Le documentaire comme forme symbolique

Le désir de nous intéresser au documentaire provient d’une question pour nous persistante à laquelle nous avons voulu répondre: quelle(s) vérité(s) nous présente-il? Et les diverses lectures que nous avons pu faire sur ce sujet n’ont répondu que partiellement à nos attentes. L’étude sur le documentaire a suscité ces dernières années de nombreuses approches : historique, rhétorique, stylistique, pragmatique…
Cette question, récurrente dans chaque travail sur le documentaire, repose sur une tentation générique de classification. La tentative de circonscrire le documentaire comme genre, qu’il s’agisse de photographie ou d’images du cinéma, est présente tout au long de son histoire. Olivier Lugon nous en donne un résumé : « Le terme documentaire apparaît dès la fin des années vingt dans la terminologie photographique. Sa première occurrence comme définition d’un genre est difficile à repérer, mais la légende – née également à la fin des années trente – veut que le terme soit d’abord apparu en 1926, dans un article de John Grierson sur le film de Robert Flaherty Moana. Cette application au cinéma, pour désigner un type de film fondé sur la réalité plutôt que sur la construction d’une fiction, est bien antérieure en français, puisque l’idée de scène documentaire est attestée dès 1906, et celle de film documentaire substantivé en documentaire dès 1915. D’une façon générale, cette antériorité française est encore sensible, semble-t-il, dans les années trente, plusieurs textes allemands ou américains citant le mot français plutôt que son équivalent local. Quoi qu’il en soit, c’est à la fin des années vingt que le terme, fort du nouveau crédit artistique gagné au cinéma, s’applique à la photographie : dès 1928 en tout cas, on le repère aussi bien en France qu’en Allemagne, et peu après, vers 1930, aux Etats-Unis. » .

HYPOTHESE ET ENJEUX

LA FORME SYMBOLIQUE 

Les travaux de Emmanuel Kant ont ouvert la voie à de nouvelles perspectives philosophiques dont nous sommes encore imprégnés aujourd’hui. Emmanuel Kant a transformé le sens de la lecture du monde en recherchant les conditions a priori qui déterminent nos jugements. Ce faisant, le philosophe a proposé une nouvelle conception de nos modes de connaissance. Il s’agit pour Emmanuel Kant de mettre en évidence le lien entre idéalisme et expérience dans la recherche de la vérité.

Ernst Cassirer, de tradition kantienne, a poursuivi cette démarche et cette méthode. Mais il a opéré une révolution des valeurs en fondant, à la fin de son œuvre, en 1945, une logique des sciences de la culture. De quoi s’agit-il ?

L’origine de cette logique repose sur la critique des critiques kantiennes, lesquelles instaurent l’idée de deux a priori purs qui sont l’espace et le temps, limites insurmontables de la connaissance humaine.

Ernst Cassirer, quant à lui, s’est affranchi de ces deux a priori en formulant l’idée que c’est l’imagination qui crée le terrain de la connaissance et que l’origine de toute forme de réalité trouve son point de départ dans le concept de culture. C’est à partir de ses manifestations, qui sont autant de présentations de sens, que nous avons la possibilité d’appréhender la réalité dans laquelle nous baignons.

La révolution des valeurs se trouve dans ce renversement : l’imagination comme moteur de réalités remplace la connaissance comme cause première des réalités s’instaure. C’est dans ce cadre conceptuel que nous pouvons comprendre à la fois la philosophie et la méthode employée par Ernst Cassirer pour appréhender non pas nos symboles mais nos formes symboliques. Ainsi, Ernst Cassirer défend l’idée que « (…)si au lieu de poursuivre d’une vision passive des réalités de l’esprit, on se place au milieu de leur activité même, et si, au lieu d’en faire la considération tranquille d’un étant on les définit comme des fonctions et des actualisations de l’imaginaire, il sera possible, quelques diverses et hétérogènes que soient les figures qui résultent de cette construction, d’en détacher certains traits communs, caractéristiques de la figuration elle-même. Si la philosophie de la culture réussit à appréhender de tels traits caractéristiques et à les rendre visibles, elle aura accompli en un sens nouveau sa tâche, qui consiste, face à la pluralité des sciences de l’esprit, à expliciter l’unité de son essence. Car cette unité de l’essence se manifeste de la manière la plus nette précisément dans le fait que la diversité de ses produits, loin de faire obstacle à l’unité de la production, la vérifie et la confirme. »  .

