Le fonctionnement de Friches Théâtre Urbain et de l’Avant Rue 

LE « FRICHES » DANS FRICHES THEAT RE URBAIN

Outre les créations des compagnies, le secteur des arts de la rue s’est progressivement structuré autour de « lieux de fabrication », qui se sont développés à partir du milieu des années 1990. Ces lieux sont des espaces de production de créations.
Certains sont issus de festivals et gardent donc un lien fort avec la diffusion et les publics : c’est le cas de l’Atelier 231 à Sotteville-Lès-Rouen, qui organise le festival Vivacité, ou l’Abattoir à Chalon-sur-Saône, tous deux conventionnés Centre National des Arts de la Rue (CNAR), ce label ayant émergé du Temps des arts de la rue de Renaud Donnedieu de Vabres. Il existe aujourd’hui neuf CNAR. Une deuxième catégorie de lieux de fabrique s’est développée, de manière plus spontanée et à l’initiative de compagnies qui ont souhaité partager leurs espaces de travail avec d’autres équipes artistiques, en développant un projet d’accueil en résidence. C’est le cas de l’Avant-Rue, animée par Friches Théâtre Urbain, et d’une cinquantaine d’autres lieux en France (arts de la rue et arts du cirque confondus), avec des statuts, des soutiens publics, et des montants de subventions extrêmement hétérogènes. Certains lieux de fabrique au départ animés par des compagnies, ont été labellisées CNAR à la suite du Temps des arts de la rue : le Citron jaune, de la compagnie Ilotopie, à Port Saint-Louis ; le Moulin fondu, de la compagnie Oposito, à Noisy le sec. Une fabrique en particulier, Lieux publics, à Marseille, bénéficie d’un soutien politique très important, ce qui en fait une structure à part des autres.
L’évolution du projet de Friches Théâtre Urbain, avec son installation dans l’Avant-Rue et le développement d’un projet d‘accueil en résidence de compagnies et d’artistes est en phase avec les évolutions du secteur. En effet, l’année 1999 constitue un premier tournant pour la compagnie. Dix ans après la création de l’association, alors que les spectacles continuent de tourner et de se vendre, et Friches Théâtre Urbain acquiert une renommée de plus en plus importante, les deux directeurs artistiques éprouvent le besoin de s’installer dans un lieu qui leur permette à la fois de stocker les nombreux et encombrants costumes et chars, d’installer leurs bureaux, et aussi d’asseoir leur légitimité. C’est alors qu’ils investissent l’Avant-Rue, une friche industrielle située dans le 17e arrondissement de Paris. Constitué d’une grande halle sous verrière avec un espace de 200 m² au sol et 13 mètres de hauteur au point le plus haut, le lieu n’appartient pas à la ville de Paris, mais est loué par Friches Théâtre Urbain à un propriétaire privé, et n’a donc pas d’existence juridique en tant que tel. Son nom d’usage, l’Avant-Rue, est symbolique : c’est un lieu de répétition et de création de spectacles « avant de les jouer dans la rue ». L’Avant-Rue, cette friche reconvertie en lieu artistique par une compagnie d’arts de la rue, est vite devenue un pôle de résidence pour l’ensemble du secteur, notamment en raison de sa situation intramuros et de l’importance des espaces disponibles. Mais également parce que Pascal Laurent et Sarah Harper ont très volontiers accédé aux demandes des compagnies du secteur, en particulier celles qui émanaient de leurs amis, et qui se trouvaient dans l’urgence de trouver un lieu de répétition. Le projet de Friches Théâtre Urbain a ensuite évolué vers une réelle prise en compte de ce rôle d’accueil en résidence de compagnies d’arts de la rue.

