Le développement langagier tardif
Le développement langagier tardif est secondaire au développement langagier précoce, au niveau temporel, il nécessite une fondation linguistique solide pendant l’enfance pour se développer et repose sur les habiletés langagières orales fondamentales (Parbeau-Gueno, 2007). Son arrivée secondaire ne le rend pas moins important. Il joue un rôle essentiel dans une société lettrée où le langage écrit et le langage oral complexe sont primordiaux puisqu’ils permettent l’accès au sens, et donc aux informations. Il s’agit d’un processus graduel et prolongé, difficile à quantifier, s’étendant bien jusqu’à l’âge adulte (Nippold, 2007). Les adolescents de 11 à 15 ans, collégiens, sont directement concernés par ce développement langagier tardif (Parbeau-Gueno, 2007). La route de l’émergence de la connaissance linguistique à la maîtrise de la structure et de l’utilisation du langage est en fait une longue histoire développementale (Berman, 2004). Ce développement langagier tardif est à l’origine du langage de verbalisation, qui est un langage « programmé ». Le locuteur choisit les structures linguistiques en fonction de ses intentions de communication et de la situation d’énonciation. Jisa parle d’un « français encyclopédique » pour définir le langage de verbalisation enseigné, comportant des formes linguistiques associées à la modalité écrite (Jisa, 2004). Ce développement langagier tardif est donc dépendant des exigences de la société et du lien très fort avec le langage écrit. Contrairement au langage de communication qui apparaît de façon naturelle, le développement du langage de verbalisation n’est pas certain et reste tributaire du milieu environnant.
Le lexique
A l’adolescence, un accroissement des connaissances lexicales dû principalement aux acquisitions en contexte scolaire est constaté. Celui-ci peut se faire par instruction directe ou grâce à des inférences. Un traitement morphologique plus fin est également observé. De plus, une réorganisation du réseau sémantique permet d’optimiser l’accès au vocabulaire avec vitesse et précision (Parbeau-Gueno, 2007). Il est nécessaire de préciser que l’évolution des différents aspects lexicaux à l’adolescence s’effectue « de manière lente, fine et discrète » et est particulièrement visible sur certains types d’items. L’étude de Pernon et Gatignol conclut que l’évolution la plus significative porte sur les items de basse fréquence, d’âge d’acquisition tardif, longs et abstraits (Pernon et al., 2011). Un lexique élaboré se développe alors. Le développement des connaissances lexicales perdure à l’âge adulte (Nippold, 2004).
Un comportement compensatoire
Comme vu précédemment, « le développement des habiletés linguistiques à l’adolescence repose sur la maîtrise des habiletés linguistiques fondamentales », aussi bien orales qu’écrites. Le fonctionnement linguistique à l’adolescence est complexe à appréhender parce qu’il résulte de l’interaction entre différentes composantes impliquées dans le traitement de l’oral et de l’écrit (Parbeau-Gueno, 2007). Il n’est donc pas difficile d’imaginer qu’en cas de dysfonctionnement d’une de ces composantes, le développement du langage tardif et donc l’acquisition d’un langage de verbalisation peine à se mettre en place. Un bon développement linguistique se réalise de manière homogène, avec l’intégrité des différentes composantes. Lorsque les adolescents entrent au collège, les processus linguistiques fondamentaux sont acquis pour la grande majorité d’entre eux. En l’absence de troubles, les structures langagières fondamentales sont présentes à cinq ans. L’acquisition du langage de verbalisation sera dépendante de la stabilité de ces habiletés précoces. En cas de dysfonctionnement linguistique, c’est la sévérité du trouble qui va conditionner la poursuite scolaire (Parbeau-Gueno, 2007). Cependant, il arrive que certains déficits langagiers précoces ne soient pas détectés dans la petite enfance, ils exerceront donc des contraintes sur l’ensemble du fonctionnement linguistique et seront responsables d’une organisation particulière des habiletés linguistiques. Les enfants utiliseront des moyens de compensation pour pallier des composantes déficitaires. Aude Parbeau-Gueno, dans sa thèse, met en évidence des comportements compensatoires de la part des collégiens. Par exemple, pour traiter de la morphosyntaxe, certains élèves s’appuient davantage sur leurs connaissances lexicales des verbes. Des comportements compensatoires peuvent également être retrouvés chez des collégiens qui, grâce à de bonnes habiletés épilinguistiques, restent dans le parcours d’enseignement général. Les ressources compensatoires ne sont donc pas forcément de la même nature (Parbeau-Gueno, 2007). Le temps est souvent retrouvé comme moyen de compensation mis en place par les patients présentant un trouble langagier, il est parfois le seul marqueur du trouble. C’est pourquoi il est nécessaire de rechercher la présence ou non de comportements compensatoires lors d’un bilan d’un trouble langagier.
Définition, critères diagnostiques et classifications : des modifications
La dysphasie (ou trouble spécifique du langage oral) est un « trouble développemental, spécifique, sévère et persistant qui concerne l’élaboration du langage oral sur ses versants de production et/ou de compréhension ». Cela signifie que ce trouble vient entraver le développement langagier, l’atteinte langagière y est prédominante et signe ainsi une hétérogénéité entre les domaines, un impact est retrouvé sur les activités scolaires et extra-scolaires. De plus, ce trouble est résistant à la rééducation orthophonique (Leclercq et al., 2014). C’est donc un trouble structurel que l’on peut opposer à un trouble fonctionnel tel un « retard simple de langage ».
Pourquoi à l’adolescence ?
