Comment peut-on définir le jeu pédagogique ?
Qu’est-ce que le jeu ?
Lors de mes expériences de jeu en classe du début de l’année scolaire, j’ai pu constater que si certaines des activités ludiques que je mettais en place semblaient favoriser la motivation de mes élèves, d’autres ne la favorisaient pas du tout. J’ai alors compris qu’il est facile de se méprendre sur la nature du jeu, car certaines situations que l’on voudrait ludiques ne sont en fait que des exercices. En effet, quand on utilise un jeu pour le transformer en jeu pédagogique, on peut le dénaturer et cela peut engendrer la perte des éléments constitutifs du jeu. Pour de nombreux chercheurs, cet équilibre entre jeu et apprentissage est au cœur de la problématique du jeu pédagogique. Brougère met en garde contre cette difficulté à laquelle je me suis trouvée confrontée : il existe « une propension qu’il ne faut pas sous-estimer à la domination d’une forme éducative peu compatible avec l’ensemble des caractéristiques du jeu » . Vincent Berry, qui a mené une étude théorique sur les rapports entre jeu et éducation, fait ce constat : « Plus on cherche à évaluer et à pédagogiser l’activité ludique, plus le jeu disparait. A l’inverse, plus on laisse l’activité dans sa dimension ludique, moins l’apprentissage est visible. ». Ces constats nous amènent à chercher une définition du jeu qui nous permettrait de nous aiguiller sur ce qui relève du jeu et ce qui relève de l’exercice. Brougère analyse un jeu comme : « une activité de second degré constituée d’une suite de décisions, dotées de règles, incertaine quant à sa fin et frivole car limitée dans ses conséquences. » . Le second degré désigne le faire-semblant. Dans son ouvrage Jouer/apprendre, Brougère cite l’exemple d’animaux ou d’êtres humains qui jouent à se battre, pour expliquer que ce qui fait que le combat est joué est la présence d’une métacommunication qui change la signification de comportements pourtant très similaires. Cela signifie que deux situations de combat et de combat-jeu ne se distinguent que par la conscience qu’ont les animaux du fait que le combat soit simulé, par l’émission de signaux qui l’indiquent. Ainsi, pour qu’une activité soit un jeu, il faut que tous les joueurs soient conscients que l’activité est fictive (et pour les animaux, il faut qu’ils soient capables de véhiculer et de comprendre cette métacommunication). Louise Sauvé, Lise Renaud et Mathieu Gauvin ont travaillé à l’analyse de la littérature scientifique sur le jeu dans l’apprentissage. Dans leur étude, qui analyse la recherche sur le jeu dans l’apprentissage, ils nous apprennent que les attributs essentiels du jeu, si nous le dissocions de la simulation, sont : « le ou les joueurs, le conflit, les règles, le but prédéterminé du jeu et le caractère artificiel. ». Des différences peuvent toutefois intervenir suivant les théoriciens du jeu, avec par exemple le caractère artificiel qui peut au contraire être remplacé par la notion de réalité.
Ainsi, dans le but de mettre en place des jeux pédagogiques dans nos classes, nous devrons nous assurer que nos situations didactiques ludiques soient dotées de ces éléments.
Un exemple de jeu pédagogique
Prenons l’exemple d’un jeu que nous pourrons appeler « Bataille multiplicative ». Pour jouer à ce jeu, nous devons disposer de cartes sur lesquelles sont inscrites les tables de multiplications, sans les réponses. Une partie se joue en commençant par distribuer le même nombre de cartes aux joueurs, faces cachées. Ceux-ci devront les retourner tous en même temps, et chacun annoncer le résultat de sa carte. Celui qui aura le plus grand résultat remportera les cartes de chaque joueur. Les élèves qui n’ont plus de cartes ont perdu. L’élève qui récupère toutes les cartes est le vainqueur. Cette activité peut être désignée comme un jeu car elle est située dans un contexte du second degré, dans le sens où cette « bataille » est bien évidemment fictive, et les joueurs « gagnants » et « perdants » ne le sont que le temps d’une partie. Nous pouvons ici noter que les décisions sont absentes de ce jeu, car les élèves doivent jouer à jeu fermé. Nous pouvons penser que malgré cela, nous pouvons classer cette activité parmi les jeux car malgré ce manque elle reste très proche de ce que nous considérons comme des jeux. De plus, pour définir le jeu, il faut partir de toutes les activités que nous considérons comme des jeux pour trouver ses caractéristiques et les organiser dans une définition. Eliminer des jeux tout ce qui ne correspondrait pas exactement à notre définition, qui est forcément limitée et perfectible, serait une erreur. Bergson nous dit d’ailleurs à propos de son analyse qu’il « ne s’agit pas de délimiter ce qui est jeu de ce qui ne l’est. Il me semble que plus que trancher, distinguer entre le jeu et les autres activités, ces critères permettent de comprendre les logiques des activités qui peuvent être dénommées « jeu » ou qui sans l’être peuvent en être proches. » .
