Le guide d’auto-évaluation
INTRODUCTION
Les programmes de formation médicale se sont développés dans le but d’améliorer l’enseignement, l’apprentissage, et leur évaluation. L’approche par objectifs (APO), courant très influent depuis une quarantaine d’années en éducation, a permis de clarifier les performances désirées. Mais elle a favorisé un morcellement des apprentissages au détriment d’une construction de représentations plus globales et plus signifiantes du métier.
Depuis une quinzaine d’années les écrits en pédagogie médicale ont fait émerger un nouveau concept : l’approche par compétences (APC) [1]. Cette conception socioconstructiviste est issue de courants multiples et convergents, en lien avec le développement des sciences de l’apprentissage et de leurs applications en éducation [1]. Elle tend à se substituer peu à peu à la conception comportementaliste (ou behavioriste) dont est issue l’APO [1]. Alors que cette dernière est centrée sur l’enseignement, et vise l’acquisition d’un savoirfaire,
l’APC est centrée sur l’apprentissage [1] et vise l’acquisition d’un savoir-agir [2]. Elle se place ainsi dans une perspective d’évaluation authentique en situation [3]. Il ne s’agit donc plus d’évaluer les connaissances théoriques, mais ce qu’on est capable de faire avec celles-ci en situation authentique. Cela a fait émerger le modèle de « médecin compétent », au détriment de celui de « médecin savant » [1], ainsi que le modèle de « formateurs facilitateurs des apprentissages » au détriment de celui de « formateurs dispensateurs de savoirs » [4].
Aujourd’hui, dans la littérature, il n’existe pas de données permettant l’élaboration et la stabilisation d’un modèle d’apprentissage des différentes compétences [5]. Jacques Tardif, ancien professeur [6] en psychologie de l’éducation de l’Université de Montréal [7-8], a largement contribué à la mise en oeuvre et à l’évaluation de programmes axés sur le développement de compétences [8]. Il a proposé de construire des modèles théoriques à partir de l’expérience professionnelle, puis de valider ces conceptualisations au fur et à mesure de leurs usages auprès de plusieurs groupes d’étudiants [5]. Cette dernière étape nécessite la mise en place d’outils pertinents d’évaluation et d’auto-évaluation, qui pourront servir à la procédure de validation et de certification En France, dans cette optique d’APC, a été initialement écrit un référentiel métier¹ [9]. Il décrit 16 situations de soins types, représentatives du métier de médecin généraliste [9]. A partir de ce référentiel, un groupe de travail du Collège National des Généralistes Enseignants (CNGE), a identifié et détaillé de façon précise 6 compétences génériques transversales (illustrées par une marguerite – en Annexe I) [11]. Puis ont été décrits différents niveaux de compétences pour chacune d’elles² dans l’optique d’une évaluation certificative crédible des internes [12]. Par la suite (entre mars 2011 et 2013), un consensus non formalisé d’experts, tous enseignants de médecine générale (MG), a identifié 11 grandes familles de situations pour couvrir au mieux le champ de la discipline [12]. Les internes devront y être confrontés afin d’acquérir et d’évaluer leurs compétences [12].
MÉTHODE
Pour répondre aux objectifs de cette thèse, le choix de la méthode s’est porté sur une étude qualitative par entretiens collectifs semi-directifs (focus group) [14].
Sur la période de stage allant de mai à octobre 2016, les enseignants facultaires et animateurs des GEAP ont fait, en début de celui-ci, une présentation brève de la FENCIS. Ils s’adressaient aux internes de MG qui réalisaient leur SASPAS (Stage Ambulatoire en Soins Primaires en autonomie Supervisée). Ils leur ont suggéré d’utiliser cette fiche de manière facultative en tant que « fiche d’entraînement », en vue des Focus Group (FG).
Elle ne serait utilisée officiellement qu’à partir du semestre suivant, comme fiche d’auto-évaluation et d’évaluation des différents stages du Diplôme d’Etudes Spécialisées (DES) de MG.
