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Le football « sauvage » en déclin,
Cependant, cette pratique du football « sauvage », aussi adaptable et hétéroclite soit-elle, ne vit pas actuellement les plus belles heures de son existence. En effet, cette pratique semble décliner petit à petit depuis une dizaine d’années maintenant.
De manière personnelle, une fois encore, je me suis demandé si ce constat de la décadence des pratiques n’était pas faussé par une vision des choses déformée. En effet, n’étant pas si âgé que cela, j’ai d’abord pensé que cette pratique du football « sauvage » n’avait pas évolué, et que c’était plutôt moi, du fait de la croissance et du vieillissement, qui avais l’impression de ne plus voir les mêmes choses qu’auparavant. Est-ce le fait de vivre des parties de football sous le prisme de la vision de l’enfant qui rendait cette pratique si grandiose et omniprésente ? Je cherche encore la réponse aujourd’hui. Cependant, certains éléments tendent à montrer qu’il ne s’agit pas uniquement d’une vision tronquée, ou d’un souvenir trop idéalisé. Car si j’ai grandi personnellement au cours des quinze dernières années, la société et les pratiques ont, elles aussi, changé.
En effet, cette piste est une fois de plus pointée du doigt (peut-être même de l’orteil) par Vikash Dhorasoo, lorsqu’il se demande « comment font les gamins des grosses villes ». Il raconte : « je vis à Paris et je ne vois aucun gamin jouer dans la rue, de façon sauvage, ni faire du vélo, ou tenter de faire du tennis avec ce qu’il a sous la main. Moi, ma vie, c’était ce terrain vague ». Les problèmes que celui-ci évoque dans cette citation sont de deux ordres. Dans un premier temps, il parle de la ville, et dans son sillage de la densification de celle-ci qui détruit de plus en plus les espaces résiduels où il est possible de pratiquer le football. D’un autre côté, Dhorasoo accuse directement les protagonistes eux-mêmes ; à son époque les choses ne se seraient pas passées de cette façon là. Ces deux éléments sont repris par Frédéric Barbe dans l’explication qu’il fait de ce déclin du football « sauvage ». Tout d’abord il met le doigt directement sur la densification urbaine et critique « la disparition des interstices et l’augmentation des circulations automobiles », qui selon lui détruisent la pratique de ce football à la marge. De plus, celui-ci appuie également son propos sur les acteurs directement, critiquant « l’enfermement des enfants et des adolescents », le numérique et les jeux vidéos qu’il juge « très masculins » et responsables en grande partie de l’abandon progressif de la pratique du football « sauvage ». Il m’explique synthétiquement que de manière « volontaire et involontaire », la situation actuelle aboutit à ce qu’on fasse « aussi autre chose que du foot finalement ».
De plus, bien que libre et indépendant, le football « sauvage » peut parfois être touché par les limites de ses qualités. En effet, si la liberté de cette pratique, évoquée sous plusieurs angles précédemment en fait un élément à part entière de la culture football, celle-ci peut aussi s’apparenter à un facteur de déclin). Ainsi, Christophe Gibout et Christophe Mony développent un pan de leur propos autour du rythme, de la périodicité et de la fréquence dans la pratique du football.
Or, ceux-ci dénoncent cette « incertitude quant au lieu de pratique [du football « sauvage » qui] influence également la temporalité des confrontations », et qui par conséquent occasionne une irrégularité qui peut être destructrice d’une dynamique de jeu régulier. Les deux auteurs expliquent ensuite que « cette irrégularité est conditionnée par les obligations extra-sportives, les conditions météorologiques, la présence des autres joueurs, et plus particulièrement du groupe et de son « noyau dur », celle enfin de la disponibilité des terrains de jeu ». Et c’est peut-être sur ce sujet de la disponibilité des terrains de jeu que je peux rebondir.
En effet, si l’un des fondements même de cette pratique est la recherche d’un terrain praticable en marge des institutions, il n’est pas rare de voir des joueurs de football « sauvage » prendre comme lieu d’action pour quelques heures des équipements sportifs municipaux. Et si, dans l’article de Jean-Charles Basson datant de 1998, celui-ci exprime des avis contradictoires compte tenu de la position du pouvoir public vis-à-vis du football « sauvage », il semblerait intéressant aujourd’hui, de poser la question aux élus locaux, à propos des attaques incessantes de l’urbanisme de masse et de la privatisation du sport sur ces pratiques sportives périphériques au système en place. Ainsi, l’auteur nous dit que « sans doute perturbantes à plus d’un titre, les pratiques sportives éphémères ne sont pas pour autant ignorées et entravées par l’action publique », mais que d’un autre côté, parfois les acteurs publics « les évaluent comme risques de troubles à l’ordre public ». Il est donc difficile de cerner le juste milieu et serait sans doute intéressant de prolonger ce questionnement en s’adressant directement aux acteurs concernés.
Lorsque j’ai discuté à propos de l’aspect attaché au mythe ou à la réalité du déclin de cette pratique, Frédéric Barbe m’a confirmé que pour lui le football pratiqué de manière « sauvage » a réduit considérablement. Il m’a expliqué que s’il se « balade pas mal, [il n’en voit] pas tant que ça. [Il voit] plutôt qu’on a tendance à jouer dans des surfaces dédiées ». Celui-ci se pose également la question de savoir « est-ce qu’on joue chez les gens, c’est-à-dire dans les pavillons, un peu, mais enfin pas beaucoup ». Finalement il voit « un peu une diminution de ces pratiques là ». Enfin, lorsque je lui ai posé la question de savoir s’il n’y avait pas une idéalisation autour de ce passé glorieux lié à la pratique du football de rue, le géographe m’a simplement répondu que lui l’avait pratiqué, qu’il l’avait vu décliner de manière franche au cours des dernières années, mais « qu’il y a un romantisme du football qui s’attache à ces objets là et qu’on n’est pas forcément épargné » sur ce sujet.
Cependant, cette pratique bien qu’en déclin, ne semble pas éteinte partout sur le territoire français. En effet, même si Vikash Dhorasoo critique le fait qu’à Paris il soit difficile de jouer au foot de manière « sauvage », Frédéric Barbe le prend à contrepied, s’appuyant sur une expérience qu’il a lui-même vécue. Il nous raconte que le football de rue est encore bien vivant, « qu’il y en a dans les zones très denses comme à Paris. [Il avait] une collègue chercheuse, il y avait des parties de foot en bas de chez elle jusqu’à 11 heures tous les soirs. Les gens finissaient par balancer de l’eau. Les joueurs couchaient les poubelles pour faire les buts. Tout ça en plein Paris, dans le XIVème ». Puis il s’interroge sur « est-ce qu’on le voit à Nantes ? Pas forcément ». Il est vrai que même dans les zones plus denses de la métropole nantaise il est complexe d’attraper des moments de vie comme celui décrit précédemment par Frédéric Barbe.
En conclusion, je peux donc définir le football dit « sauvage » comme une pratique propre à chacun, et qui se doit d’être expérimentée avant de pouvoir être clairement énoncée. Cependant, il est possible de cerner des aspects inamovibles de cette pratique telle que le nombre variable des joueurs, l’égalité de tous face à la pratique (grâce à sa gratuité et son état d’esprit souple), la notion de temps qui peut fluctuer de manière forte, et enfin, le rapport aux règles qui s’auto-définissent en fonction de l’ensemble des éléments précédemment énoncés. Cependant, cette pratique qui semble primitive et adaptable subit des pressions énormes de nos jours et doit affronter la densification des villes, un changement d’activités lié à l’arrivée du numérique chez des populations qui auparavant la pratiquaient, la pression plus ou moins forte des politiques pour ou contre ce type de football (pour l’institutionnaliser ou la faire disparaitre). Quoi qu’il en soit, le football « sauvage » n’est toujours pas mort et restera sans doute la forme la plus simple et la plus romantique de l’activité footballistique.
Le football des quartiers, définitions,
Le football des quartiers vient, pour ceux qui s’intéressent au sujet, souvent se placer à une échelle proche, mais supérieure à celle du football « sauvage ». En effet, bien qu’elles soient différentes, ces deux pratiques possèdent énormément de similitudes typologiques. C’est ce que nous allons maintenant tenter de définir.
Tout d’abord, je définirais personnellement le football des quartiers comme une pratique tournée autour du lieu. En effet, pour moi, le point central de cet élément du jeu footballistique est le terrain. Cet espace diffère de celui du football « sauvage » précédemment évoqué, car il est clairement identifiable. L’espace de jeu est réfléchi par des entités globales, par exemple des municipalités, avant d’être distribué dans le territoire de manière massive. Depuis les années 90, il s’agit souvent d’équipements appelés « city » placés généralement dans les coeurs névralgiques des cités d’habitation. Le terrain des quartiers est, pour moi, un lieu qui reste ouvert à tous, mais cependant plus régulé que celui de la pratique « sauvage », notamment à cause des limites spatiales créées par la structure d’accueil. Les acteurs qui y pratiquent le football y sont aussi très nombreux, et proviennent souvent du ou des quartiers environnants. Enfin, je finirais par définir le football des quartiers comme la pratique footballistique où la notion d’intégration est la plus forte. Qu’elle soit d’ordre physique, sociale, territoriale ou liée à l’âge, cette intégration est toujours fortement présente sur les terrains de pied d’immeubles.
