Le discours du MEDEF sur la relance de l’économie en France

L’éthos préalable

     Pierre Gattaz est un industriel français. C´est le fils d’Yvon Gattaz, chef d’entreprise français et président du Conseil national du patronat français de 1981 à 1986. L´étude du cadre familial de Gattaz permet de comprendre son point de vue sur l’entreprise et son discours entrepreneurial dont il est imprégné. Le sociologue Pierre Bourdieu parle d’habitus économique (Bourdieu, 2003 : 84) au sujet d´observations qu´il réalise en Kabylie. Il remarque un choc entre deux cultures économiques, une culture précapitaliste ignorant les théories du choix rationnel économique et une culture capitaliste fondée sur les valeurs de travail, d´épargne, de rendement qui est apportée par la colonisation. En fait, l´habitus économique est une attitude fondée sur des valeurs travaillées par une culture particulière, c´est-à-dire un ensemble de représentations du monde. Pierre Gattaz souhaite naturaliser des cadres de pensée (entreprise, risques, croissance…) qui sont le produit d´une histoire et d´une culture. La neutralisation de ce cadre est une stratégie pour contraindre les gouvernements à aller dans le sens de ce que veulent les grandes entreprises. D´une certaine manière, Pierre Gattaz souhaite imposer une façon de penser. Le fait qu´il appartienne à une classe dominante et à une famille de grands entrepreneurs lui donne une légitimité pour exprimer ce qu´il pense. Son objectif est d´être le porte-parole d´une génération d´entrepreneurs. De ce point de vue, il exprime l´habitus d´une oligarchie d´entrepreneurs. Gattaz est, depuis 1994, le président du directoire et l’un des principaux actionnaires de l’entreprise Radiall, fondée par son père et spécialisée dans la conception et la fabrication de composants électroniques. Parallèlement à son activité de chef d’entreprise, il exerce diverses fonctions au sein d’organisations professionnelles. Il est élu à la présidence de la principale organisation patronale, le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) le 3 juillet 2013. Entre 2007 et 2013, il est membre du comité exécutif de la même organisation. Pierre Gattaz conserve le caractère politique donné par ses prédécesseurs au syndicalisme du MEDEF. Il se prononce à plusieurs reprises en faveur de meilleures conditions pour les entreprises. La croissance des entreprises est pour lui la condition fondamentale pour créer richesse et croissance en France. Parmi ses premières déclarations, le nouveau président du MEDEF demande une baisse de 100 milliards d’euros d’impôts et de cotisations sociales des entreprises, afin qu’elles ne soient plus « asphyxiées, ligotées [ni] terrorisées ». Le plein emploi est également un sujet qui lui tient à cœur. En 2013, le MEDEF, sous l’impulsion de Pierre Gattaz, propose aux entrepreneurs français une ambition commune : créer 1 million d’emplois en 5 ans si les réformes nécessaires sont menées . En 2014, Pierre Gattaz détaille les réformes qui permettraient d’aboutir à la création par l’économie française de « 1 million d’emplois en 5 ans »4. -L’essentiel des exigences fut consenti par le gouvernement de François Hollande, par l’intermédiaire d’un crédit d’impôt (le CICE), mais la création d’emploi promise ne vit jamais le jour, fragilisant la crédibilité du président du MEDEF aux yeux d’une partie de l’opinion publique. Durant sa présidence au MEDEF, Gattaz se prononce à de nombreuses occasions politiques et économiques pour revendiquer et proposer des mesures stimulant la croissance des entreprises et créant le plein emploi. L´Université d´été constitue une référence pour tous les mouvements politiques et économiques (grandes associations, syndicats, groupes d´intérêt). C´est le moment où des messages politiques sont passés et c´est pour cela que les discours prononcés par Pierre Gattaz à l´occasion de l´ouverture de ces Universités représentent une vision générale de l´économie assez typique du positionnement idéologique de son organisation. Une occasion importante est celle des Universités d’été où Gattaz dans son discours d’ouverture fait passer sa vision de l’économie sous la forme d’un discours politique destiné à influencer la politique française.