Un exemple de non-jeu pédagogique
A l’inverse, une activité qui peut s’apparenter à un jeu mais qu’il est plus facile de rejeter de cette catégorie sont par exemple les jeux dits « pinces à linge », c’est-à-dire une activité qui consiste à lire un exercice de type questionnaire à choix multiple sur une carte en plaçant une pince à linge sur la réponse choisie, puis à retourner la carte pour vérifier sa réponse. Bien que cette activité présente de nombreuses qualités pédagogiques, comme la capacité à s’autocorriger et donc à développer des compétences métacognitives et son autonomie, il ne correspond pas du tout au profil d’un jeu.
En effet, le joueur n’est pas plongé dans un univers du faux, où ses actions seraient sans conséquence. Il s’agit d’une activité où son erreur sera la preuve de ses difficultés, ce qui n’a rien de frivole même si l’enseignant s’est efforcé de valoriser le statut de l’erreur. Si l’on compare avec le jeu précédent, l’erreur sur les multiplications n’implique pas de perdre la partie, mais il peut idéalement impliquer un conflit sociocognitif et une explicitation de la procédure correcte par un autre élève. Un conflit cognitif est une situation dans laquelle un apprenant éprouve une perturbation suite à la confrontation de deux informations contradictoires qu’il tient pour vraies. L’apprenant va alors « rechercher un nouvel équilibre cognitif qui tiendra compte des informations perturbantes ». Ce conflit cognitif est appelé « social » s’il provient de la communication avec autrui (un pair ou un enseignant). Ce mécanisme permet donc aux individus de « faire évoluer leur système de connaissances » par la décentration et l’interaction entre pairs. Dans l’activité des pinces à linge, l’incertitude quant à la fin de l’activité est seulement liée au niveau de maitrise de la notion par l’élève.
L’exemple des jeux vidéo éducatifs
Parmi les jeux pédagogiques, nous pouvons mentionner les jeux vidéo éducatifs qui peuvent apporter de nombreux éléments à notre analyse. Lors de la montée en puissance du jeu vidéo dans les années 1980, l’utilisation du jeu vidéo comme média éducatif est apparu. Avec elle, deux types de mécanismes de jeu se sont distingués. D’un côté, nous pouvons trouver des jeux qui ont été construits en reproduisant une forme scolaire traditionnelle, avec notamment : « [des] découpages des savoirs sous formes d’ateliers didactiques », « [la] présence d’un personnage qui fait figure de « maitre d’école » » et « [une] scénarisation et séquençage de savoirs scolaires : mathématiques, grammaire […] » . Ces formes de jeux vidéo peuvent entrainer la perte de la motivation des apprenants, qui pourront trouver que la part des apprentissages empiète sur la part de jeu. Comme le dit Vincent Berry, « les élèves ne sont pas « dupes » des logiques éducatives en amont […], ils reconnaissent l’école et les logiques didactiques dans le produit. ». Dans le jeu de la figure 1 , par exemple, le joueur doit sauter sur l’adjectif parmi les trois mots proposés : soleil, cinq, visage. On peut se questionner sur l’intérêt du médium pour ce type d’exercice. Dans le jeu de la figure 2, le joueur doit placer les formes au bon endroit. La consigne est donnée par la souris en bas à gauche. Ce jeu vidéo est à destination des enfants de petite section de maternelle, soit trois ans environ. La manipulation de vrais objets de formes différentes semble préférable à l’utilisation de ce média. Par contraste, nous pouvons citer les jeux vidéo éducatifs qui ne prennent pas cette forme. Il existe notamment des jeux qui prennent avantage de l’outil vidéoludique en créant un gameplay permettant de travailler certaines compétences chez les apprenants. Le jeu de la figure 3 a pour but de détruire des vaisseaux avant qu’ils n’atterrissent. Il sert à s’entrainer au calcul mental rapide, car les joueurs détruisent les vaisseaux en trouvant les résultats aux quatre opérations. Pour conclure si les apprentissages à l’école doivent être en adéquation avec le programme scolaire, les jeux doivent être en adéquation avec l’envie du joueur de les pratiquer. En effet, si un jeu éducatif ne procure pas suffisamment de plaisir aux apprenants, les apprenants se détournent de ces jeux et ne bénéficieront pas des enseignements qu’ils pourraient en tirer. En partant de ce constat assez ambivalent, nous pouvons nous demander si le jeu peut apporter quelque chose s’il est utilisé à l’école.
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Table des matières
Introduction
Le jeu pédagogique favorise-t-il les apprentissages ?
1. Comment peut-on définir le jeu pédagogique ?
2. En quoi l’utilisation du jeu est-elle bénéfique à l’école ?
3. Quelles sont les limites du jeu et ses alternatives pour motiver les élèves ?
Comment utiliser le jeu pour différencier ?
1. Méthodologie
2. Questionnement préalable
3. Mise en œuvre des expériences
4. Les avantages et les inconvénients
5. Résultats
Conclusion
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES