pouvant utiliser qu’une seule couleur a été une difficulté en ce sens qu’un paysage, « en réalité », se compose d’un grand nombre de couleurs.
Plusieurs élèves, dans les quelques minutes qui ont suivi le début de la séance, ont décrété que leurs dessins était « laid ». Le verbatimsitué en annexe 1 de ce mémoire reprend une partie des interviews réalisées avec les élèves et témoigne de ce jugement premier lors de la mise en œuvre de la pratique artistique. Pour appuyer ce propos, Mattéo, alors qu’il avait choisi la couleur verte et qu’il venait de commencer à représenter un arbre, est venu annoncer que son arbre n’était pas « beau » et qu’il souhaitait recommencer. Il a alors été questionné sur les raisons pour lesquelles cet arbre ne lui plaisait pas et il en est ressorti qu’un arbre ne pouvait pas être entièrement vert puisque, « normalement », le tronc est marron. Il a donc constaté que ça ne correspondait pas à l’image qu’il avait dans la tête de ce à quoi ressemble généralement un arbre et ce constat l’a découragé.
Par opposition au constat de cet élève et dans le cadre d’une autre séance qui portait sur la représentation des émotions à travers le portrait, une élève (fine dessinatrice) a choisi de représenter une de ses camarades et le portrait réalisé lui ressemblait effectivement. Quand il lui a été demandé ce qu’elle en pensait, elle a fait part de sa satisfaction vis-à-vis de sa production, ce qu’elle a justifié en disant que ça ressemblait vraiment à sa camarade et que c’était bien ce qu’elle avait imaginé dans sa tête.
Ces interviews ont donc confirmé l’hypothèse selon laquelle, pour les élèves, et par opposition au « beau », est « laid » ce qui n’est pas conforme à la réalité aussi bien dans les formes que dans les couleurs et nous verrons plus tard comment dépasser cette dichotomie pour amener le jugement esthétique à être un incitateur d’une pratique artistique.

Le désintéressement, le découragement et l’ennui comme freins à la création

Nous avons vu que la conception erronée de la beauté chez les élèves était à l’origine d’un jugement manichéen contre productif : le « beau » et le « laid ». Cependant, il existe d’autres causes qui s’imposent comme des freins à la production artistique. Il peut s’agir du désintéressement, du découragement et de l’ennui.
Concernant le désintéressement des élèves vis-à-vis des activités liées aux enseignements artistiques, il est nécessaire, dans un premier temps, de se référer au Socle Commun de Connaissances, de Compétences et de Culture. Le domaine 1 du Socle nous rappelle « qu’aux arts plastiques et à l’éducation musicale revient prioritairement de les initier [les élèves] aux langages artistiques par la réalisation de productions plastiques et par le chant. »
De ce langage artistique va naitre une culture commune à l’ensemble des élèves concernés par le Socle, c’est-à-dire tout au long de leur scolarité obligatoire.
L’enseignement des arts va apprendre aux élèves à identifier des caractéristiques qui inscrivent l’œuvre dans une aire géographique ou culturelle ainsi que dans un temps historique précis : « Par l’enseignement de l’histoire des arts, il accompagne l’éducation au fait historique d’une perception sensible des cultures, de leurs histoires et de leurs circulations. »
C’est cette question de culture commune qui est ici concernée. Il est possible d’affirmer que l’art est, pour beaucoup, éloigné du concret, de la vie réelle et symbolise pour certains une incompréhension totale. Pourquoi s’intéresser à l’art ? Pourquoi l’art compterait-il autant que les enseignements tels que les mathématiques ou le français ?
Une majorité d’élèves sont détachés de cette culture artistique (puisqu’à la maison, on y porte guère d’intéret) et ne voient aucun avantage à s’y intéresser. Or, c’est bien là tout l’enjeu du Socle qui vise à faire entrer chaque individu dans une culture commune, avec des références et un vocabulaire communs.
Au-delà de la question du désintérêt, il y a celle du découragement. À ce titre, Jean-Marie Schaeffer (2015, p. 248) parle du « risque que l’objet sur lequel porte mon attention dépasse les capacités de mes ressources attentionnelles ». En effet, le risque court de mettre les élèves dans une position difficile qui est celle de la surcharge cognitive d’une part et face à une incompréhension telle qu’elle semble insurmontable d’autre part. Schaeffer rappelle que ce découragement nait d’une difficulté de traitement qui serait trop grande.
Une importance toute particulière est donc à mettre sur le choix des activités artistiques mises en place, qu’il s’agisse d’activités de pratique ou de découverte.
L’auteur précise que ce pôle de la relation attentionnelle, le découragement, sera « antihédonique », c’est-à-dire qu’il ne pourra pas engendrer de valence hédonique positive, donc de plaisir.
Il sera alors question pour les enseignants d’opérer des choix qui, non contents de mettre les élèves en position de réussite, leur permettra de s’adonner à des activités artistiques sans réticence.
Enfin, le troisième point qui sera traité dans cette partie sera celui de l’ennui. JeanMarie Schaeffer le compare au découragement en disant que si l’un constitue un risquede dépassement des capacités de chacun, l’autre, l’ennui, est le risque inverse qu’il neles engage pas assez.
Cet ennui qui, en l’occurence, concerne les domaines liés à l’art mais qui s’impose aussi à toutes les autres disciplines, va s’avérer être un phénomène contre- productif. En ne stimulant pas suffisamment les élèves, c’est-à-dire en sous-estimant leurs capacités cognitives et interprétatives, il sera difficile pour eux de s’engager avec volonté et motivation dans le processus créatif. Ainsi, Schaeffer parle d’une limite de la fluence qui n’est autre que l’ennui puisqu’à partir d’un certain degré de fluence, la courbe entre plaisir et fluence s’inverse.
Il s’agira alors de stimuler suffisamment les élèves pour les rendre curieux (cela sera développé en seconde partie de ce mémoire), sans pour autant les décourager en leur infligeant des activités qui engendreraient une difficulté de traitement trop grande.

