LE DRAME DERRIERE LE FACE A FACE
La connaissance comme valeur
«[…] : les vérités sont des illusions dont on a oublié qu’elles le sont des métaphores qui ont été usées et qui ont perdu leur force sensible, des pièces de monnaie qui ont perdu leur empreinte et qui entrent dès lors en considération non plus comme pièces de monnaie, mais comme métal. » L. P., Livre III, §1, p. 123.
Pour apporter plus de clarté à notre travail, nous avons senti la nécessité d’élaborer une brève approche d’élucidation par rapport au concept de vérité tel que la tradition philosophique l’a conçu d’une part, et d’autre part, tel que Nietzsche le conçoit . Disons très rapidement que, dans l’histoire de la philosophie, la vérité renvoie à bien des égards à l’adéquation parfaite de la pensée et de l’objet, du réel et de l’entendement etc. C’est ainsi que, pour certains philosophes, la vérité est au ciel (Intelligible). Pour d’autres, elle découle de l’épreuve critique d’un doute méthodique et hyperbolique, et se traduit par la clarté et la distinction. Ne dit-on pas en logique, qu’une proposition n’est vraie que si elle obéit aux différentes règles du raisonnement. Nous voyons à travers ces exemples, que le concept de vérité n’est pas facile à définir ; il est relatif car il change d’acception d’une époque à une autre et d’un philosophe à un autre .Ce caractère fugace de la vérité est mise en évidence par Victor Hugo :
« La vérité, lumière effrayée, astre en fuite, Évitant on ne sait quelle obscure poursuite, Après s’être montrée un instant, disparaît. » .
Mais qu’est-ce que la vérité aux yeux de Nietzsche ? Précisons d’entrée de jeu, qu’elle n’existe pas. Il n’y a pas une manière unique, et seulement unique, de la dire car son domaine de définition «transcende» le discours unique. Ainsi : « présupposer fondamentalement qu’il y a une interprétation exacte, me semble psychologiquement et expérimentalement faux .On peut en faite déterminer en d’innombrables cas ce qui est injuste, ce qui est juste […] bref, le vieux philologue dit fort de toute son expérience philologique, il n’y a pas d’interprétation seule béatifiante. » .
Par ailleurs, en admettant qu’elle existe, les deux critère fondamentaux à partir desquels elle est définissable sont : L’interprétation et l’évaluation.. D’une part, l’interprétation détermine le« sens » d’un phénomène ; d’autre part, l’évaluation exprime la « valeur » hiérarchique des « sens ». Dès lors, nous assistons à un changement dans l’ordre d’appréciation de la connaissance et de la vérité. En d’autres termes, ce n’est plus le monde en lui-même qui est porteur de valeur et qui se donnerait « sens » à lui-même, c’est plutôt désormais l’homme qui occupe la position privilégiée de pôle fixateur et donateur de valeur. Bien plus, à la sentence de Protagoras « l’homme est la mesure de toute chose » on peut substituer celle qui consisterait à dire : « l’homme est la mesure des valeurs ».Dans cette perspective, on comprend fort bien, pourquoi la philosophie, change radicalement de nom. Elle est re-baptisée. Elle ne s’appelle plus littéralement (d’après son étymologie) amour de la sagesse, elle reçoit un autre titre honorifique qui est : la science par excellence des interprétations et de l’évaluation. Nous sommes donc en face d’une philosophie des valeurs ou d’une valeur de la philosophie. Cela veut dire que sans interprétation, aucune vérité n’est ni affirmable, ni avouable, ni déchiffrable, ni décryptable. Et sans interprétation, il n’y a aucune possibilité d’exprimer une quelconque vérité, voire pas de vérité du tout .En effet, mettre en question la valeur de la vérité, c’est aussi se poser la question suivante : que veut celui qui cherche la vérité ? Cette interrogation nous place dans une perspective généalogique qui débouche sur une sorte de « morale de la vérité ».
Appliquant à la morale la méthode généalogique, Nietzsche (généalogiste et taupe) a pour ambition profonde de détruire les pseudo fondements, dès lors, il ne se contente plus de la superficialité, au contraire, il se considère comme «un maître de soupçon » pour lire sous la rature. Une tel individu, est un être qui, nécessairement creuse et fouille ; son monde est celui « des souterrains », «des profondeurs» et «des bas-fonds». Un tel individu également, finit par convertir en problème ce qui, avant lui était considéré comme la solution de tous les problèmes. En enlevant à la morale le sublime manteau qui lui permettait d’occuper le trône royal, Nietzsche la met à nu et nous révèle, par là, ce que celle-ci se gardait de montrer : son problème et sa misère. Dans cette optique, l’auteur du Gai savoir, se targue d’avoir été le seul qui ait réussi à flairer ce qui a trompé la vigilance des narines de toute l’humanité : « – Or donc, d’où vient que je n’aie encore rencontré personne, pas même dans les livres, personne qui se placerait devant la morale comme si elle était quelque chose d’individuel, qui ferait de la morale un problème et de ce problème sa peine, son tourment, sa volupté et sa passion individuelles » Conformément à cette orientation, Nietzsche se demande dans quelles conditions les hommes ont inventé ces jugements de valeur de bien et de mal ? Et quelles valeurs ont-ils eux-mêmes ? Ont ils freiné ou favorisé jusqu’à présent l’épanouissement de l’homme ? Sont-ils le signe d’une situation de détresse, d’appauvrissement, de dégénérescence de la vie ? Ou, au contraire, est-ce l’abondance, la force, la volonté de vie, son courage qui se révèle en eux ?
De là, la pluralité des morales, est dans une certaine mesure, réductible à une typologie. Ainsi on peut distinguer deux types de morales : d’une part ce qu’on peut appeler « la morale des maîtres », et d’autre part, ce qu’il est convenu de nommer « la morale des esclaves ». La première se traduit par une affirmation de soi et une observation de la hiérarchie. La deuxième se fonde sur le ressentiment, la vengeance et la mauvaise conscience. Une « psychanalyse » de la valeur morale, nous place devant deux mondes : « Le monde-vérité » et le « monde-apparence».Ainsi, la vie est jugée, bridée et évaluée. Le monde-vérité est inventé de toute pièce par les faibles, les moribonds, les souffreteux pour se réfugier derrière le long mensonge qui a duré des milliers d’années. Ce qui nous autorise à dire que la fiction est comme une arme en désespoir de cause pour les faibles. Si l’homme, aux yeux des moralistes, est mauvais et coupable puisqu’il est dès l’origine lié au péché originel, alors il a besoin, pour son « salut », d’un « Dieu sauveur », et pour pouvoir être sauvé, doit adopter l’esprit de chameau. Il doit tout comme le chameau, être docile, soumis et accepter de charger ou de sur-charger sur son dos toutes les valeurs pesantes que celles-ci soit religieuses ou morales. C’est pourquoi Nietzsche se propose de saper la tradition éthique pluriséculaire de la philosophie. Cette tradition repose sur l’acceptation d’un mensonge injustifié et injustifiable. On comprend à partir de ce moment pourquoi, Zarathoustra, armé du marteau généalogique, démantèle stratégiquement et radicalement (avec une force de lion), les anciennes tables de valeur.
Dans l’interprétation généalogique de la valeur de la connaissance ou de la connaissance comme valeur, il découle l’idée selon laquelle : La connaissance est la source radicale qui a généré la malédiction de la condition humaine. Donc, dans cette perspective, l’instinct de connaissance apparaît comme le symbole originel qui fonde le malheur atavique des descendants d’Adam. Avec la volonté de connaître, les hommes sont sous l’empire du châtiment (en augmentant leur connaissance ils augmentent leur souffrance), mais tout de même, selon la morale religieuse, ils peuvent bénéficier d’un pardon grâce à la clémence divine ou au privilège du rachat : « Tu as fabriqué ta douleur parce que tu a péché, tu te sauvera en fabriquant ta douleur » ; C’est pourquoi Nietzsche part en guerre contre le christianisme . Car il a inventé les notions de péché , de châtiment, pour faire croire à l’homme qu’il a, à l’égard de Dieu, une dette qu’il doit rembourser afin de le lier à son passé religieux dont il ne pourra plus se détourner. Un tel homme devient inévitablement incapable de penser la pluralité de possibilités et de perspectives que renferme le futur. Cette conscience devenue mauvaise conscience, n’est capable que d’une chose : accroître sa douleur. Le christianisme profite de cette mauvaise conscience de l’homme (état de maladie dans lequel il l’a plongé) pour le rendre plus malade en lui donnant un mauvais traitement, un contre traitement, un traitement mortel : l’idéal ascétique.
Le Christianisme rend l’homme plus souffreteux en « castrant » ses instincts d’épanouissement. Alors que l’homme n’est pas une bête de somme, il doit jouir de ses instincts de grandeur, de conquête, de cruauté et, ce faisant, se départir de l’instinct grégaire. En livrant un rude combat contre les instincts sexuels et la satisfaction des plaisir et des désirs, le christianisme érige en système, une morale qui repose sur une logique d’exploitation outrancière : « le prêtre lui-même est reconnu pour ce qu’il est à la vie : l’espèce la plus dangereuse de parasite, la vraie araignée venimeuse qui l’empoisonne. » Le prêtre est comme le vampire de la vie.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE : LE MALHEUR DE LA CONNAISSANCE
INTRODUCTION DE LA PREMIERE PARTIE
CHAPITRE I : LE DRAME DERRIERE LE FACE A FACE
1◦) La connaissance comme valeur
2◦) Entre Œdipe et le Sphinx l’énigme fatale
CHAPITRE II : L’ABIME DU LABYRINTHE
1◦) Odyssée dans le labyrinthe
2◦) Le labyrinthe d’Ariane
CONLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
DEUXIEME PARTIE : AURORE ET CREPUSCULE DE LA TRAGEDIE GRECQUE
INTRODUCTION DE LA DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE I : A L’AUBE DE LA TRAGEDIE
1◦) De l’apparence apollinienne au masque dionysiaque
2◦) La fonction transfiguratrice de l’art
CHAPITRE II : SOCRATE OU LE FREIN DE LA TRAGEDIE
1◦) La laideur comme échec à la vie
2◦) Socrate est le miroir de la mort
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE