Le fleurissement entre imaginaire, vertus supposées et nécessités urbanistiques

Le fleurissement est un terme un peu abscond dans lequel le lecteur non-averti reconnaît le mot « fleur » et lui associe instinctivement tout un imaginaire fleuri. En attendant d’en définir plus longuement la nature, la portée, les enjeux dans la première partie, il nous faudra s’en tenir à l’idée que le fleurissement renvoie à l’ « action de fleurir l’espace urbain ». Le fleurissement est propice à la production d’un discours fleurant bon la nostalgie de la terre et de la nature. Pour exemple, sur le site internet de Genève : « Cette parure estivale d’une beauté extraordinaire est une source de joie renouvelée, de détente et de passion capable de contrebalancer le stress des villes ». Discours qui tient donc du cliché, voire du mythe, où les fleurs apaiseraient les tensions vécues par les urbains, où le fleurissement dissimulerait les vides de l’urbanisme contemporain. La notion de fleurissement a donc de quoi faire sourire les urbanistes, qui auraient  tort pourtant de négliger trop ouvertement la difficulté d’introduire des éléments végétaux dans leurs aménagements. Le fleurissement demande un traitement réfléchi des aménagements dans les espaces publics urbains, qui eux-mêmes intègrent à différents niveaux l’apport d’éléments ‘naturels’, le tout en coopération avec les paysagistes et les professionnels des espaces verts. Le fleurissement a aussi ceci de particulier qu’il est étroitement associé à une très solide institution : le concours des villes et villages fleuris, organisé nationalement par une instance ad hoc : le Conseil National des Villes et Villages Fleuris (CNVVF). Le grand public en connaît les panneaux jaune noir et rouge fièrement affichés aux entrées de ville. Les municipalités quant à elles ne peuvent passer à côté : un petit tiers des communes françaises (soit près de 11 000 en 2006) y participent. C’est dire la force de frappe déterminante qu’a ce concours.

Le phénomène du fleurissement a un côté « anecdotique », c’est le mot utilisé par un des salariés du conseil des villes et villages fleuris et pourtant la plupart des communes accueillent les visiteurs avec, qui un massif en entrée de ville, qui une mairie débordante de fleurs, qui une église ou un élément de patrimoine mis en valeur par une série de jardinières flamboyantes. Tout dépend en réalité de ce qu’on attache au mot « fleurissement » : si ce ne sont que les fleurs, l’intérêt est en effet limité. Mais rare sont les acteurs du fleurissement à s’en tenir là, comme on va le voir.

« Fleurissement » : une définition 

Le fleurissement est un néologisme récent qui trouve encore difficilement sa place dans les dictionnaires. Comme on a pu le dire en introduction, le fleurissement se comprend dans un premier temps comme l’ « acte de fleurir l’espace urbain ».13 A l’origine, les particuliers fleurissaient la partie de leur logement donnant sur la rue. Mais le terme « fleurissement » apparaît lorsque les collectivités commencent à fleurir l’espace public urbain. De fait, le fleurissement est clairement une fonction communale . Le fleurissement ne concerne donc pas directement les jardins privés, même si l’on verra que le concours principal des villes et villages fleuris s’accompagne de concours destinés aux particuliers .

Le fleurissement est associé au service espaces verts de communes. Dans la mesure où celui-ci s’occupe justement de l’ensemble des espaces verts, il est difficile de distinguer ce qui relève du fleurissement et de la gestion des espaces verts. C’est pourquoi, toute discussion sur le fleurissement est sujette à une ambigüité : selon les interlocuteurs, la notion attachée à ce terme peut varier d’un champ technique restreint (la floriculture : les fleurs et leur contenant immédiat) à l’intégration globale du végétal en ville avec toute la gamme intermédiaire possible. Plus déroutant encore, certaines personnes utilisent indifféremment dans le même discours, voire dans la même phrase, le mot fleurissement dans deux sens différents.

Comme on le verra, l’ambigüité est portée jusque dans la grille de critères du concours des villes et villages fleuris dans laquelle les fleurs comptent au mieux pour la moitié des coefficients .

Les réponses à la question « qu’est ce que le fleurissement ? » des responsables espaces verts appellent deux remarques. Tout d’abord, la définition plus ou moins restrictive attribuée au fleurissement par chaque responsable ainsi que la qualité et l’originalité des réponses peut dépendre d’une part de l’organisation du service espaces verts et d’autre part du profil du responsable espaces verts. A Chelles*** (49000 habitants) le service espaces verts est déjà une grosse structure (60 agents). La responsable du fleurissement ne s’occupe que du fleurissement alors qu’un collègue gère tout le patrimoine arboré. De fait, dans les villes importantes, les services espaces verts sont beaucoup plus hiérarchisés et les rôles bien mieux dessinés. Le fleurissement, c’est donc au sens de cette responsable, la « végétation au sol », ce dont elle s’occupe exclusivement. A l’inverse, Fontainebleau (o*) dont l’organisation des services est simplifiée par l’externalisation aux entreprises de beaucoup de tâches, a un responsable « voirie environnement » qui supervise non seulement les espaces verts mais aussi toute la voirie et l’entretien. De plus, le parcours professionnel du chef de service n’est pas exclusivement lié aux espaces verts (école d’ingénieur, spécialisation en gestion de l’eau, passage dans le cabinet d’un député). Ceci explique en partie que sa conception du fleurissement soit radicalement large, bien au-delà du végétal considérant que les fleurs ne sont qu’un des éléments contribuant à la qualité du cadre urbain. Dans le même ordre d’idée, le responsable espaces verts de Combs-la-Ville*** est un personnage haut en couleurs avec une formation longue de technicien-paysagiste suivi d’un passage dans un bureau d’étude spécialisé dans le paysage. Il se revendique lui-même avant tout paysagiste. La définition du fleurissement tient donc selon lui en un mot : c’est du «micro-paysage ». Même s’il est le seul à avoir approché cette idée, elle méritera d’être développée.

Deuxième remarque : huit responsables fleurissement sur 20 font spontanément appel aux critères du concours des villes et villages fleuris pour définir le fleurissement et expliquer qu’il ne se réduit pas à la floriculture mais qu’il faut prendre en compte tous les « à-côtés ». L’importance accordée aux seules fleurs est d’ailleurs variable (1/4 de la note pour Fontainebleau, 60 à 70 % pour Torcy**). A côté de cela, les responsables, qui ne mentionnent pas explicitement le concours, répètent pourtant souvent mécaniquement la liste des éléments pris en compte dans le concours. Cette référence plus ou moins spontanée montre à quel point le concours est présent dans les esprits dès lors qu’on parle de fleurissement. Ainsi, la responsable de Chelles*** ajoute immédiatement après sa définition restrictive du fleurissement que « évidemment, pour le concours, on met tout le monde dans le même panier ».

Dans le détail, 5 responsables sur 20 ont une définition plutôt restrictive comprenant les fleurs, leur support éventuel (jardinière suspensions) ou la composition paysagère (mais un seul utilise réellement le mot « paysage ») intégrant ces fleurs, c’est-à-dire le rideau d’arbustes au fond et le gazon autour. Les autres parlent souvent du fleurissement comme d’un « tout » ou d’un « ensemble », quitte à se réfugier si nécessaire dans la grille d’évaluation du concours. Il faut en fait s’éclairer d’une partie des réponses données à la question « pourquoi faire du fleurissement?» pour comprendre quelle est la nature du fleurissement selon ces responsables. Il se dégage alors quelques grands axes qu’il faut développer pour replacer le fleurissement dans son contexte urbanistique :
– Le fleurissement comme réserve de nature en ville
– Le fleurissement comme embellissement de la ville par le végétal
– Le fleurissement comme vitrine d’une ville changeante .

Premier axe : Le fleurissement comme réserve de nature en ville 

Pour ces responsables qui ont dans leur majorité commencé comme simple jardinier, le rapport à la nature semble être une donnée de base et la crainte que les urbains l’ignorent complètement, pousse certains à tenter des actions pédagogiques notamment auprès des enfants (exemple : jardinets dans les écoles). Dans leur vision, le fleurissement est un des vestiges de la nature en ville, ce qui peut paraître paradoxal : planter un massif en mosaïculture, voilà qui n’est rien moins que naturel. Qu’il soit donc permis de rappeler combien les rapports de la ville et de la nature sont complexes.

L’imaginaire croisé de la ville et de la nature 

Les relations ambigües et conflictuelles entre « ville » et « nature » sont aussi vieilles que les villes elles-mêmes. La ville est l’incarnation de la domestication de la nature par l’homme ; victoire qui se révèle souvent très provisoire. Dès que les efforts d’entretien se relâchent, les plantes pionnières posent les premiers jalons de la reconquête végétale. Parallèlement, à cela, nature et ville sont alternativement chargées de valeur positives ou négatives, entre sauvagerie (au sens de ce que l’homme ne connaît pas, ne contrôle pas) et pureté originelle pour la première, entre lieu de perdition et lieu de culture pour la seconde. Cette relation évolue historiquement et dans l’ère contemporaine où la ville s’étend de façon de plus en plus diffuse, les valeurs attachées à la nature sont par contraste d’autant plus valorisées, même si cela doit se faire au travers de représentations mythifiées de la campagne.

En réalité, les sociétés urbaines n’ont jamais pu repousser complètement la nature hors de la ville, ou bien n’ont pas pu se résoudre à le faire, mais dans ce cas, ce fut sous une forme complètement domestiquée et très symbolique, à savoir les jardins qui mettaient en scène la « bonne nature ». Des jardins de Babylone aux potagers du Moyen-âge, le végétal tient sa place dans la ville. Plus tard, la Renaissance invente les parterres de fleur et de gazon strictement décoratifs, les jardins s’ouvrent, deviennent parc. La découverte de la perspective change le regard de l’homme  moderne suscitant l’émergence de la notion de paysage. Le jardin de Versailles fait cette synthèse entre jardin, parc et paysage, métaphore de la mise en ordre du monde.

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Table des matières

Introduction
Dispositif de recherche
1ère partie : Le fleurissement : entre imaginaire, vertus supposées et nécessités urbanistiques
1. « Fleurissement » : une définition
1.1 Premier axe : Le fleurissement comme réserve de nature en ville
1.1.1 L’imaginaire croisé de la ville et de la nature
1.1.2 La redécouverte des espaces verts
1.2 Deuxième axe : Le fleurissement comme embellissement de la ville par le végétal
1.2.1 Le végétal dans l’espace public
1.2.2 La notion de ‘paysage urbain’
1.2.3 L’urbanisme végétal
1.3 Troisième axe : Le fleurissement comme vitrine d’une ville changeante
1.4 Conclusion : le fleurissement à la croisée de l’urbanisme et du végétal
2. Ce qu’on attend du fleurissement
2.1 Des campagnes de fleurissement généralisées
2.2 Les vertus attribuées au fleurissement
2.2.1 Le point de vue des responsables espaces verts
2.2.2 Les ambitions affirmées du CNVVF
2.2.3 Les attentes des élus
3. Conclusion – le fleurissement : un consensus de principe
2ème partie : Le concours des villes et villages fleuries – philosophie et fonctionnement
1. Retour historique
2. Un label ?
3. Le Conseil national des villes et villages fleuris (CNVVF)
4. Déroulement du concours
4.1 Décentralisation : du département au CNVVF. La signification des quatre fleurs
4.1.1 Le concours départemental
4.1.2 « Le concours régional des villes et villages fleuris et de l’amélioration du cadre de vie »
4.1.3 Le concours national
4.2 Grille de critères
4.3 Concours annexes
3ème partie : l’acceptation du concours par les responsables espaces verts
1. Adhésion au principe même du concours
1.1 Le refus en bloc : une attitude rare
1.1.1 Le risque de la surenchère
1.1.2 « Une pression énorme »
1.1.3 L’évaluation des politiques de fleurissement
1.2 L’art de positiver le concours
2. Adhésion au référentiel du concours
2.1 Connaissance de la grille du concours
2.2 Une grille honorable
2.3 Une progression mal définie
3. Adhésion au fonctionnement du concours
3.1 Le rôle du jury
3.2 Le concours contribue-t-il à uniformiser le fleurissement ?
3.3 Qu’évalue le jury ?
3.4 Les ‘contingences’ des relations humaines
3.4.1 Problèmes avec les jurys
3.4.2 Un risque de politisation ?
3.4.3 La part de la motivation affichée
3.4.4 La part de l’expérience
4. Profils des responsables espaces verts
4.1 Pragmatique satisfait
4.2 Confiants dynamiques
4.3 Participants distanciés
4.4 Résignés positifs
4.5 Critiques
4ème partie : Le concours dans la pratique des services espaces verts
1. Les indices d’un impact du concours sur le fleurissement
2. La part des moyens dans le concours
2.1 Calculs budgétaires
2.2 Les moyens humains
2.3 L’effet de quantité fleurie
2.4 « Le concours des riches ? »
3. Le cas des politiques environnementales
3.1 Arrosage et économie d’eau
3.2 Produits phytosanitaires et engrais
3.3 Paillage
3.4 Gestion différenciée
3.5 Des politiques environnementales globalisantes
3.6 Le concours et l’environnement
4. L’intégration du fleurissement dans un projet de ville
4.1 L’implication des habitants
4.1.1 Les concours communaux
4.1.2 Les actions pédagogiques
4.1.3 Vie associative
4.2 Le fleurissement et la politique d’urbanisme
4.2.1 Relations avec les services d’urbanisme
4.2.2 Les compétences en interne des services espaces verts
4.2.3 L’impulsion du concours pour fédérer les services
4.2.4 Le concours : un levier pour le responsable espaces verts ?
4.3 La valorisation du service espaces verts
Conclusion

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