Les précurseurs de l’Islamisme politique
L‟islamisme contemporain est l‟œuvre des Frères Musulmans qui sont les héritiers de la pensée réformiste musulmane tel que défendue par Jamāl ad dῑn al-Afġānῑ (1838- 1897), Muḥammad Abdu (1849- 1905), et Raṧid Riḍa (1865- 1935).17Alors que le Réformisme se voulait un retour aux sources de l‟Islam tout en encourageant la réouverture de la « porte » ijtihād, l‟Association des FM appelle soit l‟union de toutes les communautés musulmanes dans le monde, soit l‟unification des territoires considérés comme musulmans. Cependant, pour la restauration de l‟Etat islamique authentique, pour lutter contre la domination britannique et pour l‟unité de tous les arabes, les précurseurs de l‟Islamisme entendent mettre en place une organisation panislamiste universelle capable de guérir les maux de la société. En effet, les initiateurs de ce grand projet s‟identifient en la personne d‟Hassan al-Banā qui est le fondateur du mouvement et Sayyid Qutb considéré comme le père spirituel du Jihad islamique. Hassan ibn Aḥmad ibn Abd‟ar- Raḥmān al- Banā est né en 1906 dans la ville de Maḥmûdiyya, près d‟Alexandrie dans la province de Buḥayra. Produit de l‟école coranique, il est nourri de culture religieuse auprès d‟un père formé à l‟université d‟Al-Azhar, al Banā a très tôt intégré le cercle d‟une communauté soufie de la région du Delta où il a été membre de la confrérie al- ḥassafiyya.19 Ce qui lui vaut ses qualités de brillant maître. Le disciple de Raṧῑd Riḍā 20 a forgé son propre destin pour clamer son opposition à la présence britannique en Egypte et en Palestine. En mars 1928, il fonda son courant de type panislamiste (jam῾iyya al- ihwān al- muslimῑn) à Ismāilliyya où la présence étrangère était très forte à cause du siège de l‟agence mondiale pour le Canal de Suez et des camps de l‟armée anglaise. A travers l‟Association, al-Banā désire la réislamisation de la société égyptienne d‟où son slogan « l‟éducation par le bas » tout en combattant contre l‟Etat laïque et l‟Occident responsables selon lui de la perte des valeurs morales et sociales de ses contemporains. Par conséquent, il considère que seul le Coran est capable de sortir son peuple de l‟obscurité « al- islām ḥuwa al- ḥall », car ce dernier englobe les aspects de la vie, le spirituel et le temporel.22 Toutefois, la volonté de mettre en place un Etat islamique constitue une préoccupation majeure pour alBanā qui était déterminé pour parvenir à cette fin. Dans la perspective d‟un Etat islamique, la religion et la politique sont intrinsèquement liées, car la charia telle que pratiquée par le prophète Muḥammad (PSL) à Médine est valable tout le temps et en tout lieu. La théorie de la non séparation du spirituel et du temporel prend pour cible le gouvernement égyptien. Cependant, pour la réalisation de leurs objectifs politico-religieux, les FM vont se montrer plus pragmatiques.23 En effet, le jihad est au cœur de la doctrine des FM comme l‟atteste leur devise « Dieu est notre but, le prophète notre chef, le Coran notre constitution, le jihad notre voie, le martyr notre plus grande espérance ». C‟est ainsi qu‟il est impossible d‟évoquer l‟islamisme contemporain sans pour autant parler de Sayyid Qutb considéré comme le père spirituel de l‟Islam politique car il est le premier à faire le lien entre l‟Islam et l‟essence du jihad. Si al- Banā est l‟initiateur du mouvement, c‟est Qutb qui valorisa sa pensée. Né en 1906 à Muṯa en haute Egypte, Qutb s‟est très tôt engagé dans le combat nationaliste après des études supérieures à Dār al ῾ulûm, Institut des Sciences Religieuses de Caire où il est diplômé en 1933. Par la suite, il intègre le gouvernement égyptien et occupe le poste du ministre de l‟Education.25 C‟est dans ce cadre qu‟il ira en 1948 étudier pendant deux ans aux États-Unis dans une Université du Colorado. Il y est profondément choqué par le mode de vie américaine et notamment par la place et le rôle occupés par les femmes dans la société. À son retour en Égypte en 1950, il intègre les Frères Musulmans et en devient rapidement la principale figure intellectuelle.26 Très vite, Qutb valorisa la pensée du fondateur al-Banā et légitima le jihad offensif pour imposer le règne de l‟Islam. Pour lui l‟Islam ne peut exister sans le jihad c‟est-àdire la guerre physique. Il possède une lecture personnelle du Coran selon laquelle le jihad offensif reste légitime tant que la loi de Dieu n‟est