Le fonctionnement familial et l’expérience des parents
Cadre théorique : Modèle du fonctionnement familial de McMaster
Ce chapitre présente le cadre théorique qui sera utilisé dans l’analyse et l’interprétation des résultats de ce mémoire. Il s’agit du modèle du fonctionnement familial de McMaster. Ce modèle d’analyse écosystémique combine la théorie systémique du fonctionnement familial (Epstein, Bishop, & Naldwin, 1982) et la théorie bioécologique (Drapeau, 2008). Plus spécifiquement, selon Epstein et coll. (1982) et Brousseau, Simard, & Paquette (2004), le modèle McMaster permet de prendre en considération les différentes dimensions qui caractérisent le fonctionnement d’une famille. Il faut aussi noter que la contribution principale de la théorie écologique réside dans sa capacité à considérer les différentes sphères d’influence qui gravitent autour des familles (Brousseau et coll., 2004). Ces sphères peuvent être proximales, comme la relation entre l’enfant et son parent, ou bien plus éloignées, comme la relation entre les parents. Ce modèle permet donc de considérer l’influence de chaque individu sur le fonctionnement familial. Par ailleurs, Brousseau et coll. (2004) soulignent l’importance de tenir compte des différents systèmes dans l’analyse du fonctionnement familial, d’où l’intérêt de la théorie écologique. Dans le cadre de cette recherche, le fonctionnement familial de parents qui ont recours aux visites supervisées et qui n’ont pas la garde de leurs enfants sera abordé. Ces parents sont des parents visiteurs, puisqu’ils visitent les enfants. Les parents gardiens, soit les parents qui ont la garde des enfants, font également partie de l’étude étant donné la richesse des informations qu’ils peuvent fournir, au sujet notamment des sentiments et de la satisfaction des enfants. La pertinence du modèle McMaster réside justement dans sa capacité à considérer le vécu des membres de la famille, car il permet de tenir compte des différentes dimensions qui façonnent leur fonctionnement familial, ici appliqué dans un contexte de supervision des droits d’accès. Ainsi, c’est au moyen des six dimensions du modèle McMaster (résolution de problèmes, communication, rôles, expression affective, engagement affectif et maîtrise des comportements) qu’il est possible de définir le fonctionnement des familles qui ont recours aux visites supervisées. Qu’il s’agisse de leur capacité à se mobiliser, de la reconnaissance face à leurs problématiques ou encore du partage des rôles, les composantes du modèle McMaster permettent de considérer le fonctionnement familial. Ce modèle permet aussi de tenir compte des influences que l’exosystème (composé du réseau social formel et informel) peut avoir sur le fonctionnement familial (Brousseau et coll., 2004, p. 52). Il faut aussi mentionner que selon la définition de l’exosystème, telle qu’indiquée par le modèle McMaster, la présence d’un superviseur représente une source d’influence externe auprès des parents, en lien notamment avec leur rôle et leurs agissements. L’expérience personnelle du parent, à savoir sa satisfaction à l’égard des services ainsi que les sentiments liés à la présence d’une tierce personne, peut être influencée par l’exosystème.Pour parvenir à mieux comprendre ce cadre théorique, ce chapitre est divisé en trois grands segments. En première partie, les postulats et un court historique du modèle sont présentés. Ensuite, la seconde section présente et explique sommairement les concepts importants dans l’analyse du sujet d’étude, soit l’expérience et le fonctionnement familial des parents qui ont recours aux visites supervisées, tels que définis par le modèle McMaster. Finalement, une définition des autres concepts importants pour l’étude est faite.
Postulats et grands épisodes historiques
Le développement et l’évolution du modèle du fonctionnement familial de McMaster sont relativement récents. Les premiers travaux sur le modèle datent des années cinquante et ils visaient principalement à évaluer la portée des concepts principaux (Epstein, Ryan, Bishop, Miller, & Keitner, 2003). Des chercheurs de l’Université McGill furent les premiers à s’intéresser au modèle. Leurs résultats sont d’ailleurs présentés dans leur étude, « The silent majority » (Westley & Epstein, 1970). Par la suite, les recherches portant sur le modèle se sont poursuivies à l’Université McMaster, d’où provient le nom du modèle, ainsi qu’à l’Université Brown (Patenaude, 1993).