LES PROJETS ARTISTIQ UES RELATIONNELS ET PARTICIPATIFS AU COEUR DES NOUVEAUX TERRITOIRES DE L’ART

Sarah Harper, en développant des projets relationnels « de grand voisinage », a ainsi orienté l’activité de la compagnie dans une autre direction et une autre démarche.
Son envie de travailler au croisement de disciplines artistiques encore nouvelles pour elle (la vidéo, la photographie, la collecte de témoignages), et en lien étroit avec les populations, correspond, nous l’avons vu, à une nouvelle mouvance des « projets participatifs » et des projets « dans l’espace public » (et non « dans la rue », donc qui ne se réclament pas directement des arts de la rue), en parallèle, ou en résonnance, avec la démarche des fabriques artistiques. Tout cela témoigne d’un environnement culturel nouveau, d’une recherche de nouvelles manières de mener des projets artistiques, et d’une envie d’un renouvellement des relations aux publics. Ces mutations sont très présentes dans le secteur des arts de la rue, les compagnies étant déjà très connectées aux questions de l’espace public, mais elles englobent aussi d’autres disciplines et d’autres champs culturels.
Dès le début du 20e siècle, certains artistes, dans toutes les disciplines, ont « rejeté les périmètres sacrés de la médiation artistique comme le musée ou le théâtre, pour présenter leurs œuvres, qui dans la rue, dans les espaces publics, ou la campagne, qui dans les médias ou quelque autre lieu permettant d’échapper aux structures instituées ». Des plasticiens, des peintres, des photographes, des comédiens, des performers, se consacrent à des créations en milieu urbain, en situation, d’intervention et de participation, selon le vocabulaire développé par le philosophe Paul Ardenne . Ces formes artistiques sont éloignées des schémas courants, et donc difficilement identifiables dans l’imaginaire collectif comme des œuvres, à plus forte raison artistiques. Elles témoignent d’une volonté de l’artiste de se rapprocher du monde réel et des publics plutôt que de travailler « du côté du simulacre, ou de jouer avec le phénomène des apparences » , et de privilégier le processus artistique au résultat. En 1969, Daniel Spoerri organise à Nuremberg des opérations de troc où il échange divers objets avec le public. En 1971, Gordon Matta-Clark, à New-York, distribue de l’air pur aux passants . Ces créations, protéiformes et variées, étaient pléthore dans les années 1960, et ont connu un regain d’intérêt dans les années 1990 . Les démarches participatives ne sont donc pas récentes, mais elles prennent un sens différent aujourd’hui et sont clairement en vogue, dans un contexte de mise en question de la démocratisation culturelle, et de développement de projets davantage territorialisés et inscrits dans la politique de la ville.
Les arts de la rue, parce qu’ils mettent l’espace public et les spectateurs au centre des créations, et dans la mesure où « leur engagement social et territorial est particulièrement prégnant »
ont nécessairement encadré le développement et la multiplication de projets artistiques participatifs et relationnels. Dès le départ, le mouvement des arts de la rue s’est en effet positionné dans un discours sur le service public, la gratuité, la démocratisation culturelle, l’esthétique relationnelle, la
réappropriation de l’espace urbain. Par ailleurs, l’intérêt croissant porté aux projets participatifs de territoire par les compagnies d’arts de la rue répond certainement à la frustration engendrée par la multiplication des festivals, devenus les seuls temps de diffusion des créations. En effet, comme l’avance Renaud Donnedieu de Vabres, « le caractère ponctuel des festivals peut devenir une limite lorsque cela représente le seul débouché en termes de circulation des œuvres ; les artistes comme les opérateurs ressentent le besoin d’expérimenter d’autres modalités de rencontre avec le public » que la forme festive et événementielle, avec des projets plus étendus dans la durée et sur les territoires. Mais ce type de projet n’est pas propre au secteur des arts de la rue, c’est une tendance générale au renouvellement des relations entre l’artiste et le territoire, entre la création et les publics. La démarche se trouve au cœur des projets développés par les lieux intermédiaires, les friches culturelles, les fabriques artistiques, comme le démontre Fabrice Lextrait dans son rapport à Michel Duffour. Ces lieux deviennent les supports de projets pluridisciplinaires et à la frontière de l’artistique, du culturel et du politique. Le statut de l’œuvre est remis en question car elle n’est plus l’unique objectif poursuivi en termes de création, le processus et la démar che de création étant davantage valorisés : « ces projets provoquent ainsi, par l’expérimentation, par le laboratoire, le chantier ou la résidence, des rencontres créatives entre artistes eux-mêmes et de nouveaux rapports avec les populations ».
Cependant, la recherche de l’exigence et de l’excellence artistique n’est pas abandonnée, mais sans doute même davantage poursuivie, car il s’agit de légitimer artistiquement des projets emprunts de questions sociales et politiques, d’un travail amateur et parfois en dehors du champ culturel, en tout cas très différents des œuvres artistiques standards.

