Le gaspillage comme signe de richesse, entre le loisir et la consommation

Le gaspillage comme signe de richesse, entre le loisir et la consommation

   Veblen a démontré que le gaspillage, sous les différentes formes qu’il peut prendre, est en lui-même un signe de richesse : “gaspiller permet de montrer sa richesse”. L’action de gaspiller pourrait se définir par toutes “dépenses désordonnés, inutiles, excessives” ou encore par “un usage désordonné, une consommation incomplète ou inutile”. Ce gaspillage a pour but de démontrer l’abondance de richesse de l’individu en question en ce qu’il peut consommer de façon irréfléchie et disproportionnée. La plupart des individus achète en fonction de leurs besoins, afin de rationaliser leur achat et ne pas créer de dépense sur laquelle ils ne tireront pas un profit ou bénéfice. Le gaspillage ostentatoire a comme dessein le strict inverse. Le raisonnement pragmatique énoncé précédemment est considéré comme vulgaire et la consommation dispendieuse est un moyen d’afficher son pouvoir et sa supériorité. Veblen prenait déjà pour exemple les travaux de Marcel Mauss sur le don (voir bibliographie) dans lequel l’auteur avait mis en exergue des formes de consommation excessive en présents et en mets lors de rencontres sociales qui n’avaient que pour unique objectif de montrer la supériorité sociale. Aujourd’hui, les analyses sémiologiques de notre corpus (annexe n°3 et n°4) démontrent qu’il existe toujours des formes de démonstrations sociales à travers le gaspillage et que certains biens sont entièrement dédiés à la fonction statutaire et non plus utilitaire. Si on a beaucoup fait référence au gaspillage de richesse monétaire, il est important de rappeler que le gaspillage ostentatoire ne peut, à notre sens, se limiter à cette acception. Nos analyses ont contribué à faire émerger l’omniprésence du gaspillage de temps, puisqu’il peut être considéré également comme une richesse. Encore une fois, Veblen a largement placé l’emphase sur une des caractéristiques essentielles de la classe de loisir : le désœuvrement ou l’improductivité. Comme il le mentionne, “pour être estimé il ne suffit pas d’être riche, encore faut-il le montrer. Or une vie tout entière dédiée aux loisirs est précisément la preuve de la richesse”28. Ainsi, ce mécanisme qui pouvait s’observer durant l’époque contemporaine de Veblen, dont l’analyse est restée largement actuelle, peut tout à fait s’appliquer au contenu posté sur Instagram. Dans nos recherches, nous avons vu la plupart des comptes Instagram de Millenials fortunés envahis de photos de vacances et de destinations paradisiaques. Nombreuses sont les photos représentant leur propriétaires en train de participer à une activité de loisir, si bien qu’il ne nous est que très rarement apparu des photographies mettant en scène une activité scolaire ou toute forme de travail. Cette conclusion pourrait être nuancée, en premier lieu, par le biais du medium à l’origine de l’image. En effet, la photographie investit souvent un contexte de récréation (puisque la photographie dans un cadre non professionnelle est elle-même un loisir), ce qui pourrait nous faire dire que les scènes photographiées sont autant d’occasions de désoccupation : “l’essor de la photographie, très pratiquée à l’occasion des congés et tout particulièrement des voyages d’agrément, permet également de témoigner à son retour du loisir ostentatoire qui été pratiqué”. Si cette acception fait référence à la période de l’essor de la photographie, ici nous constatons que de façon contemporaine, Instagram tient le même rôle, il va servir de support à ces photographies. Dans un second temps, l’indication de jour et d’heure de l’image postée sur Instagram n’est pas synchronisée avec l’heure effective à laquelle la photographie a été prise. Il est donc facile de prétendre à un style de vie exclusivement oisif en publiant des images antidatées et à l’inverse, il est impossible de placer une photo postée dans une unité de temps. Ces caractéristiques propres au média que nous étudions, Instagram, doivent nous contraindre à une plus grande prudence à l’égard de nos conclusions. Néanmoins, certains éléments de nos analyses, et notamment les résultats de notre analyse systémique (annexe n°2) nous démontrent que les signifiants de l’oisiveté et de la non-activité sont très répandus dans le corpus étudié. Ceci nous permettrait donc d’affirmer que le gaspillage de temps, c’est à dire le fait de dédier une grande partie de son temps à l’improductivité est largement mis en avant. Il participe à la valorisation de l’individu puisque celui-ci n’a pas à s’astreindre à une activité rémunératrice alors que les activités qu’il affiche (vacances, loisirs, sport, farniente, réceptions…etc) ont un coût important. De plus, nous avons relevé de nombreux signifiants autour de ces activités qui connotent le