Le jeu : un outil pédagogique au service des apprentissages en mathématiques

La classification des jeux

             Il existe différentes classifications selon les approches prises par diverses auteurs : anthropologique, psychologique, psychopédagogique, historique, etc. Ici, sont présentées deux classifications en lien avec le développement de l’enfant. En 1945, Jean Piaget a établi une classification dite génétique en lien avec les stades du développement de l’enfant :
– les jeux d’exercice;
– les jeux symboliques ;
– les jeux à règles.
En 2002, la classification selon le système ESAR mise en place par la psychopédagogue Denis Garon s’appuie sur les recherches en psychologie cognitive de Jean Piaget. Cette approche comprend un plan psychologique et pédagogique par une compréhension du rôle du jeu, ainsi que de son évolution, au cours du développement de l’enfant. Elle aborde le jeu sous 6 dimensions différentes :
– la catégorisation des jeux proposée par Jean Piaget d’où provient le nom du système ESAR:
– les jeux d’Exercices correspondant aux exercices sensori-moteurs qui sont réalisés pour le plaisir du résultat immédiat ;
– les jeux Symboliques comme les jeux d’imitations ou les jeux impliquant des rôles sociaux;
– les jeux d’Assemblages tels que les jeux de construction et de montage;
– les jeux de Règles incluant notamment les jeux de stratégies, les jeux sportifs.
– Les autres dimensions sont vues comme des indicateurs: les habiletés cognitives, motrices et langagières, ainsi que le développement social et affectif.
Toutes ces dimensions permettent d’orienter les enseignants sur le choix d’un jeu pour développer des compétences précises (cf. Jouer à l’école : socialisation, culture, apprentissages. 2006. Jean-Pierre Sautot. CRDP de Grenoble.).

La présence du jeu dans les instructions officielles de l’école primaire

                  Dès 2014, la ministre de l’Education nationale a présenté un dossier sur la « Stratégie mathématique », dans lequel est souligné l’importance de se saisir des jeux dans les situations d’apprentissages afin de travailler sur la stratégie, sur le raisonnement et d’enrôler les élèves dans cette discipline. Ce document rappelle également l’intérêt de proposer des problèmes sous des formes variées. Cependant, la place du jeu ne semble pas uniforme au fur et à mesure de l’avancement dans les cycles de l‘école primaire. Au cycle 1, le jeu est cité à plusieurs reprises dans les programmes de l’école maternelle de 2015 et apparaît comme un outil pédagogique central dans les apprentissages des différents domaine (cf. BOEN spécial n°2 du 26 mars 2015). Pour les cycles 2 et 3, les programmes officiels du 26 novembre 2015 de l’école élémentaire mentionnent le jeu très clairement dans le cadre du champ d’apprentissage 4 de l’éducation physique et sportive sur les jeux traditionnels, collectifs, pré-sportifs, de lutte ou de raquettes. Cependant, le terme de jeu n’est mentionné que ponctuellement dans d’autres enseignements (français, musique, langues vivantes, enseignement moral et civique, et mathématiques) et dans le cadre d’apprentissages précis : jeux phonologiques, jeux de rôles, jeux d’identification de formes géométriques, etc. (cf. BOEN spécial n°11 du 26 novembre 2015). En complément des nouveaux programmes, Eduscol a publié en 2015 le document « Jouer et apprendre – Cadrage général » contenant des ressources sur les modalités de jeu à l’école maternelle. Il explicite l’intérêt de proposer des jeux libres aux élèves, qui permettent d’enrichir leurs représentations initiales. Les jeux structurés sont présentés ensuite, soutenus par un apprentissage explicite. Les séances d’enseignements doivent passer par différentes phases : mise en situation, action, retour sur l’action et un trace pour formaliser les savoirs formulés par le dispositif et d’actualiser les représentations initiales de l’élève. Un document « Ressources de 2016 » nommé « Les mathématiques par les jeux » a aussi été publié par Eduscol à destination des classes de cycle 3 et 4. A notre connaissance, aucune ressource ne traite de l’utilisation du jeu en mathématiques dans le cadre du cycle 2.

