Le franco provençal et les langues régionales

Un cheminement contemporain chaotique

Dans ce premier chapitre, nous devons présenter la façon dont le statut des langues régionales de France a évolué tout au long de la période contemporaine. Nous étudierons donc dans cette partie la période qui s’étend de 1789 à 1951, c’est-à-dire de la Révolution française à la promulgation de la Loi Deixonne du 11 janvier 1951. Celle dernière étant une des premières grandes lois à prendre en compte les langues régionales, notamment dans le domaine de l’enseignement.

Parcours historique ; entre rejet et instrumentalis ation

Les langues régionales et le plurilinguisme sont dès le commencement de la période contemporaine, sujet à polémique : « La question des langues régionales est une des grandes affaires européennes à partir de la fin du XVIIIe siècle. Ce que parlaient les différents sujets avait toujours peu compté pour les monarques, étant plus soucieux des rentrées d’impôts, de l’armée, etc. La monarchie française avait imposé précocement le Français dans les actes administratifs par l’Édit de Villers Cotterêts en 1539, puis elle avait soutenu la création littéraire et scientifique de cette langue et ainsi crée une académie chargée de veiller à sa pureté et à sa gloire. Pour autant les souverains successifs n’avaient pas jugé utile de faire parlerle Français à l’ensemble de la population. La proclamation de la République change radicalement la perspective ; l’usage de la « langue du roi » était pour les sujets question d’éducation etde choix, pour les citoyens l’usage de langue de la nation est un devoir. Elle doit permettre l’expression de toute idée, de toute réalité. Elle doit permettre à la nation de s’illustrer et de montrer qu’elle est égale en grandeur avec les autres ».

Un jacobinisme français

Tout d’abord, la Révolution française de 1789, puisque c’est à cette date que commence la période contemporaine. L’idéologie révolutionnaire jacobine promulguée par cet événement ne peut que déclarer la guerre aux patois , bien que la Constituante décide de traduire la Déclaration des Droits de l’Homme et duCitoyen dans toutes les langues du pays. En effet, en novembre 1792, le ministre de la justice entreprend de faire traduire décrets et lois, notamment en provençal et en breton. C’est l’immensité et la difficulté de la tâche, sans parler de son coût, qui sont les grandes raisons de son abandon en plus de l’idéal révolutionnaire : « le discours doit être un, comme la République ». Le volontarisme porté par la Révolution veut donc la création d’un corps politique national et démocratique, nécessitant que le français soit parlé par tous lescitoyens et leurs représentants. D’où la directive « une seule nation, une seule langue » ; pour être un bon citoyen, il faut comprendre les textes officiels, mais le plurilinguisme et la multiplicité sont une barrière. Ajoutons à cela que les campagnes sont gouvernées pas le monarchisme et le catholicisme proférant un discours hostile à la Révolution. Or, comme l’explique Claude Hagège, c’est dans les langues locales que royalistes et prêtres répandent leur discours contre l’action révolutionnaire. « La République a donc tout intérêt à imposer l’usage du français national, langue du gouvernement, contre les langues minoritaires, mode d’expressions de la contrerévolution et du message de résistance brandi par le trône et par l’autel ».
L’action révolutionnaire contre les patois, à l’époque on ne parle pas de langues régionales, est incarnée en la personne de l’Abbé Grégoire . Celui-ci dans la « foulée romantique de l’ère révolutionnaire » dresse un rapport sur les patois de France et prône leur fin. On retrouve ces propos dans son rapport :« le patois n’est pas fixé à priori par un code du savoir. Son statut et son contenu sont liésaux variations et aux ambivalences de la position adaptée par les correspondants ». Barère dresse aussi un rapport où il déclare que « le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton, l’émigration et la haine de la République parlent allemand (c’est-à-dire alsacien), la contre-révolution parle italien (c’està-dire corse), et le fanatisme parle basque ». C’est ainsi qu’est promulguée la deuxième loi linguistique de l’histoire du français. Les idées mises en avant dans les rapports de Barère etGrégoire en pluviôse et prairial de l’an II, sont adoptées par les Conventionnels et aboutissent à la loi du 2 Thermidor an II ou de la « terreur linguistique ». Cette dernière condamne à six mois d’emprisonnement et à la destitution « tout fonctionnaire ou officier public, tout agent du gouvernement qui dressera,écrira ou souscrira, dans l’exercice de ses fonctions, des procès-verbaux, jugements, contrats ou autres actes généralement quelconques, conçus en idiomes ou langues autres que la française ».

L’œuvre républicaine

En dépit de toutes les volontés jacobines cette politique est un échec. Comme l’explique Eugen Weber, le patriotisme parle peut-être français, mais il le parle mal. Là où le français n’est pas encore arrivé, les révolutionnaires s’expriment en langue locale.
La preuve que l’œuvre de l’abbé Grégoire n’est pas achevée est justifiée par les rapports des officiers. Ceux-ci envoyés dans les campagnes françaises lors de la Restauration, de la Monarchie de Juillet ou encore le Second empire font état d’un nombre conséquents de parlers locaux inintelligibles. Annie Moulin estimeque vers 1850 le français est une langue étrangère pour la moitié des Français mais que seuls 10 à 20 % ne le comprennent pas. La loi Guizot de 1833 a eu une grande importance quantà l’alphabétisation des campagnes et la propagation du français. Entre 1860 et 1880, lesréférences au fossé qui séparent villes et campagnes sont récurrentes dans les rapports des inspecteurs des écoles primaires. On fait état de la mission civilisatrice de l’école, de la volonté d’apporter de la lumière à ces peuples.
La dernière enquête réalisé sur « l’embarrassant thème du patois » (comme l’on appelait généralement les différents langages, idiomes, dialectes…) date de 1863 et est intitulée « usage de la langue française parmi l’ensemble de la population et dans les écoles ». Toutefois les résultats semblent optimistes, tout comme le rapport de Grégoire.
En 1863, selon les chiffres officiels, 8381 communes, sur 37 510, ne parlent pas français, soit près d’un quart de la population. Le ministèrede l’instruction publique constate que 448 328 élèves sur 4 018 427 (de 7 à 13 ans) ne parlent pas du tout français, et que 1 490 269 le parlent ou le comprennent, mais ne peuvent l’écrire, ce qui suppose une connaissance plutôt médiocre de la langue. Sur 24 des 89 départements du pays, on ne parle pas français dans plus de la moitié des communes ; dans 6 autres départements, un grand nombre de communes se trouve dans la même situation . Alors que commence la Troisième République, le français demeure une langue étrangère pour un nombre important de Français, y compris pour près de la moitié des enfants qui vont atteindre l’âge adulte dans le dernier quart du XIXe siècle. « Voyageant en Basse-Bretagne en 1882, Maupassant trouvait que la situation linguistique avait peu changé depuis que Flaubert avait visité la région quarante ans auparavant. Les gens étaient toujours hospitaliers, mais l’information difficile à obtenir, « car souvent pendant une semaine entière, quand on traverse les villages, on ne rencontre pas une seule personne qui sache un mot de français ». Et à l’exposition de Paris de 1889, les organisateurs de l’une des attractions, le chemin de fer à voie étroite de Decauville, jugèrent bon d’imprimer leurs affiches et leurs annonces en breton et en provençal aussi bien qu’en français».
À la toute fin du XIXe siècle, les témoignages relatant la présence du patois dans les villages et l’incapacité des enfants scolarisés à parler français, etc. commencent à diminuer. Bien que l’école soit le fer de lance du mouvement linguistique français, notamment par l’intervention de Jules Ferry, elle n’est pas toujours garante d’une efficace diffusion de la langue française. Pour ceux qui vont à l’école, peu d’entre eux sont déjà familiarisés avec le français, ils ne le parlent, ou n’essayent de le parler qu’à l’école. Il n’est pas facile de faire parler français à des enfants qui pensent patois. « L’affirmation répétée selon laquelle ces enfants étaient en train d’apprendre leur langue maternelle, pouvait difficilement paraître vrai à ceux dont lesmères n’en comprenaient pas un traître mot ». Ajoutons à cela que faire cours en français à des élèves qui ne le parlent pas accentue l’incompréhension, l’analphabétisme et une difficile assimilation. Sortis de l’école, les élèves se libèrent eux-mêmes de cette entrave française, reprenant leur façon de pensée et leur propre langue. Les instituteurs font face au problème en ignorant son existence. Un inspecteur nîmois déclare en 1872 : « l’usage du patois, le milieu dans lequel les élèves ont vécu, le temps relativement court qu’ils passent à l’école, tout cela rend cet enseignement bien difficile ». Or enseigner le français est la principale œuvrede l’éducation républicaine affirme Ferdinand Buisson . C’est l’idéal promulgué et voulu par l’éducation, mais dans les faits, les enseignants ne sont pas toujours garants de la bonne diffusion du français ; ils mènent des « batailles solitaires ». Tout d’abord parce que le succès de la langue française dépend beaucoup de l’environnement linguistique ; celui-ci a en effet tendance à mieux s’enraciner si la langue régionale est proche du français, c’est-à-dire dans les pays d’oïl. Les professeurs aussi sont parfois contraints à l’utilisation du patois local devant l’unilinguisme des élèves. Cette contrainte s’applique de ce fait dans le sens inverse ; en effet les enseignants ont souvent une connaissance partielle et relativement limitée du français, en conséquence ils préfèrent exercer en langue locale.
Durant la majeure partie du XIXe siècle, les écoles normales situées au sud de la ligne Saint-Malo-Genève font face à un apprentissage difficile du français aux futurs enseignants. Beaucoup d’entre eux n’ont jamais quitté leur région, ni leurs habitudes locales, qu’ils véhiculent dans les écoles. Il s’agit généralement de jeunes paysans souhaitant s’élever socialement et échapper au service militaire, comme l’explique Eugen Weber dans son chapitre « L’école et la scolarisation ». Toutefois à la lumière de la lecture de l’ouvrage de Jean-François Chanet, on se rend compte de la perception qu’avaient les enseignants de tout cela et de la façon dont ils abordent la chose. Jean-François Chanet, à l’opposé d’Eugen Weber, change son échelle d’interprétation du phénomène. J.-F. Chanet aborde l’école et l’éducation par l’intérieur, par la salle de classe. « Là où les maîtres sans doute avaient à mettre en œuvre les instructions venues d’en haut, mais où ils inventaient aussi leur pédagogie, en choisissant leurs dictées,leurs sujets de composition française, les itinéraires de leurs promenades scolaires ». C’est là l’intérêt de se baser sur l’ouvrage de J.-F. Chanet, puisqu’il s’emploie à un travail de restitution du déroulement de la classe. On découvre ainsi qu’en plus d’un niveau de français souvent faible, les professeurs passent outre le programme scolaire théorique prôné. Ces derniers doivent être en lutte constante avec les écoliers usant de la langue régionale qui, bien qu’étant la langue de leur mère, n’est pas leur langue maternelle. Toutefois les langues régionales ont tout de même eu droit de cité à l’école dans le but de faciliter l’apprentissage par le biais de la traduction.« Dans les années 1860, les trois-quarts des instituteurs finistériens utilisent leur langue maternelle en classe ». Ainsi le rôle des instituteurs dans cette « fin» des patois est à nuancer. C’est ce que fait Mona Ozouf. Elle modère ces propos en expliquant que ces maîtres d’écoles sont trop facilement incriminableset ne sont pas les seuls acteurs et les seuls coupables. « Les lumières de la ville, les rêves des parents, la culture de la réussite, la religion de l’utilité. C’est donc la société toute entière qu’il faut accuser de logique meurtrière à l’égard des langues minoritaires».

Un regain vichyste

On peut, en citant Philippe Poirrier, parler d’un certain âge d’or du folklore sous le régime de Vichy. Vichy propose un folklore idéalisant la société française, par le biais du « théâtre, de la musique, de la danse, de l’imagerie, des fêtes agrestes et des pèlerinage ».
Le régime met à profit le folklore pour illustrer sa devise « Travail, Famille, Patrie ». Ces revendications de la part du pouvoir, cette volontéde prôner des valeurs morales sont une idéologie que l’on retrouve chez les régionalistes. Sauf que les objectifs visés sont totalement différents dans les deux camps. C’est ainsi que Vichy réhabilite les langues et cultures régionales par le biais du folklore, de l’histoire et de la géographie. Les revendications de 1940 s’inversent par rapport à 1794 et l’enquête de l’abbé Grégoire. Ces enseignements servent désormais de nouvelles fins politiques. Elles retrouvent « les territoires perdus, en même temps qu’elles forgent d’autres mentalisées, et remplissent aussi leur fonction idéologique et politique d’endoctrinement ». Il faut noter que cette volonté de réhabilitation des langues régionales n’est pas un fait nouveau. Avec l’apparition du Félibrige à la fin du XIXe siècle, Frédéric Mistral s’est employé à promouvoir les langues d’oc. En 1875, deux chaires de provençal sont créées à l’École des Chartes et au Collège de France, un an plus tard deux chaires de langues romanes à Lyon et Bordeaux notamment, ; mais ces cours ont un faible auditoire. Même si cette réhabilitation ne concerne que l’enseignement supérieur et vise à la formation de linguistes, on peut déjà noter une amélioration dans la considération des langues régionales et de la position de l’État par rapport à elles. Le 9 octobre 1940, le secrétaire d’État à l’instruction publique Georges Ripert, envoie aux recteurs d’académie une circulaire stipulant ceci: « Je signale aux maîtres l’utilité que peut présenter pour eux l’étude du dialecte rural. Si, pour l’instant tout au moins, il n’a pas paru possible de faire enseigner ces dialectes dans les écoles primaires, je recommande aux maîtres de les étudier (…) Partout, il y a intérêt à ce que le maître, à propos de l’histoire locale, signale à ses élèves les noms des grands écrivains et des grands poètes de la région et leur explique la beauté de leur œuvre ».
Le 24 décembre 1941, un arrêté ministériel donne ledroit et la possibilité aux instituteurs de dispenser des cours de patois, à raison d’une heure et demie par semaine. Pour reprendre les expressions de Christian Faure , la France de Vichy instaure « une légende des siècles » bâtie sur les héros choisis du Panthéon traditionnel français, mais encore sur les figures régionales, « les héros des petites patries ». Pour prendre une figure locale, ce buvard d’écolier illustre bien cette volonté de glorifier les héros locaux.

Un contexte culturel français défavorable ?

Intéressons nous désormais au contexte culturel dans lequel ont pu évolué ses langues régionales. Évolution relative puisque comme on vient de le voir la politique française n’a pas poussé à leur évolution mais plutôt à leur déclin. Nous évoquerons rapidement les stéréotypes auquel sont sujettes leslangues régionales, pour nous attarder plus en profondeur sur le régionalisme.

Difficile identité des langues régionales

Images et stéréotypes

Les langues, on l’a vu, peuvent difficilement s’imposer en tant que telles dans le paysage linguistique français. Elles sont rejetées depuis la Révolution et sous la Troisième République, pour finalement être instrumentalisées sous le Régime de Vichy. Après l’épisode révolutionnaire et l’œuvre unificatrice jacobine, le statut des langues régionales a déjà pâti des nombreuses accusations et réprimandes venant de la capitale. L’abbé Grégoire les qualifiant « d’idiomes grossiers », ouencore Barthélémy de Lanthemas « de restes de la barbarie des temps passés ». Néanmoins, elles n’ont pas pour autant périclité.
En effet, un demi siècle plus tard, en 1851, Blanqui rapporte les conclusions suivantes ; « deux peuples différents vivent sur le même sol une vie si différente qu’ils semblent étrangers l’un à l’autre, même s’ils sont unis par les liens de la centralisation la plus impérieuse qui ait jamais existé ». Dans son chapitre intitulé « un pays de sauvages », Eugen Weber, montre bien comment depuis la capitale, on dénigre la province. Une province peuplée de sauvages « ne comprenant pas un mot de la langue », pays « où la civilisation n’a pas pénétré». Gambetta en 1871 s’exprime ainsi ; « les paysans sont intellectuellement en retard de quelques siècles sur la partie éclairée du pays, (…) la distance est énorme entre eux et nous, nous qui parlons notre langue, tandis que (…) nos compatriotes ne font que la balbutier ». Alors que de son côté, le paysan de province pâtit de son statut de non-civilisé.
Il admet que «quelque chose de valable et de très supérieur existait, qui lui faisait défaut, que la civilisation française et surtout tout ce qui venait de Paris était nettement supérieur et nettement désirable ». L’État parvient à stigmatiser les provinciaux et leurs traditions.
Aussi, les ennemis du patois pointent du doigt l’incapacité de la langue à exprimer une idée, par rapport à la pureté et à la clarté de la langue française.
Les patois sont considérés comme des parlers en ruine. L’hygiène de la langue exige la destruction du patois comme leur insalubrité imposait celle des vieux murs. « Sans doute –écrivait en 1888 Roger Liquier dans l’Instruction primaire – Mistral n’a pas tort d’affirmer que la disparition des patois, comme celle de certainescoutumes tombées en désuétude, fait perdre à notre pays une partie de son originalité. Mais ces doléances me rappellent celles de certains artistes qui, par respect du pittoresque, voudraient qu’on laissât debout certains quartiers infects du vieux Paris. C’est très joli, le pittoresque, mais l’hygiène, la nécessité d’assurer la circulation, de répondre en un mot, à mille besoins, c’est bien quelque chose aussi.
Or les dialectophones ont un vocabulaire riche et varié, où chaque chose a une appellation propre ; « les multiples patois locaux ont un fonctionnement linguistique où se lit les qualités des hommes de la terre et des hommes de travail ». Eugen Weber explique lui aussi que lorsque le parler des villes remplace celui des campagnes « le familier devint étranger ». Cette langue nouvelle ne permet pas « de participer aussi aisément et immédiatement à des situations que le temps et l’habitude avaient rendues communes et familières et que les mots avaient domestiqué ». Le patois comme le français se vit de façon douloureuse. On souffre de parler une langue pointée du doigt et l’on est limité parune langue que l’on a du mal à manier.

La montée du régionalisme

« Le régionalisme estime que l’unité française tire son originalité et sa force des régions qui la composent, il lui semble assez logique que notre nation se divise en régions. Il lui apparait que c’est maintenir et renforcer l’unité que de conserver les traits de toutes les parties qui forment le tout national ». Cette notion de régionalisme, fait écho à de multiples images et références. Selon Anne-Marie Thiesse, on peut se référer aux « fêtes, danses et habillements rétros de l’après Mai 68 » comme aux « manifestations (…), affrontements avec les forces de l’ordre  ». En France, l’amalgame entre le régionalisme et le nationalisme régional est commune. Alors que ce dernier sous entend une autonomie, ou une quasi indépendance, comme c’est le cas pour le mouvement indépendantiste basque, incarné par l’ETA ; Euskadi Ta Askatasuna. Même s’il ne s’affirme pas en tant que tel, on observe durant la Révolution, un momentqui « conjugue la volonté unitaire et la découverte des différences régionales ». La province a conscience de ses particularismes et ne veut pas qu’au bénéfice de l’unité jacobine et révolutionnaire, cellesci soient oubliées et enterrées.
La Révolution française et les prémices du régionalisme Dès ses premiers mois, la Révolution s’affirme comme une opération territoriale autant que politique. La refonte du territoire et de ses représentations est, dans l’esprit des hommes en 1789, le moyen privilégié de la construction de la nation. En témoignent le processus de la création des départements et le mouvement des fédérations, qui marquent un identique « désir du même ». C’est par la fusion des différences, ancrées dans le sol ou imposées par l’histoire, que la nation se construit. Par là, elle s’affirme comme une réalité supérieure à l’ensemble de ses parties. Posée d’emblée comme universelle et homogène, elle provoque l’association du fragmentaire et du particulier.
S’opère alors une réorganisation territoriale dont le fondement est là décentralisation. Les départements sont crées au mois de mars 1790, un phénomène qui se répercute dans les mentalités, notamment dans la perception de l’espace français. Cet épisode « n’est que le premier moment d’une affirmation double et contradictoire ». L’insurrection fédéraliste qui s’opère en 1793 ne remet pas en cause la République. Toutefois la pratique du département a soulevé de nouvelles volontés et accentué les différences entre la capitale et sa province. Cette dernière n’est pas placée sur unpied d’égalité, contrairement aux idéaux révolutionnaires. Les régions, ainsi que leurs particularismes sont perçues comme « rétrogrades », « archaïques », « condamnées à terme par l’homogénéisation croissante du territoire français ». C’est ce durcissement que remet en cause l’épisode de 1793.
En effet, l’insurrection fédéraliste est davantage due à l’hégémonie de Paris et son autoritarisme, qui mettent en péril l’unité républicaine. Le durcissement politique opéré par la capitale se traduit par une intransigeance envers tout ce qui n’émane pas de la capitale, du moins tout ce qui est différent d’elle. En témoigne la politique linguistique opérée durant la Révolution vu précédemment. Montagnards et Girondins s’opposent lors de cet épisode, les premiers accusant les seconds de vouloir démanteler la Nation. Pour les Montagnard toute affirmation de particularité est mortifère pour la nation, le local doit être anéanti au profit du national car le soulèvement local est synonyme d’une survivance de l’Ancien Régime . Ainsi ce mouvement fédéraliste, mené notamment par les Girondins est en quelque sorte le début d’une revendication régionale.
En opposition avec les nouvelles images de la nation dont est porteuse la politique de la Révolution, on trouve une littérature abondante ; celle des récits de voyage. On y retrouve tout ce qui fait les particularismes des différentes régions, « elles font surgir des pratiques infiniment diverses du travail et de la fête, des langues à foison, des coutumes et des usages morcelés, au sein même des départements.Par le biais des cultures locales, la diversité, qui prévalait avant 1789 et que le réaménagement départemental vient d’exclure de l’ordre territorial
». Ces textes par rapport à ceux de l’Ancien Régime, proposent une vision et une façon d’aborder les choses différentes : inventaires, descriptions neutres, emploi du présent, etc. Thierry Gasnier qualifie les auteurs de ces travaux d’antiquaires : « le point de vue du jacobin est doublé par celui de l’antiquaire ». La permanence et la survivance de ces cultures locales dont les antiquaires font la description, rend compte de leur immuabilité, de leur ancrage dans le sol et les esprits ; il faut faire face à une véritable Mémoire des lieux. L’espace local devient un lieu de mémoire car il tisse des relations entre la France et son passé.

Quel contexte régional pour la langue ?

Après avoir étudié les aspects culturels français qui ont pu avoir de l’importance quant aux langues régionales, voyons désormais l’échelle régionale. Pour illustrer la langue régionale qui nous intéresse, à savoir le francoprovençal, et comprendre quel contexte a pu l’influencer.

Un sentiment dauphinois ?

Il est délicat d’utiliser l’adjectif « dauphinois » car, comme nous l’avons dit au début, en précisant la délimitation géographique du sujet, nous nous basons sur les données de patoisants venant des Monts du Lyonnais. Ainsi le Dauphiné en tant qu’aire géographique ne correspond pas tout à fait aux bornes spatiales de notre sujet, mais excepté cela notre étude est basée sur les anciennes limites qui ont constitué le Dauphiné.
Maintenant que nous avons précisé ce point, il est important d’en clarifier un autre. En effet, la Révolution française a sonné le glas du Dauphiné, la réorganisation administrative du territoire le démembre en trois départements : l’Isère, la Drôme et les Hautes-Alpes. Le nom même de Dauphiné disparaît, Paul Dreyfus affirme dramatiquement qu’il « a sombré comme le font peu à peu, engloutis par la civilisation moderne, nivelant tout et chacun, les traditions, les coutumes, le folklore et tant de modestes trésors irremplaçables qui font l’originalité des vieilles provinces ». Cela étant, le souvenir dauphinois reste vivace dans les langues et dans les cœurs ; le gratin dauphinois, le Dauphiné libéré , l’Almanach Dauphinois, le Musée dauphinois, les sept merveilles du Dauphiné, etc. Voyons maintenant comment à l’échelle régionale est vécue la question de la langue, du patrimoine linguistique et donc implicitement de la mémoire.

Les acteurs intellectuels d’une mémoire dauphinoise

Commençons par les premières institutions que se sont targuées de « dauphinisme », si l’on peut dire. Aux XVIIIe et XIXe siècles, les sociétés savantes sont très populaires. L’Académie delphinale ne prend sonnom qu’en mars 1789, alors qu’elle fut créée en 1772 en tant que société littéraire. Elle disparaît, puis refait surface en 1796 sous le nom de Lycée, elle change encore de titre (Société des sciences et des arts) pour revenir à son nom d’origine. Son but est « d’encourager les lettres, les sciences, les arts et toutes études intéressant les départements de l’Isère, de la Drôme et des Hautes-Alpes qui constituaient l’ancienne province du Dauphiné ». Ce phénomène de floraison de sociétés savantes étudiant le territoire dauphinois, s’est généralisé. C’est le cas dans les trois départements qui remplacent désormais le Dauphiné. Leur but est de mener des recherches sur les nouvelles circonscriptions territoriales, des recherches historiques, scientifiques, artistiques et littéraires. La Société d’étude des Hautes-Alpes a perduré jusqu’à nous depuis 1880. Elle s’intéresse à l’étude du territoire haut-alpin, au travers des domaines que nous venons d’énoncer. On observe le même phénomène dansla Drôme, où est créée la Société départementale d’archéologie et de statistique, ainsi qu’en Isère. En 1838 est fondée la Société de statistique des sciences naturelles et des arts industries qui devient en 1921, la Société scientifique du Dauphiné. Plus tard, en 1945, le Groupe d’études historiques, géographiques et folkloriques du Bas Dauphiné voit le jour à Crémieu. En 1983, il succède à l’association Patrimoines de l’Isère, qui fournit à un large public des informations et connaissances solides, attrayantes sur l’histoire et le patrimoine régional, notamment par le biais d’une revue annuelle, La Pierre et l’écrit . Marie-Françoise Bois Delatte précise que se sont multipliées ces associations patrimoniales œuvrant pour le patrimoine et l’histoire locale. Il s’agit selon elle « d’une marque tangible d’un impérieux besoin de nos contemporains de renouer avec leurs racines, sans que celles-ci soient forcément perçues comme dauphinoises ». Ainsi même si ces sociétés savantes ou associations s’évertuent à connaître et faire connaître la culture régionale, celle-ci n’est pas envisagée comme dauphinoise.

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Table des matières

PARTIE 1 – LE FRANCOPROVENÇAL ET LES LANGUES REGIONALES
CHAPITRE 1 – UN CHEMINEMENT CONTEMPORAIN CHAOTIQUE
Parcours historique ; entre rejet et instrumentalisation
La République et ses langues
CHAPITRE 2 – UN CONTEXTE CULTUREL FRANÇAIS DEFAVORABLE?
Difficile identité des langues régionales
La montée du régionalisme
CHAPITRE 3 – QUEL CONTEXTE REGIONAL POUR LA LANGUE?
Un sentiment dauphinois ? L’absence d’unité francoprovençale
PARTIE 2 – CONNAITRE LE FRANCOPROVENÇAL
CHAPITRE 4 – PRESENTATION DU FRANCOPROVENÇAL.
Historique
Caractéristiques
Le francoprovençal aujourd’hui
CHAPITRE 5 – QUELS CHAMPS D’ETUDES POUR LES LANGUES REGIONALES?
Un commencement « folklorique »
La prépondérance des études linguistiques
CHAPITRE 6 – LE FRANCOPROVENÇAL A L’EPOQUE CONTEMPORAINE:ALLER A SA RENCONTRE
Des sources orales pour l’histoire
Le francoprovençal entre histoire du temps présent et histoire des représentations
PARTIE 3 – VIVRE LE FRANCOPROVENÇAL
CHAPITRE 7 – UNE VIE ASSOCIATIVE
Portrait et caractéristiques
Quelle reviviscence pour le francoprovençal ?
Une véritable production francoprovençale
CHAPITRE 8 – LE CLIVAGE EST-OUEST DE L’AIRE FRANCOPROVENÇALE
Pourquoi le Far-West francoprovençal ?
Le francoprovençal en politique
Se rassembler pour faire vivre la langue
CHAPITRE 9 – LE CAS PARTICULIER DU VAL D’AOSTE: « CITADELLE DU FRANCOPROVENÇAL»
Le parcours des langues dans l’histoire du Val d’Aoste
Quel statut pour le francoprovençal ?

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