Évaluer la situation

    Dans la première partie, « Évaluer la situation », il décrit la situation de la France sous quatre perspectives différentes, qu’il appelle « les quatre ruptures fondamentales » (Technologiques, Économiques, Sociétales, Environnementales). Pierre Gattaz ne parle pas de crise mais « d’une mutation profonde de l’économie et de notre société », provoquée par les quatre ruptures fondamentales. Au lieu d’utiliser le mot « crise », qui a été surutilisé dans le discours public, il introduit le mot « mutation », un mot inattendu et nouveau dans ce contexte qui fait association plutôt à la science et à la médicine indiquant des transformations rapides et radicales. Le fait d’utiliser ce mot par analogie lui permet d’affiner son discours. L’élan de cette partie du discours ne va pas se limiter à exprimer ses idées sur l’économie, mais aussi ses idées sur la mondialisation. Les « ruptures » ou transformations qu’évoque Gattaz ne sont pas uniques à la France mais sont valables pour tous les pays qui vivent dans une économie globale. Pour Gattaz la mondialisation est « une opportunité majeure pour notre économie, car c’est le vecteur de croissance le plus simple et le plus rapide pour nos entreprises. » Selon Gattaz, les « ruptures » qu’amènent la mondialisation sont des opportunités de croissance et d’emploi et il pense que « la France est l’un des pays les mieux placés pour affronter les défis dans tous les domaines de la transformation ». Pour chaque « rupture », il se fixe un objectif visionnaire pour la France. En ce qui concerne les ruptures technologiques, son credo pour la France est Devenir « la Silicon Valley de l’Europe » à un horizon de 10 ans. Quant aux ruptures d’ordre sociétal, il propose « une nouvelle voie économique et sociale que certains nomment l’entreprenalisme. C’est-à-dire un libéralisme humain, de sens et de valeurs, qui accompagnerait les millions de Français voulant entreprendre ». Parlant d’ « entreprenalisme », il introduit une idéologie nouvelle ainsi qu’un néologisme pour désigner la société économique et sociale qu’envisage Gattaz. Pour la première fois il s’adresse directement aux candidats des élections présidentielles sur place en les incitant : « Cette nouvelle voie doit être un thème fondamental de la campagne présidentielle de 2017 ».

Identifier les conditions de succès avant de passer à l’action

    « Comme je le dis souvent, il faut aller d’une culture de contraintes, contrôles, sanction, qui alimente la méfiance à une culture de conseil, d’entraide et de motivation, qui alimente la confiance. Et cela dans tous les domaines ». Dans cette partie, Gattaz quitte le monde des entreprises et évoque les conditions de succès pour réussir la transformation de la France. Pour lui il y en a trois, toutes d’ordre culturel, restaurer la confiance, encourager la prise de risques, célébrer la réussite. Ici, nous avons l’impression que c’est le chef d’État qui parle à tous les Français. Il le fait en utilisant une lange métaphorique et anaphorique « pour bâtir une France qui gagne », « c’est faire confiance », « c’est de passer d’une France des impossibles à une France de tous les possibles » ; « Sans confiance, pas de croissance, pas d’investissement et pas d’embauche. ». Quand il parle d’encourager la prise de risques, il fait une allitération avec les mots « risque » et « rente », « De favoriser le risque plutôt que la rente ». Une autre caractéristique rhétorique de cette partie c’est de mettre en opposition « ….ceux qui travaillent par rapport à ceux qui ne travaillent pas, ceux qui osent par rapport à ceux qui n’osent pas. » pour renforcer la nécessité d’avoir une réglementation qui favorise la prise des risques. Gattaz exprime très ouvertement que l’audace et la prise de risque doivent être récompensées par la réglementation et il n’hésite pas à exprimer une dévalorisation du point de vue opposé. Dans son discours, Pierre Gattaz réutilise un procédé classique des discours politiques, celui du jeu de l´exclusion/inclusion entre les véritables entrepreneurs soucieux de croissance et de biens communs (« nous ») et « ceux » qui rejettent la valeur du risque et du travail. Cette opposition est réglée par un système de contraintes externes (les anaphores « trop de »…) où Pierre Gattaz demande à ce que l´État soit au côté de ceux qui entreprennent et qui investissent en leur facilitant la tâche par des mesures de défiscalisation et simplification administrative. En filigrane, Pierre Gattaz demande implicitement au pouvoir politique de faire un choix clair entre les entrepreneurs, les gagnants, et les perdants, ceux qui n´investissent pas et qui ne croient pas en la valeur du travail. À la fin du discours, Gattaz conclut que c’est la tâche du futur président ou de la présidente de la République d’agir conformément aux idées évoquées dans son discours. Ensuite, il s’adresse directement à son public premier, les chefs d’entreprise en les remerciant à plusieurs reprises. Sa croyance en les entreprises et aux chefs d’entreprises, en ceux qui osent, se traduit dans une de ses dernières phrases : « Vous êtes la solution aux problèmes de notre pays ».

