LE FÉDÉRALISME TERRITORIAL ET LA CONSTRUCTION NATIONALE
La construction nationale canadienne contre la reconnaissance d’une fédération multinationale canadienne
La plupart des intellectuels qui ont analysé la conception normative du fédéralisme canadien en sont venus à la conclusion qu’il existe au Canada un déficit fédératif (Caron et éd. 2006; McRoberts, 2006 ; Rocher, 2006). Le choc des nationalismes a engendré des situations de frustration mutuelle, d’impasse politique et de repli sur des identités compartimentées ou exclusives, surtout durant la période de 1987 à 1993 : l’élaboration de l’accord du lac Meech (1987) et son échec (1990), le rejet par référendum de l’Accord de Charlottetown (26 octobre 1992), et finalement la création du Bloc québécois et l’élection de 54 députés de ce parti à la Chambre des communes (1993) (Bickerton, 2007: 239-244). Le projet d’une nation pancanadienne unie entre en effet ouvertement en conflit avec les demandes politiques des nations minoritaires. La politique du bilinguisme et du multiculturalisme, de même que l’enchâssement de la Charte des droits et libertés dans la Constitution, ont servi à forger une identité associée à la majorité nationale, c’est-à-dire aux Canadiens anglophones38. En effet, Bickerton affirme que selon McRoberts, la Charte a fortement servi à la cohésion sociale de la communauté politique canadienne. Et la consolidation des valeurs pancanadienne a permis un renouvellement de l’identité du ROC39 (Bickerton 2007:260-261).
Le pluralisme : nn défi pour le Canada
Nous avons démontré précédemment que le gouvernement fédéral s’est engagé dans un processus de construction nationale pancanadienne, et ce, au détriment des nations habitant sur le territoire (Québec et peuples autochtones). Même si des efforts d’inclusion ont été menés durant les années 1985-1992, ces différentes nations n’ont pas réussi à se faire reconnaître au sein d’une fédération multinationale canadienne. De ce fait, dans le but d’établir un régime plus stable et légitime au sein du Canada, il importe de spécifier d’abord les différentes revendications des nations minoritaires cohabitant sur le territoire étatique du Canada. Cette mise en contexte permet entre autres d’établir certains enjeux reliés à la structure fédérale canadienne. Ensuite, nous examinerons le modèle québécois d’application de l’idéologie pluraliste au sein des politiques publiques, modèle pouvant selon nous, contribuer à établir des relations plus stables et plus légitimes au sein de la fédération canadienne.L’identité citoyenne peut être moniste, exclusive et discriminatoire, mais elle peut aussi être pluraliste, inclusive et égalitaire. C’est dans cette perspective que s’inscrivent les demandes du Québec et des nations autochtones depuis les années 1960-1970. Nombreux sont les auteurs à défendre l’idée que la construction du nationalisme pancanadien de Trudeau -symbolisé ultimement par le rapatriement de la Constitution en 1982 et l’échec des Accords de Meech et de Charlottetown- a eu des conséquences non négligeables sur la dynamique du fédéralisme canadien. » Le Canada a construit le principe de la citoyenneté sous le couvert du nationalisme civique incarné à travers la Charte, le multiculturalisme et le bilinguisme. Par conséquent, la culture de la majorité s’est imposée sur les minorités. Néanmoins, les revendications des Québécois et des Autochtones ont tout de même réussi à poser certaines limites au rêve de Trudeau de voir un Canada uni selon une citoyenneté indifférenciée.
Les revendications du Québec
Les identités nationales ne sont pas des identités figées; elles évoluent en fonction des réalités sociales. Depuis 1867, les Canadiens-anglais n’ont cessé de se définir en tant qu’acteurs et définir leur place dans le régime politique. Pour leur part, les Autochtones et les Québécois ont vu leur identité façonnée par différents événements :
d’abord exclus, les Autochtones se virent ensuite définis comme des citoyens au même titre que les autres dans le cadre de la citoyenneté universaliste (comme le proposait le Livre blanc sur la politique indienne de 1969), avant de réussir a s’imposer comme des peuples et des nations distincts ; la race anglo-saxonne, dont on se réclama de la Confédération aux années trente, fut progressivement redéfinie, à partir des années quarante, dans le cadre d’une idéologie nationale de la citoyenneté; la race canadienne-française et catholique devint, après la Révolution tranquille, une nation et un peuple ; les citoyens eux-mêmes, d’abord représentés dans une perspective universaliste, se scindèrent de plus en plus en groupes particuliers ayant des droits (Bourque et Duchastel, 1996:29-30). Les Canadiens-français étaient tenus, lors de ce que l’on surnomme, à tort ou à raison, la ‘grande noirceur’, sous la domination politique du clergé et le régime duplessiste. Par exemple, l’identité des Canadiens-français était principalement façonnée par une élite bourgeoise, politique et cléricale. Ce type de nationalisme a mené plusieurs penseurs (par exemple, les auteurs de la revue Cité libre) à favoriser une identité pancanadienne respectant les différences (Gagnon, 2001: 15). D’autres ont plutôt opté pour une consolidation de l’identité québécoise basée sur de nouvelles valeurs et sur la modernisation du Québec (par exemple, les membres du Parti libéral de Jean Lesage). De plus en plus raffinée, l’identité québécoise évolue et s’ouvre par rapport au contexte mondial (migrations importantes, économies basées sur un contexte d’échanges mondiaux, poussées des mouvements féministes et socialistes, montée des revendications des noirs, gais et lesbiennes). Le Québec offre un modèle intéressant à cet égard.
Les revendications autochtones
Quant aux peuples autochtones, Seymour leur accorde le statut de nation, et souligne que «comme le peuple québécois, [ces peuples autochtones] sont privés d’un droit formellement reconnu à l’autodétermination pleine et entière, et ce, autant à l’intérieur du Canada que sur le plan international» (Seymour, 1999 : ISS). Ils sont encore trop peu présents sur la scène politique, même si des efforts d’inclusion ont été déployés depuis quelques années (surtout depuis le début des années 1990). En fait, selon Ladner et Orsini (2004), le fédéralisme canadien s’est avéré une forme de fédéralisme colonial déployant des pratiques et prémisses politiques.Rappelons très brièvement que dès les premières années de la fédération, le gouvernement fédéral obtient juridiction sur ceux qu’on appelle alors les Indiens (sauf pour ce qui est des champs de compétence provinciaux) et qu’en 1939, la Cour suprême a étendu cette juridiction aux Inuits. Les peuples autochtones ont alors été complètement exclus de toute participation à l’exercice du pouvoir politique. Le processus d’assimilation s’est opéré jusqu’en 1960. Un premier pas vers une reconnaissance a été initié avec l’obtention du droit de vote pour tous les Autochtones, de façon inconditionnelle, au niveau fédéral en 1960. La Chambre des communes a en effet octroyé ce droit aux Indiens inscrits vivant dans les réserves le 10 mars 1960, sous le gouvernement de Diefenbaker, Auparavant, seuls les Indiens affranchis, c’est-à-dire les Indiens renonçant à leur statut d’Indiens avaient le droit de vote (Radio-Canada, 2002).
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Table des matières
INTRODUCTION: UN CANADA MODERNE : UN FÉDÉRALISME À REPENSER
CHAPITRE I: CADRE CONCEPTUEL
1. Le fédéralisme
1.1 Définition juridique: centralisation et décentralisation
1.1.1 De la centralisation et à la décentralisation : quelques repères
1.2- Le fédéralisme : les diverses conceptions matérialisées
1.2.1 Un guide pratique : l’Échelle Watts-Blindenbacher
1.3- Fédéralisme et dualité
1.4 Le fédéralisme et le pluralisme
CHAPITRE II: LE FÉDÉRALISME TERRITORIAL ET LA CONSTRUCTION NATIONALE CANADIENNE : CONTRE LA RECONNAISSANCE D’UN ÉTAT MULTINATIONAL
2.1 L’évolution du fédéralisme canadien : une base territoriale
2.1.1 1960 : un passage vers une nouvelle ère
2.1.2 À la recherche d’un consensus : les échecs de Meech et Charlottetown
2.1.3 la construction nationale canadienne contre la reconnaissance d’une fédération multinationale canadienne 2.2 Le pluralisme : un défi pour le Canada
2.2.1 Les revendications du Québec
2.2.2 Les revendications autochtones
2.2.3 Vers une société pluraliste : le modèle québécois
CHAPITRE III: DE LA NATION À LA MULTINATION
3.1 La nation au cœur de la théorie politique moderne
3.2 Relations entre majorité et minorités au sein de l’État canadien
3.2.1 État-nation, nation civique, nation ethnique
3.3 Définir la nation : M. Seymour et le droit des peuples
3.4 Un modèle normatif pour le Canada : pour la reconnaissance des droits collectifs des peuples
3.4.1 Le citoyen au sens du libéralisme politique
3.4.2 Le peuple au sens du libéralisme politique
CHAPITRE IV: LE CANADA COMME FÉDÉRATION MULTINATIONALE ?
4.1 Le fédéralisme multinational et les principes garants d’une stabilité
4.2 Les concepts d’unité et de diversité
4.3 Du fédéralisme d’ouverture à l’asymétrie
4.4 Le multiculturalisme canadien, une politique du nation-building ?
4.4.1 Une société pluraliste : le multiculturalisme canadien
4.4.2 Le multiculturalisme lace au nationalisme québécois
4.5 Vers un État multinational de jure au Canada ?
CONCLUSION: FACE À L’IMPASSE : LA SOUVERAINETÉ DU QUÉBEC
BIBLIOGRAPHIE
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