Le génome mosaïque de P. aeruginosa

Pseudomonas aeruginosa 

Historique

Pseudomonas aeruginosa est une bactérie Gram négative ubiquiste de l’environnement qui a la propriété de coloniser un grand nombre de niches : eaux, sols, animaux, plantes, hommes. Ce microorganisme a été isolé en 1882 par le pharmacien et bactériologiste Carles Gessard qui, ayant observé une coloration bleue des plaies infectées, l’a dénommé « bacille pyocyanique » (coloration causée par un pigment produit par la bactérie : la pyocyanine). Il tient son nom moderne du terme latin aeruginosa signifiant « vert-de-gris » toujours en lien avec la coloration spécifique des plaies. La souche de référence PAO1 (P. aeruginosa n° 01) a été isolée d’une blessure (causée par une brûlure) en Australie (Holloway, 1955). Au cours de la dernière décennie, P. aeruginosa est devenu un problème majeur de santé publique dans les hôpitaux. Chez les personnes immunodéprimées (grands brûlés, patients atteints de VIH, …), ce pathogène opportuniste est capable de causer des infections aiguës sévères telles que des infections urinaires, cutanées et oculaires (kératite de porteurs de lentilles de contact), pneumonies, septicémies…(Carmeli et al., 1999, Jarvis. 2003, Obritsch et al., 2004). De plus, des infections pulmonaires sont communes chez les individus atteints de la maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC), de pneumonie sous ventilation assistée (PVA), ou encore chez les malades atteints de mucoviscidose (Williams et al., 2010). Dans ces derniers, P. aeruginosa s’établit de manière durable dans leurs poumons provoquant une forte réaction inflammatoire chronique, ce qui entraîne une dégradation irrémédiable des tissus conduisant à une insuffisance respiratoire et à la mort des malades. Les deux différents modes d’infections causées par P. aeruginosa, à savoir aiguë versus chronique, sont liés aux deux modes de vie de la bactérie. Dans le cas des infections aiguës, la bactérie est retrouvée sous une forme planctonique, mobile, agressive, se servant de toxines et d’enzymes dégradatives telles que des phospholipases, des métalloprotéases, des élastases… Tandis que lorsqu’elle se développe sous forme de biofilm en communauté sessile, la bactérie induit des infections chroniques où la majorité des dégâts dans les tissus sont infligés par le propre système immunitaire de l’hôte.

Le génome mosaïque de P. aeruginosa 

Le premier génome de P. aeruginosa séquencé est celui de la souche PAO1 en 2000 (Stover et al., 2000). Il est composé de 6,3 Mb et renferme 5570 gènes prédits. C’est l’un des génomes connus les plus larges parmi les bactéries Gram négatives. De plus, il contiendrait le plus grand pourcentage de gènes régulateurs prédits de tous les génomes bactériens (8,4% soit plus de 500 gènes dévolus à sa seule régulation (Stover et al., 2000; Reva and Tummler. 2004). A ce jour, de nombreux génomes de souches de P. aeruginosa ont été séquencés. Treize génomes (dont 9 séquencés entièrement) sont accessibles en ligne sur le site du Pseudomonas Genome Database (www.pseudomonas.com), et leur taille varie de 5,5 à 7 Mb. La comparaison de la souche de référence PAO1 et de différents isolats cliniques a révélé « deux génomes » dans le génome : un « génome-cœur » conservé par toutes les souches de P. aeruginosa (représentant 90% de la totalité des gènes) et un « génomeaccessoire » spécifique à chaque souche, déterminant souvent la virulence de la bactérie (Romling et al., 1995). Ces régions non conservées sont dispersées tout le long du « génomecœur » et constituent des régions de plasticité génomique (region of genomic plasticity ou RGP) encore appelées « îlots de pathogénicité » (Kung et al., 2010). Ainsi, dans les îlots de pathogénicité, sont retrouvés fréquemment :
– des ICEs (éléments conjugatifs et intégratifs),
– des îlots de remplacement,
– des éléments prophages et « phage-like »,
– des transposons, des intégrons ou des séquences d’insertion (IS) .