LE FONCTIO NNEMENT DE FRICHES THEATRE U RBAIN ET DE L’AVANT RUE

Comme nous avons pu le voir en première partie du mémoire, la prise en compte par les pouvoirs politiques des arts de la rue, puis de la question des fabriques et des projets participatifs, s’est faite en plusieurs étapes. En en faisant l’analyse, avec l’historique de Friches Théâtre Urbain en filigrane, nous voyons que la compagnie s’est pleinement inscrite dans les différentes dimensions du secteur des arts de la rue, et en a suivi de près les évolutions politiques comme artistiques. Des grands spectacles et déambulations de rue sur échasses aux projets participatifs dans l’espace public, et avec la gestion d’un lieu de résidence, le projet de Friches Théâtre Urbain a en effet évolué en parallèle de l’émergence de différents concepts et approches des arts de la rue : les « Nouveaux territoires de l’art » avec l’Avant-Rue ; et les projets « in situ » ou « participatifs dans l’espace public » développés à partir de 2007 par Sarah Harper.

LE SOUTIEN PUBLIC DU PROJET DE FRICHES TH EATRE URBAIN DES POLITIQUES FAVORA BLES AUX ARTS DE LA RUE, ET LA MISE EN PLAC E D’UN SOUTIEN FINANCIER SO US FORME DE CONVENTION POUR L’AVANT RUE

Comme l’explique Philippe Chaudoir dans un article de la revue de l’Observatoire des politiques culturelles, l’émergence et le développement des arts de la rue entre les années 1970 et 1990 sont liés, d’une part à une dynamique de renouvellement de l’intervention artistique (contestations des hiérarchies culturelles et reconnaissance d’un pluralisme des cultures), et d’autre part à des modifications structurelles qui traversent les logiques sous-jacentes aux politiques publiques (la décentralisation, l’émergence de la notion de développement culturel territorial, et le passage à des logiques transversales) . Dans un contexte de refondation des politiques publiques, les arts de la rue, en tant que forme émergente, « c’est-à-dire comme phénomène rendu visible à un moment donné, et parce qu’ils « posent précisément au cœur de leur démarche la question de l’espace public, du lien social et du lieu commun », ont participé au premier plan à cette recomposition, et en sont devenus en quelque sorte « la figure exemplaire ».
Il n’est donc pas étonnant que les pouvoirs publics, centraux comme décentralisés, se soient emparés du mouvement des arts de la rue et des objets qui y sont liés, comme les projets participatifs et les lieux de fabrique, pour mieux les comprendre, les contrôler, les inclure, et les utiliser dans les politiques de développement territorial. Ainsi, en 1982, Dominique Wallon, directeur de la nouvelle direction « horizontale » du développement culturel a apporté le soutien du Ministère de la Culture à ce qu’il a nommé le « spectacle en espace libre » . En 1983, avec la fondation de Lieux Publics, en 1986 avec la création du festival d’Aurillac, et en 1987 avec la première édition du festival Chalon dans la Rue, suivi par le festival Vivacité en 1988, le mouvement prend de l’ampleur et s’institutionnalise. Ensuite, le « rapprochement de plus en plus concret des arts de la rue avec le spectacle conventionnel » s’est opéré en 1994, avec le premier plan d’intervention en soutien des arts de la rue, annoncé à Chalon par Jacques Toubon, alors ministre de la culture. Au cours des années 1990, le mouvement se fédère dans de nouveaux réseaux, comme HorsLesMurs et la Fédération des arts de la rue. En 1999, puis en 2002 sous l’impulsion de Jean-Jacques Aillagon, le Ministère de la culture montre de nouveau son intérêt pour les arts de la rue avec deux plans de relance financés par 9 millions de francs chacun de mesures nouvelles. Ainsi, entre 2000 et 2004, les crédits du ministère de la culture en faveur des arts de la rue se sont largement développés, permettant au nombre de compagnies conventionnées d’accroitre, passant de 22 en 2000 à 29 en 2003. Les crédits en direction des lieux de fabrication ont également augmenté, passant de 1,4 million d’euros en 2000 à 1,9 millions d’euros en 2003, mais pour un nombre de lieux stable . En 2005, avec le lancement du plan « Le Temps des arts de la rue », le ministre Renaud Donnedieu de Vabres affirme de nouveau le soutien et l’intérêt de l’Etat en faveur des arts de la rue, alors que dans le même temps, les collectivités territoriales montrent également un intérêt non négligeable aux compagnies et aux lieux, et multiplient les festivals d’arts de la rue. Même si « la reconnaissance politique est ambiguë et (qu’)il reste que les budgets consacrés aux arts de la rue sont notoirement inférieurs à ceux accordés aux autres domaines de la création contemporaine et permettent difficilement la maturation d’un projet exigeant » , Friches Théâtre Urbain a bénéficié du contexte politique favorable des années 2000, en accédant à un conventionnement pluriannuel de la ville de Paris (17e arrondissement), et de la DRAC Ile de France. Ce conventionnement s’est assorti pour la DRAC d’une subvention de 70 000 euros, qui a connu une réévaluation à la baisse à 61 000 euros en 2009, pour l’ensemble de l’activité de Friches Théâtre Urbain, y compris la gestion du lieu ; et de 50 000 euros pour la ville de Paris, en tant qu’association parisienne. La Région Ile de France conventionne la compagnie à partir de 2007, avec 20 000 euros au titre de la PAC , un dispositif francilien de soutien aux structures de création, pour l’activité d’accueil en résidence.

LA SORTIE DE LA CONVENTION AVEC LA DRAC ET LA MISE EN DANGER DU LIEU

Le rapport de Fabrice Lextrait sur les fabriques témoigne à l’époque d’une volonté politique de comprendre et d’accompagner le mouvement des friches artistiques, et pourquoi pas de les institutionnaliser, pour faire en sorte que la question n’échappe pas aux politiques culturelles. Nous l’avons vu, Renaud Donnedieu de Vabres évoquait lui aussi la question des lieux de résidence dans le secteur des arts de la rue, au moment du lancement du Temps des arts de la rue, qui a débouché sur la création du label CNAR et l’institutionnalisation de lieux auparavant indépendants. Mais après 2007, les acteurs culturels du monde des friches se sont sentis délaissés par les pouvoirs publics, en particulier par les DRAC qui ont mis en œuvre le déconventionnement de nombreux lieux.
C’est le danger qui pèse actuellement sur l’Avant Rue : la DRAC Ile de France a décidé en 2009 qu’elle ne pouvait plus subventionner la compagnie pour son activité d’animation de l’Avant Rue. Elle lui a donc demandé de choisir entre une aide au lieu et une aide à la compagnie. Friches Théâtre Urbain a choisit la seconde solution, estimant que c’est bien la compagnie, et non le lieu, qui est au cœur de son projet. La subvention est donc passée de 70 000 à 61 000 euros. Puis, la DRAC a annoncé en décembre 2011 à Friches Théâtre Urbain que la compagnie allait être déconventionnée, en raison d’une qualité artistique du projet jugée insuffisante, et faisant passer la subvention accordée de 61 000 à 55 000 en 2013, 48 000 en 2014, 25 000 en 2015 et zéro en 2016.
Friches Théâtre Urbain et l’Avant Rue sont devenus en 2012 un symbole des revendications des fabriques artistiques et des lieux intermédiaires, face à une politique culturelle centrale jugée opaque et préférentielle. En Ile-de-France, il semble en effet que la DRAC ait appliqué depuis 2009 des décisions centrales qui soient défavorables aux petites structures « indépendantes », parmi celles inscrites dans le réseau Actes if, notamment, et similaires à l’Avant Rue dans leur fonctionnement, comme la compagnie Les Héliades qui anime Le Hublot à Colombes (92), ou encore La Maison de l’Europe et de l’orient qui a récemment arrêté de payer ses charges sociales. Une réunion de réseau organisée le 30 mai 2012 par Actes if dans l’Avant Rue a laissé transparaitre un climat morose du côté des « fabriques d’art et de culture » franciliennes, qui doivent faire face à de réels problèmes financiers et à un manque de soutien des pouvoirs publics. Les discussions ressorties lors de cette rencontre montrent que les acteurs des fabriques expriment un certain ressenti face au manque de confiance que leur accordent les pouvoirs centraux, alors qu’un plan en faveur des fabriques avait été évoqué en 2000.
Ainsi, ils ont évoqué l’urgence de trouver des « solutions appropriées et pérennes », alors que des risques de déconventionnement, d’effondrement de certaines lignes budgétaires, et de fonctionnement uniquement sur le court terme par appels à projets, pèsent sur ces structures. Un clivage est souvent dénoncé entre une politique francilienne jugée « mondaine » et « voyante », en faveur de grands équipements comme le 104, qui a un budget annuel de 12 millions d’euros (contre 1,3 millions pour la structure d’Actes if la mieux dotée, Mains d’œuvre à Saint-Ouen), alors que les lieux intermédiaires, non labellisés, et donc qui échappent en partie à la mainmise étatique, se sentent laissés de côté. Une question adressée au Sénat par Philippe Kaltenbach, sénateur PS de Clamart en avril 2004, résume bien la situation des Héliades, très semblable à celle de Friches Théâtre Urbain, et met le doigt sur une des principales difficultés rencontrées par les fabriques : le manque de visibilité.

