Le fonctionnent cognitif au cours d’une sollicitation physiologique

Neuromodulation de l’éveil

   Très tôt, Cooper (1973) met en relation les modifications du niveau d’éveil lors de l’exercice et l’augmentation de la concentration de catécholamines plasmatiques (principalement noradrénaline (NA)). En effet, lors de l’exercice physique, ou selon le contexte avant son initiation, l’hypothalamus initie l’axe sympathoadrénergique qui entraîne la libération de catécholamines par la glande médullo-surrénale. Cette structure est responsable de la libération plasmatique de 80 % de l’adrénaline (A) et de 20 % de NA, tandis que près 80 % de la NA est sécrétée par les neurones sympathiques post-ganglionnaires. Dans les premières études, les données expérimentales recueillies chez l’animal ont conduit Cooper (1973) à suggérer que lors d’une forte concentration de catécholamines plasmatiques et seulement dans ce cas, la barrière hématoencéphalique deviendrait perméable à ces neurohormones, permettant l’augmentation de leur concentration dans la formation réticulée et entraînant un effet sur le niveau d’éveil. Néanmoins, si plusieurs travaux rapportent une concomitance entre les libérations de catécholamines plasmatiques et cérébrales (pour revue voir McMorris 2016), à ce jour les données actuelles recueillies chez l’animal démontrent que la barrière hémato-encéphalique reste imperméable aux catécholamines plasmatiques, et cela quelles que soient leurs concentrations (Kostrzewa 2007). Ainsi, il a été proposé que les effets de l’exercice sur l’élévation du niveau d’éveil soient médiés par plusieurs zones cérébrales et notamment le tronc cérébral. Cette structure regroupe un amas de corps cellulaires de neurones, qui sont impliqués dans deux fonctions principales. La voie ascendante, aussi appelée le « système réticulaire activateur ascendant », possède un rôle important pour l’activation corticale et projette vers le thalamus, l’hypothalamus, le cortex et le cerveau antérieur basal. Le « système réticulaire activateur descendant » projette vers la moelle épinière et possède un rôle primordial pour le maintien du tonus musculaire (Lee et Dan 2012). Le système réticulaire activateur ascendant contient différents systèmes modulateurs, qui diffèrent par leurs structures anatomiques, leurs fonctions et par les neurotransmetteurs utilisés (Robbins 1997), mais possèdent tous une fonction globale de régulation. En effet, ils sont connus pour moduler l’activité de grandes populations de neurones afin de les rendre plus ou moins excitables ou d’augmenter/diminuer la synchronisation de leurs actions. Cette structure contient plusieurs neuromodulateurs essentiels tels que les monoamines incluant les catécholamines dopamine (DA) et noradrénaline, la sérotonine (Chaouloff 1989; Meeusen et de Meirleir 1995) ainsi que l’histamine et l’acétylcholine (Lee et Dan 2012). Il a été proposé que tous ces neurones déchargent fortement pendant les états de veille et ralentissent voire s’arrêtent de décharger pendant le sommeil léger ou profond. Ainsi, les systèmes modulateurs subcorticaux ont un effet significatif sur la régulation de l’éveil mais sont aussi impliqués dans l’attention, l’humeur et la cognition. Il est aujourd’hui admis que l’activité de ces neuromodulateurs est largement influencée par des facteurs psychologiques et physiologiques (Sara et Bouret 2012). A ce jour, l’activité du système noradrénergique et des systèmes dopaminergiques localisés respectivement dans le tronc cérébral semblent d’importance pour expliquer les modifications des processus cognitifs et attentionnels (Nieoullon 2002; Sara et Bouret 2012; Lee et Dan 2012). L’intégralité des neurones noradrénergiques sont localisés dans une structure du pont de Varole appelée le « locus coeruleus ». Les axones issus de ces noyaux forment plusieurs faisceaux, puis se dispersent et innervent tous les autres noyaux neuromodulateurs, mais aussi une grande partie du cerveau incluant l’ensemble du cortex cérébral, le thalamus, l’hypothalamus, le cervelet, le mésencéphale, le bulbe olfactif et la moelle épinière (Cooper 1973) (Figure 9). Il a été proposé que ses projections sur le thalamus et les cortex sensoriels influencent les processus sensoriels dans toutes les modalités, tandis que les études chez l’animal ont montré le rôle essentiel joué par les projections du locus coeruleus vers le cortex préfrontal (CPF) dans la régulation des processus cognitifs complexes (Sara et Bouret 2012).