Cette méthode trouve son expression la plus adéquate dans un concept, la forme symbolique : « Par “forme symbolique”, il faut entendre toute énergie de l’esprit par laquelle un contenu de signification spirituelle est accolé à un signe sensible concret et intrinsèquement adapté à ce signe. En ce sens, le langage, l’univers mythico religieux et l’art se présentent chacun à nous comme une forme symbolique particulière. Tous en effet portent la marque d’un phénomène fondamental ; notre conscience ne se satisfait pas de recevoir une impression de l’extérieur, mais elle lie chaque impression à une activité libre de l’expression et l’en imprègne. Un monde de signes et d’images qui se sont créés d’eux-mêmes s’avance au-devant de ce que nous appelons la réalité objective des choses et s’affirme contre elle dans sa plénitude autonome et sa force originelle. » .

L’HERITAGE DE EMMANUEL KANT 

Nous ne pouvons comprendre la philosophie de Ernst Cassirer sans effectuer un bref retour sur la révolution conceptuelle de Emmanuel Kant, qui instaure une nouvelle façon de penser le monde.

Emmanuel Kant et ses critiques ont apporté à la philosophie un ensemble de concepts radicalement nouveaux qui consacrent la rupture avec la pensée métaphysique socratique et platonicienne, encore courante au dixhuitième siècle en Europe.

Si cette conception tendait à scinder l’apparence de l’essence, cette dernière étant l’unique vérité, elle donnait aussi à voir une dépréciation du monde sensible au profit d’un tout intelligible, unique et législateur. Les dialogues socratiques sur la recherche de la vérité ou la célèbre Allégorie de la caverne, de Platon, sont l’expression de ce système.

Cette scission apparence/essence et son abandon par Emmanuel Kant va ancrer la philosophie dans une ère de modernité dont nous sommes encore aujourd’hui imprégnés. De quoi s’agit-il ? D’un renversement fondamental des valeurs, d’un appareil conceptuel et d’une logique nouveaux, d’une redéfinition des catégories et, avec ces dernières, de l’apparition des médiations. Tout cela créa une nouvelle théorie du sens qui s’élabora à partir de l’humain.

Pour cette théorie du sens, Emmanuel Kant eut recours à deux notions qui existaient déjà dans l’ancienne métaphysique mais qu’il renouvela : l’a priori et l’a posteriori. L’a priori signifie indépendant de l’expérience, tandis que, par opposition, l’a posteriori renvoie à ce qui est donné ou donnable dans l’expérience. Tout au long de ses critiques, le philosophe précisa et révisa le sens de ces deux concepts, comme de tous les concepts à l’origine de son architectonie. Nous retiendrons ce glissement fondamental conceptuel qui instaure l’idée d’apparition, à défaut d’apparence, une apparition qui se comprend dans le lien de l’a priori et de l’a posteriori et à partir de laquelle sont redéfinis les modalités du sens et, a fortiori, les conceptions de l’idéalisme et de l’empirisme. A travers cette refondation des termes, Emmanuel Kant posa la question de nos modes de connaissances, de ce qui existe et de leur façon d’être au monde. Il s’interrogea également sur ce qui est de l’ordre de l’universel et du nécessaire d’une part ; de ce qui est défini comme universel et nécessaire d’autre part.

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Table des matières

INTRODUCTION
Documentaire et forme symbolique
I. HYPOTHESE ET ENJEUX
La forme symbolique
L’héritage de Emmanuel Kant
La critique de Ernst Cassirer
Perspectives de la philosophie de Ernst Cassirer
II. INVENTION D’UNE IMAGE–MONDE
Collecte de données
La question du réalisme
Du symbole à l’allégorie
Voir et connaître
III. LA SURVIVANCE
Entre tempolarité et intempolarité
Le portrait revisité
Trace et tracé
Visage bafoué
Entre image rêvée et image effective
IV. DOCUMENTAIRE ET LIEU DE MEMOIRE
De l’image-souvenir à l’image du souvenir
Le travail de la mémoire
Mémoire et patrimoine
L’album
L’archive publique en critique
La commémoration
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages généraux
Cinéma et photographie
A propos d’Alain Cavalier
A propos de Walker Evans
A propos de Robert Kramer
A propos d’Amos Gitaï
FILMOGRAPHIE
Alain Cavalier
Amos Gitai
Robert Kramer
Jose-Luis Penafuerte
INDEX DES ILLUSTRATIONS
INDEX DES NOMS

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