Le domicile : entre espace privé et espace de travail
Le domicile : support de l’identité et lieu de contrôle
Les travaux en sociologie et en psychosociologie se sont attachés à montrer quel lien la personne entretient avec son domicile. Marquant, une séparation forte avec le monde extérieur , l’espace privé offre à son habitant une possibilité de retrait, une pause dans un environnement bouillonnant qu’il ne maîtrise pas toujours. Cet espace de sécurité permet, en fermant sa porte par exemple, de se constituer un refuge. Ainsi, les flux extérieurs, source potentielle de danger, sont maîtrisés. L’habitant peut alors, à l’intérieur de son domicile, se protéger et protéger les membres de sa famille.
Le libre-arbitre s’exerce également au domicile par le choix de son mode de vie, de ses rythmes et de l’organisation du lieu. L’individu « étranger » qui franchit alors le seuil doit se plier au fonctionnement établi par l’hôte. Le caractère privé du domicile apporte avec lui le registre du caché, du secret. Il permet de protéger l’intériorité de l’habitant, son intimité. Il n’y a, dans cet espace, pas de jugements, ni justifications à apporter sur ses choix ; la véritable personnalité de l’individu, celle qui est authentique, peut être dévoilée. Cette possibilité de transparence à l’intérieur de cet espace clos est source d’apaisement.
La spécificité de l’intervention au domicile
Comment rester maître chez soi quand on a besoin des autres ? Comment avoir encore la possibilité de contrôler ses choix au quotidien quand la dépendance nous oblige à demander de l’aide ? Voici le dilemme qui se pose à la personne âgée à l’intérieur de son domicile. En effet, son lieu de vie, là où elle exerce un pouvoir, est constamment menacé par l’intrusion de l’extérieur, l’entrée des aides à domicile, infirmières, aides soignantes, médecins, proches… Toutes ces personnes, indispensables à son maintien à domicile, mais qui sont toutes susceptibles de l’envahir. Ainsi, avec la mise en place des aides, deux polarités apparaissent : la possibilité d’une restauration, d’un étayage et le sentiment d’effraction. La première se réfère à la figure maternelle de l’aidant professionnel, celui qui soigne, « la bonne mère ». Cette image, en plus de valoriser le professionnel en exercice, est rassurante et permet la création d’un espace qui va contenir les angoisses du sujet âgé.
Le don, entre professionnalité et intimité
Parallèlement aux systèmes de négociation et d’adaptation présents entre deux personnes partageant un même territoire, d’autres formes d’échanges peuvent être à l’œuvre. Le don en fait partie et dévoile un cadre particulier où professionnalité, amitié et intimité s’imbriquent, liant d’une manière toute spécifique les deux individus en interaction. C’est tout d’abord le type de lien unissant deux personnes qui façonne la nature de leur relation et les ajustements qui en découlent.
Lors d’interactions dans le cadre professionnel, c’est un lien de salarié à usager qui est habituellement attendu. Ici, « une transaction entre deux partenaires s’établit pour arriver, en principe, à une solution de compromis qui satisfera chacun, éteindra les dettes et fera disparaître un lien interpersonnel devenu inutile » (Fustier, 2015, p. 10). Le monde du travail favorise ce type de lien. Cependant, parfois à l’intérieur de l’institution, la professionnalité s’efface au profit des individualités. C’est le cas à l’intérieur des « interstices institutionnels ». Ces lieux et moments, d’après Fustier, « sont dans le temps de travail mais on ne parle pas directement du travail, […] ils sont travail/non-travail, dedans/dehors… »
|
Table des matières
Introduction
Partie théorique
1.1 Le domicile : entre espace privé et espace de travail
1.1.1 Le domicile : support de l’identité et lieu de contrôle
1.1.2 La spécificité de l’intervention au domicile
1.1.3 Quelle place pour l’aide à domicile ?
1.2 Rituels, habitudes, routines : spécificités et rôles dans la construction de la personne
1.2.1 Rituels : un lien entre les individus et les générations
1.2.2 Des habitudes issues d’une histoire individuelle
1.2.3 À plus court terme, des routines pour stabiliser et rendre ses interactions prévisibles
1.2.4 Fonction commune de guide et de marqueur identitaire
1.3 Modalités d’ajustements de deux personnes en interaction
1.3.1 Nécessité d’une continuité de l’accompagnement
1.3.2 Différentes manières de s’adapter
1.3.3 Le changement, progressivement
1.3.4 Le don, entre professionnalité et intimité
1.3.5 L’absence d’ajustement
Problématique
Méthodologie
3.1 Participants
3.2 Déroulement des entretiens
3.2.1 L’entretien d’explicitation : à la recherche du vécu de l’action
3.2.2 La non-directivité pour laisser place à l’inattendu
3.3 Analyse thématique des entretiens
Résultats
4.1 Mme V et son aide à domicile, Mme T
4.1.1 Caractéristiques personnelles, historique de l’accompagnement
4.1.2 Une relation de très longue date entre Mme V et Mme T
4.1.3 Des autres intervenantes plus passagères
4.2 Mme W et ses aides à domicile Mme B et Mme L
4.2.1 Caractéristiques personnelles, historique de l’accompagnement
4.2.2 Mme B chez Mme W : une gestion de l’ensemble du domicile
4.2.3 Avec Mme L : une intégration au domicile en devenir
4.3 Mme S et ses aides à domicile, Mme L et Mme H
4.3.1 Caractéristiques personnelles et historique de l’accompagnement
4.3.2 Une adaptation simple avec Mme H
4.3.3 Adaptations et remaniements avec Mme L lors des courses
Discussion
5.1 Une distance déterminant le niveau d’ajustements à fournir
5.2 La continuité, support du lien
5.3 Des types d’adaptation différentes pour des ajustements différents
5.4 La progressivité pour une transformation de la relation
5.5 Le don, vecteur de familiarité et de changement
5.6 Un équilibre fragile
5.7 Limites méthodologiques et ouvertures
Conclusion
Références bibliographiques
Annexes
Annexe 1 : Formulaire d’information et de consentement, destiné aux personnes âgées
Annexe 2 : Exemples de relances (entretiens avec les aides à domicile)
Annexe 3 : l’intervention de Mme T le jour du départ à l’hôpital de l’époux de Mme V
Annexe 4 : pour Mme B, accepter les habitudes de propreté de Mme W
Annexe 5 : l’installation progressive de l’aide à la toilette entre Mme W et Mme B
Annexe 6 : une volonté pour Mme B de garder une certaine distance
Annexe 7 : un exemple de l’intégration de Mme L au domicile de Mme W
Annexe 8 : le premier jour où Mme L a accompagné Mme S en courses
Annexe 9 : maintien de Mme S par Mme L lors de la sortie du domicile
Télécharger le rapport complet