Le discours affectif: emprise et désordre du sensible 

Le discours affectif: emprise et désordre du sensible 

Les romans minimalistes de chez Minuit, astucieusement qualifiés de « fictions joueuses »1 , dépeignent généralement, sous le couvert de l’ironie, de la désinvolture et de la dérision, un éclatement des repères du sujet. En effet, plusieurs auteurs contemporains ont choisi de « s’abandonner à la jouissance narrative, en jouant avec les ingrédients désormais connus du récit » . « Sujetfs] étoile [s] sur papier joueur » , les personnages sont don soumis, quoique de façon légère, à toutes sortes de perturbations : dérèglement des sens, indétermination, désorganisation des personnalités… les cas de figure sont nombreux.

Dans ce mémoire, nous nous emploierons à montrer la relative inintelligibilité des personnages-narrateurs ostériens, sur les plans cognitif, actionnel et affectif, dans un corpus formé des romans L’imprévu (2005), Sur la dune (2007) et Dans la cathédrale (2010)4 . Notre objectif sera de saisir les manifestations discursives et narratives de leur décalage ainsi que les enjeux conceptuels qui s’y rattachent. Ce décalage découle d’une conception de l’être humain où celui-ci n’apparaît plus comme un agent rationnel, mais est plutôt considéré tantôt comme un herméneute dont la réflexion demeure improductive, tantôt comme un être plus ou moins actif et sans grande détermination, tantôt comme une conscience qui éprouve (trop ou trop peu) le monde dans F ici et maintenant. Cette anthropologie remaniée entraîne des configurations narratives désorientées, puisque le récit ne se déroule plus selon la seule logique actionnelle, mais laisse plutôt toute la place à l’égarement des personnages-narrateurs chez qui aucune logique ne semble fonctionner efficacement.

Réception critique:

Par le passé, la critique littéraire a principalement abordé trois aspects de l’œuvre d’Oster : le lien à la pratique d’écriture minimaliste, l’apparente vacuité des personnages et leur tendance à toujours demeurer en mouvement.

Au sujet des personnages ostériens, la critique semble néanmoins s’entendre sur une chose : loin d’appartenir au type du héros traditionnel, ceux-ci « se caractérisent tous d’emblée par leur vacuité » . Face à ces « Sisyphe modernes », « à l’identité faible, sans qualités particulières, plus ou moins désœuvré[s] » n , l’idée d’un vide ontologique est évoquée à de multiples reprises. Or, il apparaît que de décrire ces personnages comme  étant vides vient trop vite clore la question ; riches par toutes les réflexions qu’ils suscitent, les personnages ostériens nous semblent, au contraire, plutôt complexes. Et si leur vide, fait de non-dits et d’irrésolutions, n’était que trompeuse apparence ? Comme le dit Oster : « c’est le manque, à l’évidence, qui organise la parole romanesque, – ce qui n’autorise pas à parler de vide ontologique. »Dans le même ordre d’idées, nous croyons en effet que les personnages ostériens se définissent moins par un vide que par des manques de toutes sortes, chez eux sources d’un décalage.

Enfin, le mouvement dans les récits ostériens ne passe pas inaperçu des critiques, Gelz allant même jusqu’à dire que les verbes de déplacement « organisent les romans d’Oster et les convertissent en une sorte de mouvement perpétuel […] »13 . Cela incluant, comme le souligne Laporte , tant le mouvement de la pensée des personnages que leurs multiples déplacements dans l’espace, car ceux-ci, malgré bon nombre d’hésitations et d’incertitudes, ne restent jamais longtemps au même endroit. Cependant, comme Reig, il nous faut préciser que les trajectoires de ces personnages « sont similaires à celles de électrons libres : ni l’aimantation, ni la répulsion ne semblent trouver de logique. »15E d’autres mots, aucune logique ne semble pouvoir les diriger. À cet égard, il est étonnant que les romans d’Oster aient fortement été associés à l’idée de retour du romanesque16 (le roman traditionnel et ses personnages étant, comme nous le verrons, construits selon différentes grandes logiques). Il nous semble en effet plus juste d’affirmer que l’œuvre d’Oster participe, au sein de la littérature contemporaine, non pas d’un retour, mais bien d’un renouvellement, à la fois romanesque et théorique, tant sur les plans du personnage que de l’action et du récit : les personnages ne sont plus déterminés, l’action n’est plus aussi clairement intentionnelle et le récit ne raconte plus nécessairement le passage d’u état à un autre. Force est de constater que les romans d’Oster ont cependant très peu été étudiés dans cette perspective .