pas appliquée à l‟humanité tout entière. Le radicalisme devient ainsi la règle absolue tant que la Charia ne règne pas sur la terre. C‟est donc selon lui une mission divine que doit suivre tout bon musulman suivant les préceptes coraniques. Toutefois, Qutb a écrit un nombre considérable d‟ouvrages qui a fait de lui le père spirituel de l‟islamisme révolutionnaire. La plus marquante de ses écrits est : «Maˈᾱlim fī alṭarīq, Jalons sur la route de l’Islam » qui fait l‟éloge de la supériorité de la civilisation musulmane par rapport à l‟Occident et de la nécessité pour l‟Islam de régner sur l‟humanité tout entière. Il est mentionné dans ce livre que: « L’islam a le devoir de faire respecter le règne de Dieu sur l’univers. Ce règne ne peut être valable que sous l’égide d’un régime islamique établie par Dieu à l’intention de tous les hommes sans exception. »28 Néanmoins, l‟avenir des FM sera lié à l‟évolution du conflit israélo-palestinien, auquel ils ont contribué militairement durant la guerre d‟indépendance de 1948-1949.
La branche palestinienne des Frères Musulmans
La branche palestinienne est l‟un des démembrements des FM les plus influents dans le monde arabe à cause du conflit israélo-palestinien. Les frères palestiniens ont des particularités qui les distinguent des autres factions de l‟organisation. Ils ont habité la Palestine et le Jérusalem qui est la troisième ville sainte des musulmans après celle de la Mecque et de Médine. Toutefois, la protection des lieux saints de l‟Islam constitue une préoccupation majeure pour les islamistes. C‟est pourquoi ils ont pris part à la grande révolte arabe palestinienne de 1936-1939.Lorsque Izz ad- dῑn al-Qassām, juge religieux (qaḍῑ) à Haïfa, lance la guérilla antibritannique en Palestine centrale, al Banā y avait envoyé des phalanges armés égyptiens pour défendre la cause palestinienne. Ce fut le premier contact des islamistes avec le peuple palestinien.42 Mais le mouvement émergera officiellement en Palestine à partir des années 1945. En effet, la branche palestinienne des FM résulte de l‟initiative des étudiants palestiniens ayant achevé leurs études supérieurs dans des universités de Caire. Gagnés et touchées par les enseignements d‟al- Banā, ces derniers vont véhiculer l‟idéologie de l‟islamisme une fois de retour dans leur pays natal. Cependant, il faudra attendre octobre 1945 pour que les FM, qui ont alors gagné des sympathisants en Egypte jusqu‟à y atteindre un demi-million de membres, se sentent assez forts pour diffuser leur mouvement à Jérusalem sous la direction de Sayyid Ramadān et Abû Qûra.43 Les disciples d‟al Banā commencent par étendre leur influence dans toute la Palestine en ouvrant des sections dans les principales villes et villages palestiniens. Celle-ci compte 38 sections et dix mille membres en 1947. Ces militants se sont répartis entre les sections de Cisjordanie et de Gaza administrées respectivement par la Jordanie et l‟Egypte.44 Ainsi, les activités des islamistes sont financées par des comités de charia ou des comités de la zakāt mais également par des membres de l‟Association expulsés vers l‟Arabie Saoudite et les pays du Golfe. En effet, les FM palestiniens ont participé à la première guerre israélo-arabe sous l‟égide de la branche égyptienne qui menait un programme parallèle à celui de la ligue arabe. C‟est lors de cet évènement que réunissaient toutes les tendances de l‟Islam politique contre l‟État hébreu. Pour les FM, cela concerne toute la communauté musulmane. Israël n‟est plus un mauvais voisinage, mais un sacrilège, un imposteur au grand projet de la confrérie qui est la restauration du Califat.46 Toutefois, les FM palestiniens ont connu divers obstacles dans leur progression et se sont souvent confondus avec leurs frères jordaniens et syriens qui sont tous liés par des idées islamistes. Ce qui fait que la branche palestinienne reste intimement liée à celles des pays voisins et suit leurs évolutions. Cette dernière reste un organe périphérique alors qu‟elle était sensée diriger le combat nationaliste voir même islamiste. Cependant l‟humiliation arabe subie lors de la guerre d‟indépendance (1948) et celle des six jours (1967) poussa la population palestinienne à bannir le nationalisme et à adopter l‟idéologie de l‟islamisme. Ce qui favorise le renforcement des sous sections de Cisjordanie et de Gaza qui sont parvenus à rassembler leurs forces pour mieux faire face à l‟Israël.