Les principes théoriques qui sont à la base de ce modèle ont été validés par plusieurs cliniciens, chercheurs et dans plusieurs sphères d’intervention cliniques, dont la psychiatrie, la pédiatrie, la médecine familiale (Epstein, Bishop, & Levin, 1978) ainsi que la protection de la jeunesse (Brousseau et coll., 2004). L’application clinique et les nombreuses recherches effectuées à l’aide de ce cadre théorique attestent de son potentiel d’utilisation important et diversifié. Dans le cadre de ce mémoire, la capacité du cadre théorique à définir le fonctionnement de la famille témoigne de la pertinence d’avoir recours au modèle McMaster. De façon plus spécifique, l’expérience des différents acteurs impliqués (ex. satisfaction face aux services, changements perçus dans les relations, etc.) est définie par les dimensions du modèle McMaster. Ainsi, à titre d’exemple, la satisfaction d’un parent, composante qui caractérise son expérience personnelle, est fortement influencée par deux dimensions du modèle, soit l’engagement et l’expression affective de son enfant. Malgré cette polyvalence, ce modèle n’a pas la prétention de répondre à toutes les questions portant sur le fonctionnement familial. Selon Epstein et coll. (1982, p. 115), le modèle McMaster cible son attention sur les « dimensions du fonctionnement qui semblent avoir un impact important sur la santé physique et émotionnelle ou sur les problèmes des membres de la famille [traduction libre] ». En tenant compte des caractéristiques d’une famille, le modèle permet de situer le fonctionnement de cette dernière sur un continuum qui oscille entre un « fonctionnement sain » et un « fonctionnement pathologique » (Epstein et coll., 1978). L’analyse qui découle de ce modèle illustre également quelles sont les particularités qui peuvent se retrouver chez une famille dont le fonctionnement est positif et efficace.Il faut également spécifier que le niveau de polyvalence élevé du modèle provient de sa capacité à conjuguer les notions de différents cadres théoriques. Ainsi, comme mentionnés, des concepts des théories écologiques et systémiques sont impliqués dans les interprétations qui s’inscrivent dans le modèle McMaster. Parmi les apports principaux de l’approche systémique au modèle, le concept de système est celui qui prédomine. Selon Epstein et coll. (1978), la famille constitue un système puisque ses parties sont interreliées. Les auteurs ajoutent qu’il est impossible de comprendre le fonctionnement d’une famille en s’intéressant seulement à des portions isolées, d’où la pertinence du concept de système. Par ailleurs, pour bien saisir les comportements et actions d’une famille, les auteurs mentionnent qu’il faut tenir compte de sa structure, de son organisation et de ses modèles d’interactions (Epstein et coll., 1978). Ainsi, dans le cadre de ce mémoire, la contribution du concept de système est substantielle étant donné l’importance des interrelations entre les différents systèmes impliqués dans la supervision des droits d’accès. Pour parvenir à considérer ces interrelations, il est toutefois nécessaire d’inclure une analyse qui s’inscrit dans une perspective écologique, car il sera possible d’examiner le fonctionnement des familles qui ont recours aux visites supervisées.
