Le droit dans la gestion des crises : un droit complexe dans un univers complexe
Le droit est un outil phรฉnomรฉnal et fondamental lorsquโil sโagit dโorganiser les relations humaines. Notre thรจse insistera largement sur cette rรฉalitรฉ. Il nโest donc pas surprenant que le droit devienne un outil toujours plus consรฉquent dans la gestion des crises internationales. Toutefois, ce droit en perpรฉtuelle รฉvolution et rapide ร occuper lโespace complet des relations humaines nโen รฉchappe pas pour autant ร certaines inadaptations et insuffisances dans la rรฉsolution des crises. Il ne permet pas toujours de rรฉpondre avec satisfaction aux enjeux de la crise. Lโexamen de la gestion des crises par le Conseil de sรฉcuritรฉ en tรฉmoigne. Par ailleurs, lโutilisation du droit nโest pas toujours synonyme de rรฉtablissement de lโordre dans laย sociรฉtรฉ internationale. Le Conseil de sรฉcuritรฉ se trouve rรฉguliรจrement confrontรฉ ร une situation assimilable ร une impasse, notamment lors du processus de qualification (Section I). La nature du droit nโapparaรฎtrait pas รฉtrangรจre ร cette impasse. Cette affirmation ne signifierait pas que le droit soit obsolรจte dans la gestion des crises, mais annonce plutรดt quโil faille lโapprรฉhender diffรฉremment. Pour y parvenir, une approche encore novatrice en droit va ainsi retenir notre attention : il sโagit de la thรฉorie des systรจmes dynamiques complexes. Parce quโelle offre les outils de modรฉlisation des systรจmes en apparence ยซ impossible ร systรฉmatiser ยป, elle apparaรฎt utile pour concevoir le rรดle du droit dans la crise aussi bien que les possibles รฉvolutions de ce droit (Section II). Ces deux premiรจres sections nous offrent un ensemble dโarguments satisfaisants, utiles pour poser notre question de recherche gรฉnรฉrale et notre question spรฉcifique, deux questions qui guideront le cheminement du travail de thรจse. Nous les justifions dans la suite, en prรฉsentant briรจvement les travaux de recherche menรฉs en science du droit, ainsi que certains travaux menรฉs en relations internationales, sรฉlectionnรฉs pour รชtre en lien direct avec la gestion de crise. Nous pourrons alors prรฉsenter le plan de notre thรจse (Section III).
Exposition de lโimpasse du Conseil de sรฉcuritรฉ dans la gestion de la paix
Lโimpasse dans laquelle se trouve rรฉguliรจrement le Conseil de sรฉcuritรฉ, dans son action pour la paix et la sรฉcuritรฉ internationales, semble รชtre liรฉe aux difficultรฉs quโil rencontre, durant lโรฉtape prรฉliminaire de la gestion de la crise : la qualification de la crise (ยงI). Lors de ce processus particulier, le droit joue un rรดle consรฉquent, en servant de support ร la qualification. Il est essentiel de bien identifier la nature de ce droit (ยงII).
Lโenjeu de la qualification dans la gestion des crises
A lโaube des annรฉes 2000, lโobjectif du nouveau millรฉnaire est clairement รฉtabli par lโAssemblรฉe gรฉnรฉrale des Nations Unies : il sโagit ยซ dโรฉviter tout nouveau conflit entre รtats et mettre la population mondiale ร l’abri de tout danger ยป. Comme les Nations Unies ont habilitรฉ le Conseil de sรฉcuritรฉ ร gรฉrer ยซ la paix et la sรฉcuritรฉ internationalesยป, la lourde responsabilitรฉ de mettre en ลuvre cet objectif revient donc principalement au Conseil.ย Y parvient-il ? Les difficultรฉs rencontrรฉes par le Conseil de sรฉcuritรฉ, dans la rรฉsolution des crises internationales, depuis le dรฉbut du millรฉnaire, nous font รฉmettre des doutes quant ร sa capacitรฉ ร atteindre ces objectifs et rรฉsoudre les crises. Les divers obstacles distinguรฉs successivement dans les crises, irakienne, kosovare, soudanaise ou plus rรฉcemment syrienne (notre liste est non-exhaustive) nous donnent la nette impression que le Conseil peine ร identifier la nature de ces crises, ร les gรฉrer et les contenir. Certains en viennent dโailleurs ร sโinterroger sur la lรฉgitimitรฉ du Conseil ร traiter des crises, et mรชme ร exister. Nโest-il pas rรฉvรฉlateur que lโArabie saoudite, sans enjeu apparent, ait รฉmis soudainement un doute existentiel quant ร la capacitรฉ du Conseil ร rรฉsoudre les crises internationales, au point de refuser dโy siรฉger comme membre non permanent ?
Certains arguments amรจnent une question fondamentale : ยซ pourquoi les crises paraissent-elles recevoir un traitement inadรฉquat ร lโรฉchelle internationale ? ยป Nous ajoutons ร cette question une incidente non nรฉgligeable ยซ lorsquโelles ont la chance de retenir lโattention des politiques ยป.ย Cette question a guidรฉ notre long cheminement et a finalement abouti au travail de thรจse que nous prรฉsentons.
Il est opportun de rappeler que le Conseil sโest vu attribuer, par un Traitรฉ de droit international ยซ la Charte des Nations Unies ยป, la responsabilitรฉ principale en matiรจre de maintien de la paix. Il constitue ainsi aujourdโhui, au niveau interรฉtatique, lโorgane lรฉgitime et compรฉtent pour traiter les crises internationales. Afin quโil puisse mener sa mission, la Charte des Nations Unies lโa pourvu dโoutils particuliers, que sont le Chapitre VI et le Chapitre VII. Ces chapitres offrent une gamme de procรฉdures et de mesures adaptรฉes ร lโintensitรฉ de la crise. Lโapplication du Chapitre VII retient notre attention : ce Chapitre dรฉcrit lโaction du Conseil, lorsquโest avรฉrรฉe une ยซ menace ร la paix et ร la sรฉcuritรฉ internationales ยป, une ยซ rupture de la paix ยป ou une ยซ agressionยป. Dans un premier temps, tout recours au Chapitre VII implique que le Conseil de sรฉcuritรฉ qualifie ces situations de crises de ยซ menace ร la paix et ร la sรฉcuritรฉ internationales ยป, de ยซ rupture ยป ou dโยซ agression ยป. Une fois les faits qualifiรฉs, le Conseil peut adopter les sanctions ou les autres mesures nรฉcessaires, susceptibles dโaboutir ร une forme de rรฉsolution de la crise. Ainsi la phase de qualification est fondamentale : elle dรฉtermine, en effet, la poursuite du processus de rรฉsolution. Une mauvaise qualification risque dโentraรฎner dรจs lors une mauvaise rรฉsolution (voire une ignorance complรจte et actรฉe des faits observรฉs et signalรฉs).
Afin de qualifier ces situations, le Conseil possรจde une large marge de manลuvre, puisque la Charte se borne simplement ร inciter le Conseil ร qualifier les situations. Aucune dรฉfinition des notions de ยซ menace ยป, ยซ rupture ยป ou ยซ agression ยป nโapparaรฎt dans la Charte. Cette rรฉalitรฉ est probablement le rรฉsultat de lโexpรฉrience accumulรฉe par les diplomates, au cours de lโHistoire. Dans un but dโefficacitรฉ, ils nโont pas voulu limiter le rรดle du Conseil, craignant, avec de solides raisons, dโentraver son action et de contrevenir ainsi au but quโils sโรฉtaient donnรฉs. Cette volontรฉ clairement รฉtablie est rappelรฉe lors des premiรจres rรฉflexions du Conseil sur la qualification dโune situation de crise : la dรฉfinition des ยซ menaces ยป ร la paix pourrait avoir des consรฉquences graves pour la paix et la sรฉcuritรฉ internationales, puisquโen prรฉcisant la notion, certaines situations de crises pourraient รชtre exclues du champ dโaction du Conseil.
Dans la pratique, la phase de qualification sโest traduite par une utilisation prรฉfรฉrentielle du qualificatif ยซ menace ยป, plutรดt que ceux de ยซ rupture ยป ou dโ ยซ agression ยป. Un rapide examen de la pratique du Conseil de sรฉcuritรฉ et des termes employรฉs dans ses rรฉsolutions nous dรฉmontre que le Conseil privilรฉgie lโaction prรฉventive, lorsque la paix nโest pas encore rompue, quโelle nโest que menacรฉe. Ceci peut sโexpliquer pour plusieurs raisons.
Dans un premier temps, parce que les rรฉdacteurs de la Charte des Nations Unies ambitionnent de promouvoir un monde de paix, lโaction prรฉventive est ร privilรฉgier. Il faut agir au niveau de la menace, avant quโune situation conflictuelle grave ne sโinstalle. Dans un second temps, il sโavรจre que la qualification de ยซ menace ยป est un outil bien plus flexible, plus commode et souvent bien plus favorable ร la paix, que celui de ยซ rupture ยป et mรชme ยซ dโagression ยป. En effet, la qualification dโagression constituerait un outil ยซ dรฉlicat ยป dans lโinstauration de la paix, car elle exige la dรฉsignation dโun responsable, et risque de se poser comme un frein ร la nรฉgociation, pouvant en cela rรฉduire les opportunitรฉs de tout retour ร la paix. Dans son opinion dissidente ร propos de lโAffaire Nicaragua, le Juge Schwebel souligne que le Conseil de sรฉcuritรฉ nโest pas contraint dโappliquer la qualification ยซ agression ยป, ร ce qui apparaรฎt clairement comme une agression, si cette qualification contrarie lโobjectif de maintien de la paix.
Dans un troisiรจme temps, cette flexibilitรฉ permise par le qualificatif ยซ menace ยป offre au Conseil les moyens dโagir dรจs quโil perรงoit un risque dโune nature nouvelle. Le conflit armรฉ entre Etats, principal flรฉau contre lequel souhaitent lutter les rรฉdacteurs de la Charte des Nations Unies, nโest plus la seule ยซ menace ร la paix ยป, ร laquelle rรฉpond le Conseil. Dรฉsormais, la menace nโest plus forcรฉment รฉtatique, ni militaire. Elle provient รฉgalement dโun Etat qui maltraite ses populations, dโun groupe privรฉ (se limiterait-il, ร nโรชtre quโun groupe terroriste, ou une organisation de piraterie). Dรจs les premiers travaux du Conseil, transparaรฎt cette idรฉe quโil doit interprรฉter largement la ยซ menace ยป, pour le bien รชtre des populations et non pour lโunique sรฉcuritรฉ des Etats. Aujourdโhui, le Conseil en vient ร qualifier de ยซ menace ยป lโรฉpidรฉmie dโEbola, qui menace la stabilitรฉ de lโAfrique. Le qualificatif ยซ menace ยป favorise lโadaptation du Conseil aux exigences de la sociรฉtรฉ en matiรจre de sรฉcuritรฉ.
Malgrรฉ cet outil performant puisque adaptatif, le Conseil de sรฉcuritรฉ, comme nous lโavons รฉvoquรฉ au tout dรฉbut de notre introduction, ne parvient pas toujours ร apprรฉhender efficacement les crises internationales. Parce que la Charte des Nations Unies exige une qualification des situations de crise, nous sommes incitรฉs ร penser, que la responsabilitรฉ de la qualification, puis de la gestion des crises revient ร cette mรชme Charte ou du moins au droit. Nous aurions ainsi, trรจs naturellement, tendance ร invoquer un dรฉficit du droit comme cause des maux de notre sociรฉtรฉ internationale. Pour rรฉpondre aux faiblesses du Conseil de sรฉcuritรฉ dans la gestion de la crise, il sโagirait donc dโapprofondir le droit existant et de rรฉflรฉchir aux moyens de le faire รฉvoluer. Il sโavรจre alors primordial dโidentifier clairement la nature de ce droit, avant dโรฉmettre des propositions concrรจtes dโรฉvolution ou dโamendements.
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Table des matiรจres
Prรฉambule. Les systรจmes dynamiques complexes dans une thรจse de droit
Introduction
Le droit dans la gestion des crises : un droit complexe dans un univers complexe
Partie I. Cyclicitรฉs et invariances dans lโhistoire du droit des crises ; une invitation ร la rรฉflexion sur lโontologie du droit
Titre I. De Rome au Concert des Nations, Evolution du droit de la guerre
Titre II. De la SDC ร lโONU, lโรฉmergence dโun droit de la paix : entre nouveautรฉ et continuitรฉ
Partie II. Le renouvellement de lโontologie du droit des crises internationales grรขce ร la thรฉorie des SDC
Titre I. Lโaspiration ร une conception diffรฉrente du droit : les dilemmes du droit
Titre II. La thรฉorie des systรจmes dynamiques complexes, pour un renouvellement de lโontologie du droit
Partie III. Lโontologie renouvelรฉe du droit en pratique : pour une plus grande efficacitรฉ du processus de qualification des crises
Titre I. A lโรฉchelle globale : un processus de qualification des crises efficace
Titre II. Au niveau local : la nรฉcessaire amรฉlioration du processus de qualification des crises
Conclusion
Lโรฉmergence de la ยซ plus belle harmonie ยป grรขce ร un Conseil aux pouvoirs renforcรฉs et contrรดlรฉs proposant une qualification favorable ร la coopรฉration
Bibliographie
Annexe
Systรจmes dynamiques complexes et thรฉories du chaos
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