LES PROJETS PARTICIP ATIFS : LE SOUTIEN DES MUN IC IPALITES

Un des facteurs ayant entrainé la décision de sortir la compagnie de la convention triennale de la DRAC est sans doute le manque de visibilité des projets relationnels menés depuis 2006 par Sarah Harper. En effet, alors que les grands spectacles et déambulations de rue qu’elle mettait en scène avant cela ont fait la renommée de la compagnie et l’ont emmenée partout dans le monde, les projets Witness/N14, puis Lieu Commun et L’Espwar est un temps boisé, sont menés dans une toute autre relation espace-temps et de manière beaucoup plus intime avec les publics.
Les deux projets sont menés dans une logique territoriale, et répondent à des questions bien plus vastes que la simple équation création/diffusion. Le projet mené à Montreuil se déroule en partenariat avec le service Environnement de la ville, qui a attribué une subvention de 7000 euros à la compagnie, dans le cadre d’un appel à initiative lancé pour redynamiser le quartier des Murs à pêches pendant que la ville réfléchit à sa transformation en éco-quartier. Le projet Lieu Commun est une commande des villes d’Asnières et de Gennevilliers, et est coordonné par le service du développement local pour l’une des deux villes, et le service culturel pour l’autre. La demande qui a été faite à la compagnie pour intervenir sur leur territoire frontalier répond à des problèmes de ségrégation urbaine et sociale, et s’inscrit dans une logique de développement intercommunal.
Pour mener le projet L’Espwar est un temps boisé, qui tient beaucoup à cœur à Sarah Harper, une mutualisation des subventions attribuées dans le cadre du projet Lieu Commun était donc nécessaire. Ce dernier s’est mis en place dans un cadre tout à fait différent. Il est financé par les villes d’Asnières et de Gennevilliers à hauteur de près de 180 000 euros, grâce aux CUCS (Contrat urbain de cohésion sociale), qui sont des
dispositifs de politique de la ville financés par l’Etat pour que les collectivités territoriales mettent en œuvre « des actions concertées pour améliorer la vie quotidienne des habitants dans les quartiers connaissant des difficultés (chômage, violence, logement…) » . A ces 180 000 euros se rajoutent 23 000 euros obtenus du Service du développement et de l’action territoriale de la DRAC Ile-de-France (volet « projet fédérateur », et volet « culture et politique de la ville »).

