Huit ans passés en Avignon. Durant toute cette période, ma perception de la ville a évolué. Tout au début, j’étais surprise par les remparts tandis qu’aujourd’hui, je m’y suis habituée. Au début de mon séjour, je n’arrivais même pas à retrouver l’entrée du Palais des Papes, alors même que je venais de le visiter entièrement. Maintenant, j’ai même la carte géographique de la ville en tête. Cette période a nourri et enrichi mon expérience par la rencontre de gens variés et surtout en me confrontant à différentes cultures. Tout au début, j’ai appris sans réfléchir, comme un enfant. Ensuite, j’ai filtré ce qui me convenait avec ma subjectivité, comme une adolescente. J’ai enfin compris et me suis adaptée à la différence sans aucun préjugé. C’est ainsi que mon point de vue sur cette ville a changé au fur et à mesure de mes rencontres et expériences.
Avec cette approche progressive et donc une forme de mûrissement, je trouve de plus en plus qu’Avignon est une ville intéressante. A Avignon, on peut croiser une multitude de visiteurs et de tous types. Il y a les visiteurs individuels ou ceux qui viennent en famille (famille simple avec parents et enfants ou grande famille composée de trois générations). Il y a ceux qui viennent avec des proches ou en couple ou seul.
Il y a également des groupes qui se déplacent avec leur guide. On peut les caractériser selon les lieux. Par exemple, si l’on se rend au marché des Halles, on peut y croiser des groupes arrivés en bateau de croisière « Viking ». Ces voyageurs se déplacent en petits groupes pour visiter. Ils viennent jusqu’à la Place Pie où se trouvent les Halles. Pour rencontrer d’autres types de voyageurs, il vaut mieux aller à la place de l’Horloge. On peut y trouver des groupes asiatiques. Pour certains d’entre eux, Avignon reste une ville de passage. Ils y passent une demi journée. Si l’on va au Pont d’Avignon situé en dehors des remparts, on peut y remarquer plusieurs bus garés. Ils sont destinés à ce genre de groupe. Ils visitent les endroits essentiels : Palais des Papes et Pont d’Avignon. Puis ils repartent. De ce fait, leur déplacement et séjour dans la ville sont très restreints. D’autres groupes passent la nuit à Avignon. Pour eux, Avignon est un carrefour et une entrée afin de visiter la région sud. Le jour de la visite d’Avignon, ils se rendent dans les endroits emblématiques de la ville avec leur guide. Ensuite, ils visitent librement la ville pendant environ 2h avant le dîner tout en se promenant dans les rues commerciales. Enfin, on peut également rencontrer des groupes de voyage scolaires. Ce sont plutôt de jeunes occidentaux anglais, espagnols ou allemands venus donc des pays voisins. Il y a aussi des élèves américains.
Le fondement de la festivalisation
Pour parler de la festivalisation, il vaudrait mieux remonter à l’origine du festival. D’après Franz Boas cité par Claude Lévi-Strauss, « il ne suffit pas de savoir comment sont les choses, mais comment elles sont venues à être ce qu’elles sont ». De nos jours, chaque pays a son propre festival. Même si les genres de festival sont identiques, le caractère de chaque festival est différent. C’est parce que celui-ci a un rapport étroit avec l’environnement où il se déroule. « Both the social function and the symbolic meaning of the festival are closely related to a series of overt values that the community recognizes as essential to its ideology and worldview, to its social identity, its historical continuity, and to its physical survival, which is ultimately what festival celebrates » . On voudrait partir de cette définition du festival. D’après Paul Ekman cité par Bernadette Quinn, il décrit le festival « as occasions for expressing collective belonging to a group or a place ». On peut ainsi saisir que le festival est un moyen d’exprimer l’idée d’un groupe. Ici, on peut se rendre compte que le festival se réalise quand les gens se réunissent. Dans un sens large, on peut s’interroger sur les raisons qui poussent les gens à se rassembler.
Rassemblement
On voudrait remonter dans le passé, au moment où des gens se rassemblaient rituellement. C’était pour prier ensemble par exemple, en attendant la pluie ou en espérant avoir une bonne chasse ou une bonne récolte. On n’oubliait pas les remerciements après avoir obtenu une faveur. Ce genre de rassemblement existe encore, mais avec des contextes culturels spécifiques. ‘Thanksgiving days’ peut-être, en est un exemple. Même si la date et la façon de fêter sont différentes, c’est devenu une des grandes fêtes au niveau national et cela dans plusieurs pays. Aux États Unis, cette fête est une des fêtes préférées des Américains. Elle a lieu le quatrième jeudi de novembre. Elle permet de réunir la famille et d’être ensemble. A l’origine, elle visait à remercier dieu et les récoltes. En Corée du sud, une fête comparable à celle des États-Unis est ‘Chuseok (추석)’. La ressource principale de ce pays d’Extrême Orient était basée traditionnellement sur l’agriculture. Il était indispensable d’avoir de bonnes conditions météo pour obtenir une bonne récolte. C’est pour cela que cette fête est considérée comme une des grandes fêtes nationales depuis très longtemps et jusqu’à aujourd’hui. On la fête au 15 août du calendrier chinois. En général, c’est en septembre et début octobre par rapport au calendrier occidental. Même si l’activité agraire est moins importante que par le passé, la tradition du rassemblement de la famille ainsi que les réunions pour les ancêtres se maintiennent de nos jours. Au fil du temps, même si on conserve l’esprit fondamental de ces fêtes, la prédominance de la raison et le développement social ont transformé avec le développement social.
Voyons ce qui se pratique lorsqu’on se réunit à notre époque. Pour le Thanksgiving days, le repas en famille a de l’importance. Comme à l’origine, c’était une fête après la récolte, elle portait le sens du partage et être tous réunis. Toute la famille prépare et mange ensemble. Pour ce repas spécifique, la dinde est la tradition. Elle renforce l’ambiance festive et joyeuse.
Aujourd’hui, le président américain gracie une dinde pour cette fête. Le rituel de manger la dinde à Thanksgiving day s’est adapté à la vie contemporaine en renforçant son sens festif. En Corée du Sud, à la veille de Chuseok, la famille se réunit et prépare ensemble le repas particulier avec du riz et des accompagnements. Au petit matin, le jour férié de l’offrande aux ancêtres précède le repas festif préparé la veille. Ensuite, on se rend ensemble sur les tombes des ancêtres pour les entretenir. Ce rituel est respecté encore aujourd’hui par toute la famille. Simplement, certaines familles s’adaptent à la vie quotidienne contemporaine. Par exemple, elle se rend sur les tombes des ancêtres avant Chuseok et se réunit le jour même. Le rituel peut être adapté et modifié selon les besoins de la société.
Dans ce sens, examinons l’évolution de la fête du Nouvel an dans le monde entier. L’origine de cette fête est liée à la cosmologie. « L’Année était un cercle fermé : elle avait un commencement et une fin, mais avait aussi cette particularité qu’elle pouvait « renaitre » sous la forme d’une Nouvelle Année. Avec chaque Nouvelle Année, un Temps « nouveau », « pur » et « saint » – parce que non encore usé – venait à l’existence » . Cette signification est davantage valorisée avec la perte du sens religieux. La signification de fêter ensemble est renforcée. La signification de la fête s’est alors transformée : du désir de prier et honorer dieu, on est passé au désir d’une convivialité joyeuse.
Aujourd’hui, on peut noter de grands rassemblements pour cette fête. Tous les pays organisent cet événement : on se rassemble pour accueillir ensemble la Nouvelle année. Examinons la soirée de la veille du Nouvel an. Tout le monde est dehors pour profiter de la fête et de cette soirée particulière. Chaque pays, chaque ville organise l’événement en même temps bien qu’ils ne se soient pas concertés. En Corée du Sud, traditionnellement, le premier janvier présente moins d’importance que le Nouvel an chinois. Tous les rituels pour accueillir la Nouvelle année ont lieu à la date du Nouvel an chinois. Néanmoins, la date du premier janvier émerge de plus en plus. De nos jours, il semble que l’on fête le Nouvel an deux fois et d’une manière différente. Pour le premier janvier, chaque ville organise un événement particulier. On se réunit à l’extérieur, sur une place. On sonne une cloche46 et on tire un feu d’artifice. Sinon, on se rassemble au bord de la mer de l’est pour voir le premier rayon du soleil. On le fête dans de plus en plus de villes. Par conséquent, le rituel du Nouvel an chinois s’étend aussi au premier janvier : on mange « Tteokguk–떡국 », on joue au « Yunnori – 윷놀이 ». De la même façon, en France, la tradition de la galette des rois s’étend tout au longue du mois de janvier. La fête du Nouvel an devient ainsi et aussi un festival. Voyons le cas d’Édimbourg : la fête du Nouvel an est vécue d’une manière populaire. La ville organise le festival Hogmanay. Il se déroule du 30 décembre au 1 janvier. Plusieurs programmes sont à l’affiche. De cette manière, on peut remarquer que la forme rituelle et traditionnelle du rassemblement prend ici la forme d’un festival et permet de rassembler une forte population.
Examinons encore un autre exemple, Noël. Pour la France, qui est un pays de tradition majoritairement catholique, ce jour revêt une grande importance. Toute la famille se réunit et fête ensemble ce jour. Certains vont à la Messe bien qu’ils ne fréquentent pas régulièrement l’église. Même si les Français fréquentent moins l’église qu’auparavant, cette fête reste encore très importante aujourd’hui. En Corée du Sud, on fête également ce jour et on se réunit alors qu’il n’est pas considéré ni comme une fête religieuse, ni comme une fête familiale sauf si on est d’obédience catholique. Cette fête se transforme plutôt en une réunion entre amis. Ce jour particulier offre l’occasion de sortir avec ses proches. Le Noël religieux de l’origine est considéré de plus en plus comme une fête populaire et non religieuse. Qu’on soit catholique ou pas, on fête ce jour à sa façon. On peut ainsi observer les multiples raisons du rassemblement à l’occasion de cette fête et selon les pays.
A la lumière de l’adaptation de nos jours des fêtes traditionnelles, on peut remarquer qu’elles s’intègrent de façon différente à chaque société. De nos jours, les fêtes perdent de plus en plus leur aspect solennel. C’est en raison du renforcement de l’aspect laïque au fil des changements de la société. Aujourd’hui, fêtes et rituels se répandent de partout. On peut les trouver en divers endroits, c’est le cas d’Halloween. Le rituel pour cette fête : se déguiser, le décor avec le masque gravé dans une citrouille, partager des bonbons, se pratiquent aujourd’hui pratiquement dans le monde entier. C’est un bon exemple pour montrer les changements du sens du rituel. Cette fête est une fête collective. A travers cette tendance, se rassembler pour fêter ensemble permet de partager le même rituel. Simplement, de nos jours, on le partage avec un nombre encore plus grand de personne. On voudrait revisiter le sens du rassemblement.
A la lumière de cette caractéristique commune du rassemblement par le passé et aujourd’hui, il est nécessaire de revisiter le sens du mot rassemblement à l’occasion de l’évènement festival de nos jours.
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Table des matières
Introduction générale
Partie I : Festivalisation
Introduction
1. Le fondement de la festivalisation
1-1)Rassemblement
1-2) Le genre du rassemblement
1-2-1) Fête
1-2-2) Festival
1-2-3) Méga-event
1-3) Le rassemblement : la cérémonie et le festival
1-4) Les éléments du rassemblement : l’endogène et l’exogène
1-4-1) Le sens de la forme : l’objet de l’individu et celui de l’événement
1-4-2) Le sens de l’épaisseur du cadre : l’intensité du rassemblement
2. Le contexte de la festivalisation
2-1) Étape 1 : Les années 80 (1980~1989)
2-2) Étape 2 : Les années 90 (1990~1999)
2-3) Étape 3 : Les années 2000 (2000~ – La nouvelle ère)
3. Définition de la festivalisation
3-1) La régularité du festival
3-2) La contribution économique
3-3) La contribution culturelle
4. Villes de la festivalisation
4-1) Édimbourg et le Festival d’Édimbourg
4-1-1) La régularité du Festival d’Édimbourg
4-1-2) La contribution économique du Festival d’Édimbourg
4-1-3) La contribution culturelle du Festival d’Édimbourg
4-2) Avignon et le Festival d’Avignon
4-2-1) La régularité du Festival d’Avignon
4-2-2) La contribution économique du Festival d’Avignon
4-2-3) La contribution culturelle du Festival d’Avignon
Conclusion
Partie II : La perception d’Avignon par les visiteurs asiatiques
Introduction
1. Les visiteurs asiatiques
1-1) Les visiteurs asiatiques en Europe
1-2) Le loisir et le tourisme
1-3) Le tourisme et la société
1-4) Le tour de l’Europe
1-5) La destination ciblée
1-6) Les apparences normales et la représentation
1-7) Les apparences normales et l’exotisme
2. Les visiteurs asiatiques et les outils numériques
2-1) L’Office du Tourisme d’Avignon (OTA)
2-2) L’influence des outils numériques
2-2-1) L’élargissement de la zone de déplacement
2-2-2) Le renforcement de la communauté propre
2-2-3) Les équipements pour les outils numériques
2-2-4) Le faible renouvellement de l’information
2-3) Les apparences normales et les outils numériques
2-4) Les apparences normales et la perception
• Perception imprécise : avant le départ pour Avignon
• Perception réelle : après l’arrivée à Avignon
2-5) Perception et processus de circulation de l’information
2-6) Relations entre comportement, réaction et perception
2-7) La perception et la liminarité
3. Les visiteurs asiatiques et le Festival d’Avignon
3-1) La perception du Festival d’Avignon
3-2) La réputation du Festival d’Avignon chez les visiteurs asiatiques
3-3) La connaissance du Festival d’Avignon
3-4) La vulnérabilité du Festival d’Avignon à distance
3-5) La vulnérabilité du Festival d’Avignon sur place
3-5-1) Vulnérabilité 1 : absence de contacts
3-5-2) Vulnérabilité 2 : absence de dispositifs d’information
3-5-3) Vulnérabilité 3 : absence de possibilités de séjour
3-6) Les éléments d’atténuation de la vulnérabilité du Festival d’Avignon
3-6-1) Atténuation de la vulnérabilité 1 : à travers l’éducation
3-6-2) Atténuation de la vulnérabilité 2 : à travers les réseaux sociaux
3-6-3) Atténuation de la vulnérabilité 3 : à travers sa propre culture
3-7) Entre vulnérabilité et atténuation de la vulnérabilité : la relation particulière entre le Festival d’Avignon et l’Office de Tourisme d’Avignon (OTA)
4. L’impact du Festival auprès des visiteurs asiatiques
4-1) L’élargissement de la curiosité
4-2) Le renforcement de la perception sur la ville
4-2-1) Le renforcement par l’ambiance
4-2-2) Le renforcement par l’histoire du Festival
Conclusion
Partie III : Les Avignonnais et leur festival
Introduction
1. Les Avignonnais et la ville d’Avignon
1-1)Les représentations et les apparences normales de la ville
1-1-1) L’aspect historique
1-1-2) L’aspect naturel de la Provence
1-1-3) L’aspect culturel
1-2) L’aspect culturel d’Avignon et les Avignonnais
2. Le rituel festif
2-1) Le rituel positif ou négatif
2-2) Enchantement
2-2-1) Enchantement et aspect historique et naturel de la Provence
2-2-2) Enchantement et aspect culturel
2-2-3) Enchantement et Festival d’Avignon
2-3) Les activités culturelles, le rituel festif et le rituel négatif
3. Les Avignonnais et le Festival d’Avignon
3-1) Le Festival d’Avignon et les règles de conduite
3-1-1) L’impact positif
3-1-1-1) L’Office de Tourisme d’Avignon (OTA)
3-1-1-2) La Scène d’Avignon
3-1-2) L’impact négatif
3-1-2-1) Le renforcement de l’économie
3-1-2-2) Festival du IN > Festival du OFF
3-1-2-3) « intellectuel » vs « populaire »
4. Désécularisation et sécularisation du Festival d’Avignon
4-1) Désécularisation du Festival du IN
• Désécularisation du perssonnage
• Désécularisation du lieu
• Désécularisation par manque de disponibilité
4-2) Sécularisation du Festival du OFF
• Sécularisation et diversité des formes de participation
• Sécularisation et diffusion de l’information
• Sécularisation des relations : des contacts concrets
4-3) La culture séculière et populaire
Conclusion
Conclusion générale