Le journal télévisé, un créateur de représentations sociales sous contrainte

La télévision, un art du direct

Les premières réflexions sur la télévision sont essentiellement le fait « d’hommes du métier » issus des précédents médias, presse écrite, cinéma et radio. Les pionniers de l’analyse de la télévision sont surtout fascinés par la nouveauté technique qu’apporte ce nouveau médium : le direct. C’est dans cette innovation qu’ils voient la principale différence avec le cinéma. En 1946, Jean Thévenot, journaliste français et producteur d’émissions de radio et de télévision, déclare à ce sujet : « Enfin, plus de truquages, de coupures, de montage, de rattrapage, plus de vie mise en conserve, servie froide ou réchauffée. Enfin la vérité, toute nue et toute chaude ». Comme d’autres auteurs, écrivant à la même époque, le cinéaste Georges Freedland voit en elle une convergence technologique avant l’heure et déclare que « la télévision est en somme le cinéma parlant à domicile, et un moyen aussi immédiat que la radio pour transmettre au spectateur-auditeur un spectacle en même temps qu’on l’enregistre ». La télévision se positionne, alors, entre la radio proposant des images et le cinéma à domicile. Là est, aux yeux du photographe André Vigneau, l’essence de ce média « qui vous apportera toutes sortes de spectacles chez vous, [et] permettra à l’acteur, au conférencier, au musicien, au poète de se présenter et de ne s’adresser qu’à vous seul, de ne parler que pour vous, tout en s’adressant en même temps à mille autres confidents de sa pensée ».

Le document audiovisuel

La spécificité audiovisuelle

Nous venons de définir les images d’archives audiovisuelles comme des documents. Avant d’en faire des monuments, intéressons-nous à cette notion de document audiovisuel. Pour Bruno Bachimont, Directeur Scientifique à l’Institut National de ‘Audiovisuel, un document est : «un contenu institué par un acte de publication, inscrit sur un support matériel, et possédant une délimitation temporelle et spatiale ». À l’intérieur de cette définition générale, le document audiovisuel possède des caractéristiques propres. Parmi lesquelles :
Un support d’enregistrement chargé de préserver dans le temps, donc sous forme spatiale, un contenu correspondant à « un écoulement du temps ».
Une forme sémiotique temporelle. Le document ne fait sens que dans le recours à sa temporalité intrinsèque.
Ce document, à l’inverse du document papier, voit donc son support d’enregistrement différer de son support de diffusion. Autrement dit, vu, consulté, diffusé, il sera toujours le résultat d’une reconstitution effectuée par un dispositif technique.

La notice documentaire, sésame de la communication audiovisuelle ?

Nous considérons que la notice documentaire est aux images animées ce que le texte est à la parole, un phénomène de grammatisation. Le philosophe du langage, Sylvain Auroux, définit la grammatisation comme l’outillage d’une langue qui rend possible la matérialisation de la substance d’une expression en éléments matériels discrets et manipulables. Précisons tout de suite que, pour nous, les images animées ne constituent pas une grammaire, « l’image n’est pas un texte ». Et, comme l’explique Michel Melot, ancien Conservateur à la Bibliothèque Nationale, l’indexation, dans le cadre du service de documentation d’un journal télévisé « n’est pas celle de l’image mais de la question que l’on est susceptible de lui poser ». Or, la notice documentaire, résultat du travail d’analyse documentaire (étymologiquement de découpe en morceaux) correspond, en pratique, à des manipulations du contenu. Dans cette optique, elle peut, alors, être considérée comme fille de cette grammatisation en permettant, par la description textuelle des images animées, et leur indexation, tout autant textuelle, de rendre compte d’unités discrètes et manipulables. Ayant pour but de « servir » un discours journalistique, elle se révèle alors un « miroir » de ces pratiques.

La télévision, un géant social, un nain économique

À la différence de certains titres de la presse écrite, l’entreprise de presse audiovisuelle est toujours intégrée à une chaîne de télévision appartenant elle-même à une autre instance dont les objectifs poursuivis sont pour la plupart commerciaux. Pourtant, comme le précise Jean-Charles Paracuellos, dans son ouvrage sur l’économie des médias, à qui j’emprunte le titre de cette sous-partie, le poids des chaînes de télévision dans le tissu économique d’un Etat est très modeste. Car, dans aucun pays, la part de l’économie de la télévision dans le PIB ne dépasse 1% et ce, même si nous incluons les dépenses d’équipement des ménages dans ce calcul.
Jean-Charles Paracuellos souligne que : « L’extrême disproportion entre la place que la télévision est réputée tenir dans notre vie – et qu’elle prend effectivement dans les discours – et celle qu’elle occupe dans l’activité économique est même la première particularité qui frappe lorsqu’on entreprend de l’analyser sous l’angle économique ».
Effectivement, il est impossible d’analyser le discours tenu par la télévision sans prendre en compte les fortes contraintes économiques qui pèsent sur les conditions de fabrication des programmes de ce média. Si la pression économique de la rentabilité se comprend aisément pour les chaînes privées, le débat, initié en 2008, concernant la suppression de la publicité sur le réseau public français met en lumière les moyens financiers, somme toute assez limités, des diffuseurs de télévision quand on les compare à ceux d’autres entreprises de communication.

Collecte du matériel et politique de sélection

Collecte du matériel

Monté et mixé, le reportage est diffusé, via la régie, sur les ondes hertziennes et sur les réseaux de transmissions numériques. À l’époque de la constitution de notre corpus, la rédaction nationale du Six’ produisait, traitait et diffusait en analogique. Depuis 2006, la rédaction est entièrement numérisée, ce qui signifie, en théorie, une tendance à aller vers le « zéro cassette ». Cependant, que le matériel soit analogique ou numérique, les étapes de fabrication diffèrent peu ; la réalisation d’un sujet de journal télévisé correspond à une succession de choix et de sélections d’informations, dans un volume très important d’images et d’informations.
Actuellement, aucune chaîne nationale n’a la capacité technique nécessaire pour stocker, sur des serveurs, toutes les images qu’elle exploite et qu’elle reçoit. Les vidéos étant très demandeuses d’espace disque, les services de documentation procèdent nécessairement à une sélection dont la première étape est celle de la collecte du matériel avant que celui-ci ne soit effacé.
Depuis 2006, les matériaux issus de la rédaction : éditions, rushes, banques d’images internationales, sont gérés au niveau du serveur de production, Unity, qui est purgé tous les trois jours glissants. Reprenant la théorie des trois âges258, développée pour les archives administratives par l’archiviste français Yves Pérotin, le serveur Unity contient les « archives courantes » ; le Nearchive, serveur réservé uniquement au stockage, accueille les « archives intermédiaires » qui y sont placées par les documentalistes ; enfin, un autre serveur, le Deep archive, de capacité en théorie illimitée, devrait entrer en fonction à la fin 2008 et servira au stockage des « archives archivées ».

Politique de sélection

L’ensemble de ces documents, créés ou reçus par la rédaction mais également par le service de documentation en provenance des autres programmes du groupe, sont évalués et ensuite, parfois, documentés en fonction de la politique et des critères de sélection suivis par les documentalistes. Car il faut bien distinguer les deux, comme le précise Sam Kula qui fut Président de l’American Moving Images Archives. La première porte sur les décisions majeures « comme le choix de traiter ou non tel ou tel programme ». Les seconds, les critères de sélection que nous développerons ensuite, apparaissent au niveau « micro » de l’analyse des séquences d’images et non dans le choix de traiter ou non le programme.
La politique de sélection des services d’archives s’établit, au premier chef, en fonction des moyens disponibles toujours tant techniques qu’humains. En janvier 2007, le service de documentation de M6 compte une quinzaine de personnes dont onze documentalistes permanents. Chaque jour, trois documentalistes travaillent pour la rédaction. Deux se relaient sur la journée et sont rattachés au 12:50 et au Six’ du jour. Celui du « matin » (7h-16h) a en charge les recherches pour le 12:50 du jour et le traitement documentaire du Six’ de la veille. Celui de « l’après-midi » (11h-20h) effectue les recherches pour le Six’ et le traitement documentaire du 12:50. Aux éditions, il faut ajouter le matériel que nous avons évoqué précédemment, qu’il soit utilisé, produit ou reçu par la rédaction. Le troisième s’occupe des images internationales (Agences, échanges) reçues la veille. Le traitement documentaire des éditions se fait donc, pratiquement, simultanément à la diffusion des journaux.

Le potentiel de recyclage des archives

Une fois les droits gérés, il reste, parfois, une foule d’images potentiellement candidates à une réutilisation. Si seulement une ou deux séquences d’images correspondent à une requête, le documentaliste n’effectuera pas de sélection, il proposera les deux au monteur. Par contre, avant visionnage, s’il en existe plusieurs décrites de manières équivalentes, comment le choix se fera-t-il? Qu’il soit dans le descriptif, dans les champs, ou que ce soit un mot-clé, le texte ne permet souvent qu’une représentation grossière des images. C’est la raison pour laquelle les documentalistes utilisent des mots-clés outils « subjectifs ». Nous ajoutons le terme outil, car ces mots-clés ne désignent pas des objets, des actions ou des personnalités comme la grande majorité
des mots-clés dans les bases documentaires, mais ils matérialisent l’opinion de l’indexeur sur le potentiel de réutilisation de ces images.
Les mots-clés outils :Les mots-clés outils ne sont pas normalisés dans les manuels de technique documentaire et leur utilisation, ou même leur présence, est variable selon les services documentaires et les fonds disponibles. Ces mots-clés outils existent pourtant dans de nombreux services de documentation télévisuels et ils assurent le moyen d’indexer les images, non pas au niveau dénotatif ni même réellement connotatif mais, simplement pour servir une « efficacité de l’action » lors d’une recherche.
En ce sens, les mots-clés outils peuvent être vus comme des artefacts cognitifs. Selon Donald Norman, l’artefact cognitif est un «outil artificiel conçu pour conserver, exposer et traiter l’information dans le but de satisfaire une fonction représentationnelle». Les mots-clés outils sont alors compris comme des «amplificateurs des capacités humaines», en augmentant les performances, en termes de rapidité et de pertinence, des résultats de recherche.