Présentation des concepts principaux du modèle McMaster
Plusieurs concepts forment les assises du modèle du fonctionnement familial de McMaster. Comme l’illustre Patenaude (1993), six dimensions permettent de mieux saisir le fonctionnement d’une famille. En ce sens, il s’agit d’un modèle multidimensionnel. Les six dimensions sont les suivantes : la résolution de problèmes, la communication, l’expression affective, l’engagement affectif, la maîtrise des comportements et les rôles (Brousseau et coll., 2004).Pour Brousseau et coll. (2004, p. 8), la résolution de problèmes renvoie « à la capacité de la famille à résoudre les problèmes affectifs et instrumentaux qui menacent l’intégrité de la famille ». Ce concept fait aussi référence à la capacité de la famille de maintenir « un fonctionnement familial effectif » (Brousseau et coll., 2004, p. 8). Une mauvaise résolution des conflits, selon Epstein et coll. (1978), est complexe pour les familles, car les membres qui la composent éprouvent plus de difficulté à gérer et tolérer les obstacles auxquels ils sont confrontés. Ainsi, lorsque des problématiques sont présentes dans la résolution des conflits, ces familles ont tendance à présenter davantage de problèmes non résolus (Epstein et coll., 1978). Il faut comprendre que ces problèmes non résolus peuvent entraîner des impacts négatifs sur le fonctionnement familial, d’où l’importance de tenir compte du potentiel de résolution des problèmes d’une famille.La résolution de problèmes, au sens où l’entend le modèle McMaster, commence avec la prise de conscience qu’il y a une problématique dans le fonctionnement familial. Ainsi, grâce au modèle, il est possible de faire la description des stratégies utilisées pour résoudre les difficultés des membres de la famille. Les conflits conjugaux ou les problèmes de santé mentale constituent des exemples de difficultés qui peuvent ébranler la dynamique familiale (Birnbaum et coll., 2010). Dans une situation où le problème n’est pas reconnu par les membres de la famille, il est possible que les modalités et le déroulement des rencontres soient influencés par le maintien de ces difficultés. Il est également possible d’observer un impact sur le fonctionnement de la famille, comme des difficultés dans la relation parent-enfant.En ce qui concerne la résolution de problèmes, deux types de problèmes existent, soit les problèmes affectifs et les problèmes instrumentaux (Brousseau et coll., 2004). Les problèmes affectifs font référence aux situations impliquant une forte valence émotive, comme un divorce. Quant aux problèmes instrumentaux, il s’agit de problèmes plus « concrets », comme la capacité des parents à répondre aux besoins de base des enfants (Patenaude, 1993). Grâce au modèle, il est possible de décrire les impacts que ces deux types de problèmes peuvent avoir sur le fonctionnement de la famille, car ils influencent certaines problématiques spécifiques. Par exemple, lorsque des problèmes non résolus sont présents lors de la visite, le parent peut vivre du stress, ce qui nuit au déroulement de sa visite. Ces difficultés peuvent aussi influencer la relation parent-enfant, car la qualité des interactions peut susciter des changements dans la nature des relations. Le modèle McMaster permet donc de détailler les caractéristiques de la résolution de problèmes. Il est également possible, grâce à cette dimension, d’examiner la satisfaction des parents qui ont recours aux visites supervisées.La seconde dimension du modèle McMaster concerne la communication. Ce concept réfère à la nature et la qualité des « échanges verbaux d’informations » qui surviennent entre les membres d’une même famille (Brousseau et coll., 2004). Au même titre que la résolution de problèmes, la communication se divise aussi en deux catégories, soit une communication instrumentale (ex. réponse aux besoins de se vêtir, de manger, etc.) et une communication affective (ex. une séparation parentale difficile). En plus de cette division, la communication peut être qualifiée en fonction de son caractère direct ou indirect. Selon Patenaude (1993), pour connaître le type de communication, il faut vérifier si le message se rend directement au destinataire (communication directe) ou bien s’il est détourné vers autrui (communication indirecte). La communication peut aussi être claire, sans altération, ou bien masquée, c’est-à-dire qu’elle ne reflète pas la réalité (Epstein et coll., 1978). Dans le cadre de ce mémoire, il est principalement question de la description et de l’examen des propos des parents au sujet de leur communication avec l’enfant et l’autre parent. Par exemple, il est possible de supposer que dans un contexte de supervision des droits d’accès, cette dimension contribue à l’amélioration de la relation parent-enfant, car le parent se voit offrir l’opportunité d’être en contact avec son enfant.