raffinement, le prestige et l’abondance (annexes n°3 et n°4) ; par exemple, la somptuosité des résidences occupées lors des loisirs et leur localisation (près du front de mer, en surplomb, dans un quartier chic) indiquent en filigrane les sommes dépensées. C’est donc une démonstration de richesse via le gaspillage ostentatoire qui va permettre à l’utilisateur de créer l’envie autour de son style de vie et lui conférer une valeur sociale sur Instagram. Si Veblen défendait l’idée que le loisir ostentatoire s’effaçait au profit de la consommation ostentatoire dans les sociétés urbaines en raison du fait que ce premier ne permettait pas de montrer la richesse au-delà d’un cercle proche d’individus30, il nous semble qu’avec l’apparition des réseaux sociaux cette observation doit être reconsidérée. En effet, grâce à Instagram, les styles de vie sont visibles par tous les utilisateurs ou au moins par un groupe de personnes sélectionnées (selon que le compte soit public ou privé). Ainsi, le loisir ostentatoire garantit aussi bien sa fonction de marqueur de richesse que la consommation ostentatoire. Outre le gaspillage de temps, le gaspillage de biens de valeur est aussi éminemment présent. Encore une fois, il s’agit d’afficher l’étendue de son pouvoir d’achat, de montrer son niveau de vie et donc de justifier son importance sociale. Une des formes que peut prendre ce gaspillage de biens et que nous avons considérablement observé est l’accumulation immodérée de marchandise de luxe.

La profanation de l’objet de luxe au service de l’image du soi

   Nos analyses ont fait état de pratiques redondantes qui consistent à créer une situation grotesque à caractère cynique en mettant en avant un produit de luxe et à en faire un usage trivial. Ou encore de publier une image exhibant un bien onéreux et d’accompagner cette image d’un discours (cf. légende des publications sur Instagram) en rupture ironisant sur la richesse de l’utilisateur. Comme exemple, nous pouvons citer une image mettant en scène une jeune fille s’abritant de la pluie avec son iPad et une légende déclarant que ce produit était un très bon parapluie, ou encore une publication montrant un jeune homme assis sur une Ferrari rouge avec annoté en légende le hashtag36 “#poverty” c’est à dire “pauvreté”. Toujours dans le thème du gaspillage ostentatoire, certaines mises en scène se fondent sur l’effet immoral et indécent qu’elles expriment : donner du champagne Dom Perignon à son chien ou encore arroser les plantes avec sont autant de manières de dénier le prestige du bien et sa vocation à être consommé de manière respectueuse. Il est possible de tirer plusieurs conclusions de ce type de mise en scène. Elles visent tout d’abord à créer une situation qui va susciter l’intérêt et qui ne va pas laisser indifférent (le plus souvent elles prennent la forme de provocation). Ensuite, elles accordent à l’auteur de ces faits un caractère insolent à l’égard de la valeur des choses, ce qui le place au-dessus de toute considération d’ordre moral. En un sens, on montre que le sujet n’a aucune préoccupation financière et donc par-là que sa richesse ne se questionne pas. Mais dans un autre sens, on s’émancipe de toute attitude guindée ou maniérée qui accompagne la marchandise de luxe dans sa représentation traditionnelle. Cette attitude qui est commune aux occasions de ritualisation ostentatoire de la dilapidation et ici de la profanation de la marchandise de luxe a pour particularité de rompre avec toute attitude solennelle qui nous paraît plus habituelle. En effet, il serait sans doute hâtif de réduire ce comportement à une simple démonstration présomptueuse qui chercherait la domination sociale. Nous pouvons également y déceler un message propre à la génération protagoniste de nos travaux, les Millennials. Comme nous l’avons évoqué, cette attitude diffère dans le ton qu’elle adopte. On y voit moins, dans ce cas précis, la sacralisation de la marchandise et la ritualisation solennelle de sa consommation qu’une attitude plus légère et clairement désinvolte vis-à-vis du luxe. C’est donc peut-être moins l’ampleur de la richesse et du prestige social qui est mise en avant que la disposition à s’affranchir de tout comportement grandiloquent, au profit d’une attitude beaucoup plus détachée à l’égard des biens de valeur. Ces publications entraînent généralement beaucoup de réactions grâce aux commentaires et aux likes accordés par les autres utilisateurs. Si certains commentaires semblent déplorer un tel comportement prétentieux, d’autres y voient une source d’admiration. Quelles que soient les réactions, nous avons constaté que ces publications suscitaient de l’intérêt au regard du nombre de followers des comptes Instagram de notre corpus qui dépasse largement le millier. Autre indicateur de ce succès, la création d’un site dédié à la compilation de publications