Le déclenchement de l’Intifada
Après la guerre des six jours de 1967, l‟Israël occupa les territoires de Gaza et de Cisjordanie qui étaient sous contrôle égyptienne. En effet, ces deux territoires viennent s‟ajouter à ceux dont l‟Etat d‟Israël avait occupé depuis la guerre de 1948-1949. C‟est ainsi que les israéliens y développèrent des implantations et réduisirent les palestiniens au silence. De ce fait, les causes de l’Intifada de décembre 1987 remontent de loin. Elles sont le résultat d‟une politique d‟oppression humiliante menée par le gouvernement d‟Israël dans les territoires occupés. C‟est dans ce contexte que Henry Laurens écrit « l’Intifada ou soulèvement est à son origine, totalement spontanée. La politique israélienne de pressions multiples a dépassé le point de l’équilibre ou la peur de répression ne compense plus la désespérance de l’avenir. »68 Ainsi, l‟accident de circulation survenu le 8 décembre 1987 faisant quatre morts et des blessés ne peut être en aucun cas la vraie cause de l‟Intifada. Même si les palestiniens considèrent l‟acte comme étant l‟élément déclencheur du soulèvement. C‟est pour venger la mort d‟un officier israélien assassiné le 6 décembre 1987, que le camion militaire israélien percute une voiture collective palestinienne à Gaza et se fut le déclenchement du soulèvement populaire.69 Par ailleurs, les mauvaises conditions de vie des palestiniens ainsi que la confiscation de leur terre et l‟appropriation de leur source d‟eaux ont poussé ces derniers à se rebeller contre l‟autorité israélienne. Le pillage de l’eau en Cisjordanie a également causé la frustration des paysans palestiniens qui se voient imposer des limites draconiennes à la consommation d’eau, alors que les colons juifs peuvent librement arroser les pelouses des colonies. De même, les paysans palestiniens ne peuvent creuser de puits sans autorisation des autorités israéliennes qui tirent 40 % de leurs eaux dans les territoires occupés. Débutant dans le camp de réfugiés de Jabālīyah, l’Intifada a été à son début spontané et général. Elle s‟est rapidement propagée dans la bande de Gaza, en Cisjordanie et en Jérusalem-Est. Ainsi le soulèvement populaire adonné aux jeunes (ṧabāb) l‟opportunité de prendre la tête d‟un combat national.71 En effet, la bande de Gaza est peuplée par des jeunes qui vivaient dans le désarroi et dans la pauvreté. Conscients de la précarité de leur vie, ils ont suivi la voie des fédayins qui ont sacrifié leurs vies pour la cause palestinienne. Ces ṧabāb ont écrit des slogans sur des murs, ont organisé des manifestations et ont jeté de pierres sur des soldats israéliens. Le mode d‟action de ces jeunes palestiniens représentait un grand honneur pour leurs familles. Plus tard, l‟Intifada impliqua toutes les couches de la population palestinienne, des adultes, des femmes, des intellectuels, des lycéens, des paysans et des commerçants ont également suivi le mot d‟ordre décrété par les ṧabāb. A partir de janvier 1988, les commerçants palestiniens ont entamé un mouvement de grève. Ils ont refusé de payer les taxes et ont boycotté les marchandises israéliennes.73 En outre, les habitants de certains villages comme ceux des chrétiens de Beit Sahour, malgré les brimades et les vexations, ont également refusé de payer leur tribut à l’occupant. Malgré un siège de quarante jours, les 12000 habitants ont boycotté le percepteur : « Nous ne paierons pas d’impôts à l’État qui nous occupe : pas d’impôts sans le droit d’être représentés, pas d’impôts, sauf à l’État qui nous représente ».74 Ce qui montre l‟engagement et la détermination des palestiniens dans ce combat anti-israélien. Cependant, cette désobéissance palestinienne aura forcément des conséquences négatives sur la politique israélienne. Sous l‟effet de l‟action des palestiniens, les territoires occupées cessent d‟être une source de revenue mais plutôt une lourde charge pour l‟Etat hébreu. En cela s‟ajoute le climat d‟insécurité auquel les israéliens sont exposés. L‟image du pays est ternie à travers les chaînes télévisées qui ont montrées des pratiques jugées inhumaines de l‟oppresseur tirant sur des adolescents. Avec la médiatisation des affrontements, l‟opinion publique internationale est choquée et se rend compte des causes de la résistance palestinienne.75 Toutefois, le bilan de l’Intifada est mitigé du côté palestinien avec des pertes humaines et des blessés. Mais aussi la fermeture d‟écoles et d‟universités (Al-Quds, Bethléem, Hébron, Al Najah, Gaza) a fait que près de 20000 jeunes étudiants ont perdu des années d‟études. Seulement, le soulèvement a été une grande triomphe pour le peuple palestinien qui a montré sa capacité de se révolter mais également sa dynamique et son engagement pour s’affranchir de l’occupation. Pour y arriver, les palestiniens ont créé des coopératives agricoles afin d‟être plus autonomes en même temps, ils ont installé des structures d’accueil pour les victimes de l’Intifada. Ainsi, la révolte populaire a témoigné la naissance d‟un mouvement islamiste à l‟instar du Hamas qui prend désormais une voie beaucoup plus militante dans le combat contre l‟occupant israélien.
Le Hamas, une création sécrète d’Israël
Le débat actuel sur l‟origine du Hamas est lié à la question de sa légitimité à incarner le combat nationaliste contre Israël. Le statut du Hamas est perçu différemment selon les observateurs. Si les pourfendeurs de l‟organisation islamiste soutiennent que le mouvement est un démembrement de la branche palestinienne des FM d‟Egypte, ses détracteurs, par contre disent que le Hamas est une « simple création des services secrets israéliens ». Le Hamas est créé en vue d‟y diviser et d‟y affaiblir l‟OLP de Yasser Arafat. En effet, la politique israélienne à l‟égard des islamistes palestiniens avait pour objectif l‟émergence d‟un contre-pouvoir islamique et par conséquent l‟affaiblissement du nationalisme palestinien. Le raisonnement israélien était de permettre aux mouvements islamistes d‟étendre le champ de leurs activités et d‟augmenter leur légitimité parmi les populations arabes dans l‟espoir de réduire l‟influence et le soutien dont bénéficiaient les forces nationalistes palestiniennes alliés à l‟OLP. D‟ailleurs, c‟est cette politique de ségrégation qui faisait dire au président Nasser que « l’objectif de l’Etat Hébreu est de diviser les arabe, les empêcher de se rassembler et de profiter de leur patrimoine commun et de leur richesse ». Toutefois, les FM de Gaza avaient beaucoup souffert durant l‟administration égyptienne (1948 -1967). Ces derniers avaient été l‟objet de répression et d‟arrestation pendant presque deux décennies. Après l‟occupation de Gaza par l‟Israël en juin 1967, les FM ont boycotté la résistance anti-israélienne menée par toutes les tendances présentes dans la bande de Gaza. Seulement, les islamistes ont obtenu une certaine stabilité durant l‟administration israélienne. Ces derniers sont échappés à la politique de répression intense qui touche un grand nombre de nationalistes. Des sources concordantes avancent même que l‟expulsion des nationalistes vers les pays voisins (Jordanie, Liban, Syrie) a été un facteur de consolidation du système des islamistes. C‟est à partir de ce moment que le Cheikh Yassῑn a mis en place sa structure en réseau à savoir son al-mujamma’ al-islāmῑ (1973). Ce réseau islamiste a permis aux FM de développer des activités humanitaires à l‟intérieur de la bande Gaza et d‟accroitre leur nombre. Mais il faudra attendre septembre 1979 pour que cette nouvelle structure islamiste obtienne l‟autorisation de la part de l‟autorité d‟occupation. Cette décision d‟accorder une autorisation officielle au mujamma s‟inscrit dans l‟optique de contrer le courant nationaliste. En outre, les FM ont plusieurs fois attaqué les autres tendances nationalistes palestiniennes. Après avoir perdu les élections à la tête du Croissant Rouge, des centaines de manifestants islamistes ont saccagé devant les yeux des services de sécurité israéliens les locaux du Croissant Rouge, le 7 janvier 1980. Par la suite, les partisans du cheikh Yassin ont brutalisé leurs adversaires palestiniens, qualifiés de « communistes ». Les FM par le biais de leurs étudiants ont transformé l‟université islamique de Gaza, le seul établissement de l‟enseignement supérieur du territoire en zone de tension et de conflit entre nationalistes et islamistes. Toutefois, la découverte par l‟armée israélienne d‟une soixantaine de pistolets et de mitraillettes, cachées dans la mosquée du cheikh Yassῑn en juin 1984, entraine l‟arrestation du fondateur du mujamma et sa condamnation à treize ans de prison. Même si ces armes étaient avant tout destinées à intimider les autres factions palestiniennes. L‟emprisonnement de Yassῑn a permis à ses partisans de le laver de tous les soupçons de collusion avec Israël. Le dirigeant islamiste est libéré dès mai 1985, dans le cadre d‟un accord d‟échange de prisonniers entre Israël et un groupe dissident de l‟OLP, basé à Damas.87 De ce fait, la thèse selon laquelle Israël aurait facilité l’existence du Hamas est qualifiée de rumeur absurde et explicitement démentie par Khaled Meshaal, responsable du bureau politique du mouvement à l‟extérieur : « Ce bobard est véhiculé par des arabes, des arabes palestiniens. C’est une tentative de porter atteinte à l’image de notre mouvement. Pour nous, cette accusation est tellement ridicule que nous ne nous donnons même pas la peine de la démentir. C’est tellement illogique ! »… et voici son explication : « Durant les années 1970, la principale force qui combattait contre Israël était le mouvement Fatah. Par conséquent, Israël concentrait sa répression militaire contre le Fatah et contre d’autres groupes, moins nombreux, de la résistance palestinienne, qui existaient alors. À l’époque, toutefois, le Hamas n’avait pas encore été réellement créé». Cependant, même si le Hamas représente la branche palestinienne des frères à Gaza, force est de constater que ce mouvement a bénéficié des financements de la part de l‟autorité d‟occupation israélienne.89 Ce qui fait que les fondements du Hamas sont très complexes et méritent d‟être étudiés avec une attention particulière. Mais seule une étude objective de l‟histoire permet d‟éclaircir et de retracer l‟origine du mouvement.