En ce qui concerne l’influence de la communication, les données utilisées dans ce mémoire permettent d’examiner les caractéristiques et les impacts de cette dimension dans l’optique de bien saisir la perception des parents. Grâce à leurs perceptions, il est possible d’identifier les conséquences sur le fonctionnement familial. Cette dimension s’avère donc pertinente puisque les visites supervisées sont des moments où les parents peuvent vivre des émotions intenses qui influencent leur communication. Il faut aussi mentionner qu’une communication claire et directe peut avoir une influence sur la satisfaction face aux services. Ainsi, étant donné les circonstances entourant les visites supervisées, à savoir que ces rencontres sont un moment calme et positif où le parent visiteur peut passer du temps avec son enfant, le parent se voit offrir l’opportunité de communiquer directement avec l’enfant.À l’opposé, une communication masquée et indirecte peut générer des émotions négatives chez l’enfant, comme de la confusion, car le développement de la relation parent-enfant n’est pas basé sur des interactions positives (Epstein et coll., 1982). Les conséquences vécues par les membres de la famille attestent de l’importance d’examiner la teneur des communications, telles qu’elles sont décrites par les parents. Grâce aux descriptions faites par les parents, il est également possible de tenir compte de la teneur des messages qui circulent dans la famille. À cet effet, il importe de souligner que la communication a une influence marquée sur le déroulement des visites. Ainsi, lorsque des problèmes sont toujours présents, comme des conflits entre le parent et son enfant, la communication peut être négative (ex. communication masquée) et nuire au déroulement des rencontres puisque la satisfaction de l’enfant ou du parent visiteur est influencée par ces difficultés. La présence de difficultés peut aussi influencer négativement les modalités des visites, car les répercussions d’une mauvaise communication peuvent réduire la motivation des enfants à poursuivre les rencontres. Par ailleurs, il faut mentionner que cette dimension du modèle McMaster prend en considération la portée et le destinataire des communications, chose qui peut être problématique dans une situation de visites supervisées.
L’expression affective constitue une autre dimension du modèle McMaster. Selon Brousseau et coll. (2004, p. 8), il s’agit de « la capacité des membres [à] ressentir et exprimer les émotions appropriées, en quantité et en qualité, en réponse à des stimuli variés ». Brousseau et coll. (2004) ajoutent que l’expression affective se divise en deux catégories d’émotions. Il s’agit des catégories incluant les émotions de bien-être (ex. affection, tendresse, amour, joie, etc.) et celles d’urgence, comme la peur ou la colère (Patenaude, 1993). La capacité des individus à répondre de façon adéquate aux stimuli de l’environnement représente la principale contribution de cette dimension. En effet, lorsqu’une personne est en mesure de fournir des réponses émotives variées et en quantité et qualité suffisante, il est plus facile pour elle de résoudre ses difficultés personnelles. Au contraire, lorsque les possibilités de réponses émotives sont restreintes ou lorsque la quantité ou la qualité de ces émotions ne sont pas appropriées à la situation, il s’avère plus difficile pour les individus de faire face aux problématiques auxquelles ils sont confrontés (Brousseau et coll., 2004). Ce constat est important lorsqu’il est question de la supervision des droits d’accès, car dans certaines situations, les motifs justifiant le recours aux services sont en partie liés à l’expression affective. Cette particularité atteste donc de l’importance, dans le cadre de ce mémoire, de considérer l’influence de cette dimension telle qu’elle est perçue par les parents qui ont recours aux services. Plus spécifiquement, plusieurs situations peuvent influencer l’expression affective des parents et grâce à leur point de vue, il est possible de décrire les impacts que ces circonstances peuvent avoir sur le fonctionnement d’une famille. Par exemple, lorsque le parent est en contact avec son enfant après un certain délai sans le voir, son expression affective peut être exacerbée. Des difficultés relationnelles peuvent aussi influencer l’expression affective des enfants et de leurs parents. Ce type de réactions peut aussi avoir des conséquences sur la relation parent-enfant, car la motivation des parents à poursuivre les visites peut être affectée. Au contraire, les visites peuvent aussi contribuer à améliorer la relation, car ces moments offrent l’opportunité aux parents de régler leurs difficultés avec les enfants dans un environnement calme, ce qui favorise leur lien. L’expression affective a donc une influence considérable sur l’engagement affectif de l’enfant envers son parent.L’engagement affectif est une autre dimension du modèle McMaster. Plus spécifiquement, cette notion renvoie à « l’intérêt et à la valeur » que les membres d’une famille accordent aux « activités et intérêts » des autres membres qui la composent (Brousseau et coll., 2004, p. 8). Il ne s’agit donc pas seulement de l’engagement des individus dans un certain nombre d’activités, mais bien d’un engagement qui implique une composante affective. Il est également question du niveau de valorisation que la famille, en lien avec les intérêts de chacun de ses membres, va mettre de l’avant pour encourager ou non certaines activités. En lien avec la supervision des droits d’accès, l’engagement affectif constitue un élément important étant donné les impacts qu’un faible engagement peut avoir sur la relation entre le parent et son enfant. Cette dimension implique ainsi la description des perceptions que les parents ont à l’égard de leur relation avec l’enfant et permet d’identifier un certain nombre d’impacts sur le fonctionnement des familles qui ont recours aux visites supervisées. Il faut ajouter que l’engagement affectif est pertinent puisqu’il permet d’identifier les conséquences associées à une rupture du lien parent-enfant.En ce qui concerne le niveau d’engagement, plusieurs auteurs font état d’un continuum d’engagement affectif allant d’un manque d’implication à une implication symbiotique (Brousseau et coll., 2004; Epstein et coll., 1978; Epstein et coll., 1982; Patenaude, 1993). Brousseau et coll. (2004) identifient six types d’engagements qui s’inscrivent dans ce continuum. Il s’agit de l’absence d’engagement, de l’engagement sans affection, de l’engagement narcissique, de l’engagement empathique, du « surengagement » et de l’engagement symbiotique. Selon l’auteur, l’engagement empathique est le type d’engagement le plus positif tandis que l’engagement symbiotique ou l’absence d’engagement sont plus souvent problématiques. Ces deux derniers types d’engagements peuvent contribuer à envenimer les situations, qui dans certains cas, sont déjà difficiles et stressantes. D’ailleurs, il est possible de lier la satisfaction face aux services au type d’engagement que le parent entretient à l’égard de son enfant, car plus le parent se dit engagé, plus il est enclin à poursuivre les visites. De façon plus spécifique, les visites supervisées offrent l’opportunité au parent de prendre le pouls de la situation et de juger de son engagement auprès de l’enfant. La qualité de la relation pourra également influencer la qualité des interactions lors des visites. La contribution de cette dimension réside précisément dans sa capacité à examiner, au moyen des perceptions des parents, dans quelle mesure les visites supervisées peuvent modifier la relation avec l’enfant. L’engagement affectif est également influencé par les sentiments que vivent les parents et leurs enfants. La présence de ces sentiments est fréquemment expliquée par la présence de difficultés relationnelles. Un type d’engagement positif pourra ainsi favoriser des sentiments chaleureux chez l’enfant tandis qu’un engagement moins favorable pour l’enfant pourra avoir des impacts plus négatifs, comme une rupture du lien avec le parent. La teneur des sentiments peut aussi entraîner des changements dans les modalités des rencontres, comme une modification de la fréquence des contacts.La maîtrise des comportements représente la cinquième dimension qui caractérise le modèle du fonctionnement familial de McMaster. Selon Brousseau et coll. (2004), ce concept fait référence aux différents processus qu’une famille va mettre en place dans l’optique de maîtriser les actions et les comportements des individus qui la compose. Cette gestion des comportements s’opère dans trois types de situations, soit les situations d’urgence, les situations impliquant une satisfaction des besoins psychobiologiques (ex. manger, dormir, etc.) ainsi que les situations d’échanges interpersonnels et de socialisation qui prennent place à l’intérieur et à l’extérieur de la famille (Brousseau et coll., 2004; Patenaude, 1993). Epstein et coll. (1982) font mention de quatre types de contrôle des comportements qui se basent sur les normes d’une famille et sur leur accès à la liberté. Les types vont d’un opposé à l’autre, soit d’un contrôle avec des normes restreintes et peu de marge de manœuvre (contrôle de comportement rigide) à une alternance imprévisible des normes et du niveau de liberté permise aux membres de la famille (contrôle de comportement chaotique). Le style chaotique est celui qui est le moins positif pour les familles. Au contraire, le style flexible (normes et liberté raisonnables) est celui dont l’efficacité est la plus élevée. Aussi, le style de laisser-faire ne comprend aucune norme et la liberté des membres de la famille est complète. L’application de cette dimension à la situation des familles qui ont recours aux visites supervisées est pertinente dans la mesure où la maîtrise des comportements peut, dans certaines situations, représenter un des motifs expliquant le recours aux services. Dans d’autres cas, sans nécessairement être aussi importante que les raisons qui justifient les visites, une gestion problématique des comportements peut représenter une situation difficile et stressante pour les familles. Grâce à cette dimension, en s’intéressant toujours aux perceptions des parents, il est possible d’examiner la capacité des membres de la famille à enfreindre les normes en plus de décrire les conséquences qui font suite à ces transgressions.D’ailleurs, cette dimension permet de considérer dans quelle mesure les membres d’une famille peuvent modifier les normes mises en place. Ainsi, comme le mentionne Patenaude (1993), la maîtrise des comportements permet de s’intéresser aux règles qui caractérisent la famille. Il faut aussi spécifier que l’expérience des membres de la famille face à la maîtrise des comportements implique aussi des changements dans les relations. Ainsi, la mise en place des visites supervisées transforme la dynamique familiale et la gestion des comportements, ce qui influence le fonctionnement de la famille. Il faut également souligner que le fonctionnement d’une famille se caractérise par sa capacité à maîtriser ses propres comportements et ceux des autres membres. Des influences extérieures peuvent toutefois avoir un impact sur le potentiel de maîtrise des comportements des parents. Ainsi, plusieurs d’entre eux n’ont pas de contact avec leurs enfants à l’exception des visites supervisées. Cette situation fait en sorte que leur potentiel d’autocontrôle, soit leur capacité à gérer leurs propres agissements, reçoit des influences de sources extérieures (ex. le superviseur qui est présent lors des visites). Il s’avère donc important de tenir compte de ce constat lors de l’analyse de la maîtrise des comportements du parent étant donné l’importance de ces sources de contrôle externes.