Pour Christophe Gibout et Christophe Mauny, « la pratique du football de bas d’immeubles déjà ancienne, fait se retrouver les jeunes dans les « rues et bas d’immeubles », espaces publics de proximité dans leur quartier ». Ils confirment donc ce que j’évoquais dans ma définition personnelle, concernant la provenance des acteurs du football des quartiers, en ajoutant toutefois une précision concernant leur âge. Ceux-ci sont des jeunes provenant des quartiers environnants qui viennent jouer car la pratique est « récréative, libre, mobile dans l’espace et le temps, négociée entre des mêmes pratiquants ».
De plus, dans son article publié dans Les Annales de la recherche urbaine, consacré aux « générations d’équipements sportifs », Jean-Pierre Augustin fait une rétrospective sur l’histoire de cette pratique du football de quartier et de ses infrastructures. Ainsi, il raconte que ces équipements de proximité ont été « initiés par le ministère de la Jeunesse et des Sports en 1991, [qu’ils] visent à implanter, au coeur des quartiers, de petits équipements ouverts en permanence, d’accès libre et gratuit, et non fondé sur la compétition institutionnalisée ». Comme moi, l’auteur situe le football des quartiers dans une échelle intermédiaire. Pour eux, « ces lieux d’activité se situent en position intermédiaire entre les installations structurées et les espaces libres que sont les rues, trottoirs, parkings et les interstices entre les bâtiments ». Il livre également la « recette » architecturale et sociale de la réussite de ces équipements de proximité, expliquant qu’il « faut concevoir, dans un site favorable, un projet global assurant une intégration urbaine harmonieuse, offrant aux utilisateurs non seulement un outil fonctionnel, mais aussi un lieu convivial où des rapports humains riches peuvent s’établir ». Il ajoute aussi qu’il « s’agit d’ « intimiser » un espace pour en faciliter l’appropriation ultérieure, sans le fermer, et en lui conférant une valeur scénique à laquelle les jeunes sont particulièrement attachés. Ils aiment voir et être vus ». Il appuie ici son propos sur le fait que l’espace de jeu du quartier doit avoir valeur scénique. Le joueur joue pour son plaisir personnel, mais aussi pour être observé depuis l’extérieur. Enfin, l’auteur définit, dans son article datant de Juin 1998, le volume que prennent les terrains de quartier. En effet, ceux-ci sont « prévus de petite taille, généralement de 200 à 400 mètres carrés, permettant la plupart des jeux de ballons et desservant une aire très limitée ». Il exprime ensuite cela de manière plus descriptive, expliquant que les terrains « doivent, à l’échelle du quartier, s’organiser en réseaux d’installations diversifiées afin de limiter les risques de lassitude, de proposer la pratique de plusieurs sports et de favoriser le brassage des jeunes de l’ensemble résidentiel ». Ces termes que développe l’auteur rejoignent mon propos initial et confirment cette réflexion autour de l’importance de la centralité du lieu de pratique.
Le football des quartiers, pratiques,
Après avoir tenté de définir ce qu’était le football des quartiers, je peux maintenant m’attarder sur les pratiques de celui-ci, de manière plus concrète et précise, afin d’en faire apparaitre les aspects techniques et spatiaux. Je vais encore une fois essayer d’en extraire les règles, les acteurs et leur lien à l’espace de jeu.
Pour ce qui est des règles, je pense que celles-ci sont de prime abord définies par les acteurs. En effet, étant donné que les enjeux sportifs de la rencontre ne sont pas trop élevés, les joueurs peuvent s’entendre assez facilement sur des règles communes, sans faire trop de concessions. Là encore, le plaisir étant avant tout la motivation première du jeu, celui-ci se ressent quant à la définition de l’utilisation de l’espace de jeu. La notion de distance dans un espace confiné rend complexe certains points fondamentaux du football. Par exemple, le penalty, qui est sans doute dans le football l’occasion de but la plus simple à concrétiser, est, dans le football des quartiers, beaucoup plus difficile car le tireur doit se placer au centre du terrain et viser un but très petit que le gardien occupe massivement. Cette notion d’adaptation des règles est reprise par Christophe Gibout et Christophe Mauny. En effet, ceux-ci expliquent que « les jeunes connaissent les règles fondamentales du football mais n’en conservent que l’essentiel a minima dans le but de vivre les émotions produites par l’opposition. Les données de la pratique sont le fruit de négociations menées selon un registre utilitariste, stratégique et faisant la part belle à la rationalité instrumentale ». Les auteurs racontent ici que le jeu est le moteur principal de la transgression des règles classiques du football et que cette transgression est influencée par l’espace pour les bienfaits de la pratique. De plus, les deux sociologues déclarent que « si l’espace engendre différents points d’accord, en revanche, le quadrillage du temps paraît beaucoup plus aléatoire. En effet, il y a un accord tacite concernant le début mais le temps total ainsi que sa répartition ne sont pas déterminés. La négociation et l’autonomie constituent les moteurs du jeu de bas d’immeuble ». Là encore, la règle modèle la pratique, la rendant plus libre. Et comme dans le football « sauvage », la notion de distorsion du temps fait partie prenante des faits décisionnaires de début de rencontre. Cependant, bien qu’étant aussi une pratique plutôt libre, le football des quartiers possèdes quelques éléments contraignant. Par exemple, le nombre de joueurs est un sujet vite crucial. J’ai eu personnellement l’occasion de pratiquer cette manière de jouer, et il existe, contrairement au football « sauvage », un nombre idéal. En effet, la taille et la composition du terrain influe sur ce nombre. Lorsque celui-ci n’est pas assez élevé, les espaces laissés par les non-joueurs sont trop importants et le jeu pâtit assez vite de ces vides, avec souvent un déséquilibre notoire. D’un autre côté, si le nombre est trop élevé, le jeu est mis à mal par les espaces trop petits pour un nombre de joueurs trop important. Dans ces cas là, on se retrouve avec des matchs où l’on peut facilement prévoir une bataille acharnée et anarchique au centre du terrain et où le 0-0 final est fort probable. Dans la pratique, il n’est pas rare de voir les joueurs s’arrêter de jouer lorsque le nombre est trop élevé, afin de créer une troisième équipe et effectuer une rotation sur le terrain pour jouer les matchs. A contrario, Christophe Gibout et Christophe Mauny n’entendent pas ce nombre idéal de la même oreille. En effet, dans leur article, ils énoncent que « l’équilibre numérique ne semble pas a priori constituer une obligation de fait, ni même l’équité absolue dans le rapport de force. Les joueurs sont réunis en fonction de relations affinitaires fortes ». Dans mon vécu, j’ai eu l’occasion de faire face à des équipes réalisées par affinités, mais lorsque la rencontre se déséquilibre, les effectifs sont toujours remaniés.
Il existe cependant des alternatives à ce nombre de joueurs, grâce notamment au fait que les règles ne soient pas figées et globales. En effet, dans cet espace confiné où la présence d’un individu de trop peut faire basculer l’équilibre d’un match, il est possible de jouer sur la mobilité des gardiens de buts. Cela permet de convenir d’un nombre raisonnable de joueurs au coeur du jeu sans pour autant chambouler les forces en présence. Il est aussi possible de définir les limites, dans une moindre mesure que sur un terrain sans barrières certes, mais il est possible de les faire évoluer quelque peu. En effet, sur les terrains de pied d’immeuble, il existe des lignes tracées sur le gazon sablonneux artificiel qui peuvent être prises en compte lorsque le nombre de joueurs est trop faible. Cependant, lorsque ce nombre augmente, les limites peuvent s’élargir jusqu’aux parois périphériques du terrain. Ainsi, mes dires sont confirmés par les deux sociologues. En effet, ceux-ci disent que « l’espace de jeu est ainsi apprécié selon la notion de distance entre les cibles matérialisées de façon sommaire et les divers points du terrain. Les éléments disponibles dans l’environnement servent le plus souvent de point d’appui et point d’accord ». De ce fait, si les éléments sont changés pour un meilleur déroulement du jeu, la pratique influe sur l’espace. De plus, les auteurs expliquent que « la pratique de « pied d’immeuble » se caractérise par une organisation spatio-temporelle qui, au lieu d’être reproductible, s’adapte aux caractéristiques de l’environnement dans lequel elle se déroule ».
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Table des matières
> Introduction au propos
> Partie 1 : Quelques définitions du football, à travers les échelles
A. Le football « sauvage » en péril ?
B. Le football des quartiers comme vecteur de transmission, d’intégration ?
C. Le football en club, le jeu au service de l’institution ?
> Partie 2 : Mise en contexte de quelques pratiques et espaces du football dans la métropole Nantaise
A. Les pratiques footballistiques à Nantes, déclinaison d’exemples
B. La mixité dans le football au complexe sportif Mangin
> Conclusion générale et perspectives futures
> Bibliographie
> Iconographie
> Remerciements
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