Cadre théorique:

Considérant le défaut d’intelligibilité que l’on semble retrouver dans les récits des personnages-narrateurs ostériens, nous aborderons notre corpus sous l’angle des trois différentes logiques narratives qu’évoque notamment Fontanille17 , soit la logique cognitive, la logique actionnelle et la logique de la passion. En effet, selon Fontanille, dans son ouvrage Sémiotique du discours, cognition, action et passion sont trois logiques  narratives permettant de définir les récits et de donner sens aux changements qui y prennent place. Racontant habituellement et par définition un changement d’état chez leur protagoniste, qu’il s’agisse d’un état de savoir, d’un état relié à l’agir ou d’un état d’âme,  les récits sont ainsi configurés selon l’une ou l’autre de ces trois logiques. Or, d’une part, nous verrons en quoi les récits ostériens ne répondent pas aux logiques conventionnelles et, par conséquent, participent d’un renouvellement de nos façons de raconter. D’autre part, puisque ces trois logiques, à travers l’organisation narrative qu’elles préconisent et le lexique qu’elles emploient, véhiculent implicitement une certaine conception de la cognition, de l’action et de Paffect, nous verrons, par l’analyse des discours cognitif, actionnel et affectif des personnages-narrateurs ostériens, que les conceptions de la cognition, de l’action et de l’affect que ceux-ci véhiculent s’éloignent quelque peu de celles que présupposent les trois logiques conventionnelles.

De plus, envisageant la cognition, l’action et l’affect en tant que manières de penser, d’agir et de ressentir conceptuellement réglées, nous nous inspirerons essentiellement, sur le plan méthodologique, de la triple mimèsis énoncée par Ricœur dans Temps et récitn . Selon le philosophe, « [si] l’action peut être racontée, c’est qu’elle est déjà articulée dans des signes, des règles, des normes […]» , dans des conventions sémantiques et symboliques qui nous permettent de lui donner sens (et il en va de même pour la cognition et l’affect). Disant cela, nous nous trouvons au cœur de la mimèsis I, qui recouvre la préconception ou pré-compréhension du monde impliquée par tout récit. Comme nous l’indique Ricœur, imiter ou représenter l’action (et, peut-on ajouter, la cognition et l’affect), c’est donc avant tout pré-comprendre ce qu’il en est de l’agir (ainsi que de la pensée et du ressentir) chez l’humain. Enfin, la mimèsis II désigne « le royaume de la fiction » , c’està-dire la diégèse à proprement parler (ses personnages, ses faits, ses  événements, etc.), de même que ses configurations narratives. Ainsi, afin de mener notre recherche, il nous faudra partir de la mimèsis II, soit de la diégèse et de ses configurations narratives, pour remonter ensuite vers la mimèsis I, c’est-à-dire vers les présupposés conceptuels qui y sont véhiculés. Nous construirons nos divers chapitres selon ce principe.

Contenu des chapitres:

Sur le plan méthodologique, dans chaque chapitre de ce mémoire, nous commencerons par examiner la représentation concrète, respectivement, de la cognition, de l’action et de 1’affect chez les personnages-narrateurs ostériens, et ce, afin d’identifier ensuite les caractéristiques discursives et narratives de cette représentation et d’en saisir les enjeux conceptuels.

UNE APPARENCE DE DÉMARCHE HERMÉNEUTIQUE:

Les personnages-narrateurs ostériens laissent place à une part d’inintelligibilité cognitive qui découle d’une conception de l’être humain où celui-ci se voit le plus souvent considéré comme un herméneute dont la réflexion demeure improductive. À cet égard, la particularité des romans d’Oster est de ne pas s’organiser conformément à la logique narrative de la cognition telle qu’énoncée notamment par Fontanille, et de ne pas reconduire la conception présupposée de la cognition qui s’y rattache. En effet, pour Fontanille, tout récit s’organisant autour de la logique cognitive permet le passage de l’ignorance à la connaissance : Dans un sens plus précis, la cognition désignera la manipulation du savoir dans le discours. Le langage est alors envisagé dans la perspective des connaissances qu’il est en mesure de nous procurer, sur notre monde, sur nous-mêmes, ou sur le monde possible qu’il suscite. […] [Globalement, la rationalité cognitive est celle de l’appréhension et de la découverte : appréhension et découverte de la présence du monde et de la présence à soi-même, découverte de la vérité, découverte des liens qui peuvent apparaître entre les connaissances existantes, etc.