Ceci illustre le fait que la majorité du génome-accessoire provient d’éléments ADN mobiles qui ont été souvent acquis par transfert horizontal et conservés par la bactérie. Certains de ces éléments ont perdu leur capacité à transposer à la suite d’une seconde mutation mais d’autres l’ont conservée et peuvent toujours s’exciser du génome tels que PAPI-1 et pKLC102. On reconnait ces éléments car ils présentent un contenu en GC plus bas que celui du génome-cœur qui est d’environ 66,6%, des codons différents et une composition tétranucléotidique anormale, c’est-à-dire une différence dans les 8-14 mers répétés et propres à chaque organisme (Reva and Tummler. 2004 ; Davenport et al., 2009). Une illustration de la plasticité du génome de P. aeruginosa est la comparaison entre PAO1 et la souche clinique PA14 hautement virulente (2e génome séquencé, 6,5 Mb et 5892 gènes prédits (Lee et al., 2006) . 54 régions génomiques (contenant au moins un ORF) sont spécifiques à PAO1 tandis que 58 régions sont propres à PA14, comme par exemple la région PAPI-2 (He et al., 2004) codant pour une des toxines de P. aeruginosa ExoU (une phospholipase dont la présence constitue un très mauvais pronostic pour les patients) .

Cette plasticité s’illustre donc par des évènements d’acquisition de nouvel ADN étranger mais aussi par de petites ou larges délétions, des mutations de simples nucléotides et des inversions chromosomiques. Tous ces réarrangements peuvent conduire à l’activation de gènes en dormance ou à l’inactivation de gènes exprimés du chromosome. Cette abondance de gènes en dormance potentiellement activables donne un avantage significatif à P. aeruginosa pour s’adapter le mieux possible à des changements environnementaux.

P. aeruginosa: un pathogène opportuniste préoccupant

P. aeruginosa est un problème de santé publique puisqu’elle est responsable de 40% des pneumonies et est la cause principale des infections respiratoires (Lyczak et al., 2000). De plus, ce pathogène opportuniste présente une résistance intrinsèque à de nombreux antibiotiques usuels, tels que les aminoglycosides, les fluoroquinolones et les β-lactamines, due à sa très faible perméabilité membranaire (12 à 100 fois moins permissive que celle d’Escherichia coli) (Hancock. 1998). En effet, sa porine principale OprF a une limite d’exclusion très basse et refoule donc une grande majorité de molécules antibiotiques. P. aeruginosa possède également une β-lactamase AmpC ainsi que de nombreuses pompes d’efflux très efficaces contre les antibiotiques (MexXY/OprM, MexAB/OprM …). Mais en plus de cette résistance intrinsèque, la force de ce pathogène réside dans sa capacité à acquérir une résistance adaptative par transfert horizontal d’éléments génétiques et aussi par des évènements de mutation. Elle peut ainsi assimiler des plasmides, transposons, phages présentant de multiples cassettes de résistance, se rendant elle-même multi-résistante. Cette résistance adaptative se manifeste par exemple par un renforcement de la surproduction des pompes d’efflux, une pénétration réduite d’antibiotiques ou l’altération des cibles des antibiotiques . Par exemple, il y a prolifération alarmante de souches cliniques contenant des plasmides codant pour des β-lactamases à spectre étendu et des métallo-βlactamases qui désamorcent les carbapénèmes (Bush and Macielag. 2010). Ces phénomènes de résistance adaptative sont induits sous la pression sélective d’un antibiotique ou d’un stress particulier. Les hôpitaux sont donc malheureusement un terrain favorable à l’apparition de souches multi-résistantes aux antibiotiques (MDR pour multi-drug resistant).

Certains isolats cliniques possèdent cette très forte résistance aux antibiotiques et font partie d’un nouveau groupe de pathogènes responsables de la majorité des infections nosocomiales à l’hôpital. Il s’agit d’Enterococcus faecium, Staphylococcus aureus, Klebsiella pneumoniae, Acinetobacter baumanii, P. aeruginosa et des espèces Enterobacter (Boucher et al., 2013). Ils forment le groupe « ESKAPE » (nom issu de leur initiale) mettant en exergue leur capacité à échapper au système immunitaire de l’hôte et leur multi-résistance aux antibiotiques. Le dernier rempart antibiotique dans les hôpitaux, les carbapénèmes, sont de moins en moins efficaces contre ces souches multirésistantes (apparition de carbapénèmases). En dernier recours, les cliniciens sont contraints de réutiliser d’anciennes molécules hautement toxiques y compris pour l’hôte, comme la colistine, qui avaient été abandonnées (Falagas and Kasiakou. 2005). La recherche de nouvelles molécules antibiotiques pour lutter contre ces « superpathogènes » est devenue une priorité pour tous. Malheureusement le nombre d’antibiotiques validés ne fait que diminuer depuis les années 80 (Figure 2B) et ces molécules sont de moins en moins efficaces contre le groupe « ESKAPE ». Ainsi la IDSA (Infectious Diseases Society of America) a lancé en 2010 un programme intitulé « 10 x’20 Initiative» : ce programme a pour but la découverte de 10 nouveaux composés antibiotiques. Il s’agit d’un programme global de Recherche et Développement d’antibactériens avérés et sans innocuité à l’horizon 2020 (Boucher et al., 2013).