Dissensions entre pragmatiques et modérés
Politiquement, l‟organigramme du Hamas est constitué de deux instances interdépendantes, l‟une à l‟intérieur des territoires occupés et l‟autre à l‟extérieur. Ces deux entités sont les organes de décisions du mouvement. Et avec l‟apport du conseil consultatif (majlῑsaṧ-ṧura), l‟organisation islamiste paraît stable. Toutefois, des dissensions apparaissent à son sien entre modérés et pragmatiques, dont leur préoccupation majeure est la lutte antisioniste et la libération de la Palestine. Si les partisans de Gaza constituent l‟aile modérée, ceux de la Cisjordanie et d‟Amman sont des radicaux.105 En effet, les divergences surgissent dès la création du Hamas, alors que certains partisans et membres de l‟organisation voulaient garder leur profil par le bas au détriment de certains dirigeants de l‟intérieur, qui optent pour que le mouvement soit une forme de Jihad et participe à l’Intifāda. C‟est ainsi que le cheikh Yassῑn décide de l‟avenir de son organisation, qui désormais, participe activement aux combats anti-israéliens. Les premières discordes ont eu lieu lors qu‟Itzhak Rabin expulse vers le sud du Liban plus de quatre cents membres du Hamas suite aux attaques de 1992. Parmi les expulsés, il y avait des chefs de haut rang et quatre des sept fondateurs du mouvement. Ces derniers ont remarqué que les dirigeants de l’extérieur, à travers le bureau politique, essayaient de parler à leurs noms sans les avoir consulté et en se considérant comme les véritables chefs du mouvement. Le porte-parole des exilés fait alors une déclaration à la presse, dénonçant l‟attitude de leur confrère de l‟extérieur : « Si le Hamas et l’OLP étaient d’accord pour une application partielle de la résolution 799 en acceptant le retour de tous les exilés sauf un seul pendant une semaine de plus, nous refuserons. La seule décision qui nous engage est celle qui émanera de ce campement ».107 La signature de l‟OLP des accords d‟Oslo de 1993 a abouti à la proclamation de l‟Autorité palestinienne en 1994. Seulement durant cette période, les hauts responsables du bureau politique de l‟intérieur, soucieux de l‟unité nationale palestinienne, voulaient se rapprocher de l‟OLP. Le Hamas interne a beaucoup souffert durant les premières années de son existence : non seulement, il a connu des arrestations à son sien ; mais a aussi témoigné de l‟expulsion de ses membres vers l‟extérieur.109 C‟est ainsi que pour assurer la survie du mouvement dans son intégralité et pour rester dans le giron des FM, les dirigeants de l‟intérieur ont transféré le pouvoir de décision à la branche de l‟extérieur. Néanmoins, avec l‟autonomisation, le Hamas interne bénéficie de la passivité de l‟OLP. Ses membres circulent désormais librement dans leurs territoires et en plus, ils sont épargnés à la répression israélienne. Ces acquis les ont poussés à vouloir se rapprocher de l‟OLP. Par contre, la direction de l‟extérieur voit autrement cette décision. Elle considère que se rapprocher de l’Autorité nuit à la question palestinienne et à l’avenir de l‟organisation islamique. Ainsi, la direction de l‟extérieur était déterminée pour empêcher tout rapprochement avec l’Autorité qui constituait une menace à son influence pour des raisons purement politiques. Le bureau politique, à travers ce refus voulait simplement garder le centre du pouvoir de décisions. En outre, il serait absurde d‟évoquer les divergences entre les directions de l‟intérieur et de l‟extérieur sans pour autant parler de la participation du Hamas aux élections palestiniennes. Sous cet angle, on constate aussi que les organes de décision ne sont pas parvenus à un consensus. La participation aux élections législatives a été un des principaux points de discorde entre la direction intérieure et extérieure. La participation aux scrutins reflétait l’étendu de l’influence de chaque entité. La branche interne, toujours dans la logique de calmer le jeu politique et de se rapprocher de l‟Autorité palestinienne était prête à participer à l‟élection législative de 1996. D‟ailleurs