Un nouveau modèle économique et social français

      Quand il introduit son nouveau modèle économique et social français, il revient sur le rôle de la France dans l’Europe et dans le monde. Il parle « d’un modèle économique pleinement acteur de l’Europe, c’est un modèle qui a compris que l’Europe c’est notre nouvelle frontière. Enfin un modèle pleinement intégré au monde […], mais dans un mode gagnant-gagnant, dans un mode de co-développement et je pense beaucoup à l’Afrique au continent Africain qui va avoir un réveil colossal à faire économiquement et la France est sans doute l’un des pays le mieux placés au monde, par sa culture, son histoire pour raccompagner dans un mode gagnant-gagnant en toute humilité et pour en effet créer des entreprises et de l’emploi, le calme en Afrique ». Le paragraphe montre la position prise de Gattaz sur la mondialisation. Pour lui il s’agit de mener une conquête du monde pour l’innover et l’améliorer. Non pas de la manière dont les colonialisations se faisaient au 20e siècle, mais « dans un mode gagnant-gagnant ». Le monde est à gagner dans un champ de bataille et c’est la France qui a plus de chances de remporter le marché mondial. L´entreprenalisme et le partenariat avec l´Afrique ont remplacé le mode colonisateur des siècles précédents. Cependant, on note dans le discours économique cette idée qu´il y a de nouveaux mondes à découvrir et que la croissance est le résultat de cet esprit de conquête. La France signifie ici dire les entreprises françaises. Étant donné que Gattaz est le chef des chefs d’entreprises en France on a l’impression que c’est lui in persona qui va mener la conquête du monde, d´où cette dimension de « capitaine d´industrie » (Fanon, 1968 : 96) que nous pouvons commenter en termes postcoloniaux. Le discours économique de Pierre Gattaz ressemble à un discours politique de conquête mettant en évidence l´idée d´une colonisation économique du monde par la France. La dimension sociale est très prononcée dans le nouveau modèle de Gattaz. « C’est un modèle profondément humain qui ne laisse personne au bout de la route, qui accompagne qui motive, qui ”manage” ». La responsabilité sociale est dans les mains des chefs d’entreprises qui doivent assurer que les employés soient « épanouis, accompagnés et managés » leur donnant « un bagage pour toute leur vie par la formation permanente et par l’employabilité ». Il utilise le mot ”employabilité” qui est devenu un motclé en parlant du développement du marché du travail. C’est un mot qui a surgi quand le marché du travail a commencé à subir des changements rapides poussés par la mondialisation et la compétition, qui vont avec, et ensuite renforcé par les défis qui amènent la numérisation influençant tous les acteurs du marché du travail. Pour être compétitives, les entreprises et leurs employés se rassurent d’avoir la compétence nécessaire. Comme dit Gattaz quand il explique son modèle : « Et surtout c’est un modèle qui a compris que l’emploi à vie, c’était de moins en moins courant et ce sera encore moins et donc qui permet de donner un bagage à nos compatriotes, à nos collègues, à nos collaborateurs ». La nouvelle économie du marché du travail implique une flexibilité qui paraît menaçante pour les acteurs du marché du travail, notamment les salariés et les syndicats. Un avenir imprévisible crée souvent de l’insécurité résultant d´une résistance pour vouloir faire des changements nécessaires. C’est pour cela que Gattaz s’efforce tellement de peindre ce nouveau marché du travail comme à la fois attirant et sécurisant. Le nouveau modèle économique et social français tient compte aussi de l’environnement d’une manière profondément respectueuse, « conscient du réchauffement climatique, conscient de la transition énergétique et de la raréfaction des ressource terrestres et donc acteur du développement durable. » En évoquant les aspects économiques, sociaux et environnementaux d’une France influente dans l’Europe et dans le monde, Gattaz veut prouver dans sa vision pour 2030 que le MEDEF et lui en tant que chef des chefs d’entreprises est un acteur sur lequel on peut compter et sans lequel il sera impossible de construire un modèle qui va permettre à la France de réussir.

