Un poids démographique important et une forte diversification ethnique
En 2016, Antananarivo Renivohitra comptait 1,4 million d’habitants (INSTAT), soit 6% de la population Malagasy18 et 39% de la population de la région Analamanga. Ce nombre devrait atteindre les 2 millions19 d’ici 2030. Par ailleurs, le contrôle de la capitale permet d’avoir une influence sur les communes voisines vu l’extension progressive de la ville. Donc, avec les 2,6 millions d’habitants en 2016 (INSTAT) de l’agglomération Antananarivienne, le contrôle d’Antananarivo pourrait permettre d’avoir une mainmise sur les 11% de la population Malagasy. Cette mainmise se traduit en un grand enjeu car la démographie est un facteur de puissance20. Le croquis 4 qui suit est un aperçu de la répartition spatiale de cette population Antananarivienne et montre la portée de contrôler une seule portion territoriale de la capitale. Une forte présence de la population Antananarivienne est observée dans le 5ème arrondissement, le contrôle de ce seul arrondissement est l’égale du contrôle de trois ou quatre pays comme les Seychelles en termes de population et pourrait de ce fait pourvoir un enjeu équivalent. Et même le 6ème arrondissement, qui est le moins peuplé des arrondissements d’Antananarivo, octroie un enjeu (démographique) équivalent ou plus à un pays comme les Seychelles. En outre, un enjeu se dessine aussi par la présence de toutes les ethnies de Madagascar à Antananarivo21, ce qui pourrait faire de ce territoire une petite représentation de l’ensemble du pays. Cela explique le fait que ces dernières années le président élu à Antananarivo est généralement celui qui est élu à Madagascar (2002, 2006, premier tour du présidentiel en 201322).
Une méfiance excessive entre les deux pouvoirs
Pour la mairie de la capitale, la méfiance envers le pouvoir central semble logique compte tenu de la puissance du pouvoir central. En effet, cette puissance pourrait se matérialiser surtout par le pouvoir du ministère de tutelle de procéder à l’empêchement et à la substitution du maire par un PDS mais aussi par les pouvoirs financiers que l’Etat central dispose. En outre, le fait que l’élection municipale à Madagascar vient toujours après l’élection présidentielle pourrait aussi amener à une situation de crainte pour la municipalité (généralement lorsqu’il n’est pas issu de la même famille politique que le pouvoir central). Effectivement, cette situation procurerait au pouvoir central au moins un an de préparation que l’élu municipal (entre l’élection présidentielle de 2002 et l’élection municipale de 2003, de même pour 2006 et 2007, ainsi que 2013 et 2015). Ce qui pourrait inciter chez ce dernier l’émergence d’un sentiment de désavantage donc de méfiance à l’égard du pouvoir central. Dans ces cas, la mairie pourrait essayer de défendre sa place et de conforter sa position en se préparant aux éventuels affrontements d’où l’émergence d’un conflit au moindre faux pas d’un côté comme de l’autre. Ce système électoral Malagasy pourrait aussi engendrer une certaine méfiance du pouvoir central envers la mairie du fait du résultat électoral local. Si le parti à la tête du pays verra son représentant perdre l’élection municipale de la capitale, cela signifie que les Antananariviens se sont rangés derrière l’opposition. Cette défaite pourrait refouler une crainte chez le pouvoir central qu’à un moment donné les dirigeants de la ville pourraient user de cette force électorale pour déstabiliser la politique nationale. De ce fait, pour se défendre, le pouvoir central pourrait perturber le maire élu pour essayer de le maîtriser, ce qui conduirait à des conflits (par exemple : le face à face entre Marc RAVALOMANANA et Andry RAJOELINA en 2009 par la fermeture de la radio et la télévision du second par le premier).