Finalement, les rôles sont la dernière dimension du modèle McMaster. Patenaude (1993, p. 37) décrit cette dimension comme « les modèles de comportements répétitifs par lesquels les membres de la famille remplissent leurs fonctions ». Ces rôles sont très importants pour le maintien d’un fonctionnement familial sain et optimal. Toutefois, pour parvenir à atteindre ce type de fonctionnement, un certain nombre de fonctions doivent être remplies par les membres de la famille. Parmi les fonctions figure « l’approvisionnement des ressources » (ex. nourriture, vêtements, etc.), le développement personnel ainsi que le maintien et la gestion du système familial (Epstein et coll., 1982, p. 124). Ces fonctions constituent les assises des rôles que les membres d’une famille peuvent occuper, car ils représentent une part importante du fonctionnement familial. Le partage des rôles peut cependant nuire à l’atteinte d’un fonctionnement familial optimal. Ainsi, lorsque les rôles ne sont pas également partagés, plusieurs rôles peuvent être imposés à une seule personne. Cette situation peut entraîner un déséquilibre qui va affecter la dynamique familiale. Les rôles s’avèrent donc, dans un contexte de supervision des droits d’accès, très importants dans la compréhension de la dynamique familiale, tel qu’elle est perçue par les parents qui ont recours aux services. La répartition des rôles auprès des membres de la famille peut aussi avoir une incidence sur leur satisfaction et sur les sentiments qu’ils vivent étant donné les bouleversements qu’impliquent les visites supervisées. Ainsi, le recours aux visites peut faire en sorte que le partage des rôles se modifie, ce qui peut créer des difficultés dans le fonctionnement familial puisque l’état habituel est modifié. Grâce aux perceptions des parents, il est justement possible d’examiner les modifications qui surviennent dans les rôles. La portée des changements de rôles peut aussi avoir un impact sur la relation parent-enfant. Ces changements dans les relations peuvent être positifs ou bien négatifs, selon l’évolution des interactions parent-enfant.
Définition des concepts importants pour cette étude
Au-delà des concepts du modèle du fonctionnement familial de McMaster, ce mémoire comprend également quatre autres concepts importants. Ils sont définis dans cette section.