L’adolescence est une période où le langage se rapproche voire s’apparente à celui de l’adulte, avec une évolution qui reste visible, chez les adolescents sans difficulté linguistique. Pour les adolescents avec troubles du langage, leurs difficultés à développer les habiletés langagières fondamentales dans le passé ont pu entraver l’entrée dans l’écrit. Et réciproquement, le langage écrit a pu ne pas suffisamment soutenir l’affinement de l’oral (Boutard et al., 2010). La maîtrise langagière à l’adolescence permet l’accès aux jeux de mots, aux inférences et autres traitements fins du langage. Elle favorise la cohésion de groupe entre les adolescents et donc la socialisation. Un adolescent dont le langage élaboré est altéré risque de s’isoler et d’avoir une baisse de l’estime de soi. L’estime de soi correspond à la reconnaissance de sa propre valeur en tant que personne (Petit Larousse). Selon le constat de plusieurs études, les enfants dyslexiques entre 8 et 15 ans ont une estime de soi inférieure aux autres enfants du même âge (Humphrey, 2002). Ces conséquences (sociales, académiques, …) expliquent l’importance et la nécessité d’évaluer et de prendre en charge ces difficultés (Boutard et al., 2010).
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE THEORIQUE
I. LE FONCTIONNEMENT LINGUISTIQUE A L’ADOLESCENCE
A. Préambule
B. De locuteur natif à locuteur expert
1. Le développement langagier précoce
2. Le développement langagier tardif
3. Les différences
4. Le paradoxe
C. Etat des lieux du langage oral à l’adolescence
1. Caractéristiques principales du langage oral à l’adolescence
a. Le lexique
b. La syntaxe
c. La pragmatique
2. Facteurs soutenant le développement langagier tardif
a. La compétence métalinguistique
b. La cognition
c. La socialisation
d. La literacie
3. Liens entre langage oral et langage écrit
a. Une relation anciennement mise en doute
b. Des liens bidirectionnels
c. … visibles en neuro-imagerie
II. LES DYSFONCTIONNEMENTS LINGUISTIQUES A L’ADOLESCENCE DANS UN CONTEXTE DE TROUBLES DU LANGAGE
A. Un comportement compensatoire
B. Dans un contexte de « dysphasie »
1. Définition, critères diagnostiques et classifications : des modifications
a. Définition
b. Etablissement du diagnostic grâce à trois éléments
c. Les classifications
d. Vers une nouvelle terminologie et de nouveaux critères diagnostiques
2. Le langage oral chez des adolescents et adultes dysphasiques
a. Des difficultés persistantes
b. Les principaux domaines touchés
c. Les répercussions
C. Dans un contexte de dyslexie
1. La dyslexie
a. Définition
b. Critères diagnostiques
c. La théorie phonologique
2. Le langage oral chez les adolescents dyslexiques
a. Des séquelles en langage oral
b. Une absence d’automatisation à l’écrit
c. … qui entrave l’affinement de l’oral
III. EVALUATION ET REMEDIATION DU LANGAGE ORAL A L’ADOLESCENCE
A. Pourquoi à l’adolescence ?
B. En premier lieu, un bilan
C. La prise en charge
1. Une remédiation du langage oral
a. Peu répandue
b. Un protocole de remédiation du langage oral
2. Une prise en charge souvent groupale
3. Les grands principes de remédiation
a. Les Recommandations de Bonnes Pratiques
b. La pratique basée sur les preuves appliquée aux orthophonistes
c. Les principes de remédiation du langage oral
d. L’efficacité du traitement orthophonique
METHODE ET HYPOTHESES OPERATIONNELLES
I. PREAMBULE
II. POPULATION
A. Description
B. Critères d’inclusion
III. OUTILS METHODOLOGIQUES
A. Caractérisation du groupe patients à l’aide de deux groupes « contrôles »
B. Mesures langagières pré- et post- protocole
C. Administration d’un protocole de remédiation du langage oral
IV. MODE DE TRAITEMENT DES DONNEES
A. Organisation des données et choix des variables
B. Tests statistiques
V. HYPOTHESES OPERATIONNELLES
A. Rappel de l’hypothèse générale
B. Hypothèses opérationnelles
RESULTATS
I. CARACTERISATION DE LA POPULATION PRE-PROTOCOLE
II. COMPARAISON DES SCORES PRE- et POST-PROTOCOLE DU GROUPE LCLG
A. Comparaison de médianes et test de Wilcoxon
B. Score total avant et après
C. Coefficient de corrélation
D. Score total oral et score total écrit
III. COMPARAISON DES SCORES DES DEUX GROUPES « CONTROLES » EN T1 ET EN T2
A. Comparaison de médianes
B. Score total avant et après
C. Coefficient de corrélation
IV. CARACTERISATION DE LA POPULATION POST-PROTOCOLE
DISCUSSION
I. RE-CONTEXTUALISATION
II. ANALYSE DES RESULTATS
A. Interprétation des résultats des groupes LCLG et « contrôles »
1. Caractérisation du groupe LCLG pré-protocole
2. Efficacité du protocole ?
3. Développement langagier tardif
4. Caractérisation du groupe LCLG post-protocole
B. Retours sur les hypothèses opérationnelles
1. Hypothèse 1
2. Hypothèse 2
3. Hypothèse 3
C. Synthèse
III. LIMITES ET PERSPECTIVES
A. Limites
1. Un faible effectif
2. Peu d’informations sur le groupe patients
3. Pas de groupe tout-venant longitudinal
4. Une absence de randomisation
5. Un effet motivationnel et une absence d’évaluation en T3
6. Une plus grande marge de progression
B. Perspectives
C. Impacts en orthophonie
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES ANNEXES
ANNEXES
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