c‟est la position du fondateur du mouvement cheikh Yassῑn, qui a très tôt exprimé la position du Hamas concernant l’idée d’une élection générale qui ferait apparaitre une direction représentative des palestiniens. Il était plutôt favorable à cette idée et à en étudié les conditions avant même qu’il y‟ ait une direction extérieure. Toutefois, la position du cheikh Yassῑn est confirmée par Mahmûd al- Zahar, porte-parole du Hamas qui a parlé de la possibilité d’organiser des élections sans retrait israélien. Il a réitéré la position du mouvement, considérant qu’Israël voulait montrer au monde que les palestiniens refusaient la démocratie, mais que le peuple palestinien l’approuve et qu‟Israël est sans voix. Par contre, la direction de l‟extérieur était opposée à cette position. Elle a justifié ce refus par le fait que le conseil législatif est d‟abord considéré comme un produit de l’accord d’Oslo qu‟elle refuse catégoriquement. En plus, le conseil donnera à l‟Israël le pouvoir de refuser toute résolution qui ne lui conviendrait pas et en fin, les dirigeants de l‟extérieur estiment que ces élections ignoreront les droits de quatre millions de palestiniens de la diaspora. C‟est ainsi que le Hamas externe, soucieux de garder le pouvoir de décision à lui seul était prêt à contrer le Hamas interne même s‟il s‟agit de l‟intérêt général des palestiniens. Raison pour laquelle, la direction de l‟extérieur, étant détachée des contraintes subies par la population palestinienne ne voulait ni le rapprochement du mouvement à l‟OLP, ni la participation aux élections législatives. Cependant, malgré le refus de l‟extérieur de participer aux élections de 1996, le Hamas interne parviendra à participer aux élections palestiniennes de 2006 même s‟il n‟y a pas eu de grand changement dans le paysage politique palestinien.
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Table des matières
INTRODUCTION
Première Partie : Les fondements historiques du Mouvement de la Résistance Islamique (Hamas)
CHAPITRE PREMIER : la confrérie des Frères Musulmans, le berceau de L‟Islamisme politique
1- Les précurseurs de l‟Islamisme politique
2- L‟action militaire des Frères Musulmans dans la guerre d‟indépendance (1948-1949)
3-L‟attitude des Frères Musulmans dans la guerre de 1967
Chapitre 2 : L‟Influence des Frères Musulmans au Proche-Orient
1- La branche palestinienne des Frères Musulmans
2 – Les Frères Musulmans de Gaza sous contrôle égyptien (1948 à 1967)
3- Les frères Musulmans de Gaza sous l‟occupation israélienne de 1967 à 1987
Chapitre 3 : La genèse du Mouvement de la Résistance Islamique
1 – Le déclenchement de l‟Intifada
2- Le Hamas et la première Intifada de 1987
3 – Le Hamas, une création sécrète d‟Israël
Deuxième Partie : La structuration et l‟idéologie du Hamas
CHAPITRE PREMIER : L‟organigramme du mouvement
1- la branche politique du Hamas
2 – L‟aile militaire
3 – Dissensions entre pragmatiques et modérés
Chapitre 2 : L‟idéologie du Hamas
1 – La volonté de créer un Etat Islamique
2- La destruction de l‟Etat d‟Israël
3- L‟incapacité du mouvement Hamas à réaliser ses objectifs
Chapitre 3 : le Hamas un mouvement protestataire
1- L‟opposition du Hamas aux accords d‟Oslo de 1993
2-Le Hamas dans le sillage du Jihād
3- Le Hamas et la seconde Intifada en 2000
Troisième Partie : L‟évolution du Hamas de 2005 à nos jours
Chapitre 1 : Les facteurs de l‟émergence du Hamas
1- Le changement de jeu politique
2 – L‟échec de l‟Autorité Palestinienne, agent de consolidation du système des hamsaouis
3 – L‟action humanitaire du Hamas
Chapitre 2 : Le Hamas au pouvoir
1- Le Hamas gagne la confiance des palestiniens
2- L‟incapacité des hamsaouis à gouverner
3- La répression des hamsaouis à l‟encontre des militants du Fatah
Chapitre 3 : Le Hamas face aux enjeux actuels du dossier palestinien
1- Réconciliation et gouvernement d‟union nationale
2- La récurrence des confrontations entre l‟Israël et le Hamas
3-L‟adoption d‟une position plus modérée
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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