Les intérêts et les questionnements sur l’introduction du jeu en classe

                  En maternelle, jeux et apprentissages sont associés avec une certaine évidence. Mais, arrivées en élémentaire, ces activités ludiques sont souvent remplacées par des activités plus formelles. Or, de nombreuses études démontrent l’intérêt de poursuivre l’enseignement par le jeu. L’enseignant débutant remarque assez rapidement qu’un élève ne peut s’engager dans une tâche sans motivation. Or, selon Richard De ci on distingue deux types de motivations: la motivation extrinsèque, qui est liée à l’intention d’obtenir la conséquence d’une réussite (comme une bonne note ou la satisfaction d’un adulte), et la motivation intrinsèque qui est liée à l’intérêt que porte l’enfant pour le sujet. C’est cette dernière qui nous intéresse car elle est beaucoup plus profitable sur le long terme, plus constructive et surtout elle est mobilisable par chaque élève. Cette motivation peut être réveillée par le sens donné à la situation d’apprentissage car l’enfant comme tout individu s’intéresse à la finalité de ses agissements. On peut penser que cette quête de sens est elle-même motivée par le besoin d’accomplissement personnel, ce qui nous amène à envisager les autres besoins fondamentaux de l’être humain, selon Abraham Maslow. Dans le cadre scolaire, l’enfant peut également satisfaire des besoins sociaux, d’estime et de sécurité. Par l’observation, on remarque que si l’intérêt de l’élève n’est pas conquis, il trouve alors des prétextes pour éviter la situation, il devient spectateur des actions menées par les autres, ou s’installe dans le refus. Lorsque J.Bruner désigne l’enrôlement comme une des six fonctions de l’étayage de l’enseignant, il souligne l’importance de l’adhésion de l’élève dans la tâche. La motivation de l’enfant est donc primordiale pour l’apprentissage de nouvelles notions. Or, comme l’annonce le plan sciences et techniques à l’école, paru en 2011, le jeu offre à l’élève et à l’enseignant un terrain favorable pour donner du sens à des concepts mathématiques. Le savoir est alors au service du gain du jeu, il y a donc un objectif autre que le simple fait d’apprendre. L’élève n’est plus seulement apprenant : il est à la fois acteur au sein du jeu et acteur de son apprentissage. C’est d’ailleurs l’alliance entre langage et action qui va permettre à l’élève de construire du sens. Selon Idriss Aberkare, « notre cerveau est conçu pour l’action », ce qui nous amène à penser que l’élève sera d’autant plus impliqué dans une activité en tant que protagoniste. D’autres éléments permettent d’engager l’enfant dans l’action, comme les interactions, inhérentes au jeu, et qui participent à l’attrait de l’activité. Elles permettent de satisfaire son aspiration à l’appartenance à un groupe et à l’expression. Le jeu tient ainsi un rôle social, mais pas seulement. L’enfant joue depuis toujours, c’est donc une situation familière qui peut rassurer un enfant dans l’apprentissage des mathématiques. Le jeu joue alors un rôle sur le plan affectif et tend à le sécuriser. Et dans son aspiration à la reconnaissance, l’élève va à travers le jeu développer son autonomie et valoriser ses compétences. Ainsi le jeu permet de faire appel à la motivation intrinsèque des élèves en satisfaisant ses besoins personnels. Le plaisir est également un facteur essentiel de motivation que le jeu apporte par l’amusement, le partage, l’imaginaire mais aussi par le développement de stratégies conduisant à la réussite. L’enfant a notamment beaucoup de plaisir à inventer des règles comme il lui plaît de les transgresser. Au-delà de la motivation, il est important d’avoir l’engagement total de l’élève, et pour cela, il est nécessaire de tenir compte de ses représentations. Or, on sait que celles-ci sont déterminées par les conceptions que l’enfant a de l’environnement scolaire et de l’intelligence. Elles sont également déterminées par les perceptions qu’il se fait de lui-même, des autres et de l’activité proposée par l’enseignant. Des représentations négatives peuvent être un frein dans les apprentissages. Le jeu peut permettre de contourner certaines représentations, car comme le souligne Catherine Valiant, il apporte une forme de sécurité affective et en introduisant la notion de plaisir dans le cadre de l’école. D’ailleurs, selon Donald Winnicott, le jeu offre une aire intermédiaire permettant d’aller vers l’acceptation de la réalité, ce qui pourrait soulager certains élèves qui sont en opposition face aux contraintes du système scolaire. Mais il est possible aussi que le jeu amène certains comportements contrariants, comme par exemple l’esprit de compétition et l’emportement. Ainsi le jeu n’apporte pas toutes les solutions, il est nécessaire de travailler sur le cadre, sur le climat général de la classe, sur la cohésion de groupe et sur tous ces éléments qui vont permettre à chaque enfant de réunir les facteurs de la motivation scolaire. Pour l’enseignant, le jeu est aussi un support riche, puisqu’il mobilise des stratégies, alliant langage et actions choisies. Il permet ainsi de travailler sur plusieurs champs d’apprentissages et sur des savoir-faire et savoir-être transversaux, comme la concentration, l’imagination, la rigueur, le sens de l’effort, la confiance et l’estime de soi, la curiosité, qui sont au service du développement personnel de l’enfant. Ainsi sur le plan des apprentissages, le jeu offre à l’enseignant de multiples raisons de s’en emparer pour aborder les mathématiques en classe. Les jeux permettent une grande diversité de situations, qui de plus, peuvent évoluer facilement, en modifiant certains paramètres comme le temps, les supports, les règles, etc. D’ailleurs, selon Catherine Valiant, cette diversité est au service du développement cognitif et moteur de l’enfant, car il peut ainsi expérimenter de multiples expériences qui vont enrichir ses fonctions motrices et mentales, mais aussi ces facultés morales. Il semble donc important d’introduire le jeu dans l’environnement de la classe. Mais comment faire pour qu’il quitte le statut de loisir et devienne un support d’apprentissage ? Du point de vue de l’enfant, le jeu intervient dans plusieurs environnements : à l’école, parfois au périscolaire et à la maison. Il représente donc un lien entre ces différents espaces, publics et privés. Jacques Henriot souligne la logique qui différencie ces espaces. En famille l’enfant s’inscrit dans une logique de l’amour alors qu’à l’école, il s’inscrit dans une logique du savoir. Ainsi le jeu ne peut pas tenir le même rôle auprès de l’enfant, la finalité ne sera pas la même. Il doit dans le cadre scolaire servir des apprentissages. En maternelle, le jeu libre est très employé pour les jeux symboliques et les jeux de construction, notamment pour développer l’imagination et l’autonomie. Mais l’enseignant profite souvent de ces jeux libres pour glisser vers des jeux plus structurés pour orienter les apprentissages. L’enseignant en élémentaire peut s’inspirer de cette pratique, en installant un coin jeu offrant des activités libres et ludiques à ces élèves. Il pourra ainsi profiter, durant l’année, d’un des jeux comme situation de référence pour un apprentissage spécifique. Les temps d’ateliers peuvent également être l’occasion d’offrir aux élèves des moments de jeux libres. Il faut ensuite que l’enseignant s’interroge sur la place que prendra le jeu dans sa séquence. Sera-t-il simplement le point de départ pour soulever une situation problème ? Accompagnera-t-il une séquence pour s’exercer et consolider des apprentissages ? Sera-t-il l’objet d’une évaluation ? Il semble important également de tenir compte de tous les paramètres de l’activité jeu lorsqu’elle s’inscrit dans un objectif. L’enseignant doit anticiper les règles, le matériel, les modalités de jeu (espace, rôles, durée), les résultats, les actions attendues, la différentiation à apporter, la mémoire du jeu et les variantes possibles. L’enseignant doit également préparer son positionnement dans l’activité. Sera-t il observateur, participant ou maître du jeu ? Il a dans tous les cas un devoir de cadrage, d’enrôlement et d’explicitation.