Vers un jugement esthétique incitateur d’une pratique artistique

Dans cette seconde partie de notre étude, après avoir démontré en quoi le jugement esthétique pouvait s’imposer comme un frein à la création artistique, nous aborderons les raisons pour lesquelles ce même jugement esthétique peut devenir un incitateur d’une pratique artistique. Ainsi, nous proposerons des solutions ou des compléments aux problèmes rencontrés dans la première partie. Sera traité dans un premier temps l’éveil de la sensibilité des élèves en réponse à la qualification de l’esthétique comme une « donnée fondamentale de la sensibilité humaine » . Puis nous aborderons la nécessité d’amener les élèves à devenir de véritables spectateurs éclairés et nous verrons ensuite la question de l’ouverture à un autre type de beauté en réaction aux conceptions erronées de celle-ci. Nous nous intéresserons ensuite à l’importance du développement de la confiance en soi avant de terminer par l’éveil à la curiosité, phénomène opposé à celui de l’ennui

L’éducation à la sensibilité

Nous l’avons expliqué en introduction de cette étude, la sensibilité est l’essence même de l’esthétique. Jean-Marie Schaeffer (2015, p. 25) écrit que « l’expérience esthétique est un fait anthropologique ancré dans la vie vécue » et fait référence au sensible en rappelant que l’on entend « par expérience l’ensemble de nos connaissances sensibles », celles qui résident dans la « stimulation d’un organe sensible. »
Puisque la sensibilité est à la base de l’expérience esthétique, elle joue un rôle primordial dans la question du jugement. Pour faire du jugement esthétique un incitateur d’une pratique artistique, il s’agira donc avant tout d’éveiller la sensibilité des élèves. Mais comment y parvenir ?
Des documents d’accompagnement pour les cycles 2 et 3 en éducation artistique et culturelle rappellent l’importance du développement d’une « intelligence sensible ». La reconnaissance de cette forme d’intelligence est récente puisqu’elle date du Plan pour les arts et la culture à l’école de 2000 , de Jack Lang et Catherine Tasca. Dans ce Plan, était affirmé le rôle essentiel de l’« intelligence sensible » dans le développement de l’enfant, dans les apprentissages de l’élève et dans l’acquisition de compétences fondamentales aussi bien cognitives que méthodologiques et sociales. Il est précisé que « l’enfant ne peut connaitre un épanouissement équilibré que si son intelligence rationnelle et son intelligence sensible sont développées en harmonie et en complémentarité. »
La question reste la suivante : comment éveiller la sensibilité des élèves ? Pour y répondre, il convient d’abord de s’accorder sur le fait que la sensibilité sera développée différemment d’un élève à un autre, puisqu’elle est en lien avec le caractère et la vie de chacun.

Vers une posture de spectateur éclairé

Éveiller la sensibilité des élèves s’impose comme un pré-requis pour amener le jugement esthétique à devenir un incitateur d’une pratique artistique. Cependant, il sera parallèlement nécessaire de les amener à être des spectateurs éclairés afin de rendre le jugement esthétique fondé. Pour ce faire, il conviendra d’élargir leur connaissance de l’art par la découverte ou la redécouverte d’un panel d’œuvres d’artistes connus ou non des élèves. Il faudra accorder une importance toute particulière au développement de l’esprit critique, en lien direct avec le jugement esthétique, et pour cela, sera travaillé et établi un vocabulaire spécifique rendant possible une argumentation. Jean-Marie Schaeffer, dans L’Expérience esthétique, écrit :
De quiconque contemple un tableau ou un paysage, de quiconque écoute une pièce de musique ou se plonge dans un paysage sonore, de quiconque lit un poème ou voit un film, on dit couramment qu’il s’engage dans une expérience esthétique, à la simple condition qu’il s’adonne à l’activité en question sans autre but immédiat que cette activité elle-même. (2015, p. 11)
Ainsi, l’auteur nous rappelle que l’esthétique est une expérience du quotidien, qui intervient dans la plupart des activités humaines. Ces propos sont d’ailleurs soutenus par Goodman qui précise que « dès qu’il y a symptôme esthétique, il y a art, et dès qu’il y a art, il y a symptôme esthétique. »
Certes, nous ne pourrons pas contraindre les élèves à porter un jugement esthétique positif sur leurs productions. En revanche, il s’agira de les amener vers une posture de spectateur éclairé, posture qui leur permettra de faire émaner un jugement censé et argumenté sur leurs productions.
Dans cette optique, la priorité sera mise sur la découverte d’un important panel d’œuvres d’artistes qui élargira la culture de chacun. Par cette découverte, les élèves seront amenés à se rendre compte de la diversité des formes d’arts et des représentations. Ainsi, ils seront à même de comprendre qu’il n’y a pas une forme d’art et une forme de beauté. À ce sujet, Jean-Marie Schaeffer (2015, p. 198) rappelle que « dans l’expérience esthétique […] les stimuli traités sont extrêmement divers. […]
Cette diversité est non seulement celle des supports sémiotiques, mais aussi celle des types d’art, des genres, etc. » Il y aurait donc d’après lui des plaisirs esthétiques spécifiques à tel ou tel type d’art, d’où l’intérêt d’enrichir le répertoire artistique des élèves.
Parallèlement à l’enrichissement du répertoire artistique devra être développé l’esprit critique des élèves en lien avec la constitution d’un vocabulaire spécifique. Ainsi, en faisant découvrir aux élèves un panel d’œuvres d’art, seront mises en place des situations qui leur donneront l’occasion de partager leur avis sur celles-ci , d’émettre des critiques, positives ou négatives, en mettant en place un vocabulaire précis.
Ce vocabulaire concernera d’abord la forme : par exemple, le premier plan, l’arrière plan, la ligne de fuite, le format paysage/portrait, les différents procédés utilisés (acrylique, fusain, huile, encre, toile, panneau de bois, estampe, lithographie, etc.). Le vocabulaire relatif aux couleurs sera lui aussi développé avec l’identification de couleurs et de leur mode de répartition comme les couleurs chaudes, froides, ternes, estompées, les aplats ainsi que le vocabulaire dépendant des « styles artistiques » tels que le pointillisme, le dripping, etc.
Par le développement de ce vocabulaire, les élèves pourront porter un regard objectif sur les œuvres découvertes en classe et donc, ensuite, sur leurs propres créations. Ainsi, le jugement esthétique qu’ils porteront sera moins frontal, c’est-à-dire moins emprunt d’émotivité, plus réfléchi et amènera à une prise de recul nécessaire pour rendre ce jugement incitateur d’une pratique artistique. Dans l’idée d’amener les élèves à adopter une posture de spectateurs éclairés, Reber et Bullot parlent de « désautomatisation ». Pour eux, il faut contraindre le public à aller au-delà de l’attitude d’exposition de base à une œuvre, cette posture étant pour eux celle d’un spectateur naïf, et à s’engager dans une « attitude focalisée » sur la conception de l’œuvre (la compréhension de l’intention de l’artiste dans son contexte historique) et sur la compréhension artistique (le statut de l’œuvre dans l’histoire de l’art). Reber et Bullot traitent ici de l’adoption d’un « style analytique de traitement » dans la mesure où même le spectateur le plus naïf d’une exposition ou d’un musée possède toujours des croyances d’arrière-plan qui structurent sa précompréhension des œuvres.

L’ouverture à un autre type de beauté

Rappelons les dires de Jean-Marie Schaeffer (2015, p. 225) : « Des œuvres allant contre les principes de la bonne forme et plus généralement contre le canon classiciste – car en réalité, la bonne forme en question est bien celle de ce canon – existent à toutes les périodes de l’histoire de l’art et pas seulement à l’époque moderne. »
Nous l’avons vu dans la première partie de ce mémoire, les élèves ont inconsciemment en tête la notion de « bonne forme » puisqu’ils s’attachent la plupart du temps à se rapprocher au maximum de la réalité . Or, l’art ne doit plus être rattaché à ce canon puisque ses formes se sont démultipliées, jusqu’à voir apparaitre un « art sans art » dont parle Carole Talon-Hugon (2008, p. 86) pour qui « seuls comptent le geste, l’intention, le procédé. » L’auteure rappelle que l’art du XX ème siècle a défait le lien qui unissait l’art au beau (et Schaeffer de rappeler que ce détachement a bien été présent à toutes les époques de l’histoire de l’art), et ainsi, s’ouvrir à cet autre type de beauté, c’est donner l’occasion aux élèves de s’exprimer plus librement sans se contraindre à une représentation de la réalité.
Pour les amener à se détacher des codes, et dans la continuité d’une nécessaire posture de spectateur éclairé, il faudra amener les élèves à découvrir des œuvres qui s’opposent au réalisme omniprésent dans leurs images mentales. Pour traiter de ces œuvres, nous parlerons ici d’« anti-réalisme » par opposition à celles dont le but est la représentation formelle de la réalité.
Cette confrontation à l’« anti-réalisme » passera par la découverte d’œuvres d’art détachées de la réalité qui influeront sur la production artistique des élèves. Pour étayer ce propos, il convient d’expliquer l’évolution de la pratique artistique des élèves mis face à ce phénomène.

 

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Table des matières
Remerciements
INTRODUCTION 
1/ Le jugement esthétique, frein à la mise en œuvre de la pratique artistique
1.1. L’esthétique ou la « donnée fondamentale de la sensibilité humaine »
1.2. De la faculté de juger
1.3. La notion de beauté et ses représentations erronées
1.4. La dichotomie du « beau » et du « laid »
1.5. Le désintéressement, le découragement et l’ennui comme freins à la création
2/ Vers un jugement esthétique incitateur d’une pratique artistique
2.1. L’éducation à la sensibilité
2.2. Vers une posture de spectateur éclairé
2.3. L’ouverture à un autre type de beauté
2.4. L’éveil de la curiosité
2.5. Développement de la confiance en soi
CONCLUSION
Bibliographie
Annexes

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