UNE GESTION ADMINIST RATIVE ET FINANCIERE DANS UN ENTRELACEMENT COMPAGNIE/LIEU

La compagnie a porté 13 créations en 20 ans, période pendant laquelle la gestion administrative et financière de la compagnie était similaire au secteur des arts de la rue, à savoir des produits financiers essentiellement liés à la vente de spectacles : « Fait rare en ce qui concerne les arts de l’éphémère, l’économie de la « rue » est fondée sur le marché : 80 % des ressources proviennent des recettes propres, dont 68% des ventes» . Avec le succès rencontré, Friches Théâtre Urbain a pu prospérer pendant plusieurs années. Mais ce modèle économique peut entrainer une réelle précarité,« avec le risque de soumission aux désirs supposés des acheteurs » . Ainsi, alors que dans les années 2000 Sarah Harper se détachait de la mise en scène de grands spectacles de rue pour penser un nouveau cheminement artistique personnel, la compagnie a continué de vendre des spectacles, dans des festivals prestigieux, mais aussi de plus en plus vers le champ de l’événementiel (foires commerciales, fêtes d’entreprise, etc) : la présentation de la série B de BMW dans l’aéroport de Munich à raison de 6 minutes de représentation par jour pendant 15 jours ; un congrès de coiffeurs à Bruxelles, et « tous ces trucs qui sont du spectacle, mais qui étaient en plus ».

QU’EST- CE QU’UN PROJET ARTISTIQUE PARTICIPATIF ?

Philippe Henry décrit les projets participatifs, qu’il nomme « démarches partagées » comme « toute une gamme de processus qui existent de nos jours et qui se trouve expérimentée avec des populations et dans des contextes divers (milieux scolaires, quartiers sensibles ou en réhabilitation, territoires ruraux, prisons ou hôpitaux, jeunes en insertion ou en échange international, personnes âgées, associations locales ou groupes sociaux particuliers) ; des non-professionnels étant amenés à participer, avec leurs propres singularités, à des canevas d’action initialement conçus et pour partie déjà composés par des artistes professionnels »
La démarche participative est d’abord une méthode de travail et une esthétique choisies par un artiste qui, dans son cheminement personnel, cherche à créer à partir de la réalité sociale ou urbaine, sur un territoire en particulier, et en relation directe avec la population. Dans le cas des projets menés par Sarah Harper, même si la démarche est en un sens altruiste parce qu’elle s’imprègne de préoccupations sociales et met la parole des citoyens en avant, il s’agit avant tout d’un désir artistique personnel. Par exemple, Witness/N14, son premier projet participatif, est né d’un besoin qui a émergé chez elle d’humaniser l’Avant Rue en l’enracinant dans son quartier et en allant à la rencontre de ses voisins. A partir de cette petite idée, une envie artistique de plus grande ampleur a émergé, et s’est constituée autour d’un processus de travail basé sur des observations, des rencontres, une collecte d’histoires et de témoignages, le recueil de données visuelles et sonores brutes. L’impulsion n’a pas été lancée sur une idée de travail social à mener auprès de populations rurales, mais sur un projet de création artistique basée sur le social. Il ne s’agissait pas non plus pour Sarah Harper de participer à l’essor des projets relationnels, et de s’inscrire dans la filiation des projets de territoire, mais de se construire son propre cheminement artistique, en évoluant vers de nouvelles manières de faire, en se posant de nouveaux défis en tant qu’artiste.
Ce type de démarche processuelle nécessite donc pour l’artiste un travail d’immersion sur le terrain, parfois court (8 jours dans le cas de l’Opéra Pagaï), ou très long (plus d’un an pour les projets de Sarah Harper), et « à chaque fois qu’on y va c’est un pas de plus (Sarah Harper). Comme Claude-Levi Strauss en Amazonie, l’enjeu est alors de comprendre le contexte local dans toutes ses dimensions (sociale, culturelle, politique, économique, urbaine, etc.), et de nouer des liens avec les habitants en faisant preuve d’une grande subtilité pour « ne pas se griller socialement » afin de se faire accepter et de pouvoir entrer en phase de création. C’est particulièrement prégnant dans le cas des projets de Sarah Harper. Avec Lieu Commun, il fallait se faire accepter d’une part des associations locales pour ne pas mettre en cause leur travail, et d’autre part par les « jeunes en décrochage » dont les artistes investissaient le terrain de trafic de drogue, et face à qui il ne fallait pas passer pour des policiers. De même dans le cas de L’Espwar est un temps boisé, avec les familles tsiganes de la rue qui vivent ici depuis parfois plus de quarante ans, et face à qui il ne fallait pas passer pour des « écolos bons à rien de Montreuil » ni se placer en expert par rapport à la friche boisée qu’ils connaissent depuis leur enfance.
L’artiste des projets participatifs dans l’espace public ne cherche pas à créer dans la rue pour provoquer ou dénoncer des injustices, il travaille dans un rapport non frontal avec le quartier et ses habitants, mais en s’y immergeant et en les incluant. Par ailleurs, à l’inverse du travail de certains artistes qui agissent en dehors des cadres approuvés par l’institution et qui s’emparent des lieux publics, les projets participatifs se mettent en place dans une logique de partenariat avec les acteurs locaux, notamment les commanditaires publics. Ainsi, Sarah Harper, même si elle a toute liberté d’agir sur le terrain, a toujours agit en obtenant les différentes autorisations nécessaires auprès desmairies (de commerce ambulant pour le camion-snack, de projection de film en plein air,
etc.), et en leur fournissant des calendriers d’action pour les tenir informés de l’avancée des projets et des événements, ce qui semble tout à fait normal compte-tenu du lien financier qui relie la compagnie aux acteurs publics. De la même façon, Cyril J aubert de l’Opéra Pagaï décrit leurs relations aux financeurs comme un échange, un réel partenariat de projet créé sur mesure : « Nos rapports avec les opérateurs diffèrent des propositions de spectacles clefs en main. Rien à vendre, mais tout à partager. Nous ne sommes pas dans une logique commerciale mais dans une logique d’échange, de collaboration, sur du moyen ou du long terme avec nos interlocuteurs ».
La participation, au cœur de la démarche, est plus difficile à expliquer parce qu’elle peut se mettre en place de manière plus ou moins importante. Jean-Pierre Saez explique que « l’idée de participation suppose une forme d’engagement » et s’interroge sur la catégorisation en différents grades d’activité des publics : « Peut-on décider la gradation d’une forme présumée passive à une forme qui serait plus active ? » 50 . En effet, aller au théâtre ou voir une exposition peut être vécu par les publics comme une forme de participation, en quoi les projets participatifs dans l’espace public sont-ils plus forts ? D’après Paul Ardenne , ce sont des œuvres « fondées sur le partage » qui « modifient d’office la notion de public » car elles envisagent les spectateurs comme des citoyens et non comme des êtres passifs comme cela peut être le cas avec les « œuvres d’art conventionnelle ». D’une relation d’autorité qui définit parfois les interventions artistiques dans l’espace public où les comédiens imposent aux passants une remise en question de leur monde, on glisse ici vers « l’invitation » et la « sollicitation » où le public est incité à s’impliquer dans l’œuvre, qui est donc toujours inachevée.
Mais la prolifération d’œuvres et de démarches participatives s’accompagne d’un certain flou sémantique : on mélange volontiers les « amateurs » dont la condition est « fondée sur l’engagement conscient dans une démarche artistique et sur la maîtrise du projet, alors que les « participants » sont des « non-spécialistes du champ de l’art » et sont « souvent considérés comme éloignés de l’offre culturelle ». Par ailleurs, le terme de participant désigne une « vaste palette de modes de participation ». Avec à une extrémité les projets comme ceux de Sarah Harper qui « permettent à leurs acteurs, même non-spécialistes, de conscientiser sur divers plans (esthétique, politique, relationnel) le sens de leur participation et de rendre publiques les questions dont ils sont porteurs ». Et à l’autre extrémité, « des œuvres qui font appel à de simples figurants, témoins de leur condition sociale ou de leur culture particulière et instruments d’un projet artistique qui les dépasse » , comme le fait Lieux Publics, qui semble avoir beaucoup tendance à « surfer sur la vague » de la participation, en mettant en avant le concept dans le cas de flash mobs faisant appel à 100 figurants. Par ailleurs, quelques premières critiques peuvent être énoncées quant à l’idée de participation des publics.
Marie-Christine Bordeaux et Françoise Liot dénoncent ainsi le fait que l’absence de qualification artistique des participants est souvent recherchée et entretenue : « un acteur sans attaches divergentes, c’est-à-dire sans revendications possibles au sein du champ artistique ; un acteur, enfin, convoqué pour exposer un élément de sa biographie ou bien un problème de société, si bien que les participants, dont le profil est fortement sociologisé et ethnicisé, souvent recrutés dans les groupes sociaux « à problème », renvoient une image assez tronquée de la société ». Les deux sociologues parlent même d’un effet pervers qui consisterait à renvoyer les participants à leur « ignorance et à leur manque de talent supposés » et à les maintenir « en dehors du champ culturel », quand les projets sont menés avec un manque d’éthique et de subtilité.