Ainsi, partant de la représentation concrète de la cognition dans les romans d’Oster, nous tenterons, dans ce premier chapitre, de saisir les manifestations discursives et narratives et les enjeux conceptuels de la relative inintelligibilité cognitive des personnages, afin de voir en quoi la conception de la cognition qu’ils véhiculent s’éloigne de la conception plus conventionnelle telle que la pense Fontanille. L’analyse portera ici sur les perceptions (partielles et désordonnées) et les interprétations (multiples, inutiles et subjectives) des faits, des événements et des autres personnages, que formulent les personnages narrateurs. D’une part, ceux-ci sont dépourvus de vision globale et demeurent incapables de synthétiser ou d’organiser ce qu’ils perçoivent. D’autre part, ils interprètent de façon excessive les détails les plus anodins et, au sein d’une réflexion improductive, élaborent des hypothèses aux fondements incertains, c’est-à-dire non objectivées et échafaudées sur la base de présupposés discutables. Ainsi, ils apparaissent tels des êtres légèrement décalés, dépassés par un univers à la fois surchargé et rempli de blancs, un univers déstructuré et en partie inventé par eux.

Une perception partielle et désordonnée du réel:

La façon dont les personnages-narrateurs ostériens perçoivent le monde est déstabilisante et surtout fragmentaire. Ils ont le nez collé à la réalité, incapables qu’ils sont de conserver une distance pour mieux se la représenter : « Aucune précision. Pas de recul. Tout est là, bruyant. » (SLD, p. 18). À travers leurs yeux, tout semble se grossir. Sans cesse,ils doivent être prêts, « [à] tout. À l’exagération. À l’excès. »25 Leur universµ est saturé, surchargé de stimuli. Envahis par une foule de détails, ils entraînent le lecteur dans un tourbillon de perceptions au sein duquel ils ne peuvent avoir aucune capacité de synthèse, qu’il s’agisse de se former une idée globale et unitaire d’un fait, d’un événement ou d’une personne. Par exemple, pour le personnage-narrateur de L’imprévu, Laure, qu’il aime et à qui il vient de transmettre son rhume, semble s’être dédoublée simplement par son changement d’humeur. À son sujet, il explique : « il me semblait à la fois reconnaître Laure et la découvrir, de sorte que je cherchais en ces instants à m’en construire une image cohérente, susceptible de prendre en compte le changement qui venait de s’opérer en elle. » (/, p. 37). De même, le personnage-narrateur de Dans la cathédrale ne parvient pas à se former un portrait uni et entier d’Anne, dont il est follement amoureux. Se retrouvant face à elle, il nous dit : Évidemment, je la vis d’un bloc. Ou plutôt non. Elle partait dans tous les sens. Une épaule là, un mot ici […], finalement, la courbe d’une hanche, la pâleur du visage, la bouche, souriant mieux que la mienne, en tout cas, d’où sortaient encore les mots qu’elle venait de prononcer, comme répercutés en pleine montagne, et, au milieu de cette panique, le regard, auquel, paradoxalement, pour rétablir un peu d’ordre, je tentai de m’accrocher.

Une réflexion qui tourne en rond:

Nécessairement, de par leur perception du monde partielle et désordonnée, les personnages-narrateurs ostériens vivent dans le doute. Sans cesse, ils se questionnent sur ce qu’ils ne parviennent pas à saisir, et ce, même au sujet des choses les plus infimes et négligeables de la vie matérielle. Chaque détail perçu de la réalité est en effet susceptible de donner lieu à une multitude de délibérations intérieures. À propos des romans de Christian Oster, Jean-Claude Lebrun parle lui aussi de ces détails sur lesquels les personnagesnarrateurs prennent le temps de réfléchir plus qu’il n’apparaît nécessaire, « ces détails triviaux, qui prennent soudain une importance monstrueuse et se mettent à occuper provisoirement le champ de vision, à la façon d’un enjeu vital. »27 Par exemple, alors que le personnage-narrateur de Sur la dune, seul à Saint-Girons-Plage, doit partager la chambre d’hôtel d’un inconnu du nom de Charles Dugain-Liedgester, l’apparente tranquillité d’esprit de ce dernier fait ressortir l’épuisante réflexion du personnage-narrateur qui, lui, est soucieux de son hôte, du bon comportement à adopter envers lui, des sujets de conversation à aborder ou des exigences qu’il devrait lui indiquer. Le moment d’éteindre les lampes est à lui seul, pour le personnage-narrateur, un motif d’inquiétudes et de questionnements. Lorsque Dugain lui demande s’il veut bien éteindre la lumière, il répond affirmativement, mais se met ensuite à penser à tout ce qu’implique pour lui cette réponse : Je n’ai rien contre, répondis-je, soulagé que Dugain-Liedgester proposât une conclusion si rapide à la soirée, quoique vaguement troublé à l’idée que l’extinction de nos lampes s’effectuât de conserve, induisant, quant à notre sommeil, une intention dont la communauté malmenait ma pudeur. […] Je fis seulement l’erreur de laisser mon hôte presser le premier le bouton de sa lampe, de sorte que j’eus le choix entre immédiatement l’imiter et attendre, or je compris en une fraction de seconde qu’il me gênerait de laisser Dugain-Liedgester dans la lumière de la mienne, fût-ce quelque autres fractions de seconde, et j’éteignis pratiquement en même temps que lui, contresignant notre commune volonté d’en finir avec l’état de veille.

Une interprétation biaisée du réel:

S’ils ne peuvent accéder à aucune vérité stable du monde ou de soi, les personnagesnarrateurs ostériens, au gré de leurs tentatives pour y parvenir, font sans cesse preuve d’inventivité. Ils sur-analysent ce qu’ils perçoivent ou, autrement dit, surchargent de sens leurs multiples observations en recourant à leur imaginaire. En fait, les personnages ostériens interprètent les faits par l’élaboration d’hypothèses non objectivées et échafaudées sur la base de présupposés discutables. Cela, surtout lorsqu’il s’agit d’analyser le comportement d’autrui. Dans Le sens de l’action et la compréhension £ d’autrui, Patrick Pharo pose ce problème de l’interprétation des autres : « Comment faire pour ne pas prêter indûment des significations aux personnes, aux actions, aux situations qu’on observe ? Comment faire pour ne pas projeter, pour ne pas rationaliser, pour ne pas mettre ses propres idées à la place des idées de ceux qu’on observe ? » À ce sujet, Pharo écrit notamment que toute connaissance des autres «repose sur des contraintes conceptuelles […] qui, compte tenu d’un certain arrangement intelligible des faits, rendent impossibles ou improbables certaines interprétations et en appellent d’autres. » Ainsi, les personnages interprètent le monde selon leurs propres contraintes conceptuelles et, au sein de leur discours cognitif, « arrangent » les faits et les événements de façon totalement subjective. Reprenons d’abord l’exemple du personnage-narrateur de L’imprévu. Lorsque commence le récit, celui-ci se trouve en route pour l’anniversaire de Philippe, en compagnie de Laure.

Caractéristiques discursives et narratives:

Après avoir observé la représentation concrète de la cognition chez les personnagesnarrateurs des romans d’Oster, il nous faut cerner avec plus de précision ses caractéristiques discursives et narratives. Tout d’abord, l’absence de vision globale et d’esprit de synthèse des personnages-narrateurs qui, dans les faits, sont incapables de lier et d’organiser les éléments de la vie entre eux, se répercute sur le plan de la syntaxe. Comme l’explique Fieke Schoots au sujet de l’écriture minimaliste à laquelle on peut associer celle d’Oster : « Au niveau syntaxique, l’écriture minimaliste se caractérise par la rareté des conjonctions de subordination. Par conséquent, les rapports de causalité, de conséquences, de concession ou de but entre les éléments de la phrase sont en général dissimulés. » Autrement dit, alors que les phrases sont, la plupart du temps, juxtaposées les unes aux autres sans marqueur de relation, à l’intérieur même des phrases, parfois grammaticalement incorrectes, les éléments se trouvent eux aussi souvent simplement juxtaposés. Le passage où le personnagenarrateur de L’imprévu quitte sa chambre d’hôtel, tandis que Laure, fiévreuse, dort toujours dans la sienne, peut illustrer cette caractéristique : J’avais comme un début d’envie de chanter quelque chose. Un air qui me revenait, pas extraordinairement mélodieux, je n’insistai pas. […] On n’entendait que les premiers oiseaux […]. Les premiers oiseaux et rien d’autre, si, un camion, ou un avion, je  ne sais pas, c’était passé. Je sortis sur le perron, je distinguai de la rosée sur les fleurs. Il faisait déjà doux. […] Je m’engageai dans l’étroite allée qui part du perron […]. Pas de voitures. Derrière moi, l’hôtel. La chambre 25. Je n’avais pas besoin de me retourner. Je savais que Laure se trouvait là, dans un état que j’ignorais. Ainsi que l’hôtelier. Qui a peut être terminé son livre, me dis-je.