outrancières, “Rich Kids on Instagram”, qui cumule plus de 61 000 visites par mois et qui a fait l’objet d’articles de médias anglo-saxons et français (Daily Mail40, the Telegraph41, Le Point42, 20 minutes43, Konbini44). Enfin, ces pratiques peuvent être vues comme une revendication d’appartenance sociale mais elles ne sont pas destinées à être partagées seulement dans un entre-soi. La légende qui accompagne le site Rich Kids of Instagram, “They have more money than you and  this is what they do45”, indique clairement que l’audience du site n’est pas uniquement la frange fortunée extrêmement restreinte de la population mais tous les individus et plus particulièrement ceux de cette génération. De plus, les contenus publiés sur le site proviennent de comptes d’utilisateurs du monde entier, prouvant que ces pratiques sont universelles et qu’une sorte de connivence lie les Millennials fortunés les uns aux autres. Ainsi, les différents types de contenus que nous avons passés à la loupe semblent être répandus et partagés. Là où ces observations nous poussent à nous interroger et notamment pour la dernière partie de nos travaux qui consistera à des recommandations professionnelles, c’est sur l’enjeu d’image qu’elles représentent pour les marques. Au vu du succès indéniable de ces images, du moins de la visibilité importante qui leur est consacrée, qu’elles révoltent ou qu’elles suscitent l’admiration, quel impact ont-elles dans les consciences vis-à-vis des marques de luxe ? En effet, comme nous l’avons vu, le fait d’accumuler et de malmener parfois la marchandise de luxe dégrade sa valeur perçue et son aspect exclusif. L’univers construit par les marques de luxe autour de la sophistication et l’élégance est ici piétiné. De plus, la ritualisation ostentatoire de la dilapidation des richesses semble connaître un intérêt et une fascination réels, ce qui peut constituer une menace pour certaines marques de luxe. Toutefois, ces conclusions ne peuvent être généralisées et n’empêchent pas que les qualités intrinsèques et symboliques de la marchandise de luxe dans leur représentation plus traditionnelle soit des référents dans la valorisation des individus sur Instagram.

La sacralisation de la marque et l’importance de son appropriation

   “(…) Alors que de nombreux secteurs de consommation peuvent parfaitement se passer de marques, il en va tout autrement du domaine du luxe dans lequel la marque fonctionne comme une véritable griffe. La marque permet d’attester de la qualité, tant matérielle que sociale, de l’objet qui la porte”53. Sur l’ensemble des images que nous avons étudiées, invariablement, les objets exposés devant l’objectif et mis en valeur par des interactions avec son propriétaire ne représenteraient rien s’il n’y a avait pas un logotype ou tout autre signe reconnaissable pour signaler leur nature. C’est ce message iconique et littéral qui va nous indiquer à la fois des caractéristique matérielles mais aussi symboliques de l’objet et qui va justifier de la place qu’il occupe sur la photographie. Prenons l’exemple d’une photographie dans l’annexe n°2 : si le sac en cuir qui est porté ne présentait pas les initiales “LV” reconnaissables dans leur forme iconique comme celle de Louis Vuitton, l‘objet ne serait qu’un simple sac en cuir et ne présenterait pas d’intérêt particulier. Mais le fait que ce sac soit annoté du logo de la marque Louis Vuitton vaut à lui seul le fait que ce sac fasse l’objet d’une photographie. La simple visibilité de se logo, qui a l’avantage d’être très visible, va convoquer l’univers de la marque Louis Vuitton et ce qu’elle incarne dans l’imaginaire collectif. A partir de là, le possesseur de ce sac va revendiquer la possession de celui-ci et donc sa richesse (cf. prix du sac au-dessus du millier d’euro), son bon goût (la marque Louis Vuitton est reconnue pour être une marque de bagagerie de luxe française avec un savoir-faire qui n’est plus à démontrer) et son style de vie, ce qu’il choisit de consommer. Ce qui semble crucial dans cette brève analyse, est la façon dont un simple message iconique va faire basculer l’intérêt de l’image et son objectif social. Comment un simple signe peut-il avoir un effet aussi puissant ? Nous pourrions tenter d’apporter une réponse en invoquant la théorie de Pierre Bourdieu sur la transsubstantiation symbolique. Cette opération permet à un bien, par la simple apposition d’un nom de couturier, ou dans notre cas de toute autre marque de luxe reconnue, de devenir un objet à très forte valeur sociale et donc éminemment désirable. Si cet effet peut fonctionner, c’est parce que dans le champ (Bourdieu, 1975) qu’est la mode, tous les agents, ici les individus qui vont visionner la photographie sur Instagram, poursuivent le même illusio (Bourdieu, 1975), c’est à dire le même objet dans le champ qu’est la mode. L’objectif en question pourrait être le