Les conséquences de la diversité des profils en classe
Maintenant que les notions théoriques ont été expliquées, il est désormais temps de les mettre en lien avec ma pratique de classe pour rendre plus significatifs ces concepts abstraits. Nous avons vu précédemment que chaque individu possédait un panel de huit intelligences développées de manière personnelle. Celles-ci ne résultant ainsi pas que de l’origine sociale bien qu’elle y participe toutefois.
Dès lors, cette hétérogénéité crée de véritables décalages dans les activités du quotidien. En effet, lorsqu’un élève termine un problème de mathématiques en deux minutes alors même que son voisin n’a pas déchiffré l’énoncé, il est complexe de combler les attentes de l’un en matière d’enrichissement supplémentaire et de l’autre en termes d’accompagnement au cours de la tâche. « Une classe hétérogène peut désigner une classe où l’écart entre la rapidité des uns et la lenteur des autres est très grand. Ce peut être aussi celle où il existe un écart important entre le nombre de faibles et le nombre de bons élèves » . Ce tiraillement est 13 d’autant plus accentué par le fait que la majorité des classes sont composées de 20 à 30 élèves en moyenne.
Il est alors indispensable aux enseignants de prendre en compte la diversité de leurs élèves dans leur pédagogie pour proposer différentes approches adaptées à tous les profils. Cette exigence va se manifester par le concept de différenciation vulgarisé par Louis Legrand en 1975, aujourd’hui au cœur des recommandations officielles. « Accompagner au mieux les élèves dans les apprentissages et leurs progrès est une obligation inscrite dans les programmes et le référentiel des professeurs. La différenciation pédagogique constitue une réponse professionnelle incontournable pour articuler ces deux dimensions, réduire les inégalités et favoriser la réussite de tous les élèves. »
Mais l’enjeu de cette démarche n’est pas de mettre en place une pédagogie individuelle spécifique à chaque élève, il consiste plutôt « à mettre en œuvre un ensemble diversifié de moyens et de procédures d’enseignement et d’apprentissage afin de permettre à des élèves d’âges, d’aptitudes, de compétences et de savoir-faire hétérogènes d’atteindre par des voies différentes des objectifs communs et, ultimement, la réussite éducative » .
Dans le but de mettre en œuvre cette différenciation, je me suis inspirée de la théorie des intelligences multiples d’Howard Gardner. J’ai choisi d’identifier les faiblesses de mes élèves les plus en difficulté pour leur offrir des outils pour atteindre les objectifs fixés à l’ensemble de la classe. Ainsi, j’ai profilé pour chacun d’eux l’intelligence la moins développée et son impact en classe. La description de mes élèves permettra de définir les huit intelligences évoquées précédemment. Par soucis d’anonymat, je les nommerai par des lettres.
La lecture de l’ouvrage de Renaud Keymeulen m’a conduit à une méthodologie de profilage par l’observation. Effectivement, il explique dans son livre que plusieurs méthodes ont été expérimentées, notamment celle du questionnaire. Celle-ci a longtemps été privilégiée car leschercheurs étaient dans l’incapacité « d’observer le jeune dans son quotidien, et dans ses actions » . Mais Renaud Keymeulen révèle que ces questionnaires « n’ont aucune valeur scientifique » dans la mesure où les tests « dégagent des tendances et non des résultats à prendre au pied de la lettre ». De plus, certains élèves soumis à ces questionnaires pouvaient obtenir un 0/10 à l’intelligence linguistique, alors même qu’ils savaient s’exprimer et écrire correctement. Cette méthode n’a donc pas retenu mon attention, d’autant plus qu’à l’inverse de ces chercheurs, j’avais à ma portée un terrain d’étude et d’observation quotidien me permettant de récolter des données tangibles. J’ai donc rédigé une typologie des intelligences en détaillant le profil lacunaire de mes élèves à partir de celle établie par Bruno Hourst .
Nous verrons ensuite, dans la prochaine partie, les remédiations possibles à ces déficits de développement.
L’intelligence verbale ou linguistique : L’élève H est une petite fille d’un tempérament calme et attentif. Elle a un niveau correct en orthographe et en production d’écrit étant donné que la plupart des tâches qu’on lui a demandé de réaliser jusqu’à présent étaient majoritairement écrites et qu’elle s’est toujours investie avec sérieux. Seulement, H a d’importantes lacunes lexicales, sa lecture n’est pas fluide, elle ne parvient pas à entrer dans la métalinguistique et sa plus grosse difficulté est liée au langage oral. En effet, depuis le début de l’année, elle ne participe pas aux activités langagières telles que les récitations, les exposés, les débats, etc. De ce fait, elle ne développe que très peu ses relations interpersonnelles avec ses camarades. Selon la typologie des intelligences de Gardner, H n’a pas assez développé son intelligence verbale et linguistique. Bien que cela ne perturbe pas tous les apprentissages, un manque de développement de cette intelligence crée un handicap important dans de nombreuses activités.
L’intelligence logique ou mathématiques : L’élève J est au contraire, une petite fille très à l’aise à l’oral et sur le plan relationnel. Elle est plutôt de nature rêveuse et bien qu’elle aime lire et n’est aucune difficulté à l’écrit, elle peine à se lancer dans les activités mathématiques même lorsque les consignes sont écrites. Effectivement, J à du mal à établir un raisonnement logique. Elle comprend les consignes ou les problèmes qui lui sont soumis mais ne parvient pas développer un raisonnement logique pour les résoudre. Elle dit d’ailleurs très souvent qu’elle n’aime pas les maths et qu’elle s’estime nulle en la matière. Par ailleurs, dans l’organisation de son travail, elle est plutôt désordonnée et peu rigoureuse, elle ne réussit pas à donner un ordre de priorités dans ses actions. Selon la théorie de Gardner, J a des lacunes dans le développement de son intelligence dite logique et mathématiques. Cela entraîne un réel blocage au cours des diverses tâches et situations mathématiques, au point que, systématiquement, elle ne parvienne pas à commencer ni terminer l’activité seule.
L’intelligence interpersonnelle : Le profil de l’élève V est plutôt atypique. Il a de grandes facilités pour s’exprimer à l’oral et à construire son discours. Seulement, il a beaucoup de difficultés à s’intégrer dans le groupe classe. Il a du mal à travailler en groupe, il n’écoute pas les autres lors des différentes prises de parole, il est essentiellement orienté sur son propos et très peu sur celui des autres. Il rentre très régulièrement en conflit avec ses camarades, il ne parvient pas à prendre en compte les avis, les motivations ou les émotions des autres.
D’ailleurs, il n’hésite pas à écraser ses camarades pour se mettre en avant. L’élève V n’a pas assez développé son intelligence interpersonnelle ce qui peut, à terme, outre le fait de perdre la richesse des réflexions collectives, créer un réel isolement.
L’intelligence intrapersonnelle : E quant à lui est un élève qui apprécie la compagnie de ses camarades, il aime être épaulé et soutenu dans ses différentes actions. À tel point qu’il a souvent besoin qu’on le réassure sur ses capacités avant de se lancer dans une tâche. Il manque de confiance en lui et ne se sent souvent pas à la hauteur de ce qu’on lui demande. Il peine à se fixer des objectifs réalisables dans la mesure où il n’a pas conscience de ses forces, ni même de ses faiblesses car il considère qu’il n’est bon en rien. Cette estime de soi négative le pousse généralement à agir par impulsivité sans réfléchir à la portée ou l’impact de ses actions. Il préfère les travaux de groupe pour relâcher la pression de cette mauvaise image de lui qui l’angoisse. Toutes ces manifestations nous amènent à constater que l’élève E a un manque d’intelligence intrapersonnelle. Si cette intelligence peut être palliée à l’école par la présence des camarades et de l’enseignant, cette élève aura tout de même « des difficultés à prendre le contrôle de sa vie ou de son apprentissage, à se donner des buts » à l’avenir.
L’intelligence kinesthésique ou corporelle : L’élève R est un profil à nuancer. En effet, celui-ci souffre de troubles moteurs causés par une maladie dégénérative impactant ses compétences de coordination. De ce fait, tous les travaux manuelles, l’écriture comme les activités sportives lui sont coûteuses. Ce handicap moteur n’a pas de répercussions sur ses capacités cognitives, il a un très bon niveau scolaire général. Néanmoins, ce manque d’intelligence kinesthésique lui pose problème dans toutes les situations de son quotidien. Son corps n’est pas perçu comme un outil, comme un moyen d’exprimer ses émotions ou sa sensibilité mais davantage comme « une gêne dans de nombreuses circonstances de la vie courante » . Selon la typologie de Gardner, R est défavorisé par une carence du point de vue de l’intelligence corporelle.
Le jeu comme levier de différenciation
Le jeu en réponse aux difficultés des élèves
La motivation et l’estime de soi
Soucieuse de cerner les problématiques dans leur globalité, il m’est apparu essentiel de débuter mon élaboration des remédiations par la recherche des facteurs et des causes des difficultés de mes élèves. Mes observations et investigations ont révélé que les raisons principales de ceux-ci étaient liés à un manque d’estime de soi, un rapport négatif aux tâches scolaires, une absence de motivation, d’intérêt mais aussi de sens dans les activités qui leur posaient problème.
À la question « Aimes-tu les mathématiques ? », l’élève J m’a spontanément répondu « Non ! Parce que j’aime pas calculer, je suis nulle pour ça […], je trouve ça ennuyeux, […]. Et de toute façon on n’en a pas vraiment besoin parce qu’on peut utiliser une calculatrice. ». On remarque que cette apprenante ne perçoit pas l’intérêt des activités mathématiques, qu’elle a un rapport et une estime de soi négative qui créent un blocage dans cette matière et coïncident avec son profilage, développé précédemment, démontrant un manque d’intelligence logicomathématique. Si cette élève reste dans cette dynamique, elle risque d’entretenir ses lacunes qui pourront, à terme, l’empêcher de développer des compétences fondamentales pour sa réussite scolaire.
Afin d’approfondir cette analyse, j’estime qu’il est important de revenir sur le terme de motivation. On distingue plusieurs types de motivations. La première prend la forme du « besoin de curiosité », développé par Robert Butler. C’est la « stimulation cognitive », l’intérêt pour l’objet de savoir qui alimente la motivation et pousse à apprendre. Harry Harlow vient compléter cette théorie en nommant cette curiosité personnelle et profonde : « motivation intrinsèque » .
Il y oppose la motivation « extrinsèque », qui est alors définie comme une « action provoquée par une circonstance extérieure à l’individu (punition, récompense, pression sociale, obtention de l’approbation d’une personne tièrce…) » . Cette motivation issue d’une source extérieure à l’élève apparaît comme artificielle et vide de sens. Or « pour que l’on passe à l’action, pour que l’on fasse quelque chose, il faut que notre conduite ait un sens » . La motivation extrinsèque s’apparente davantage à une contrainte qu’à une réelle envie. En effet, « toute contrainte externe est perçue comme une diminution du « libre arbitre » . De plus, il a été prouvé que « la motivation intrinsèque se distingue de la motivation extrinsèque par une plus grande persévérance » . Cette notion est enrichie des concepts de « compétence perçue » qui renvoie à l’estime et la confiance que l’apprenant s’accorde mais aussi « d’autodétermination », à savoir l’implication volontaire et intéressée dans une tâche, sans contrainte externe . Tous ces éléments théoriques me permettent de mieux comprendre ce qui favorise la participation et l’implication dans l’apprentissage et de jouer sur ces facteurs.
Ainsi, l’estime de soi est un autre point important dans la motivation des élèves. Selon De Saint Paul, « l’estime de soi est l’évaluation positive de soi-même fondée sur la conscience de sa propre valeur. […] L’estime de soi est également fondée sur le sentiment de sécurité que donne la certitude de pouvoir utiliser son libre arbitre, ses capacités et ses facultés d’apprentissage pour faire face, de façon responsable et efficace aux événements et aux défis de la vie. » . Agir en individu indépendant, sur de soi et maître de ses capacités deviennent les conditions d’une entrée motivée dans les apprentissages. De plus, la motivation a également de fortes répercussions sur la mémorisation à long terme ce qui permet une plus grande performance lors des apprentissages scolaires .
Caractéristiques et avantages du jeu
Cette dynamique positive et multiple par le biais du jeu correspond parfaitement aux critères qui m’importent, à savoir de développer l’ensemble du potentiel de chacun grâce aux intelligences multiples mais aussi de favoriser l’estime de soi et le plaisir dans les apprentissages afin de parvenir à l’implication de tous. Plutôt que d’envisager les difficultés de mes élèves comme des handicaps, j’ai préféré adopter une vision positive privilégiant la mise en place de processus favorisant l’épanouissement et le bien-être. « D’après la professeur de psychologie Mihály Csikszentmihályi (2004), il y a un sentiment à la fois de contrôle de soi et de compétence en équilibre avec les défis à relever. »
En outre, le recours au jeu s’inscrit dans une mouvance contemporaine qui redéfinit le rôle et le statut du professeur pour l’envisager comme un réel accompagnant dans les savoirs et non plus comme une parole savante et toute puissante. « Travailler par le jeu amène en effet l’enfant comme l’accompagnateur à se sentir mieux. Le jeu met potentiellement en situation d’égalité : ce n’est pas toujours l’accompagnateur qui gagne ! L’accompagnateur n’est pas toujours celui qui sait, il peut être celui qui aide à savoir, qui cherche avec l’enfant. »
De même, le jeu permet d’améliorer la mémorisation tant il favorise le développement de stratégies d’organisation et de stockage des données . Ces découvertes sont soutenues par de nombreux professionnels tels que Pauline Kergomard : « Le jeu, c’est le travail de l’enfant, c’est son métier, c’est sa vie » ; André Stern : « Il n’y a rien de mieux pour apprendre que le jeu » ; Friedrich Fröbel aux théories fondées sur la psychologie de l’enfant qui considère le jeu comme « une des activités légitimes de l’enfant en situation éducative ».
L’expérimentation du jeu comme différenciation
Au regard des théories évoquées précédemment, la pédagogie par le jeu m’a semblé être la plus pertinente quant à mes exigences en terme de différenciation. Pour l’exploiter dans ma classe et afin de répondre à l’hétérogénéité de mes élèves, j’ai choisi de mettre en place un jeu différent spécifique à chacun des profils que j’avais ciblé lors de ma description des intelligences lacunaires. Dans ce cadre, j’ai effectué une évaluation diagnostique (avant de mettre en place la remédiation par le jeu) et sommative (après l’avoir expérimenté) afin de déterminer les avantages et les inconvénients du paradigme ludique en pratique.
Le jeu de rôle pour libérer la prise de parole et développer l’intelligence verbale
Comme je l’ai précisé lors de mon profilage, dans la première partie de ce mémoire, l’élève H traduit des difficultés pour s’exprimer à l’oral et devant ses camarades. Après quelques échanges avec ses parents, je me suis aperçue que ce phénomène ne se manifestait qu’à l’école. De même, j’ai travaillé avec cette élève à plusieurs reprises sur les temps des APC et il s’est avéré qu’elle parvenait à oser davantage. Par ailleurs, son manque d’intelligence verbale, identifié depuis le CP, figure dans son bilan RASED (annexe n°1) et fera office d’évaluation diagnostique sur laquelle je vais me baser pour évaluer ses progrès. Les échanges avec la famille, l’équipe éducative et mes observations m’ont conduite à penser que ses difficultés étaient principalement liées à une timidité exacerbée et un manque de confiance en elle. Pour pallier ces obstacles, j’ai expérimenté un jeu de rôle dans ma classe.
Les conditions étaient les suivantes : à l’occasion d’une séquence d’EMC sur l’égalité filles/ garçons (extrait de la fiche de séquence en annexe n°2), les élèves étaient invités à s’exprimer sur leurs représentations initiales. Les filles devaient se mettre dans la peau d’un garçon et les garçons inversement. Un élève-journaliste posait alors la question « À quoi est-ce que tu joues chez toi ? Pourquoi ? » à l’élève en question et la scène était filmée par un dernier élève caméraman. Ce jeu permettait de recueillir les stéréotypes de genres rattachés aux jeux. Après un temps de préparation suffisant, les élèves procédaient au tournage de manière autonome à l’aide d’une tablette.
Cette expérimentation s’est révélée bénéfique pour H. En effet, ce rôle et cette situation fictifs lui ont permis de dépersonnaliser son implication dans la tâche. Perçue comme quelqu’un d’autre, elle ne subissait plus la pression de l’erreur et de sa timidité. Bien que toujours empreinte d’une gestuelle manifestant son embarras, sa production s’est traduite par une prise de parole libérée par rapport à toutes ses interventions précédentes. Sa prestation, visualisée et analysée par l’ensemble de la classe la séance suivante, a d’ailleurs été applaudie de tous les autres élèves étonnés et impressionnés par ses progrès. Comparativement au constat de mutisme alarmant établi dans son rapport RASED, ces conditions ludiques basées sur le second-degré ont été propices à son émancipation. De plus, le fait que son interview soit acclamée par ses camarades a galvaudé son estime de soi et lui a permis ensuite d’être plus à l’aise au sein de la classe. Ainsi, H est aujourd’hui une petite fille introvertie mais qui, à raison de plusieurs situations de ce type, est amenée à faire évoluer progressivement son intelligence verbale. Effectivement, pour que cette situation ait un véritable impact sur ses compétences orales, il faut qu’elle soit réitérée. Cette expérimentation du jeu de rôle a donc été un succès dans le sens où les capacités de cette élève en matière d’expression devant ses camarades a été améliorée.
Le jeu de cartes Halli Galli pour aborder l’intelligence logicomathématique sans a priori
Nous avons pu observer dans les propos de l’élève J, citée précédemment, que son rapport aux mathématiques était négatif autant du point de vue de ses capacités en la matière que de l’intérêt pour celle-ci. Peu importe la tâche à réaliser, cet état d’esprit l’a met directement en situation d’échec. Pour éviter ce phénomène, j’ai décidé d’appréhender les mathématiques avec une démarche ludique à travers le jeu de cartes Halli Galli.
Le principe de ce jeu de cartes est d’appuyer sur une sonnette lorsque cinq fruits identiques sont apparents sur la table. Chacun leur tour, les joueurs retournent une carte de leur paquet.
Pour gagner, il faut récupérer toutes les cartes du jeu. En cas d’erreur, le joueur est pénalisé et doit rendre des cartes. L’objectif pédagogique, quant à lui, est d’apprendre à compter ou d’automatiser cette compétence. J’ai mis en place ce jeu pendant plusieurs APC au long de la 3ème période pour observer l’évolution de mon élève.
Un jeu de percussions corporelles pour développer conjointement l’intelligence kinesthésique et rythmique
L’un de mes élèves exprime à la fois un manque d’intelligence kinesthésique et rythmique dans la mesure où il souffre d’une maladie dégénérative qui diminue ses perceptions olfactives. Les différentes réunions avec l’équipe de suivi de scolarisation (ESS) ont traduit que les objectifs et les attendus de fin de cycle concernant l’EPS et la musique devaient être adaptés pour permettre à R de les atteindre. À temps plein dans ma classe et sans AVS, il a fallu trouver des adaptations réalisables, il a donc été décidé que R ne participerait plus aux activités de sport collectif, de course et les objectifs d’ordre musicaux ont été revus à la baisse. Néanmoins, les discours des parents, de l’ergothérapeute et du médecin scolaire indiquent que le handicap de R requière une rééducation permanente pour ralentir l’évolution de sa maladie. Je me suis alors mise en quête d’une solution à cette problématique paradoxale valorisant l’inactivité physique de mon élève d’une part, pour éviter les risques de chute notamment, et son besoin de rééducation. Convaincue des bienfaits de l’approche par le jeu développée ici même, j’ai choisi de travailler sa coordination kinesthésique et rythmique à l’occasion d’un jeu de percussions corporelles. Cette remédiation s’est, elle aussi, déroulée sur le temps des APC lors de la 3ème période. La synthèse de la réunion de l’ESS du début de la période, sur lequel figure ses aptitudes motrices, est visible en annexe n°6 et constitue un point de repère objectif pour évaluer les progrès réalisés.
Avant de détailler l’activité mise en place, je souhaite éclaircir brièvement la notion de percussions corporelles : « les percussions corporelles sont un genre musical consistant à produire des mélodies ou des rythmes en utilisant le corps comme instrument de musique ». « Mobilisant le schéma corporel de façon dynamique et ludique, cette pratique permet d’intégrer les rythmes de façon approfondie et vivante. » . Les percussions corporelles permettent donc de travailler les deux intelligences évoquées, l’élève coordonne ses gestes à un rythme ou une mélodie, tout cela dans une dynamique ludique bienveillante qui favorise la confiance en soi et la possibilité de faire des erreurs.
Pour parvenir à avoir un réel impact sur sa motricité, j’avais pour ambition de travailler plusieurs phrases rythmiques, mais au vue des difficultés observées, je me suis adaptée et j’ai choisi de m’en tenir à une seule. J’ai effectué cette remédiation avec d’autres élèves pour atténuer une éventuelle pression sur l’élève. Chaque séance de 45 minutes (fiche de préparation en annexe n°7) débutait par un échauffement vocal et corporel rapide qui était l’occasion de revenir sur la dissociation segmentaire (identification des différentes parties du corps pour une meilleure coordination). Les élèves découvraient ensuite les différents sons produits par les gestes exécutés et les onomatopées correspondantes. On procédait alors à des entraînements par des jeux sonores pour les automatiser. Une fois intégrés, ces rythmes étaient assemblés pour former une phrase qui était progressivement enrichie au fil des séances. Plusieurs jeux permettaient la systématisation. L’un d’entre eux a eu un grand succès : répartis en deux groupes, chaque groupe devait répéter à tour de rôle une fois la phrase puis deux fois, trois, quatre, jusqu’à ce que l’une des équipes commette une erreur et fasse perdre son équipe. Ainsi, les modalités d’exécution par groupe répartissaient la responsabilité de la défaite et n’altéraient pas l’estime de soi des élèves.
Pour synthétiser l’impact de ces séances sur le développement des intelligences ciblées chez R, j’ai observé une évolution significative dans les propositions corporelles et rythmiques de cet élève. L’entrée par le jeu a permis à R de dédramatiser et de passer aux dessus de ses gênes motrices. Ses réponses timides, peu assurées et fastidieuses en début de période se sont fluidifiées et sont devenues une réelle source de plaisir et d’autosatisfaction. Ses productions ont finalement surpassé mes attentes dans la mesure où il a été capable de suivre les séances sans problème et en manifestant d’autant plus de détermination que ses camarades. Le fait de pouvoir « faire comme les autres » a été un moyen de revaloriser son estime de soi et la confiance en ses capacités. Bien que ces exercices lui soient davantage coûteux cognitivement et en terme de concentration, cela n’a pas été un obstacle durable pour R qui a surmonté ses difficultés grâce à une motivation exaltée par le jeu. Cette expérience a été pour moi la plus satisfaisante et la plus concluante au regard des enjeux impliqués.