En parallèle, face au problème de ces souches MDR, il est primordial de mieux étudier les facteurs de virulence de ces bactéries et de développer des stratégies « anti-infectieuses », ciblant des facteurs de virulence ou des régulateurs globaux. Cela limiterait la pression de sélection et empêcherait l’installation de souches résistantes. Ainsi, des inhibiteurs d’un des systèmes majeurs dans la virulence aiguë des bactéries Gram négatives, le système de sécrétion de type III (SST3), ont été récemment découverts. Il s’agit des Salicylidene Acylhydrazides, probables chélateurs du fer, qui bloquent la sécrétion des effecteurs de ce système (Kauppi et al., 2003). Ces molécules sont efficaces sur les SST3 de Yersinia, Chlamydia, P. aeruginosa, E. coli, Salmonella et Shigella. Entre 2002 et 2011, de nombreux programmes de criblages ont été réalisés et ont conduit à la découverte d’une quinzaine de composés dirigés contre le SST3 des bactéries Gram négatives (Duncan et al., 2012) .

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Table des matières

Introduction
I- Pseudomonas aeruginosa
1- Historique
2- Le génome mosaïque de P. aeruginosa
3- P. aeruginosa: un pathogène opportuniste préoccupant
4- La mucoviscidose : terrain propice à de multiples infections et à des modifications génomiques
a) Inititation de l’infection
b) Persistance dans les poumons
5- Le biofilm : un environnement polymicrobien inter et intra-espèces
II- Les facteurs de virulence de P. aeruginosa
1- Les facteurs de virulence impliqués dans l’adhésion et la motilité
a) Le flagelle
b) Les pili de type IV
2- Les facteurs de virulence impliqués dans la formation de biofilm
a) Les exopolysaccharides (EPS)
– les exopolysaccharides Psl (Polysaccharides synthesis locus)
– les exopolysaccharides Pel
– les alginates
3- L’ADN extracellulaire (« eDNA »)
4- Les systèmes de sécrétion de toxines et d’effecteurs
a) Le Système de Sécrétion de Type I (SST1)
b) Le Système de Sécrétion de Type II (SST2)
c) Le Système de Sécrétion de Type III (SST3)
d) Le Système de Sécrétion de Type V (SST5)
e) Le Système de Sécrétion de Type VI (SST6)
III- Régulation de la virulence chez P. aeruginosa
1- Le Quorum Sensing
2- Les systèmes de régulation à deux composants
3- La voie AMPc / Vfr
4- di-GMPc
5- Petits ARNs régulateurs
a) Régulation par appariement de bases: exemple des ARNs anti-sens PrrF1 et anti-sens PrrF2
b) Régulation de protéines se fixant aux ARNm : exemple de la protéine RsmA
IV- Transition vie planctonique / vie communautaire
1- La voie Gac-Rsm
2- RetS (Regulator of Exopolysaccharides and Type Three Secretion)
3- LadS (Lost of Adherence Sensor)
4- La voie HptB
5- Les messagers secondaires di-GMPc/AMPc
6- Les régulations additionnelles
V- La Régulation du SST3 et des SST6
1- La régulation du SST3
a) Spécifique : la cascade de couplage sécrétion-synthèse
b) La voie de signalisation AMPc/Vfr –dépendante (CVS pathway)
c) Voies de régulations interconnectées autour du SST3
2- La régulation des SST6
Chez P. aeruginosa, les trois SST6 sont codés par des gènes organisés en plusieurs opérons regroupés respectivement sur les loci HSI-I, II et III (Mougous et al., 2006) (Figure 22). Différentes régulations s’exercent sur ces loci, à différents niveaux
a) Niveau transcriptionnel
b) Niveau post-transcriptionnel
c) Niveau post-traductionnel
Objectifs de ma thèse
Résultats
Approches
Conclusion

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