Le processus de dévolution d’une situation adidactique

                Afin de conduire au développement des connaissances et des stratégies par les élèves, l’enseignant est amené « à faire dévolution à l’élève de la situation adidactique qui provoque chez lui l’interaction la plus indépendante et la plus féconde possible » (Guy Brousseau, TDS, 1998, p.60). Il définit la dévolution comme «l’acte par lequel l’enseignant fait accepter à l’élève la responsabilité d’une situation d’apprentissage (adidactique) ou d’un problème et accepte lui même les conséquences de ce transfert » (Guy Brousseau, TDS, 1998, p.303). Dans le cadre du jeu, le processus de dévolution se réalise au travers de 5 étapes :
– une « approche purement ludique » : l’élève joue et prend plaisir à réaliser les actions associées au jeu. Cependant, il n’a pas encore conscience des comportements souhaitables pour gagner le jeu.
– la « dévolution d’une préférence » : l’élève a identifié les effets souhaités (au  travers des situations de jeu) mais il les attribue au hasard, ce qui peut être le cas de certains jeux.
– la « dévolution d’une responsabilité et d’une causalité » : lors de cette étape, l’élève accepte la responsabilité de ses choix et identifie un lien de causalité entre ses décisions et les résultats obtenus. Lors de cette étape, les élèves peuvent être en mesure d’analyser que la situation de jeu aurait pu être différente en ayant recours aux souvenirs de précédentes parties vécues qui leur aurait permis de déterminer si leur choix était pertinent ou non.
– la « dévolution d’anticipation » : l’élève va prendre par une posture réflexive afin d’anticiper de l’effet ses actions avant de prendre une décision : il va envisager les situations et les conséquences possibles.
– la « dévolution de la situation adidactique » : cette étape permet de faire prendre conscience à l’élève que certaines situations sont reproductibles et applicables à d’autres contextes de jeu (Guy Brousseau, TSD, 1998, p.62-64).
Dans sa thèse, Nicolas PELAY avait pour hypothèse et conclut que les situations de jeu favorisent la dévolution. En effet, il rappelle que le jeu permet l’investissement des enfants dans la recherche de stratégies ou l’interaction avec des pairs pour comprendre la situation ou s’approprier des stratégies (Nicolas Pelay, 2010).