Le premier concept concerne l’expérience qui est vécue par les parents. D’après Jenkins et coll. (1997), l’expérience renvoie à la perception des principaux acteurs concernant leur situation personnelle, leur vie quotidienne, leur réseau social, leurs contacts avec les parents d’origine et leur satisfaction à l’égard des services de supervision des visites. Dubet (1994, p. 92) ajoute que l’expérience est « une manière d’éprouver, d’être envahi par un état émotionnel suffisamment fort […] tout en découvrant une subjectivité personnelle. […] L’expérience est [aussi] une activité cognitive, […] une manière de construire le réel et surtout de le « vérifier », de l’expérimenter ». L’expérience implique, selon Dubet (1994), des dimensions cognitives, émotionnelles et affectives. Le côté subjectif de l’expérience réside dans la croyance que les acteurs se créent des constructions sociales de la réalité qui sont basées sur leurs perceptions personnelles. Le fonctionnement familial constitue le second concept de ce mémoire. Pour Walsh (1993, p. 7), il renvoie aux « processus qui sont impliqués dans l’intégration et le maintien de l’unité familiale [traduction libre] ». L’auteur ajoute que ces processus, qui impliquent notamment la communication ou la prise de décision, sont essentiels au bien-être et au développement des membres de la famille. Selon Walsh (1993), la réaction des familles aux situations problématiques est fortement influencée par ces processus. La notion de visite supervisée constitue le troisième concept. Une visite supervisée, selon Birnbaum et coll. (2006, p. 124), fait référence à « un cadre sûr et sécuritaire où l’enfant et son parent ont un contact sous la surveillance de personnel ou de volontaires formés [traduction libre] ». La supervision des contacts peut également être réalisée par un membre de la famille d’accueil ou un proche de la famille d’origine. Cependant, dans le cadre de ce mémoire, seules les visites qui sont supervisées par des employés ou des bénévoles dans des organismes officiels seront abordées. Il est à noter qu’au Québec, les visites supervisées peuvent être réalisées autant dans un contexte de protection de la jeunesse que dans le contexte de la Cour supérieure (Ministère de la Famille et des Aînés, 2008). Le quatrième concept réfère à la notion d’ordonnance de garde. Selon l’article 604 du Code civil du Québec (Gouvernement du Québec, 2018), une ordonnance de garde implique que « en cas de difficultés relatives à l’exercice de l’autorité parentale, le titulaire de l’autorité parentale peut saisir le tribunal qui statuera dans l’intérêt de l’enfant après avoir favorisé la conciliation des parties ». Le Code civil du Québec ajoute que dans de telles circonstances, la garde de l’enfant peut être confiée à l’un des parents ou à « une tierce personne » (Gouvernement du Québec, 2018). L’ordonnance de garde énonce donc quels sont les droits d’accès des parents en plus d’indiquer le type de garde (exclusive ou partagée). Cette décision du tribunal, en raison des répercussions qu’elle peut avoir sur la quantité et la qualité des visites parents-enfants, influence directement l’expérience des parents.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 – Problématique
Pertinence scientifique, sociale et disciplinaire
Question de recherche
Méthodologie de la recherche documentaire
Stratégie de recherche documentaire
Recension des écrits
Contexte des visites supervisées avec les parents d’origine
Caractéristiques des utilisateurs
Caractéristiques des lieux et des superviseurs
Coût des services
Déroulement et modalités des visites supervisées
Sentiments vécus lors des visites supervisées
Changements dans les relations parent-enfant
Satisfaction globale face aux visites supervisées
Impacts des visites supervisées
Situations difficiles et stressantes
Similitudes et divergences présentes dans les études
Limites des études actuelles
Chapitre 2 – Cadre théorique : Modèle du fonctionnement familial de McMaster
Postulats et grands épisodes historiques
Présentation des concepts principaux du modèle McMaster
Définition des concepts importants pour cette étude
Chapitre 3 – Méthodologie
Approche privilégiée
Devis de recherche
Population à l’étude
Méthode et technique d’échantillonnage
Recrutement des participants
Caractéristiques de l’échantillon
Collecte des données
Thèmes des entrevues
Opérationnalisation des concepts
Analyse des données
Avantages et limites liés à l’utilisation de données secondaires
Aspects éthiques
Chapitre 4 – Résultats
Contexte des visites supervisées
Similitudes
Particularités et différences
Satisfaction face aux visites supervisées
Appréciation des visites supervisées
Critiques face aux visites supervisées
Impacts des visites supervisées
Relations parent-enfant
Sentiments vécus et expression affective
Engagement affectif
Communication
Rôles
Conclusion
Chapitre 5 – Discussion
Synthèse des principaux résultats
Rôle des superviseurs
Impacts différenciés de certains règlements selon le statut du parent
Reprise de la communication
Les visites supervisées sont un lieu d’apprentissage
Vécu des parents en lien avec le caractère continu des visites supervisées
Comparaison des similitudes et des différences entre les contextes de supervision
Pistes de recherches
Pistes d’intervention
Limites de cette étude
Conclusion
Références
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