Les données
L’ensemble des enregistrements comptait deux heures et quarante-cinq minutes d’entretiens, et a abouti à la transcription de cent dix pages de texte rédigé.
L’analyse du contenu du verbatim a permis de dégager quatre grands axes, dont trois amenés par le questionnaire initial du guide d’entretien. Ces grands thèmes ont été subdivisés en sous thèmes.
Les premier et deuxième axes traitent respectivement des outils pédagogiques fournis par le DMG dans la formation du DES de MG (hors FENCIS) : ceux jugés comme des guides, puis ceux considérés comme des moyens d’évaluation pour mesurer la progression dans l’acquisition des compétences. Le troisième axe décrit l’avis des internes au sujet des descriptifs de la FENCIS, et le quatrième des pistes sur l’utilisation concrète de la FENCIS (par qui/comment/quand).
Les Groupes d’Echange et d’Analyse des Pratiques (GEAP)
Ils ont particulièrement été plébiscités et appréciés lors du SASPAS, comme outil d’aide à la progression, à la fois pour les échanges entre pairs mais aussi pour les recherches qu’ils entrainaient.
Les internes ont vécu ces échanges comme indispensables et utiles, afin de soulever des questionnements difficiles à avoir seul. D’autant que les thèmes abordés étaient en lien direct avec leur pratique au quotidien, puisque partant d’expériences vécues en ambulatoire. Ils l’ont vécu comme un accompagnement, un soutien motivant et stimulant.
L’utilisation de la FENCIS
L’utilisation effective, par les participants
Dans le premier FG aucun des participants n’avait utilisé la FENCIS. Dans le second, seul un participant l’avait utilisé pour un bilan de mi stage, ayant un maître de stage déjà sensibilisé à cette fiche.
(8) : «je […] l’ai utilisée […] comme j’ai un de mes maîtres de stage qui fait partie du DMG »L’animateur a donc demandé aux autres de se projeter pour évaluer l’intérêt de cette fiche.
Les utilisateurs potentiels de la FENCIS
Les internes et l’autoévaluation
Nombreux sont ceux qui jugeaient difficile de s’évaluer soi-même. De plus, pour mieux pouvoir se positionner dans leur autoévaluation, ils trouvaient qu’il manquait des niveaux intermédiaires, ou tout du moins un curseur dans le niveau intermédiaire.
(6) : « c’est […] difficile de se juger […] d’être objectif soi-même […] rien ne correspond vraiment […] on voudrait des niveaux encore intermédiaires»
Dans le second FG quelques-uns soulignaient tout de même son importance, afin de pouvoir progresser par soimême.
(12) : « d’où l’intérêt de l’auto-évaluation […] parce qu’on apprend quand même […] pour la formation plus tard de médecine générale […] il faut savoir le faire par soi-même »
Toutefois, certains pensaient qu’ils s’en étaient très bien passés jusque-là pour évaluer leur progression.
(4) : « on se rend tous compte […] qu’au début de l’internat on se met plutôt dans novice ou intermédiaire […] en fin d’internat on est plutôt intermédiaire ou compétent […] est-ce qu’on a vraiment besoin de cet outil-là ? »
L’utilisation de la FENCIS lors du bilan de fin de stage
Remplissage en présence de l’interne
Pour tous sans exception l’évaluation devait se faire en leur présence, pour que ce soit constructif. L’intérêt était de pouvoir discuter des lacunes à combler mais aussi de valoriser les progrès.
(1) : « l’intérêt c’est on discute […] il y a eu des difficultés par rapport à ça, mais il y a eu telle ou telle progression »
Avec un évaluateur qui connaît l’interne
Ils trouvaient important et plus objectif que l’évaluateur soit quelqu’un qui les a vus travailler tout au long du stage.
(10) : « j’ai été évaluée par le chef de service, qui me connait pas et qui […] avait mis […] en présentation de dossier […] ça je ne t’ai jamais vu en présenter donc […] je ne vais pas te mettre bien, je vais te mettre moins bien […] là, je fais […] je veux bien être évalué par quelqu’un qui m’a vu faire »
Et s’ils étaient plusieurs maîtres de stage, les internes réclamaient à ce qu’au moins ils se concertent avant le bilan, car ils pouvaient ne pas être tous d’accord sur le niveau de certaines compétences de l’interne.
(7) : «le bilan de fin de stage doit se faire avec tous les maîtres de stage, ou au moins qu’ils communiquent entre eux, qu’ils se mettent d’accord sur ce qui est coché »
Les autres circonstances d’utilisation de la FENCIS (hors bilan de fin de stage)
Cette question n’a été abordée que lors du second FG, une fois que l’animateur leur ait expliqué l’utilisation théorique de la FENCIS prévue par le DMG : effectuer une évaluation en « début » et en fin de stage.
A mi stage
L’utilité principale de l’évaluation à mi stage, dégagée par les participants, était de repérer et soulever les lacunes de l’interne. Le stage pourrait ainsi être réorganisé, tant que possible, pour s’adapter aux besoins de formation de l’interne afin de tenter de les combler.
(7) : « en SAFE […] à mi stage on avait fait une évaluation […] et derrière […] les maîtres de stage ont orienté, et essayé de m’impliquer justement quand ça touchait à ces carences. Donc, j’imagine si j’avais utilisé la fiche, que évidemment ça aurait servi »
Ils ont souligné l’importance que l’évaluation de mi stage se fasse sur la même feuille que celle de fin de stage, pour pouvoir mieux apprécier la progression en fin de stage.
DISCUSSION
Principaux résultats
Les outils pédagogiques fournis par le DMG (hors FENCIS)
Il existe déjà de nombreux outils. Mais la plupart étaient considérés par les internes seulement comme des guides ou des aides à la progression dans leur formation.
Ils n’étaient pas vus comme des moyens d’évaluation de leur avancée dans la construction de leurs compétences professionnelles (ou en tout cas pas utilisés comme tels).
Dans cette étude on remarque que les internes comptaient surtout sur les échanges avec leurs maîtres de stage (ou leur tuteur), pour avancer dans leur formation.
Les internes attachaient plus d’importance à la supervision qu’à l’évaluation, et donc à l’aide que les maîtres de stage pouvaient leur apporter en les orientant dans leur formation.
Ces derniers étaient perçus comme des accompagnateurs plus que des évaluateurs.
Une utilisation annexe de la FENCIS
Grâce à cette fiche, ils ont également soumis l’idée de pouvoir évaluer la pédagogie des lieux de stage, en analysant rétrospectivement les évaluations des internes passés au sein d’un même stage.
Elle pourrait aider à soulever d’éventuelles lacunes pédagogiques, qui une fois mises en évidence pourraient être corrigées.
Ceci permettrait aux futurs internes de bénéficier d’une meilleure formation, en améliorant le niveau de compétence pédagogique au sein de ces lieux de stage.
Discussion des résultats
Le contrat social, le professionnalisme, et les outils pédagogiques
Selon la littérature, il existe un contrat social implicite entre la médecine et la société. Cette dernière exige des garanties de compétences en vue de l’attribution des certifications professionnelles.
Cela a fait renaître le besoin d’expliciter ce qu’est le professionnalisme médical et les responsabilités qui lui incombent [27].
Mais il existe des difficultés pour évaluer et certifier le niveau de professionnalisme et donc pour construire les programmes d’enseignement adéquats à ces exigences sociétales [8-23].
Dans cette optique, des démarches ont été entreprises pour l’élaboration de référentiels pédagogiques explicites, soutenues par la CIDMEF (Conférence internationale des doyens des facultés de médecine d’expression française) et par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) [7-23].
CONCLUSION
La FENCIS pourrait réunir les avantages de certains des outils fournis par le DMG et avoir plusieurs fonctionnalités, en plus d’être un moyen d’évaluation-notation.
Elle pourrait servir de guide personnel pour les internes et les maîtres de stage, y compris hospitaliers, dans la formation de médecine générale.
Pour les internes cela leur permettrait de connaître les attentes de la formation de façon précise.
Elle pourrait également permettre aux internes de s’autoévaluer, et s’investir de façon individuelle dans leur progression.
Pour les maîtres de stage cela leur permettrait d’être informés sur toutes les compétences attendues, d’un futur médecin généraliste, et grâce à elle de pouvoir plus facilement repérer les lacunes des internes pour ensuite les aider à progresser.
Cela améliorerait les supervisions, et aiderait à une prescription pédagogique pertinente adaptée aux besoins de formation de chacun. La FENCIS pourrait aussi leur servir de trame pour mener leurs entretiens auprès des internes.
Et enfin, elle servirait d’outil d’évaluation plus objective des compétences en fin de chaque stage.
Tout cela incluant des échanges, jugés primordiaux, entre les internes et leurs maîtres de stage, qui ont à la fois un rôle d’accompagnateurs et d’évaluateurs dans la formation des internes.
Cette étude explore donc des pistes sur l’intérêt que peuvent porter les internes à la FENCIS, pour ,construire leurs compétences professionnelles. Les résultats de cette étude suggèrent aussi des pistes en vue d’améliorer cet outil.
Elles permettraient d’obtenir une meilleure adhésion des internes à l’approche par compétence.
Toutefois il est nécessaire que d’autres études viennent compléter ce travail afin de corroborer ou non ces résultats obtenus sur un petit échantillon, et sur une population n’ayant pas vraiment utilisé la FENCIS.
|
Table des matières
INTRODUCTION
METHODE
RESULTATS
A. Les caractéristiques des participants
B. Les données
C. L’analyse des données
1. Les outils considérés comme des guides dans la formation du DES de MG
1.1. La marguerite
1.2. Le guide d’auto-évaluation
1.3. Les cours de Module A => D
1.4. Les Groupes d’Echanges et d’Analyse des Pratiques (GEAP)
1.5. Le tutorat
1.6. Les échanges avec les maîtres de stage
1.7. Le retour des patients
2. Les moyens pour mesurer la progression dans la formation (hors FENCIS)
2.1. Hors outils fournis par le DMG : Le ressenti par l’expérience
2.2. Parmi les outils fournis par le DMG : les outils papiers utilisés en vue de la préparation à la validation
du DES
3. L’avis des internes sur les niveaux de compétences de la FENCIS et leurs descriptifs
3.1. Les généralités
3.2. Le niveau novice
3.3. Le niveau compétent
3.4. Le niveau intermédiaire
4. L’utilisation de la FENCIS
4.1. L’utilisation effective par les participants
4.2. Les utilisateurs potentiels de la FENCIS
4.3. L’utilisation de la FENCIS lors du bilan de fin de stage
4.4. Les autres circonstances d’utilisation de la FENCIS (hors bilan de fin de stage)
4.5. Autre utilité potentielle de la FENCIS : Evaluer la pédagogie d’un lieu de stage
DISCUSSION
1. Principaux résultats
1.1. Les outils pédagogiques fournis par le DMG (hors FENCIS)
1.2. Les généralités sur les descriptifs des compétences de la FENCIS et de leurs niveaux
1.3. Les descriptifs des niveaux de compétences respectifs
1.4. L’utilisation de la FEENCIS par les internes
1.5. L’utilisation de la FENCIS par les maîtres de stage
1.6. Une utilisation annexe de la FENCIS
2. Critique de la Méthode
2.1. La recherche qualitative et son inconvénient majeur
2.2. La méthode par Focus Group
3. Discussion des résultats
4. Pistes de réflexion
CONCLUSION
Télécharger le rapport complet