Le domaine des langues en danger

LE DOMAINE DES LANGUES EN DANGER

En 1992, le numéro 68 de la revue Language sonne l’alarme à propos d’une question morale et pratique, sociale et linguistique, à l’échelle mondiale (Hale, et. al, 1992). Dans le premier article, Hale (1992) raconte ses expériences comme linguiste sur divers terrains, à travers une étude des problématiques rencontrées dans plusieurs régions, dans une optique de documentation linguistique. Les langues indigènes et minoritaires disparaissent à une vitesse telle que la documentation d’un grand nombre d’elles sera impossible. Ceci est dû à un processus appelé le language shift selon lequel ces langues sont abandonnées au profit de langues de prestige et d’usage courant dans l’économie mondiale (i.e. l’anglais, le français, l’espagnol, le chinois, l’arabe, etc.). Les autres articles de la revue examinent selon différentes perspectives ce problème de la minorisation et de la disparition de langues , ainsi que les conséquences qui en découlent. Dans les années suivant la parution de ce numéro, le nombre d’études sur le sujet s’estmultiplié, et les bases d’une sous-discipline ont été lancées par des linguistes et des anthropologues.

Dix ans plus tard, ce mouvement met en œuvre sa propre analyse critique et subit même des désaccords internes, allant jusqu’à remettre en question sa propre légitimité (Errington, 2003 ; Fishman, 2001 ; Hagège, 2000 ; Hinton, 2003 ; May, 2003). C’est alors que paraît l’ouvrage quasi-exhaustif de Hagège sur les questions de la vitalité des langues, dans une perspective sociale, politique et scientifique (Hagège, 2000). Cet ouvrage rend compte des nuances et des complexités du bilan de cette question avec une approche d’expert. La simplicité de la langue français à laquelle l’auteur recourt a contribué à son succès en France. Hagège ajoute aux cadres d’analyse la catégorie des langues menacées qui, si elles ne montrent pas de signes qui « donnent à penser qu’une extinction immédiate les guette », sont cependant susceptibles de connaître cette même condition dans un avenir prévisible. Une autre publication influente en est le volume 35, numéro 36 de la revue Faits de Langues, dans lequel les auteurs Grinevald, Bert, Dorian et Costa – entre autres – élargissent les perspectives académiques à la linguistique de terrain, la diversité des langues classées en danger, ainsi que les dynamiques institutionnelles et sociales de la documentation et de la revitalisation des langues.

Il y a aujourd’hui une sensibilisation grandissante parmi les chercheurs, les gouvernements, et mêmes les populations majoritaires de nombreux pays au besoin de protéger la diversité linguistique. Le chercheur qui en formule la notion le plus clairement est Fishman : il développe un premier cadre afin de schématiser le processus de déclin et de disparition d’une langue, puis un second consacré au renversement de ce processus. Ce renversement est appelé « inversion du glissement linguistique » (« reversing language shift »), et les écoles représentent l’un des outils les plus importants à sa réalisation.

Une langue ne peut être définie comme vivante que si elle est la langue maternelle, au sens où elle est apprise depuis le début de l’enfance pour la communication naturelle, d’une personne quelque part dans le monde. Cette définition implique nécessairement la place indispensable de la transmission intergénérationnelle en famille. Fishman (1991) n’envisage aucune chance de survie pour une langue qui ne serait pas transmise au foyer. C’est pour cette raison que l’âge des locuteurs est pris en compte dans son échelle d’évaluation. Selon lui, si la « maladie » et la « mort » d’une langue ne sont que des changements à différents degrés de la fonction desservie par une langue, toute théorie ou typologie qui explique ces phénomènes doit obligatoirement se baser sur les fonctions actuelles et possibles d’une langue. Pour cette raison, la notion de domaines d’emploi de la langue imprègne son échelle. Fishman explique que « plus le classement sur le GIDS est élevé, moins il y a de continuité intergénérationnelle et donc plus les chances de maintien d’un réseau ou d’une communauté linguistiques sont faibles.» (Fishman, 1991 : 87, cité et traduit par Bourhis & Lepicq, 2002 : 145) .

Fishman (1965) a constaté que, dans les contextes plurilingues, il est rare que deux langues occupent la même place dans la vie sociale des locuteurs. Ainsi, l’on observe le plus souvent des strates d’usage des langues, chacune étant préférée pour certaines fonctions selon le lieu, le sujet de la conversation, et les locuteurs qui y participent. Une langue minorée, non-officielle, sera plus volontiers parlée dans les domaines de la famille, de la religion, de l’amitié, et du voisinage (dans un ordre allant du plus au moins intime) que dans ceux de la transaction (économique), de l’éducation ou du gouvernement et de l’emploi. Fishman (1965, 1991, 2001) conçoit un idéal de bilinguisme durable où les deux langues sont utilisées dans tous les domaines de la vie, mais d’autres chercheurs proposent des conceptualisations différentes des pratiques linguistiques dans lesquelles différentes langues peuvent survivre en assurant des fonctions distinctes (i.e. Garrett, 2005 ; Meintel, 1994, 2000).

LANGUES EN DANGER : DEFINITION ET CLASSIFICATION

L’expression de « langues en danger » doit être définie, en déterminant d’abord chaque terme, puis en délimitant les critères qui font qu’une langue donnée est véritablement en position de « danger ». Ces questionnements n’ont pas encore de réponses définitives. Toutes les langues vivantes étant en proie à des modifications continues ainsi que des variations selon les régions, les contextes et même les individus dans leur usage réel, il peut être hasardeux de distinguer entre variantes de langue a et de langue b pour certaines façons de parler. Ceci est particulièrement vrai en cas de contact linguistique, situation où se trouve toute langue minoritaire. Les éléments des langues concernées s’influencent alors entre eux et sont échangés de façon à ce que le résultat devienne un continuum de pratiques (cf. Alby, 2013). Pour illustrer la présente étude de manière pertinente, nous étudions ici le cas de l’arménien occidental, qui est l’un des deux dialectes standard de la langue arménienne. Parfois, lorsqu’une langue est considérée comme « en danger », des observateurs extérieurs à la communauté locutrice arguent du contraire. Dans le cas de l’arménien, il s’agit de la langue officielle d’un État, et de la langue dominante de l’Arménie, et ne pourrait donc pas se trouver en situation de danger. Cependant, l’histoire du dialecte occidental est distincte de cette langue officielle dominante; elle est chargée émotionnellement, caractérisée par un fort attachement identitaire et un patrimoine littéraire et artistique unique. Pour bien des locuteurs, la vitalité de l’arménien oriental n’est donc pas suffisante pour la vitalité globale de « l’arménien ». Le principe de l’autodéfinition peut mener les linguistes à classer les langues à la lumière des définitions des locuteurs eux-mêmes, mais cela ne fait qu’éluder les problèmes de définitions globales. Évidemment, les linguistes utilisent des définitions et des étiquettes, mais il est nécessaire d’être conscient des nuances et objections qu’elles peuvent masquer.

L’étiquette « en danger » peut se décliner quant à elle en un grand nombre d’expressions équivalentes, mais une question demeure : quelle est la différence entre les qualificatifs « en danger » et « morte /disparue » et selon quelles gradations? L’échelle officielle de l’UNESCO comporte cinq niveaux ; d’autres échelles suggèrent d’autres formulations (Fishman, 1991 ; Grenoble & Whaley, 2006). L’UNESCO élabore huit facteurs des indices de la vitalité d’une langue (voir annexe 3), mais tous ces éléments concernent le nombre de locuteurs ou leur proportion dans la population, leurs âges et les domaines dans lesquels la langue est employée. Les attitudes sont elles aussi prises en compte, mais la relation entre attitudes et comportements est complexe et sera évoquée dans les chapitres 2 et 3. Quant à la question des locuteurs, il n’est pas aussi simple de les dénombrer. La raison en est notamment que la définition d’un locuteur d’une langue est aussi floue que la définition d’une langue (cf. Hornsby, 2015).

LES OBJECTIFS DE L’ETUDE

D’un côté, les travaux de Fishman (1967, 1989, 1990, 1991, 2001) mettent l’accent sur la langue écrite, les institutions et les jeunes, et donc les écoles sont bien placées pour effectuer des changements en faveur d’une langue minoritaire. Mais de l’autre côté, Fishman et d’autres (i.e. Hornberger, 2008 ; Huss, 2008 ; Landry & Allard, 1993) ont souligné que l’école ne pouvait pas modifier le sort d’une langue toute seule. Il existe aujourd’hui des langues qui sont mortes depuis des siècles qui sont toujours enseignées dans des écoles, et il existe des programmes de revitalisation qui réussissent à transmettre des langues en danger à un grand nombre d’élèves, mais sans que la vitalité de la langue n’engendre une augmentation du nombre de locuteurs natifs (nous en donnons quelques exemples ci-après). L’institution scolaire a une très longue histoire en tant qu’outil de domination, et un projet d’homogénéisation monolingue ne peut se réaliser sans l’aide des écoles. En même temps, dès qu’un gouvernement décide que son peuple a besoin d’un profil linguistique plus diversifié, c’est aux écoles qu’il fait appel. Il y a donc un fort besoin de comprendre ce dont l’école est capable, et par quels moyens.

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Table des matières

INTRODUCTION
Ch. 1 : Problématique de l’étude
1.1 Le domaine des langues en danger
1.1.1 Le modèle de Fishman de la vitalité d’une langue
1.2 Langues en danger : définition et classification
1.3 Les objectifs de l’étude
1.4 Problématique et hypothèses de la recherche
1.5 Approche de l’analyse des données
1.6 La langue arménienne : une longue histoire de variation, d’évolution et de contact
1.7 Langue de diaspora : au carrefour des courants sociolinguistiques et politiques
1.8 Concepts
1.8.1 Définition de la langue arménienne
1.8.2 Définition d’une école arménienne
1.8.3 La littératie
1.8.4 Deuxième langue
1.8.5 Language shift
1.8.6 Maintien ou revitalisation linguistique
1.8.7 Haut niveau de compétence
1.8.8 Première langue
1.8.9 Langue dominante (dans la société)
1.8.10 Langue dominante chez l’élève
1.8.11 Plurilingue
1.8.12 « Noyau – Périphérie»
1.9 Position contextuelle de l’étude : une contribution aux exemples de la revitalisation
1.9.1 Survol de cas de comparaison a travers le monde
1.10 Synthèse
Ch. 2 : Revue de la littérature
2.1 La théorie de la vitalité ethnolinguistique
2.1.1 Ses origines et son parcours
2.1.2 Quel rôle pour « l’identité » ?
2.1.3 Quel modèle pour les programmes éducatifs ?
2.1.4 Si vous la construisez, viendront-ils ?
2.2 La théorie de la socialisation linguistique : devenir « locuteur de la culture »
2.2.1 La théorie, ses bases et son parcours
2.2.2 l’ethnographie : la meilleur méthode pour les études sur la socialisation
2.2.3 Une nouvelle perspective sur la compétence linguistique
2.3 Les motivations des apprenants
2.4 La psychologie de la consommation et le choix de l’école
2.5 Cadre pédagogique des meilleures pratiques pour les écoles qui enseignent une langue minoritaire
2.5.1 Quel modèle programmatique devrait encadrer l’enseignement ? Combien de temps y consacrer, sur quelle répartition, pour quels âges d’apprenant ?
2.5.2 Quels devraient-être les points focaux pour que les atouts du programme soient les plus efficaces au niveau de la vitalité linguistique ?
2.5.3 Quel devrait être l’équilibre d’emphase mise sur les formes orales et écrites de la langue cible ? Quelles méthodes pour enseigner les deux ?
2.5.4 Comment devraient être traités le purisme linguistique et la langue standard ? Les variantes, doivent-elles être reconnues ? Enseignées ? Les pratiques d’hybridation avec d’autres langues, doivent-elles être tolérées ?
2.5.5 Quelle approche à la correction des erreurs : comment devraient les enseignants corriger, et à quels moments, à l’oral et à l’écrit ?
2.5.6 Comment évaluer les apprenants ? Comment évaluer le programme en général?
2.5.7 Qui est un candidat approprié pour enseigner la langue ?
2.5.8 Quel rapport entre la langue cible et le reste du programme éducatif (le programme national, par exemple)?
2.5.9 Quel type d’enseignement pour provoquer la participation active des apprenants dans les efforts de maintien ?
2.5.10 Quels soutiens devraient être fournis aux parents qui ont un faible niveau dans la langue cible ? Comment intégrer la classe et le foyer ?
2.5.11 Quelle réponse aux nouveaux domaines linguistiques de la vie moderne, et aux expressions artistiques ?
2.5.12 Comment aborder le sujet des attitudes linguistiques et la question du déclin linguistique ?
2.6 « The Sun Never Sets on the Armenian Diaspora »
Ch. 3 : l’étude et ses méthodologies
3.1 Pourquoi une approche qualitative et non quantitative ?
3.2 l’analyse de discours : à la recherche de la vérité ?
3.2.1 Quel lien entre les discours et les comportements ?
3.2.2 La subjectivité
3.2.3 La triangulation
3.3 Définitions des catégories des participants
3.3.1 Élèves inscrits
3.3.2 Élèves non-inscrits
3.3.3 Parents
3.3.4 Enseignants
3.3.5 Professeurs d’arménien
3.3.6 Responsables d’école ou responsables de la politique linguistique éducative
3.3.7 Arméniens
3.3.8 Arabes
3.3.9 Locuteurs d’arménien
3.4 La méthodologie employée
3.4.1 Collecte de documents
3.4.2 Interviews en profondeur
3.4.3 Développement du questionnaire
3.4.4 Codage et analyse
3.4.5 Observations en milieu
3.4.6 Notes sur les langues employées dans le projet
3.4.7 Métadonnées et codage des citations
3.5 Défis méthodologiques rencontrés
CONCLUSION

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