Les quatre réformes nécessaires

   Au début de cette partie du discours, où les réformes nécessaires à mettre sur place sont décrites, Gattaz fait allusion à Saint-Exupéry « fais de ta vie un rêve et de ton rêve une réalité ». Après cette référence littéraire, son discours va devenir plus pragmatique sur le plan politique. « si nous changeons pas nos modèles nous n’y arriverons pas. Si nous restons dans les postures, politiques politiciennes, d’idée d’opposition, de lutte de classe je crois qu’on n’y arrivera pas. », il a déjà pris une position forte politiquement en dévalorisant le discours politique classique français et en mettant au-dessus les valeurs économiques. Pour faire conscience au monde qui bouge par ses mutations (un fait dont lui et ses chefs d’entreprises sont au courant), il utilise une assertion, « ce ne sont pas les plus grands qui vont manger les plus petits, ce sont les plus agiles, les plus rapides qui vont manger les plus lents », venant du livre It’s Not the Big That Eat the Small. It’s the Fast That Eat the Slow : How to Use Speed as a Competitive Tool in Business (Jennings, Haughton, 2002). Pour décrire l’évolution du marché du travail mondial il fait référence aux notions de base sur le management venant des théories américaines. Il veut ainsi exhorter les politiques à avoir cette assertion, qu’il appelle « extrêmement importante, brasée ou ressassée éternellement », en tête et de les faire comprendre l’urgence de changer le marché du travail pour qu’il soit plus adapté et flexible. Pour revendiquer les réformes dont la France a besoin, Gattaz va ensuite parler des conditions dans lesquelles fonctionnent les entreprises françaises. Il le fera d’une manière très réaliste et pragmatique, en utilisant beaucoup d’exemples. Des exemples où il se met souvent lui-même à côté des chefs d’entreprises de toutes catégories pour expliquer la situation à laquelle les entreprises se heurtent. Il évoque quatre exemples dont chaque exemple correspond à une réforme spécifique Le fait de personnaliser et renforcer la côte humaine dans cette partie du discours pour après présenter ses revendications concrètes, basées sur des faits réels, est un essai de rendre son allocution plus persuasive. « Pourquoi vous n’embauchez pas? Qu’est-ce qui vous empêche de vous développer? Et depuis quatre ans on me fait toujours les mêmes réponses, première chose on me dit : ”Pierre j’adorerais embaucher, c’est mon rêve, mais j’ai peur. J’ai peur d’embaucher en France, trop compliqué, trop risqué trop aléatoire, trop coûteux ». L’exemple illustre le besoin de simplifier le code de travail. Gattaz exprime d’une manière métaphorique qu’il s’agit de « déverrouiller les verrous pour faire que l’écriture des ordonnances soit simple, lisible, applicable par nos TPE, PME principalement et qu’en effet il y ait des curseurs dans les ordonnances […]. Je leur ai dit mais accompagnez, venez avec moi. Moi je vais en Inde fin novembre, à Nairobi fin novembre […]. Non mais je n’ai pas les marges. Je ne peux pas quitter mon entreprise, je n’ai pas le cash. J’aimerais bien embaucher un apprenti, j’aimerais bien former mes salariés mais je n’y arriverai pas, je n’ai pas l’argent, je n’ai pas les marges… ». Présenté sous la forme d’un dialogue très réaliste entre Gattaz et un chef d’entreprise, où l’image du chef d’entreprise et les conditions dans lesquelles il fonctionne sont plutôt sinistres, le locuteur veut mettre l’accent sur l’importance d’une nouvelle réforme sur la fiscalité qui doit être baissée pour permettre aux entreprises d’améliorer leur marge. Il montre ainsi une forme d´empathie en montrant ce que ressentent les chefs d´entreprise. Les exemples qu’il utilise pour argumenter sont très concrets. Il compare les marges des entreprises françaises, qui doivent passer de 28 à 32 pour cent avec celles de « nos collègues européens » qui sont autour de 40 pour cent. Il évoque aussi que toutes les taxes pour les entreprises ont augmenté de 10 à 20 pour cent depuis quatre ans.

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Table des matières

1. Introduction 
1.1 But du mémoire et questions de recherche
1.1.1. Méthode
1.1.2. Corpus
2. Cadre théorique
2.1 Contexte, contrat, type de discours
2.2 L’éthos préalable et discursif
3. Analyse des allocutions de Pierre Gattaz
3.1 L’éthos préalable
3.2 Discours d’ouverture de Pierre Gattaz
3.2.1 Le thème, le vocabulaire, et la disposition
3.2.2 Évaluer la situation
3.2.3 Se fixer un objectif
3.2.4 Construire une solution
3.2.5 Décider d’un plan d’action ou des réformes à mener
3.2.6 Identifier les conditions de succès avant de passer à l’action
3.3 Discours d’ouverture de Pierre Gattaz
3.3.1 Un nouveau modèle économique et social français
3.3.2 Les quatre réformes nécessaires
3.3.3 Le rôle du MEDEF
3.4 L’éthos discursif
4. Remarques finales
Appendice 1, Transcription du discours du 2016-08-30
Appendice 2, Transcription du discours du 2017-08-29
Bibliographie

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