Neuromodulateurs, exercice et cognition : validation expérimentale

   Plusieurs études ont tenté de valider expérimentalement le lien entre libération de catécholamines cérébrales pendant l’exercice et amélioration des processus cognitifs. La principale difficulté transversale à ces études réside dans la complexité de mesure directe des variations de catécholamines cérébrales chez l’humain. Les techniques utilisées sont donc des mesures indirectes, basées sur la quantification des taux de variations de catécholamines plasmatiques qui sont considérés comme concomitants aux valeurs cérébrales, ou dans les mesures de leurs métabolites, estimées comme plus précises. Dans l’étude pionnière sur cette thématique, Chmura Nazar et Kaciuba-Uściłko (1994) ont mis en relation les changements de performance lors d’une tâche de TRC, réalisée simultanément à un exercice de pédalage incrémenté jusqu’à épuisement, et les taux de catécholamines plasmatiques. Les résultats expérimentaux indiquent d’une part l’existence d’une augmentation concomitante de la concentration de NA et A plasmatique et l’intensité de l’exercice. D’autre part, les auteurs montrent que la performance de TRC suit une courbe en U-inversé : la performance s’améliore avec l’augmentation de l’intensité jusqu’à une valeur optimale, située autour de 75% ?̇O2max, tandis qu’une élévation additionnelle de l’intensité entraîne une détérioration du TR. Dans une seconde étude du groupe (Chmura et al. 1998), les auteurs ont investigué l’effet de deux exercices d’intensités et de durées différentes (respectivement 20 minutes au seuil lactique1 + 10% vs 60 minutes à 70% du seuil lactique) sur la performance d’une tâche de TRC et la variation de catécholamines plasmatiques. Les résultats indiquent une diminution du TR pour les deux intensités comparées aux valeurs de repos. Pour l’exercice intense de 20 minutes, une corrélation négative est indiquée entre le TR et la concentration de A et NA plasmatique : plus la concentration de catécholamines augmente, et plus le TR diminue. En revanche ce résultat n’est pas retrouvé pour l’exercice modéré de durée prolongée. En effet, le taux de catécholamines augmente rapidement pour se stabiliser dès 20 minutes d’exercice tandis que le TR diminue jusqu’à un palier situé à 40 minutes avant de se stabiliser jusqu’à la fin de l’exercice. Même si nous ne pouvons statuer sur l’amélioration du traitement de l’information, notamment en raison d’une absence d’analyse du taux d’erreur, cette étude a été la première à suggérer une corrélation négative entre le TR et le taux de catécholamines périphériques. Plusieurs études ont été menées par Mc Morris et al. (1999, 2000, 2003, 2008) dans l’objectif de confirmer cette hypothèse. Malgré une augmentation significative des catécholamines plasmatiques au cours de l’exercice, les résultats de ces études diffèrent entre eux. En effet, les effets de l’exercice sur le TR sont décrits comme facilitateurs quelle que soit l’intensité (McMorris et al. 1999), facilitateurs seulement pour une intensité maximale (McMorris et al. 2003), ou nuls (McMorris et Graydon 2000). Il a donc été proposé que le taux de catécholamines plasmatiques ne soit pas un indicateur fiable et systématique des modifications du TR (McMorris et al. 2003). Dans une étude plus récente, Mc Morris et al. (2008) ont évalué si la réalisation de tâches cognitives au cours d’un exercice était associée à une augmentation de l’utilisation de NA et DA cérébrale. Les auteurs ont formulé l’hypothèse qu’au cours de l’exercice, une augmentation de la libération de NA et DA cérébrale avait lieu et était disponible pour la réalisation de la tâche cognitive (Cooper 1973; Chmura, Nazar, et Kaciuba-Uściłko 1994). A ce titre, ils ont décidé de mesurer la concentration plasmatique des métabolites de la NA et DA, respectivement le 3-methoxy 4-hydroxyphenylglycol (MHPG) et l’acide homovanillique (HVA), qui sont considérés comme des meilleurs indices de l’utilisation des neurotransmetteurs NA et DA dans le cerveau que les mesures de catécholamines plasmatiques elles-mêmes. Ainsi les sujets étaient soumis à 4 conditions expérimentales au cours desquelles ils devaient pédaler 6 minutes sur ergocycle, à une intensité fixée à 40% et 80% de leur PMA. Ces valeurs cibles ont été choisies car elles se situent respectivement audessous et dessus du seuil adrénergique et cela quelle que soit la condition physique des sujets (Deuster et al. 1989). Dans deux de ces conditions les sujets devaient réaliser simultanément au pédalage, une tâche de TRC à 4 éventualités ainsi qu’une tâche de génération aléatoire de nombre, qui implique la mémoire de travail (condition « exercice plus cognition »). Dans les deux autres conditions, les sujets devaient seulement réaliser l’exercice physique de pédalage (condition « exercice seul »). Les auteurs postulent qu’une variation des concentrations de métabolites entre les conditions « exercice seul » et « exercice plus tâche cognitive » serait due à une activité centrale qui pourrait être prédictive des performances de la tâche cognitive. En effet, selon eux, les tâches cognitives impliquant les fonctions exécutives seraient particulièrement dépendantes des voies dopaminergiques et noradrénergiques. Les résultats de cette étude montrent d’une part que l’exercice à 80% PMA entraîne une augmentation significative du TR comparé à la condition de repos et à 40% PMA. Ce résultat n’est pas en adéquation avec les données actuelles de la littérature qui suggèrent un effet bénéfique de l’exercice sur le traitement de l’information. Néanmoins cette dégradation est compensée par une diminution significative du temps de mouvement comparée aux deux autres conditions. Aucun effet n’est observé sur l’efficacité de la mémoire de travail. Par ailleurs, malgré une élévation de la concentration de MHPG et HVA plasmatique simultanée à l’élévation de l’intensité d’exercice, celle-ci ne diffère pas entre les conditions « exercice seul » et « exercice plus cognition ». Il semblerait donc que l’augmentation de l’activité noradrénergique et dopaminergique soit seulement due à l’exercice lui-même et non à la sollicitation cognitive. Le faible échantillon (n = 12) de la population ainsi que leurs faibles niveaux de condition physique sont des explications potentielles à ces résultats incertains.

Amélioration des processus tardifs moteurs

   Toujours dans le cadre de la MFA, Arcelin, Delignieres, et Brisswalter (1998) ont manipulé l’incertitude temporelle lors d’une tâche de TRC simultanément à un exercice de pédalage sur ergocycle à 60% PMA. Les résultats indiquent la présence d’un effet d’interaction sous-additif entre l’exercice et l’incertitude temporelle. Néanmoins celui-ci apparaît comme fragile, puisque le seuil de significativité est atteint seulement pour le troisième quartile de la distribution du TR. Les auteurs suggèrent que l’exercice pourrait affecter l’étape d’exécution motrice, mais que cet effet n’influencerait que la fin de la distribution des TR (i.e., les TR les plus longs). Dans le but d’affiner cette localisation de l’effet de l’exercice sur la chaîne de traitement de l’information, d’autres méthodes notamment électrophysiologiques ont été utilisées. La technique d’électromyographie (EMG) est l’une d’entre elles. L’EMG est une technique d’enregistrement de l’activité électrique produite par les muscles, réalisée au moyen d’électrodes disposées sur la peau des muscles sollicités dans la réalisation de la tâche cognitive. On considère que les enregistrements reflètent la sommation algébrique des potentiels élémentaires qui se propagent dans le muscle. Ils représentent donc le recrutement d’une partie des unités motrices du muscle. Plusieurs études ont utilisé cette technique dans le cadre d’une logique chronométrique. En effet, couplée à une tâche de TR, la technique d’EMG permet de décomposer le TR en deux composantes chronométriques, reflétant chacun des processus distincts : le « temps pré-moteur » (TPM) et le « temps moteur » (TM). Le TPM correspond à l’intervalle de temps entre l’apparition du stimulus cible et le début de l’activité EMG du muscle impliqué dans la réponse motrice tandis que le TM correspond à l’intervalle de temps entre le début de l’activité EMG et le déclenchement de la réponse motrice (Botwinick et Thompson 1966). On considère donc que le TPM reflète la durée de l’ensemble des étapes en amont de l’exécution motrice, tandis que le TM reflète la durée des processus de transduction électromécaniques dans les fibres musculaires. L’analyse de ces deux composantes permet de déterminer si l’effet de l’exercice aigu sur le traitement de l’information s’effectue en amont ou en aval de l’activité EMG i.e., s’il affecte les processus d’intégration corticaux précoces ou les processus moteurs qui interviennent à la fin de la chaîne de traitement (Hasbroucq et al. 2001) (Figure 12).

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Table des matières

PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE
CHAPITRE 1 : Exercice aigu et Cognition 
I – Effets de l’exercice sur la cognition
1.1. Etat actuel de la recherche
1.2. Facteurs méthodologiques d’influence de l’interaction
Moment de passation de la tâche cognitive
Nature de la tâche cognitive
Contraintes de l’exercice physique
Caractéristiques des sujets
II – Amélioration de la cognition lors de l’exercice : hypothèses explicatives
2.1. Exercice et éveil
2.2. Neuromodulation de l’éveil
2.3. Exercice et neuromodulateurs cérébraux
2.4. Neuromodulateurs, exercice et cognition : validation expérimentale
III – Localisation des effets de l’exercice sur le traitement de l’information sensorimotrice
3.1. Décomposition globale des activités sensorimotrices
3.2. Amélioration des processus sensoriels
3.3. Amélioration des processus tardifs moteurs
CHAPITRE 2 : Exercice aigu, Nutrition et Fonctionnement cérébral 
I – Hydrates de carbone
1.1. Effets centraux des hydrates de carbone sur la performance
Effet sur la performance physique
Effet sur la perception de l’effort
Effet sur la performance cognitive
1.2. Effets centraux des hydrates de carbone sur la performance : hypothèses explicatives
II – Caféine
2.1. Effets de la caféine sur la performance
Effet sur la performance physique
Effet sur la perception de l’effort
Effet sur la performance cognitive
2.2. Effets de la caféine sur la performance : hypothèses explicatives
En ingestion
Sans ingestion : chewing-gum, rinçage de bouche et aérosols
III – Guarana
3.1. Effets du guarana sur la performance
3.2. Effets du guarana sur la performance : hypothèses explicatives
SECONDE PARTIE : CONTRIBUTION EXPERIMENTALE
Hypothèses et objectifs
ETUDE n°1 :  Heart rate variability and cognitive function following a multi-vitamin and mineral supplementation with added guarana (Paullinia cupana).
ETUDES n° 2 et 3 :  Effet d’un complexe créatine-guarana sur la puissance musculaire et la performance cognitive chez des sportifs de haut niveau de performance. Effect of carbohydrate intake on maximal power output and cognitive performances.
ETUDE n° 4 :  Cognitive performance enhancement induced by caffeine, carbohydrate and guarana mouth rinsing during submaximal exercise.
ETUDE n° 5 :  Do nutritional supplements enhance cognitive performance in high level athletes?
TROISIÈME PARTIE : DISCUSSION GÉNÉRALE
I – Effets d’une sollicitation physiologique
II – Effets de la nutrition
2.1. Effets de la caféine
2.2. Effets du guarana
2.3. Effets des hydrates de carbone
CONCLUSION GENERALE
REFERENCES

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