Une chasse au trésor pour remédier au manque d’intelligence visio-spatiale
Comme je l’ai indiqué précédemment, l’élève T fait preuve d’un manque de développement de l’intelligence visio-spatiale. Cela s’exprime notamment dans l’organisation de ses cahiers et dans ses productions en géométrie. Elles traduisent un repérage difficile et brouillé dans l’espace. Pour pallier ce manque d’intelligence visio-spatiale, j’ai expérimenté la mise en place d’une course d’orientation sous la forme d’une chasse au trésor. Outre son intérêt motivationnel stimulant et impliquant, cette modalité d’approche est un moyen de développer le repérage dans l’espace et les compétences d’abstraction.
Cette chasse au trésor s’est déroulée à l’occasion d’une séquence interdisciplinaire de course d’orientation mêlée à la structuration de l’espace en mathématiques et au domaine questionner l’espace (extrait de la fiche de séquence en annexe n° 8). La chasse au trésor a pris la forme d’une séance de découverte de la course d’orientation, elle succédait une séance de révision du vocabulaire et des repères topologiques . Les élèves, en classe entière, étaient répartis en cinq groupes de cinq élèves. Pour des raisons météorologiques, cette séance originellement prévue dans la cour de l’école, s’est regrettablement déroulée dans le préau. Différentsindices étaient répartis dans l’espace, le but était de retrouver le trésor grâce à ceux-ci. Ils pouvaient être trouvés grâce à des indications reprenant le vocabulaire topologique inscrites sur des cartes données à chaque groupe. Chaque groupe devait retrouver un indice précis et demander aux autres groupes les indications inscrites sur leur carte concernant leur indice. Le trésor, un paquet de bonbons, ne pouvait donc être retrouvé qu’au moyen d’une collaboration entre tous les groupes qui combinaient leurs indicespour connaître l’emplacement final.
Cette séance a été un succès en ce qui concerne la collaboration entre les élèves, la motivation, le repérage dans l’espace, la lecture et l’emploi du vocabulaire topologique. Cela a permis aux élèves et à T d’exercer son repérage dans l’espace et l’emploi d’un vocabulaire objectif.
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Table des matières
INTRODUCTION
I. L’hétérogénéité des élèves et son impact en classe
a. Un concept en constante évolution
b. Les conséquences de la diversité des profils en classe
II. Le jeu comme levier de différenciation
a. Le jeu en réponse aux difficultés des élèves
1. La motivation et l’estime de soi
2. Caractéristiques et avantages du jeu
b. L’expérimentation du jeu comme différenciation
1. Le jeu de rôle pour libérer la prise de parole et développer l’intelligence verbale
2. Le jeu de cartes Halli Galli© pour aborder l’intelligence logicomathématique sans a priori
3. Le jeu coopératif Hop-hop-hop pour remédier au manque d’intelligence interpersonnelle et intrapersonnelle
4. Un jeu de percussions corporelles pour développer conjointement l’intelligence kinesthésique et rythmique
5. Une chasse au trésor pour remédier au manque d’intelligence visio-spatiale
6. Le jeu du Qui Est-ce ?© pour appréhender les compétences naturalistes
III. Les modalités essentielles pour exploiter le jeu en classe
a. Les limites du jeu comme levier pédagogique
1. Des émotions qui viennent altérer les apprentissages
2. Des difficultés à transférer les compétences travaillées
3. Une approche ludique qui cache les réels enjeux
b. Les conditions à respecter pour développer des apprentissages avec le jeu
1. Recourir au jeu lors des phases d’entrainement
2. Borner la pratique du jeu par un cadre explicite
3. Adapter les jeux pour entretenir la motivation et favoriser le transfert de compétences
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
RÉSUMÉS
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