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Table des matières

INTRODUCTION 
CHAPITRE LIMINAIRE – POUR UNE APPROCHE SÉMIO-PRAGMATIQUE DU RECYCLAGE DES IMAGES D’ARCHIVES 
1. RECHERCHES ET TÉLÉVISION
1.1. La télévision, un art du direct
1.2. Sémiologie et télévision
1.3. Pour une sémio-pragmatique de la télévision
2. LA TÉLÉVISION, UN UNIVERS DE GENRES 
2.1. Ligne éditoriale entre contrat et promesse
2.2. Le dispositif, comme outil d’analyse
2.3. Dispositif et promesses du Journal Télévisé
2.4. La promesse du Six’
3. LES IMAGES ET LEUR RECYCLAGE 
3.1. Les fonctions de l’image de presse chez Eliseo Veron
3.2. Images d’archive(s)
3.3. Le document audiovisuel
3.4. La citation comme phénomène de recyclage
4. EN CONCLUSION, DES ARCHIVES AU SERVICE DE LA RECHERCHE 
CHAPITRE 1 – CONTRAINTES DE PRODUCTION ET PREMIÈRES SÉLECTIONS
1. LA TÉLÉVISION, UN GÉANT SOCIAL, UN NAIN ÉCONOMIQUE 
1.1. L’entreprise de presse
1.2. Le journal télévisé, entre coût et rentabilité
1.3. Le terrain d’étude, la Rédaction nationale du Six’
2. DE L’ÉVÉNEMENT AU SUJET
2.1. Le choix de l’événement et la ligne éditoriale
2.2. Définir l’événement médiatique
2.3. Les sources d’informations
2.4. Les sources d’images
2.5. La sélection de l’événement
3. DU SUJET AU REPORTAGE, LA MISE EN IMAGES
3.1. Des spécialistes au JRI
3.2. Le tournage
3.3. Le dérushage
3.4. Le montage
3.5. Le mixage
4. EN CONCLUSION, DE L’URGENCE AUX ARCHIVES
CHAPITRE 2 : COMMUNICATION DOCUMENTAIRE ET COMMUNICATION JOURNALISTIQUE
1. COLLECTE DU MATÉRIEL ET POLITIQUE DE SÉLECTION
1.1. Collecte du matériel
1.2. Politique de sélection
1.3. Patrimoine et pérennité du support
2. LA TYPOLOGIE DES RECYCLAGES DU SIX’
2.1. Répondre à quelles recherches ?
2.2. Les reportages recyclant
2.3. Les images recyclées
2.4. Le Glissement de catégorie
2.5. Conclusion de la typologie des recyclages
3. UN TRAITEMENT DOCUMENTAIRE VOUÉ À L’EFFICACITÉ, DANS L’URGENCE
3.1. Répondre aux requêtes
3.2. Le catalogage
3.3. Voyage au cœur de la notice documentaire
3.4. Le descriptif
3.5. L’indexation
4. LE POTENTIEL DE RECYCLAGE DES ARCHIVES
4.1. Les mots-clés outils
4.2. Critères liés au sujet de l’image
4.3. Le cas Serge Gainsbourg
5. EN CONCLUSION, DES ARCHIVES À LEUR RECYCLAGE
CHAPITRE 3 : ARCHIVES ET REPRÉSENTATIONS DU MONDE
1. UN RECYCLAGE DE PLUS EN PLUS PRÉSENT ?
2. IMAGES D’ARCHIVES ET INFÉRENCES
2.1. Montrer la citation
2.2. Pertinence et coût cognitif
3. ENTRE PERTINENCE ET VRAISEMBLANCE, UNE CONSTRUCTION DU MONDE
3.1. Problème de la réutilisation invisible : conférence de Bagdad
3.2. L’archive, le documentaliste et la déontologie
3.3. Des journalistes poètes ou historiens ?
3.4. Archives, stéréotypes et clichés
4. LA FONCTION RÉFÉRENTIELLE DES ARCHIVES, DE L’INDICE AU SYMBOLE
4.1. Un indice ?
4.2. Une icône ?
4.3. Un symbole ?
4.4. Stéréotypie et symbolisme : la disqualification de la réalité ?
4.5. Etude de cas : Omayra Sanchez et la valeur symbolique des images
5. LES IMAGES D’ARCHIVES, LE JOURNAL TÉLÉVISÉ ET NOUS
5.1. L’influence du recyclage sur nos représentations
5.2. Une position déterministe ?
5.3. L’homogénéisation de l’imaginaire social, une chance ?
5.4. Un créateur de conversations
6. EN CONCLUSION, LA FIN DU JOURNAL TÉLÉVISÉ ?
CONCLUSION GÉNÉRALE
1. DES REPRÉSENTATIONS SOUS CONTRAINTES
2. PERSPECTIVES
BIBLIOGRAPHIE

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