L’INCLUSION D’UN DIS COURS ARTISTIQUE DAN S LA POLITIQUE DE LA VILLE ET DANS DES IDEAUX DEMOCRATIQUES

Les projets participatifs dans l’espace public, au-delà de ce que l’artiste peut trouver comme élément permettant de l’insérer dans un cheminement intellectuel, et en plus de la méthode et du processus d’inclusion des populations, sont souvent décrit comme détenant une part d’altruisme et d’utile, en lien avec des idéaux comme la démocratie culturelle et le rôle de l’art dans la construction du lien social.
Nécessairement donc, dans un contexte de décentralisation politique et de valorisation de la territorialité de l’action culturelle, les acteurs de la politique de la ville se sont emparés des projets participatifs dans l’espace public en les finançant de plus en plus.

LA DEMOCRATIE ( CULTURELLE)

L’artiste des projets participatifs n’est pas indifférent à l’organisation sociale.
D’une part, il revendique son appartenance à la société en basant son travail sur le relationnel avec ses concitoyens. D’autre part, « sa condition revendiquée d’artiste repose sur l’expression d’un refus partiel de la société telle qu’elle est, sur le constat d’une imperfection ou d’une perfectibilité de celle-ci » . Ces artistes-là cherchent donc à s’intégrer au mieux au groupe social qu’ils incluent dans leur création, et à « parler pareil, comme tout citoyen » , et dans le même temps, à user de moyens artistiques pour modifier la vie sociale ou contribuer à son amélioration. Les projets participatifs se déroulent souvent dans des contextes sociaux difficiles, et l’artiste, en développant un travail en lien étroit avec ces contextes, manifeste la croyance et le désir d’un changement social par l’art. Le discours artistique est donc fortement articulé à undiscours militant, et au besoin de se sentir utile socialement. Sarah Harper, lorsqu’elle a accepté la commande des villes d’Asnières et de Gennevilliers, était convaincue que grâce à son regard d’artiste et au protocole participatif qu’elle met en place, elle parviendrait à redonner la parole aux habitants frustrés, à réduire les tensions, à rétablir la paix sociale. En plus de ce que le projet lui apporte personnellement, elle est convaincue que sa présence sur le terrain est profitable à tous, en particulier aux plus jeunes, vus comme délaissés par la société.

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Table des matières
Introduction 
Partie 1 / Friches Théâtre Urbain, des arts de la rue aux Nouveaux Territoires de l’Art
Partie 2/ le fonctionnement de Friches Théâtre Urbain et de l’Avant Rue
Partie 3/ l’essor des projets participatifs dans l’espace public, entre expérimentation et confusion
Conclusion 
Bibliographie
Annexes

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