Périgordien et Gravettien : d’une théorie à un consensus
La définition même du Gravettien semblait jusqu’à présent être bien formalisée. Or, au vu des données récentes, cette importante période du Paléolithique supérieur n’est pas aussi simple que ce que la chronologie établie le laisse supposer. Située au cœur des débats dans la première moitié du XXe siècle, cette culture fut quelque peu oubliée, notamment ces vingt dernières années, au profit d’autres centres d’intérêts tels que la transition entre le Paléolithique moyen et le Paléolithique supérieur . En outre, l’enjeu principal de ces discussions était l’établissement de la chronologie du Gravettien dans la perspective de déterminer son ou ses origines, et en particulier sa filiation avec le Châtelperronien.
En 1909, Henri Breuil mettait un terme définitif à la « bataille aurignacienne » en démontrant l’antériorité de l’Aurignacien sur le Solutréen. A partir des industries des gisements de Châtelperron, d’Aurignac et de La Gravette, il établissait la chronologie du Paléolithique supérieur, distinguant de bas en haut l’Aurignacien inférieur (type Châtelperron), l’Aurignacien moyen (type Cro-Magnon) et l’Aurignacien supérieur (type La Gravette) (Breuil, 1909). Ce système va perdurer pendant près d’un quart de siècle jusqu’à ce que Denis Peyrony propose une nouvelle théorie, s’appuyant pour cela sur deux stratigraphies, celles de La Ferrassie et de Laugerie-Haute (Peyrony, 1933). Il établissait ainsi que l’Aurignacien de H. Breuil se composait en réalité de deux cultures indépendantes mais contemporaines : l’Aurignacien et le Périgordien. Par la suite, il définit, au sein du Périgordien, cinq principales subdivisions à partir des observations obtenues sur les sites de La Ferrassie, de LaugerieHaute, de La Gravette et de Bos-del-Ser : les Périgordiens I à V. Pour l’auteur, ces cinq phases successives montraient une tradition technologique continue qui se caractérisait par l’utilisation de la retouche abrupte conduisant au dos abattu. Le terme de « Périgordien » regroupait l’ensemble des industries à dos abattu, les industries sans cette retouche appartenant à l’Aurignacien (Peyrony, 1934, 1936 et 1946).
A partir de la stratigraphie de La Ferrassie, D. Peyrony précisa la chronologie du Périgordien V en trois stades évolutifs, de la base vers le sommet (Peyrony, 1934):
– Périgordien Va (V1) à pointes de La Font-Robert ;
– Périgordien Vb (V2) à éléments tronqués ;
– Périgordien Vc (V3) à burins de Noailles.
Suite à ses travaux, D. Peyrony définit le Périgordien en trois unités principales :
– le Périgordien inférieur qui regroupe :
– Périgordien I à pointes de Châtelperron (La Ferrassie, couche E),
– Périgordien II à pointes de Châtelperron évoluées et à lamelles à bord retouché (La Ferrassie, couche E’ et Bos-del-Ser) ;
– le Périgordien moyen qui correspond au Périgordien III à lames tronquées obliquement et à lamelles à bord abattu (Laugerie-Haute, couches BB’) ;
– le Périgordien supérieur qui regroupe :
– Périgordien IV à pointes de la Gravette (La Gravette),
– Périgordien V, lui-même subdivisé en :
– Périgordien Va (V1) à pointes de La Font-Robert (La Ferrassie, couche J),
– Périgordien Vb (V2) à éléments tronqués (La Ferrassie, couche K),
– Périgordien Vc (V3) à burins de Noailles (La Ferrassie, couche L).
En 1946, il précise son modèle du Périgordien en distinguant deux entités : celle de Dordogne où les industries de l’Aurignacien et du Périgordien sont indépendantes, et celle de Corrèze où les deux faciès ont pu s’influencer (Peyrony, 1946). Quelques années plus tard, D. Peyrony considère la couche F de Laugerie-Haute Est, initialement appelée Protomagdalénien, comme étant un «Périgordien très évolué », concluant ainsi la séquence périgordienne (Peyrony, 1952).
Le modèle périgordien de D. Peyrony va perdurer pendant quelques années et il faudra attendre le début des années 1950 pour qu’il soit remis en question. En 1954, Henri Delporte ébranle la théorie de D. Peyrony en doutant de la filiation établie entre le Périgordien inférieur et le Périgordien supérieur (Delporte, 1954). Il préconisait en effet de séparer le Châtelperronien du Gravettien, terme repris de Dorothy Garrod et utilisé pour désigner les ensembles lithiques d’Europe centrale qui présentaient de fortes analogies avec le Périgordien IV de D. Peyrony (Garrod, 1938). En 1955, un second coup est porté au modèle périgordien par Denise de Sonneville-Bordes qui démontre que les industries du Périgordien II correspondent en réalité à des industries appartenant à un Aurignacien ancien, validant de facto l’hypothèse de H. Delporte (Sonneville-Bordes, 1955).
Au cœur de ces débats, 1960 est une année importante car c’est à ce moment que furent publiées les données du site éponyme du Gravettien, La Gravette : d’une part, Fernand Lacorre parle de Gravettien et non de Périgordien pour désigner les industries à pointes de la Gravette, et d’autre part, il introduit le terme de « Bayacien » pour individualiser un ensemble lithique mis en évidence pour la première fois dans ce gisement, ensemble qui se distingue par la présence de pièces foliacées, les fléchettes (Lacorre, 1960).
Le site archéologique de l’abri Pataud
Son contexte géographique
Le site de l’abri Pataud est localisé dans le département de la Dordogne, au cœur du village des Eyzies-de-Tayac. Blotti entre l’abri Cro-Magnon et le Musée national de préhistoire, cet abri-sousroche, totalement effondré dans la partie fouillée, est ouvert vers l’ouest/sud-ouest au pied d’une barre rocheuse calcaire, le massif du Signal. Haut d’une trentaine de mètres, il est orienté nord-sud, sur la rive gauche de la Vézère, affluent de la Dordogne.
Son contexte géologique
Géologie du Bassin aquitain
Le cadre géologique de l’abri Pataud s’inscrit dans celui du bassin d’Aquitaine, limité au nord et à l’est par la bordure d’érosion du Massif central, à l’ouest par les Landes et au sud par le cône de déjection du Lannemezan. Le bassin d’Aquitaine est un vaste bassin sédimentaire correspondant à une série de dépôts sur la plate-forme continentale amassés au cours de transgressions successives, à chaque grand cycle eustatique. Ces vastes dépôts de calcaires marins sont bordés au nord-est par les roches magmatiques et métamorphiques du Massif central.
Les transgressions, qui débutent au Trias suite à l’ouverture d’un grand bassin de distension,s’intensifient au Jurassique et atteignent le Massif central. Bien que la sédimentation s’effectue sous de faibles tranches d’eau, les dépôts s’accumulent sur de fortes épaisseurs. Au Crétacé inférieur, la paléogéographie est modifiée par deux bassins, Parentis et Mauléon, qui résultent de l’extension de l’accrétion atlantique vers le nord et qui en constituent le prolongement. Des marnes et des calcaires marneux s’amoncellent au cœur de ces derniers, tandis que sur les marges se mettent en place des calcaires construits. Enfin, au Crétacé supérieur, la transgression s’amplifie et atteint, dès le Cénomanien, le Massif central. Les dépôts, souvent d’origine organique, s’accumulent en faible profondeur.
Au Cénozoïque, la plate-forme centrale est régie par des cycles eustatiques et les dépôts sont essentiellement calcaires. Les produits de l’érosion des Pyrénées et du Massif central s’épandent sur une vaste surface, constituant les molasses d’Aquitaine. Les roches dures telles que le quartz et le quartzite proviennent de l’érosion du Massif central. Ces matériaux se retrouvent dans le lit de la Vézère ou dans ses alluvions sous forme de galets.
La mise en place du réseau hydrographique favorise le creusement de vallées au sein des vastes plateaux calcaires. Par la suite, ces ensembles calcaires sont affectés par un important réseau karstique sous l’action des eaux de ruissellement et d’infiltration. Le résultat le plus visible réside dans la constitution de grottes et d’abris-sous-roche. Par ailleurs, de nombreux gîtes de silex se forment au sein de ces massifs calcaires, lesquels seront mis progressivement au jour sous l’action de l’érosion. Durant le Quaternaire, les vallées sont en outre façonnées sous l’action de la gélifraction lors des épisodes glaciaires. De nombreux abris-sous roche en résultent, qui favoriseront l’installation des hommes (Laville, 1975 ; Dercourt, 1997).
Géologie de la vallée de la Vézère
Au pied de l’abri Pataud, la Vézère creuse son lit dans les dépôts calcaires et calcaires gréseux du Coniacien (Crétacé supérieur) mis en place entre 88,5 et 86,6 millions d’années. Les dépôts de base, des marnes grises glauconieuses, sont surmontés par des calcaires bioclastiques glauconieux à silex. La séquence se termine par des calcaires bioclastiques gréseux de couleur jaunâtre. Aux Eyzies-de-Tayac, le chenal d’étiage de la Vézère se situe actuellement à quelque 54,50 m audessus du niveau de la mer, niveau approximativement stable depuis 35 000 ans. L’élévation de la plaine alluviale est de + 60 m, des inondations ayant pu atteindre une élévation de + 62 m lors de crues centennales. Le point le plus bas du substratum rocheux de l’abri Pataud se localise à + 66,30 m tandis que les sédiments pléistocènes qui le remplissent culminent aux environs de 75,82 m (altitude du plan zéro de la fouille). Le site domine ainsi la vallée d’une vingtaine de mètres et le remplissage de l’abri n’est donc pas lié à l’évolution de la Vézère (Judson, 1975).
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Table des matières
INTRODUCTION
Chapitre 1 : Contexte d’étude
Le site archéologique de l’abri Pataud
Le contexte géographique
Le contexte géologique
Géologie du Bassin aquitain
Géologie de la vallée de la Vézère
Origines des matières premières lithiques
Les silex jurassiques
Les silex crétacés
Les silex cénozoïques
Le site de l’abri Pataud
Petite histoire du site
Stratigraphie
Données paléoenvironnementales
Sédimentologie
Palynologie
Anthracologie
Faune
Cadre chronologique
Le Gravettien moyen de l’abri Pataud : l’éboulis 3/4 et le niveau 4
Le niveau 4
Stratigraphie
Datations
Données archéologiques
Archéozoologie
Industrie osseuse
Art et parure
Colorants
Restes humains
Structures de combustion
L’éboulis 3/4
Stratigraphie
Datations
Données archéologiques
Archéozoologie
Industrie osseuse
Art et parure
Colorants
Restes humains
Structures de combustion
Chapitre 2 : Matériel et méthodes d’étude
Inventaire du matériel archéologique
Etudes du matériel lithique du niveau 4 et de l’éboulis 3/4
Liste typologique du matériel lithique
Inventaire typologique des blocs et des nucléus
Inventaire typologique des produits de débitage retouchés
Etude technologique et morpho-typologique
Observations communes à tout le matériel lithique
Matières premières
Cortex
Données métriques
Observations communes à une partie du matériel lithique
La fragmentation des supports
Les types de talons
Observations spécifiques à chaque catégorie
Etude des nucléus
Nature du bloc débité
Caractères des plans de frappe et des surfaces débitées
Etat d’abandon des nucléus
Etude des produits de mise en forme et d’entretien des nucléus
Lames à crête
Tablettes de ravivage
Flancs de nucléus
Etude des produits de débitage bruts
Etude des produits de débitage retouchés
Grattoirs
Burins
Outils composites
Pièces à dos
Pièces à troncatures
Pièces retouchées
Pièces encochées
Perçoirs et becs
Pièces esquillées
Autres types de produits retouchés
Etude technologique des chutes de burin
Chapitre 3 : Résultats
Taphonomie de l’assemblage lithique
Quelques remarques issues des premières observations
Une stratigraphie complexe
La conservation post-fouille
Une importante fragmentation des supports
Analyse critique des notes de fouilles et des données publiées
Etude de la cohérence des subdivisions archéologiques
Données fournies par les études archéozoologiques
Conclusions sur l’assemblage lithique
Inventaire du matériel archéologique
Matériel lithique étudié du niveau 4
Matériel lithique étudié de l’éboulis 3/4
Etude du matériel lithique du niveau 4
Les blocs et les nucléus
Inventaire
Données dimensionnelles et pondérales
Matières premières
Cortex
Données technologiques supplémentaires sur les nucléus
Nature du bloc débité
Caractères du plan de frappe et de la surface débitée
Etat du nucléus lors de son abandon
Les produits de mise en forme et d’entretien des nucléus
Les lames à crête
Inventaire
Matières premières
Etat de fragmentation
Données dimensionnelles
Cortex
Talons
Observations technologiques supplémentaires
Les tablettes de ravivage
Inventaire
Matières premières
Etat de fragmentation
Données dimensionnelles
Cortex
Talons
Observations technologiques supplémentaires
Les flancs de nucléus
Inventaire
Matières premières
Etat de fragmentation
Données dimensionnelles
Cortex
Talons
Observations technologiques supplémentaires
Les produits de débitage bruts
Inventaire général
Matières premières
Eclats bruts
Lames brutes
Lamelles brutes
Etat de fragmentation
Données dimensionnelles
Cortex
Talons
CONCLUSION