suivant : acquérir les objets les plus désirables dans le but de conquérir la reconnaissance d’autrui et le prestige social. Par ailleurs, pour que la transsubstantiation symbolique fonctionne, il faut que la valeur symbolique émise par une marchandise de luxe et ses caractéristiques soient reconnues par le plus grand nombre. Un étude menée dans sept pays différents (Etats-Unis, Japon et cinq pays européens) et parue en 199455 a démontré que pour la majeure partie des participants, un produit de luxe est identifié comme un produit de qualité et un produit cher. On confère donc au luxe cet aspect difficilement accessible (en termes financiers) et une supériorité en termes de qualité. Ainsi, lorsqu’on reconnaît une marque de luxe sur une image, on fait dans un premier temps une analogie automatique avec le statut social de l’individu qui en bénéficie, et on l’identifie comme aisé. On va également considérer la qualité et donc le goût de la personne et à sa capacité à choisir des objets de bonne facture, à s’accorder cette exigence. Une fois qu’on aura fait cette analogie entre la marque et le secteur auquel elle appartient, on va établir des correspondances entre l’univers qu’on prête à telle marque et son sujet. En ce sens, la marque va permettre de se distinguer, d’être une élément de différenciation par rapport à d’autres puisqu’elle va incarner un style de vie et des valeurs différentes. Dans son essai sur les objets et marques de luxe, Gille Marion considère que la marque de luxe renvoie à “une constellation de significations où l’image de soi et des autres ainsi que l’histoire individuelle et collective jouent un rôle déterminant”56 ; il décrit également que “ce qui est en jeu, c’est l’identité du consommateur”. On peut alors supposer que la marque qui est brandie et donc consommée devant une audience sur Instagram (dans le cadre de notre corpus) a été sciemment retenue pour les significations qu’elle convoque et qu’elle contribue à dévoiler une part de l’identité du sujet. En ce sens, nous avons relevé dans notre analyse systémique l’omniprésence de certaines marques, bien que les utilisateurs ne proviennent pas tous du même pays et de la même culture. Les marques Hermès et Louis Vuitton, les montres Rolex, le champagne Dom Perignon ou Veuve Clicquot reviennent de façon systématique et semblent ainsi incarner des valeurs partagées et reconnues. En ce sens, on pourrait supposer qu’elles incarnent un ensemble de signes référentiels. Nous reviendrons plus en détail sur ce point dans la prochaine sous-partie. Si la marque de luxe, grâce à sa portée élitiste (Assouly, 2011), peut-être un élément de différenciation sur Instagram, elle peut aussi créer matériellement la singularité et fusionner avec l’identité du consommateur. En effet, la personnalisation est un outil marketing puissant pour les marques de luxe. Louis Vuitton propose de graver les initiales de son nom sur un lien attaché aux sacs. Nous avons retrouvé la trace de cette pratique dans nos analyses où on retrouve sur plusieurs images publiées un sac Louis Vuitton personnalisé. Cette pratique pourrait trouver son origine et son succès dans la dimension sociale que la possession de bien et sa revendication recouvrent. Erving Goffman explique ce phénomène en ces termes : “lorsqu’un possesseur putatif revendique une réserve, il le fait savoir par un signe (…) que nous pouvons nommer “marqueur” ”57. Il distingue différents types de marqueur, dont le marqueur “signet” qui nous intéresse tout particulièrement puisqu’il consiste en une “signature incrustée dans un objet qui le revendique comme partie du territoire des possessions du signataire”. L’objectif, au-delà de l’aspect esthétique s’il y en a un, est donc de faire savoir à autrui de cet objet nous appartient, que ce n’est pas n’importe quel objet. Par-là, on se distingue et on affiche sa signature et donc une partie de son identité sur les objets. En cela, il est possible de s’approprier l’objet mais aussi la marque de façon symbolique. Les initiales du nom du signataire apparaissent aux côtés du logotype de la marque et se hissent au même niveau. La personnalisation d’objet, très sollicitée par les Millennials, n’est évidemment pas réservée aux marques de luxe mais il nous semble qu’elle est teintée d’une dimension particulière les concernant. De la même façon, certaines grandes maisons de champagne permettent à leurs clients d’inscrire leur nom ou une citation particulière sur l’emballage de la bouteille ou bien directement sur l’étiquette. Ainsi, le contenu et le contenant ont des caractéristiques singulières et l’objet est rendu unique. Le fait de le brandir sur Instagram pourrait s’apparenter à revendiquer de façon littérale sa propriété sans aucune ambiguïté. C’est également une manière de se distinguer en faisant allusion à un goût pour les objets originaux et individualisés.

Esthétisation de la vie quotidienne

   Le soin accordé aux sujets des photographies étudiées et l’importance de leur rendu esthétique permet de suivre une certaine ligne artistique au fil des publications d’un compte Instagram. C’est la vie quotidienne que l’on donne à voir mais de façon stylisée. Ce rapport que les utilisateurs entretiennent avec cette obsession de la mise en scène liée à la pratique photographique nous dit quelque chose d’important sur l’usage social de celle-ci. En 1980, la pensée de Pierre Bourdieu exprimait une idée qui nous semble tout à fait actuelle à l’heure des réseaux sociaux : “Le rapport que les individus ont avec la pratique photographique est par essence médiat parce qu’il enferme toujours la référence au rapport que les membres des autres classes sociales entretiennent avec la photographie et par là toutes la structure des rapports entre classes”109. Il ajoute également qu’“outre les intérêts propres à chaque classe sociale, ce sont les rapports objectifs, obscurément éprouvés, entre la classe comme telle et les autres classes qui s’expriment indirectement à travers les attitudes des individus à l’égard de la photographie”110. En faisant de la photographie un média qui donne à voir leur vie quotidienne idéalisée et mise en scène, les individus qui composent notre corpus cherchent à asseoir leur supériorité sociale et à la performer. Dans Le Luxe, Essai sur la fabrique de l’ostentation, Stéphane Harber formule la remarque suivante sur les publicités pour des produits de luxe : “Cette publicité plaçait l’accent sur le prestige que confère la possession de biens coûteux très éloignés des cercles de la nécessité vitale, et qui, porteurs d’une marque célèbre et classante – Mercedes, Rolex ou Chanel -, manifestent aux yeux de tous de triomphe sur symbolique sur le réel. Ce n’est pas le corps des besoins organiques ou du travail qui se voyait mis en scène, mais uniquement le corps capable de jouissances délicates dégagées du besoin, ou bien le corps réduit à son statut de medium de la présentation de soi et de la représentation sociale”111. Cette analyse semble se prêter exactement au phénomène que nous décrivons. Les images que nous avons analysées présentent dans leur mise en scène, leur aspect artistique et leur portée symbolique des similarités avec la publicité décrite dans la citation précédentes. Les publications sur Instagram ressemblent de plus en plus à des publicités, des publicités pour soi mais qui impliquent la publicité du produit. D’autre part, nous avons constaté que les images présentent les corps dans des contextes de jouissance, de plaisir, loin du “besoin” et ou de la “nécessité vitale”. Le corps est effectivement le medium qui va permettre de mettre en scène les produits (souvent, le visage de l’individu est coupé par le cadre) à la manière d’une publicité, le bras va servir de support pour la présentation de la montre pour les accessoires, les pieds pour les chaussures et ainsi de suite. Ainsi, l’esthétisation du quotidien ressemble de plus en plus à de la publicité et se fait au détriment de l’individu pour ses caractéristiques propre. Cette esthétisation déshumanise et standardise le contenu, ce sont la consommation et les objets matériels qui prennent le pas. Mais comment la technique photographique permet-elle justement cette esthétisation du quotidien ? Valérie Jeanne-Perrier émet l’observation suivante sur ce phénomène d’esthétisation du quotidien : “(le) quotidien est présent, mais souvent il est enchanté, magnifié, par des cadrages permis par les performances excellentes des appareils mobilisés”112. En effet, la dimension technique et l’accessibilité à la technique photographique ont une incidence non négligeable sur ce phénomène. Selon une étude récente conduite par Deloitte113, 77% des français déclarent posséder un smartphone et 82% des répondants l’utilisent pour prendre des photographies. Si l’on ajoute à cela le progrès technique qui permet aux smartphones d’être dotés d’appareils photographiques de plus en plus performants, il semble évident que l’équipement en appareils photographiques de qualité (en nombre de pixels) s’est largement démocratisé. Dès lors, les smartphones ont permis de prendre des photographies n’importe où, à n’importe quel moment, grâce à un équipement complètement nomade. L’ensemble du quotidien est photographiable en bonne qualité et peut être présenté comme une image esthétique. La remarque de Suzan Sontag dans Sur la photographie est particulièrement révélatrice : “Today everything exists to end in a photography” [“De nos jours, les choses existent pour être photographiées”]. Ainsi, nous pouvons nous demander si le phénomène d’Instagram n’inverse pas la dynamique de la pratique photographique : avant, les individus vivaient des expériences pour elles-mêmes et pensait de temps à autres à les immortaliser ; aujourd’hui, il semble que c’est la possibilité de la photographier qui pousse la motivation à vivre une expérience. De plus, la nécessité de connaissances techniques et de formation à la prise de photographie amateure a été remplacée par des interfaces simplifiées et automatisées capables de régler l’appareil, et d’effectuer des mises au point d’une simple pression du doigt. Le smartphone en tant qu’appareil photographique est devenu média puisqu’il permet de donner à voir le quotidien, d’enregistrer des instants de vie. Pierre Bourdieu a identifié les  motivations de l’activité photographiques comme “le simple fait de prendre des photos, de les conserver et les regarder” mais nous pourrions ajouter, au vu de la conjoncture technologique, “et les exposer sur les réseaux sociaux”. Il exprime également les satisfactions que cette activité apporte, dont “la communication avec autrui, la réalisation de soi-même et le  prestige social”. Ces satisfactions trouvent leur essence dans le fait de pouvoir montrer ces photographies ; en cela, le smartphone (et Instagram comme nous le verrons par la suite) incarne le rôle de l’album photo augmenté.

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Table des matières

INTRODUCTION
I. La marchandise de luxe symbole de la conspicuous consumption : l’ostentation comme modalité partagée de l’expression du soi sur Instagram et phénomène d’appartenance sociale
A. Le phénomène de ritualisation ostentatoire de la dilapidation des richesses (Veblen, 1899)
a. Le gaspillage comme signe de richesse, entre le loisir et la consommation
b. L’accumulation outrancière de marchandises de luxe
c. La profanation de l’objet de luxe au service de l’image du soi
B. La marchandise de luxe voulue comme faire-valoir différenciant sur Instagram pour les Millennials
a. L’opulence et la richesse, éléments de construction d’identité narrative (Ricoeur, 1990) dans la quête pour la reconnaissance
b. La sacralisation de la marque et l’importance de son appropriation
c. Je suis ce que j’ai : la consommation pour se définir socialement, le propre des Millennials ?
C. … mais qui présente une fonction normative et donc uniformisante des contenus 
a. Les marques-symboles universelles du luxe, signe de ralliement identitaire
b. La notion d’imitation propre de l’être social, l’exemple des clips de Hip-Hop
II. La mise en scène de la marchandise de luxe par la préemption de référents artistiques à travers le dispositif photographique puis le dispositif Instagram faire-valoir de l’image de soi 
A. L’emprunt a priori inconscient de rhétoriques et de référents artistiques 
a. Des mises en scène semblables à celles d’artistes : l’exemple du “wristshot” inventé involontairement par Josef Koudelka
b. La mise en scène des objets photographiques, allégorie de la jouissance et du luxe, analogie avec le style rococo
c. La photo “retour de shopping”, nouvelle nature morte ?
d. le “flatlay” et le “knolling”, techniques esthétique, de rangement empruntées par les artistes, devenues une rhétorique visuelle tendance sur Instagram
B. Les usages sociaux de la photographie sur Instagram 
a. Esthétisation de la vie quotidienne
C. Le dispositif Instagram et les propriétés de sa médiation
a. Instagram, galerie d’art 2.0 ?
b. le phénomène d’uniformisation de l’éthos par l’architexte
c. Le traitement de l’image via l’application ; la photographie sur Instagram est-elle réellement une création personnelle ?
RECOMMANDATIONS PROFESSIONNELLES
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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