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Table des matières

1- INTRODUCTION
2- CADRAGE THEORIQUE
2-1 GENERALITES SUR LE JEU
2-1-1 Le jeu : origine du mot, définition
2-1-2 La classification des jeux
2-1-3 La place du jeu dans l’évolution de l’enfant
2-2 LA PLACE DU JEU A L’ECOLE
2-2-1 La présence du jeu dans les instructions officielles de l’école primaire
2-2-2 Les compétences mathématiques visées par ce travail de recherche
2-3 LES INTERETS ET LES LIMITES DU JEU
2-3-1 Les intérêts et les questionnements sur l’introduction du jeu en classe
2-3-2 Les points de réflexion et les limites de l’introduction d’un jeu en mathématiques
2-4 QUELQUES ELEMENTS DE CADRES D’ANALYSE DIDACTIQUE
2-4-1 La situation adidactique et le contrat didactique
2-4-2 Le processus de dévolution d’une situation adidactique
3- LES ASPECTS METHODOLOGIQUES
3-1 LE CONTEXTE D’UTILISATION DU JEU
3-2 LA CONCEPTION DU JEU
3-2-1 Les origines du jeu
3-2-2 Matériel
3-2-3 Règles du jeu
3-2-4 Le recueil des données en classe et les mémoires de jeu
4- LA MISE EN ŒUVRE DANS LA CLASSE
5- L’ANALYSE A PRIORI DU JEU EN CLASSE
6- ANALYSE DE LA MISE EN ŒUVRE DU JEU VECUE EN CLASSE
6-1 LES LIMITES DU DISPOSITIF MIS EN PLACE
6-2 LES DIFFERENTS PROFILS DE DEVOLUTION DES ELEVES EN LIEN AVEC LE DEVELOPPEMENT ET L’EVOLUTION DE STRATEGIES
6-2-1 La « dévolution purement ludique » au cours du dispositif
6-2-2 Le passage d’un « dévolution purement ludique » à une « dévolution de préférence »
6-2-3 La construction de la « dévolution de responsabilité et de causalité » ou d’un principe de précaution (formulation personnelle adaptée à la situation étudiée)
6-2-4 L’acquisition de la « dévolution d’anticipation»
6-3- LES DIFFICULTES ET LES ECARTS RENCONTRES AVEC L’ANALYSE A PRIORI
6-3-1 La maitrise des faits numériques additifs et de procédures opératoires : une limite sur la rapidité du jeu
6-3-2 La notion d’écart et la soustraction: une source d’incompréhensions pour le déroulement du jeu et une limite au développement de stratégies
6-3-3 Le hasard : une entrave au passage de « la dévolution de préférence » à « la dévolution d’une responsabilité et d’une causalité »
6-3-4 La culture du jeu et la sous-estimation des difficultés des règles choisies pour le niveau CP
6- 4- L’IMPACT DU MILIEU ET DE L’ENSEIGNANT SUR LE DEVELOPPEMENT DES STRATEGIES
6-4-1 L’impact du milieu
6-4-2 L’impact de l’enseignant
6-5- L’ANALYSE DU QUESTIONNAIRE DE POSITIONNEMENT DES ELEVES A LA FIN DE LA SEQUENCE 
6-6- LES EFFETS DE LA MISE EN PLACE DE LA SITUATION DE JEU SUR L’ENSEIGNEMENT DES MATHEMATIQUES
6-7- LES PROLONGEMENTS
6-7-1 La poursuite du dispositif avec les règles CP
6-7-2 Le passage aux règles destinées aux CE1
6-7-3 Une variable didactique : les dés
7- CONCLUSION
8- L’ANALYSE DE CROISEE DU TRINOME
9- BIBLIOGRAPHIE
10- ANNEXES

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