LE FER, UN ROLE CLE POUR LE SYSTEME TERRESTRE
Le fer sur Terre
Le fer est le 4e élément le plus abondant de la croûte terrestre (Taylor, 1964). Il a toujours joué un rôle important à l’échelle de la planète Terre. Au cours des temps géologiques, le fer a joué un rôle de tampon du taux d’oxygène dans les océans. En effet il y a ~3 milliards d’années, l’apparition de la photosynthèse bactérienne (cyanophycées) a permis l’oxygénation progressive de l’océan. L’océan jusqu’alors réducteur est devenu oxydant, entraînant l’oxydation massive des espèces de fer présentes (ferrique et natif) donnant lieu à des lits d’oxyde de fer dans le fond des océans, appelés fer rubanés (ou « BIF » pour « banded iron formation » et constitués de lits d’hématite et magnétite). L’oxydation du fer dissous étant consommatrice d’oxygène, le piégeage du fer a contribué à limiter l’accroissement du taux d’O2 dans l’océan (jusqu’à environ -2,4 milliards d’années, période à partir de laquelle tout le contenu en fer dans l’océan avait précipité) et par conséquent à son dégazage dans l’atmosphère et au développement de la vie sur les continents. Outre le rôle qu’il a joué dans les temps géologiques, le fer est aujourd’hui un élément clé des systèmes vivants. Dans de nombreux métabolismes, les complexes protéiques de fer agissent comme des médiateurs d’électrons. Ces complexes de fer ont des fonctions fondamentales dans la respiration intracellulaire, la photosynthèse (aérobie et anaérobie), mais aussi chez les grands organismes doués de respiration via le transport de l’oxygène (Falkowski et Raven, 1997). Au sein des organismes autotrophes aquatiques, le fer constitue un élément essentiel dans l’appareil photosynthétique et dans la synthèse d’Adenosine Tri Phosphate ou ATP (Jacobs et Worwood, 1974). Il est aussi essentiel dans la fixation d’azote et la réduction des nitrates, des nitrites et des sulfates.
Le fer dans l’océan, interaction avec le cycle du Carbone
Acteur de la pompe biologique du carbone
L’océan mondial constitue un acteur fondamental dans le système climatique terrestre. Il peut, en effet, se comporter comme une source ou comme un puits de CO2, régulant ainsi les concentrations de ce gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Les échanges de gaz, à l’interface atmosphère – océan de surface, qui permettent la régulation du CO2 atmosphérique, sont favorisés par deux phénomènes clés .
Le premier correspond à la «pompe physique». Les gaz se dissolvant préférentiellement dans les eaux froides, c’est dans les eaux de surface des hautes latitudes que l’océan absorbe le plus de CO2. Par phénomène de convection, ces eaux plongent entraînant avec elles les gaz dissous tout au long de la circulation thermohaline. Après une période de séquestration d’environ 1 000 ans en profondeur, ces eaux parviennent finalement à la surface dans des régions chaudes, où elles restituent le CO2 qu’elles avaient emmagasiné auparavant.
Le second phénomène favorisant ces échanges gazeux correspond à ce qu’on appelle la «pompe biologique». Le phytoplancton assimile le CO2 dissous à la surface de l’océan pour constituer sa matière organique par photosynthèse. Une partie de ce carbone organique photosynthétisé est reminéralisée en surface, une autre partie est exportée vers l’océan profond et enfouie dans le sédiment. L’activité photosynthétique et l’exportation de carbone vers les profondeurs sont des processus clés dans la régulation de ce gaz à effet de serre, puisqu’en l’absence de la « pompe biologique » les concentrations en CO2 atmosphérique seraient bien supérieures à celles actuellement recensées. Cependant de nombreuses zones océaniques restent improductives.
Zones HNLC : régions sensibles pour l’export de carbone
John Martin (Santa Cruz) a été à l’origine en 1988 de « the iron hypothesis » avec sa phrase célèbre : « Give me a half a tanker of iron and I’ll give you the next ice age ». Par cette phrase il signifiait qu’un apport de fer dans les régions HNLC conduirait à une production accrue de biomasse et, par l’intermédiaire de la pompe biologique du carbone, contribuerait à diminuer l’effet de serre et la température globale. Cette hypothèse s’appuyait sur le taux élevé de poussières atmosphériques transportées durant les périodes glaciaires et que l’on retrouve dans les carottes de glace. Ce fer éolien a été envisagé comme le facteur à l’origine de la diminution du CO2 atmosphérique pendant ces périodes via le mécanisme de fertilisation océanique (Martin, 1990). Ainsi dans les régions HNLC, la production primaire serait limitée par une insuffisance de fer (Martin et Gordon, 1988). Bien que fort critiquée dès le début, cette hypothèse a donné lieu à de nombreuses expériences de fertilisation artificielles pour la tester. L’amélioration des méthodes analytiques et la mise en place de techniques « ultra-propres » (Bruland et al., 1979) ont permis de doser le Fe à des concentrations inférieures à 0,1 nM (10⁻⁹ mol/L) dans l’océan ouvert. De nombreuses études ont été menées dans les régions HNLC afin de vérifier la limitation en fer : par le biais d’expérience de fertilisation artificielle (e.g., Martin et al., 1994 ; Coale, Johnson, et al., 1996b ; Gordon et al., 1998) ou au sein de zones de fertilisation naturelle (e.g., Blain et al., 2007 ; Pollard et al., 2009). Plus d’1/3 des expériences de fertilisations artificielles ont montré une augmentation significative de l’export de carbone suite à une expérience de fertilisation (Boyd et al., 2007). D’autres études ont montré que le fer pouvait également être limitant en dehors des zones HNLC y compris en Méditerranée pourtant caractérisée par de forts apports continentaux (Sarthou et Jeandel, 2001). Le stress en fer a aussi été vérifié au niveau des résurgences d’eaux profondes (« upwellings ») du Pacifique (Bruland et al., 2001 ; Hutchins et al., 2002) et en Atlantique Nord (Blain et al., 2004). Le fer peut aussi co-limiter la production primaire, par exemple avec la lumière dans certaines régions océaniques comme dans le nord-est de l’océan Pacifique (Maldonado et al., 1999) ou avec le silicium dans le secteur Indien de l’océan Austral (Sedwick et al., 2002).
Finalement, si les expériences de fertilisations artificielles n’ont pas systématiquement montré un impact significatif des apports de fer sur l’export de carbone, la limitation de la production primaire dans de vastes régions de l’océan par carence de fer reste indéniable. Ainsi le fer est inclus depuis peu dans les modèles biogéochimiques comme élément limitant de la production primaire (Aumont et Bopp, 2006 ; Moore et al., 2002 ; Moore et Braucher, 2008). Cependant, il reste encore beaucoup d’inconnues sur le fonctionnement de son cycle biogéochimique (Tagliabue et al., 2010).
BIOGEOCHIMIE DU FER DANS L’OCEAN
Sources de Fe à l’océan
Source atmosphérique
L’atmosphère représente une des principales sources de Fe à l’océan et constitue une source privilégiée pour l’océan de surface et la production primaire. Pendant longtemps, elle a même été considérée comme la principale source de fer à l’océan (Jickells et al., 2005). Les dépôts atmosphériques les plus étudiés du point de vue de leur impact sur la biogéochimie marine sont les poussières. On appelle poussières la fraction des aérosols de grande taille, >1µm, qui sont mis en suspension dans l’atmosphère par action mécanique. Les poussières atmosphériques sont préférentiellement produites dans les régions arides ou semi-arides, présentant un substrat dépourvu de couvert végétal et des conditions de vents suffisantes pour mettre en suspension de fines particules du sol et les élever dans la colonne atmosphérique. L’altitude à laquelle les aérosols vont être amenés va conditionner leur temps de vie dans l’atmosphère ainsi que leur chance de dépôt. Les poussières atmosphériques mesurent en moyenne 2µm de diamètre. De tels aérosols ont un temps de vie dans l’atmosphère de quelques heures à quelques semaines, leur assurant un transport sur des longues distances (jusqu’à plusieurs milliers de kilomètres). Les images satellites notamment ont permis d’identifier les régions produisant le plus de poussières (figure 1.3). Ainsi 1700.10¹²g de poussières seraient mis en suspension par an, dont les 2/3 proviendraient du nord de l’Afrique (Jickells et al., 2005). Mais la distribution spatiale (x,z) des poussières dans l’atmosphère ne reflète pas directement la distribution des dépôts à l’océan, cette dernière étant largement influencée par des facteurs météorologiques. Deux types de dépôts sont possibles : le dépôt sec, par chute gravitaire des aérosols, et le dépôt humide (i.e., sous forme de précipitations) lessivant brutalement le colonne atmosphérique de ses aérosols. 30 à 95% des poussières atmosphériques seraient déposées par l’intermédiaire du dépôt humide (Jickells et Spokes, 2001 ; Hand et al., 2004). Il est très difficile d’estimer précisément la contribution du dépôt humide du fait des nombreux facteurs dont il dépend (distribution en taille des aérosols, régime de pluie, altitude du transport, etc.) et de sa forte variabilité spatiale.
Seulement 1/4 des poussières atmosphériques présentes dans l’atmosphère atteindraient finalement l’océan, soit 450.10¹²g/an (Jickells et al., 2005). Les bassins les plus exposés à ces dépôts sont l’Atlantique Nord, l’océan Indien et le Pacifique Nord qui recevraient respectivement 43%, 25% et 15% des dépôts océaniques de poussières (Jickells et al., 2005). Ces estimations (présentées à la figure 1.3) sont issues de modèles globaux de transport de poussières basés sur des observations de dépôts de poussières. Han et al. (2008) ont montré que les concentrations d’aluminium dissous dans les eaux de surface pouvaient améliorer les estimations d’apports de nutriment d’origines atmosphériques dans l’océan.
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Table des matières
CHAPITRE 1 :INTRODUCTION
1.Le fer, un rôle clé pour le système terrestre
1.1 Le fer sur Terre
1.2 Le fer dans l’océan, interaction avec le cycle du Carbone
1.2.1 Acteur de la pompe biologique du carbone
1.2.2 Zones HNLC : régions sensibles pour l’export de carbone
2.Biogéochimie du fer dans l’océan
2.1 Sources de Fe à l’océan
2.1.1 Source atmosphérique
2.1.2 Source fluviale
2.1.3 Source sédimentaire
2.1.4 Source hydrothermale
2.1.5 Autres sources
2.2 Cycle interne du Fe dans l’océan
2.2.1 Spéciation physico-chimique
2.2.2 Processus qui contrôlent la distribution du Fe
2.3 Cycle du Fe, synthèse
3.Les isotopes du Fer dans l’océan
3.1 Notions élémentaires d’isotopie
3.1.1 Fractionnement à l’équilibre
3.1.2 Fractionnement cinétique
3.1.3 Modèles de fractionnement
3.2 Les isotopes du fer sur Terre
3.3 Composition isotopique des sources de fer à l’océan
3.3.1 Dépôts atmosphériques
3.3.2 Apports sédimentaires
3.3.3 Apports directs des rivières
3.3.4 Activité hydrothermale
3.3.5 Eaux souterraines
3.3.6 Synthèse des signatures de source
3.4 Fractionnements isotopiques au sein de la colonne d’eau
4.Plan et Objectifs de la thèse
CHAPITRE 2 : MATÉRIELS ET MÉTHODES
1.Conditions ultra-propres pour l’analyse des éléments traces
2.Techniques d’échantillonnage
2.1 Echantillonnage et filtration de l’eau de mer
2.2 Echantillonnage des aérosols
3.Séparation du Fe dans les échantillons dissous, état des connaissances au début de cette thèse
3.1 Préconcentration de l’eau de mer, un défi analytique
3.1.1 Co-précipitation au Mg(OH)2
3.1.2 La préconcentration par résine chélatante
3.2 Purification avec résine anionique
4.Dissolution des échantillons particulaires
5.Mesures au spectromètre de masse
5.1 Principe des ICPMS
5.2 Mesure de concentrations à l’ICPMS quadripolaire
5.2.1 Déroulement de la mesure
5.2.2 Traitement de données pour la détermination des concentrations
5.2.3 Cas particulier des échantillons à matrice salée
5.3 Mesure de la composition isotopique du Fe au MC-ICPMS, les acquis
5.3.1 Le MC-ICPMS de l’Observatoire Midi Pyrénées
5.3.2 Enjeux de la mesure
5.3.3 Correction du biais de masse sur MC-ICPMS
CHAPITRE 3 : DÉVELOPPEMENT ANALYTIQUE : MESURE DE LA COMPOSTION ISOTOPIQUE DU FER DISSOUS DE L’EAU DE MER
1.Mise au point de la méthode
1.1 Développement de l’étape de préconcentration sur résine NTA
1.1.1 Préconcentration type « batch »
1.1.2 Préconcentration en ligne : tests de rendements
1.1.3 Etape d’élution
1.1.4 Diminution des capacités de la colonne et encrassage
1.1.5 Composition de l’éluat en sortie de colonne 9
1.2 Développement de l’étape de purification sur résine échangeuse d’ions
1.3 Traçage de la contamination de fer et diminution du blanc de préconcentration
1.3.1 Modifications de la ligne de préconcentration
1.3.2 Blancs de réactifs
1.3.3 Blancs de colonnes NTA et d’élution, lavage de la colonne
1.3.4 Blancs de bidons
1.3.5 Blancs de chargement
1.3.6 Blancs d’évaporation
1.3.7 Blancs de pipetage
1.3.8 Le blanc, conclusion
1.4 Développement au Neptune
1.4.1 Procédure d’utilisation du Neptune
1.4.2 Choix du Double Spike et Calibration
1.4.3 Validation de l’ensemble de la procédure
2.Méthode finale
2.1 Résumé
2.2 High-Precision Determination of the Isotopic Composition of Dissolved Iron in Iron Depleted Seawater by Double Spike Multicollector-ICPMS (Lacan, Radic et al., 2010)
3.Intercalibration GEOTRACES
3.1 Quelle intercalibration
3.2 Résultats de l’intercalibration
CHAPITRE 4 : CONCLUSION