Le domaine de l’InfoVis
Le domaine de la visualisation d‟informations (InfoVis) est né avec l‟évolution technologique des supports interactifs pour transmettre de l‟information en utilisant des représentations abstraites. Parmi les travaux fondateurs du domaine on retrouve ceux de Tufte [Tufte, 1983] [Tufte, 1990] [Tufte, 1997] qui a regroupé un ensemble de visualisations affichant des informations scientifiques mais aussi abstraites. Bertin [Bertin, 1983] fait aussi partie des fondateurs avec la sémiologie graphique, ainsi que Tukey [Tukey, 1977] avec ses travaux sur la réalisation de visualisations de données statistiques, Cleveland et McGill [Cleveland, 1985] [Cleveland & McGill, 1988] [Cleveland, 1995] avec de nouvelles visualisations abstraites.
Les domaines de la visualisation
On peut concevoir l‟InfoVis comme une spécification et une évolution des domaines de la visualisation de données géographiques et scientifiques :
● La cartographie est un domaine vieux d‟au moins 2000 ans. Les cartes permettent de mémoriser des informations géographiques. Ainsi, elles aident à se diriger mais aussi à trouver et à analyser de l‟information ; il est ainsi possible de découvrir des zones non encore cartographiées, des zones de prospection… Aujourd‟hui ce domaine est celui des Système d‟Informations Géographiques (SIG).
● Les visualisations scientifiques (SciVis) ont une vingtaine d‟années d‟existence. Le domaine des visualisations scientifiques traite principalement des représentations «canoniques » de phénomènes physiques. Elles font toujours référence à des objets connus mais en ajoutant de l‟information perceptible par notre système cognitif. Par exemple, l‟image d‟une voiture de course avec une représentation de l‟écoulement de l‟air sous forme de filets colorés est une visualisation du domaine scientifique.
● Le domaine de l‟InfoVis a une dizaine d‟années d‟existence. Il affiche des données de façon abstraite sans référentiel dans notre environnement naturel mais en utilisant notre système perceptif comme vecteur d‟amplification de la cognition.
● Le domaine de l‟InfoVis continue d‟évoluer avec l‟émergence du nouveau domaine de l‟analyse visuelle [Thomas & Cook, 2006]. L‟analyse visuelle (Visual Analytics) est la science du raisonnement assisté par des interfaces visuelles interactives.
L‟image suivante montre des exemples de visualisations du domaine de la cartographie avec des cartes et des reliefs de terrain, de la visualisation scientifique avec l‟image de zones d‟activation cérébrale ou encore une voiture de course avec l‟affichage des filets d‟air, de l‟InfoVis avec Conetree [Roberstion et al., 1991], Parallel Coordinates [Inselberg & Dimsdale, 1990], Tree-maps [Johnson & Shneiderman, 1991].
Exemples remarquables
L‟exemple suivant est une image statique de la marche de Napoléon lors de sa campagne de Russie en 1812. Cette image a été réalisée par Minard en 1869 et fait référence dans le domaine de l‟InfoVis en affichant une représentation abstraite de données très simplement compréhensibles. Un trait qui se sépare en plusieurs branches représente la progression de l‟armée de Napoléon avec une épaisseur qui diminue progressivement dans le temps. De plus, des informations complémentaires sont fournies comme la température ou le passage aux travers de villes et de rivières (comme la Bérézina). Au total, ce sont sept dimensions qui sont fournies et qui permettent de comprendre le parcours tragique de l‟armée : le froid extrême, la perte de vies humaines (400 000 hommes au départ, 10 000 à l‟arrivée). La technique de terre brûlée employée par les Russes se traduit par une perte continue de vies humaines et donc une réduction constante de l‟épaisseur du trait représentant le nombre de soldats.
Tufte [Tufte, 1983] a qualifié ce graphique de « graphique d‟exception » et est, selon lui, la visualisation la plus efficace pour afficher autant d‟informations.
Inselberg [Inselberg & Dimsdale, 1990] a créé la visualisation avec des coordonnées parallèles qui illustre le domaine de l‟InfoVis en affichant des données multidimensionnelles avec plusieurs axes des ordonnées. En d‟autres termes, cette visualisation utilise nos capacités perceptives pour optimiser la transmission d‟information.
Le dernier exemple utilise la technique d‟interaction des requêtes dynamiques qui permet de filtrer dynamiquement les données pour en extraire rapidement de l‟information. HomeFinder permet de trouver une propriété à acheter suivant des critères manipulés directement par l‟utilisateur. Pour ce faire, l‟utilisateur utilise des range sliders et des cases à cocher pour définir et affiner ses critères de sélection.
L‟utilisation simple et rapide d‟outils de sélection permet alors d‟étendre les possibilités d‟exploration. L‟utilisateur peut, en outre, trouver un logement mais aussi par extension, comprendre la topologie immobilière de la région de Washington en mettant en avant les zones fortement urbanisées, les zones impopulaires ou encore les quartiers résidentiels cossus. La requête (filtrage) suivie de sa visualisation immédiate permet à l‟utilisateur de mémoriser et d‟identifier des formes caractéristiques dans la visualisation des données et ainsi de les explorer.
La perception
Cette partie résume quelques unes des théories de la perception visuelle et présente leur utilisation dans le domaine de la visualisation d‟information. En revanche, cette thèse ne s‟inscrit pas dans le domaine de l‟étude des processus physiologiques mis en œuvre pour la perception d‟informations. Nous nous intéressons aux théories et modèles de la perception de « haut niveau » pour pouvoir expliquer les mécanismes de transmission d‟information entre une visualisation et un utilisateur. Nous commençons par l‟étude de la perception pré-attentive qui permet d‟identifier rapidement certaines propriétés visuelles simples. Nous présentons ensuite la théorie de la Gestalt pour laquelle la perception des objets dans leur ensemble est supérieure à la perception individuelle. Ensuite nous étudions la sémiologie graphique de Bertin qui offre un socle formel pour l‟analyse des visualisations. Puis, nous nous intéressons à l‟approche du design écologique qui décrit la perception comme un système fortement lié à l‟environnement naturel de l‟Homme. Finalement, nous étudions le pouvoir perceptif des choix de représentation.
La perception pré-attentive
La théorie de la perception pré-attentive [Treisman, 1988] explique comment certaines propriétés visuelles peuvent être perçues très rapidement (< 250 ms) et sans effort. Par exemple, lorsque l‟on regarde l‟image suivante, composée de cercles bleus, la perception du cercle rouge est immédiate et ne requiert aucune charge cognitive : ce processus de perception est automatique.
Cette perception est hautement parallèle mais limitée : la perception automatique du cercle rouge ne fonctionne plus avec un ensemble plus important de couleurs. L‟utilisateur est alors obligé de scanner chaque élément de façon séquentielle.
La couleur, l‟orientation, la longueur, l‟épaisseur, la courbure, et d‟autres encore peuvent participer à la perception pré-attentive [Healea, 1992]. A l‟opposée de cette perception automatique, la perception contrôlée concerne, par exemple, la lecture d‟un texte. Cette activité mobilise entièrement le système cognitif, et ne laisse pas de place à d‟autres activités perceptives. Les informations transmises par la lecture d‟un texte sont précises, mais leur temps de traitement est très lent.
Gestalt
La théorie de la Gestalt [Kofka, 1935] est née en Allemagne et en Autriche au 19ième siècle. Le mot allemand « Gestalt » signifie « forme ». Cette théorie part du fait que la perception des objets est réalisée par la synthèse mentale des formes en une « surforme », c‟est un processus de haut niveau. On constate ainsi que le tout est supérieur à la somme de ses parties, c‟est un des principes fondamentaux de la théorie de la Gestalt. La Gestalt regroupe plusieurs principes de la perception : la loi de la bonne forme, la loi de continuité, la loi de proximité, la loi de similitude, la loi du destin commun… La loi de la bonne forme (Prägnaz) est la loi principale dont les autres découlent : un ensemble de parties (comme des groupements aléatoires de points) tend à être perçu d’abord (automatiquement) comme une forme, cette forme se voulant « simple », « symétrique », « stable », en somme une « bonne » forme. L‟exemple suivant montre un rectangle surmonté d‟un carré : le système perceptif préfère cette composition de l‟espace qui est plus simple que, par exemple, trois objets distincts juxtaposés.
La loi de la proximité groupe naturellement les objets les plus proches les uns des autres. Le carré de gauche est composé de points uniformément distants, alors que dans carré de droite, les points se regroupent en colonne par effet de proximité.
Le principe de la loi de continuité statue qu‟il est plus facile de construire des entités visuelles à partir d‟éléments qui sont lissés et continus plutôt qu‟avec des éléments qui comportent des angles, ou des changements de direction abrupts. L‟image suivante montre que nous percevons une courbe et un rectangle superposés, et non deux éléments juxtaposés.
La loi de similitude indique que les éléments visuels qui partagent les mêmes propriétés se groupent. Par exemple des points bleus se groupent au milieu de point gris. La loi du destin commun : des parties en mouvement ayant la même trajectoire sont perçues comme faisant partie de la même forme. La loi de clôture : une forme fermée est plus facilement identifiée comme une figure (ou comme une forme) qu’une forme ouverte. A titre d‟exemple, la Gestalt permet d‟expliquer les processus perceptifs mis en œuvre dans la perception des informations contenues dans un scatterplot. Le traitement hautement parallèle du système visuel humain permet de percevoir sans surcharge cognitive des tendances (loi de la continuité), des patterns (loi de la similitude), des exceptions, des groupes (loi de la proximité).
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Table des matières
Introduction
Partie 1 : Etat de l’art
I. Le domaine de l‟InfoVis
A. Les domaines de la visualisation
B. Exemples remarquables
II. La perception
A. La perception pré-attentive
B. Gestalt
C. La perception visuelle dans la sémiologie graphique de J. Bertin
D. Pouvoir perceptif
E. L‟approche écologique de la perception visuelle
III. Analyse des visualisations
A. Le contenu
B. La mise en forme
IV. Evaluation des visualisations
A. Evaluation par les règles de design
B. Autres méthodes d‟évaluation
V. L‟exploration de données et le modèle de Data Flow
A. Le modèle de Data Flow pour l‟exploration de données
B. La visualisation des données pour l‟exploration
C. Interaction avec les données
D. Conclusion sur l‟exploration de données
Partie 2 : L’analyse de visualisations
I. Caractérisation de visualisations dans le domaine du Contrôle Aérien
A. Caractérisation des visualisations du domaine de l‟ATC
B. Image radar : ODS
C. Image radar verticale : ASTER
D. Séquenceur des avions à l‟atterrissage : MAESTRO
E. L‟agenda des conflits : ERATO
F. Discussion sur la caractérisation
G. La fonction de transformation généralisée
H. Le temps et la dynamique de l‟image
I. Utilisation du modèle de la dynamique de l‟image
J. Validation et utilisation du modèle de DataFlow
K. Conclusion
II. Comparaison des comètes radar
A. Les comètes radars dans le domaine de l‟ATC
B. Description de quatre designs de comète
C. Application du modèle de C&M sur les comètes
D. Comparaison des comètes avec des critères qualitatifs
E. Conclusion sur la caractérisation des comètes radar
III. Design écologique et émergence
A. Définition de l‟émergence
B. Illustration du phénomène d‟émergence
C. Représentation utilisant le mouvement
D. Discussion sur l‟utilisation de la perception écologique
E. L‟émergence due à l‟animation
F. Exemple d‟utilisation du design écologique
G. Conclusion sur l‟utilisation de l‟écologie
Partie 3 : La réalisation de visualisations
I. Réalisation de vues « métro » pour les routes aériennes
A. L‟analyse en type de donnée des vues métro et carte de routes aériennes
B. Choix des couleurs et affectation sur les routes aériennes
C. Visualisations réalisées
D. Validation des visualisations
E. Conclusion
II. Interaction avec les données
A. L‟exploration de données dans le domaine de l‟Aviation Civile
B. Cahier des charges pour l‟exploration de trajectoires
C. Les données radar à explorer
D. Description du système
E. Premier bénéfice de l‟utilisation de FromDaDy
F. Scénario
G. Utilisation étendue avec les cartes d‟accumulation
H. L‟accumulation comme un outil d‟exploration de données
I. Considérations techniques
J. Conclusion sur FromDaDy
Conclusion
Références
Annexe