Une confirmation d’Antananarivo faiseur de président : le putsch de 2009
L’expérience Didier RATSIRAKA-Marc RAVALOMANANA était ancrée dans la tête des Antananariviens et quand l’heure a sonné il a juste fallu tirer la ficelle Antananarivienne pour déclencher un « remake » de l’histoire. Au pouvoir (cette fois en tant que président de la République de Madagascar) depuis l’évènement de 2002, Marc RAVALOMANANA, à son tour, a vu débarquer Andry RAJOELINA dans le navire Antananarivien en tant que maire en 2007. Dès le départ, les relations étaient déjà sous tension, à l’instar de la déclaration de Marc RAVALOMANANA sur la radio nationale : « seul un Maire issu du camp de la majorité pourrait assurer le développement de la capitale dans tous les domaines et bénéficierait de l’appui du pouvoir central 44 ». Ce qui sous-entend qu’il n’était pas prêt à travailler avec le maire élu s’il n’était pas issu du TIM. De son côté, Andry RAJOELINA avait vu en cette stratégie de Marc RAVALOMANANA, qui a exclu visiblement le maire de la capitale, comme une opportunité pour confirmer la représentation Antananarivo faiseur de Président pour destituer Marc RAVALOMANANA en 2009. Andry RAJOELINA a matérialisé cette représentation en trois pratiques spatiales, d’abord en spatialisant la primauté de la démocratie en la dédiant un espace qui lui est spécifique à Ambohijatovo45 le 17 Janvier 2009, où il y a rassemblé 30.000 partisans46, ceci afin de dénoncer le régime dictatorial de Marc RAVALOMANANA47. Ensuite, en utilisant une caractérisation géographique de la capitale : « l’ambany tanàna », pour en faire une autre représentation géopolitique très efficace afin d’inciter les « exclus des quartiers pauvres» à contribuer fortement à la révolution orange48 . Enfin, en véhiculant l’idée de la jeunesse (à l’instar de son âge et de son association Tanora Gasy Vonona49) pour réincarner le changement.
Une rivalité interne cachée ou embryonnaire mais évidente
Selon notre enquête, la concrétisation de rivalités auprès des fokontany n’est pas vérifiée. D’après ce tableau, 90% des fokontany enquêtés nient avoir des conflits internes entre les responsables malgré la différence politique entre eux. En pratique pour les fokontany, les initiatives de développement de proximité émanent soit de la concertation locale des membres du bureau58, soit elles émanent de la mairie et/ou du district. Pour le premier cas, vu que les membres du bureau sont issus de deux parties rivales, même s’il y a vraiment une harmonisation du travail dans le bureau, les représentants de chaque partie pourraient faire tendre les initiatives vers les directives et les objectifs de la partie dont ils représentent. A cet effet, si les initiatives ne vont pas vers un intérêt commun des deux parties, des rapports de forces pourraient naître pour attirer ces initiatives en faveur de chaque partie, ce qui pourrait conduire à un conflit in fine. En ce qui concerne les initiatives qui émanent des deux pouvoirs publics, l’existence de conflits est évidente. En effet, la mairie et le district peut, unilatéralement, procéder à la réalisation de leurs projets à travers ses représentants sans consultation des deux autres membres du bureau issu de l’autre partie. Cette situation s’est produite auprès du fokontany d’Ambodihady lors de l’inauguration d’une borne fontaine à l’initiative de la Commune Urbaine d’Antananarivo dans le quartier. Le fokontany a été représenté par le secrétaire et le trésorier tandis que le chef fokontany et son adjoint n’ont pas pris part à cette inauguration. -En outre, à cause du système hybride de désignation des responsables du fokontany, la CUA devrait être le supérieur hiérarchique du trésorier et du secrétaire, le chef fokontany et son adjoint ne seraient juste que des supérieurs symboliques. Si ces désignés de la CUA considèrent le chef fokontany et son adjoint comme supérieurs hiérarchiques effectifs, ils auront alors pour supérieur hiérarchique aussi le chef district, ce qui impliquerait que la CUA aura pour supérieur hiérarchique le district, ce qui est infondé et pourrait être inacceptable par la CUA. Alors, pour la capitale, les rivalités de pouvoir sur ce niveau spatial semble logique et que les réponses fournies pourraient juste être caricaturales (par peur du pouvo ir qui a désigné les responsables enquêtés ou par souci d’aggraver les conflits déjà existants) ou que les conflits ne sont qu’en état embryonnaire et que son avènement pourrait se dessiner tôt ou tard si ce système ne connaîtra pas de changement.
Le pouvoir central, à la recherche du prestige international ou du défi vis-à-vis de la commune
En reprenant le récit du Madagascar Matin : « Les vrais habitants de la capitale se souviendraient, qu’en 200785, où le pays a accueilli les jeux des îles de l’Océan indien, la capitale a connu une transformation spectaculaire en l’espace de quelques mois86 », nous pouvons constater que pour redonner une bonne image de la capitale envers l’étranger, la coopération entre le premier magistrat de la ville et l’Etat central s’avère plus qu’indispensable. Or pour le sommet de l’UA prévu se tenir à Antananarivo en 2009, les pouvoirs en place n’étaient guerre en harmonisation et le pouvoir central avait fait un quasi-monopole de la préparation de ce sommet. Effectivement, le comité préparatoire, qui a été mis en place en 2008, a été coordonné par le Secrétaire Général de la Présidence de la République, les infrastructures étaient confiées au Ministère de la Décentralisation et de l’Aménagement du Territoire, au Ministère du Transport, et au Ministère des Travaux Publics, la sécurité était assurée par la Présidence de la République et le cabinet du Premier Ministre et les questions d’ordre protocolaire au Ministère des Affaires étrangères87 sans une attribution quelconque pour la mairie de la ville d’accueil. Et malgré les infrastructures présidentielles en place comme le CCI, les faits et le contexte politique de l’époque ont engendrés l’annulation dudit sommet et la dévastation de l’image du pays et de la ville. Des faits assez similaires se sont produits en 2016 lors de l’accueil du sommet de la Francophonie à Antananarivo. Le pouvoir central, voulait à lui seul avoir le mérite del’organisation, avait visiblement écarté la CUA de ce sommet. En effet, aucune présence de la CUA n’a été observée dans le conseil national d’orientation (CNO) pour le XVIème Sommet de la Francophonie alors que les projets présidentiels pour accueillir ce sommet sur l’espace Antananarivien étaient innombrables (voir annexe 6). Ce n’était pas tout à fait la même situation lors du précèdent sommet de l’OIF à Dakar où l’équipe du maire Khalifa SALL déclarait que : « la part de la ville est quasi nulle dans l’organisation du sommet », mais Dakar prenait quand même en main une partie des travaux sous la supervision d’une délégation générale rattachée à la présidence88. En surcroît, normalement, le maire de la ville accueillant un sommet devrait présider toutes cérémonies qui se passent sur son territoire, ce qui n’était pas le cas pendant ce sommet d’Antananarivo, non seulement le maire avait dû obtenir une accréditation avant de rencontrer la délégation de l’organisation de la Francophonie, mais elle n’était pas non plus la bienvenue lors du sommet du COMESA89 et lors de l’investiture du village de la francophonie, le maire a été placé loin des invités de sa propre citée. Ce monopole du pouvoir central dans l’organisation des grands événements internationaux dans la capitale Malagasy est une matérialisation de la recherche unilatérale par celui-ci de l’enjeu international pourvu par le territoire Antananarivien.
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Table des matières
REMERCIEMENTS
RESUME
LISTE DES CROQUIS
LISTE DES FIGURES
LISTE DES PHOTOS
ACRONYMES
GLOSSAIRE
INTRODUCTION
A. Choix du sujet
a. Choix de la géopolitique
b. Localisation et choix de la zone de recherche
c. Choix de la période de 2000 à 2017
B. Problématique
C. Démarche de recherche
d. La documentation
e. La revue de littérature
f. Le travail de terrain
i. Enquête auprès de l’Etat central
ii. Enquête auprès de la mairie
iii. Enquête auprès des arrondissements
iv. Enquête auprès des fokontany
v. Enquête auprès des habitants
vi. Enquête auprès des partenaires techniques et financiers
D. Les difficultés rencontrées
PREMIERE PARTIE : ANTANANARIVO, UN TERRITOIRE OBJECTIVEMENT CONFLICTUEL POUR LA MUNICIPALITE ET LE POUVOIR CENTRAL
Chapitre I : Des enjeux historiques et stratégiques importants du XVIIème siècle à nos jours
1.1. Antananarivo, des enjeux anciens
1.2. Un poids démographique important et une forte diversification ethnique
1.3. Une puissance économique importante pour Madagascar
1.4. Une menace populaire pour les politiques
1.5. Antananarivo, un territoire couvert de lieux de pouvoir
1.6. Une présence internationale influente
Chapitre II : Mairie et pouvoir central, des défauts comportementaux conflictuels
2.1. Une méfiance excessive entre les deux pouvoirs
2.2. Des choix stratégiques conflictuels
Chapitre III : Des représentations géopolitiques contradictoires
3.1. Antananarivo entre la montée en puissance du capitalisme et la remise en cause de son statut de capitale (2000 à 2002)
3.2. Une confirmation d’Antananarivo faiseur de président : le putsch de 2009
3.3. Antananarivo, à la recherche d’une autonomie absolue (2015-2017)
3.4. Une analyse des représentations par les représentants
DEUXIEME PARTIE : LES ASPECTS TERRITORIAUX DES RIVALITES DE POUVOIR ENTRE LA MUNICIPALITE ET LE POUVOIR CENTRAL
Chapitre IV : La bataille des fokontany
4.1. Le statut des fokontany au centre des rivalités
4.2. Une rivalité interne cachée ou embryonnaire mais évidente
4.3. Une guerre administrative
Chapitre V : Le doute sur les arrondissements
5.1. Le barrage de la mairie
5.2. Le forcing du pouvoir central
Chapitre VI : Les rivalités à l’échelle de la commune
6.1. Les projets présidentiels dérivent à la guerre
6.1.1. Le conflit d’usage de l’espace d’Andohatapenaka
6.1.2. Le conflit d’appropriation et la lutte de légitimité d’Antanimbarinandriana
6.1.3. Le projet TATOM et le Grand Tana, à la recherche du développement ou des rivalités ?
6.2. Antaninarenina, un litige foncier tournant à la guerre froide
6.3. Les conflits dans l’assainissement
6.4. Le pouvoir central, à la recherche du prestige international ou du défi vis-à-vis de la commune
6.5. Finance municipale, un autre terrain de conflit ?
6.6. Empêchement du maire, vers le Hard power ?
6.7. Bataille d’Antananarivo, le rempart du pouvoir national
TROISIEME PARTIE : LES DESASTRES ENGENDRES PAR CES RIVALITES
Chapitre VII : Perturbations spatiales
7.1. Déséquilibre du territoire et exclusions spatiales
7.2. Désorganisation spatiale
7.3. Refus du développement de l’espace
Chapitre VIII : Persistance des problèmes sociaux et économiques
8.1. Atténuation des catastrophes sociales
8.1.1. Saleté et insalubrité urbaine
8.1.2. Insécurité galopante
8.1.3. Paupérisation de la population
8.2. Une économie en difficulté
8.2.1. Baisse et insécurité des investissements
8.2.2. Chômage et problèmes d’emploi
8.2.3. Impacts sur la croissance économique
Chapitre IX : Déprédations politiques
9.1. Offense à la Démocratie
9.2. Outrage à l’Etat de droit
9.3. Eloignement à la bonne gouvernance
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
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