Enjeux conceptuels d’une cognition non conventionnelle:

Comme nous l’avons constaté au cours de ce chapitre en observant la façon dont les personnages-narrateurs perçoivent et interprètent le monde (en ce qui touche tant aux faits qu’aux événements, aux autres ou à soi), la conception de la cognition que véhiculent les personnages d’Oster n’est pas celle que présuppose toute logique cognitive plus conventionnelle. En effet, telle que conçue dans ces récits, la cognition ne représente pas le passage d’un état de savoir à un autre. Elle n’entraîne nullement l’acquisition de connaissances justes et pratiques, non plus que de vérités stables et univoques qui permettraient l’obtention d’un meilleur savoir sur le monde. En fait, si les actions « percevoir » et « interpréter » comportent nécessairement, selon la convention, l’idée d’une organisation synthétique et cohérente du monde, chez les personnages-narrateurs ostériens, elles témoignent au contraire d’un refus de la synthèse et de l’homogénéité. Pour ces personnages-narrateurs étourdis, dépassés ou débordés par tout ce qui les entoure et les traverse, percevoir semble se résumer à saisir un certain nombre d’éléments épars à travers le désordre du monde. D’une part, aucune hiérarchisation n’est établie : une panoplie de détails anodins peut accrocher le regard tandis que d’autres éléments, plus significatifs, passent inaperçus. D’autre part, les objets tout comme les êtres sont perçus dans le mouvement et l’hétérogénéité des choses, sans que les personnages ne tentent de les fixer définitivement en des totalités harmonieuses, ni de les définir avec clarté et précision. De même, interpréter n’équivaut pas, pour eux, à déceler µ des significations stables, univoques et utilisables afin d’éliminer toute trace d’incohérence mais, inversement, à trouver et à exposer un large spectre de significations potentielles, même lorsqu’elles sont incompatibles ou contradictoires. Autrement dit, il semble plus pertinent pour les personnages ostériens non pas de savoir ce que quelque chose veut dire, mais bien de savoir tout ce que cette seule et même chose pourrait vouloir dire. De plus, le savoir dont les personnages disposent s’acquiert strictement à partir de ce qu’ils vivent au présent ; il ne s’appuie nullement sur des expériences passées, ne s’accumule ou ne s’enrichit pas au fil du temps, et ne cherche pas davantage à être validé dans le futur. Bref, alors que l’avancée des connaissances dépend habituellement d’une objectivité rigoureuse et procède, d’abord, de a formulation d’hypothèses, ensuite, de la vérification de ces dernières, ici, la connaissance ne dépasse pas le stade de la pensée hypothétique et subjective. Elle demeure perpétuellement variable, sans fondement et sans usage pratique. Ainsi, troquant la logique cognitive conventionnelle contre une activité reflexive dévorante qui demeure bien loin d’une véritable démarche herméneutique rationnelle, les personnages-narrateurs ostériens ne cherchent pas à fixer et à connaître le monde, mais plutôt à le saisir dans toute son instabilité et, surtout, à le questionner. Prenant conscience du décalage, sur le plan cognitif, de ces personnages qui refusent toute opération de synthèse, de classification, de hiérarchisation ou de mémorisation naturellement propre à l’esprit humain, le lecteur peut alors à son tour questionner la capacité de l’être humain à comprendre le monde dans lequel il vit et à lui donner forme, sans pour autant porter atteinte à l’immensité de son potentiel. De toute évidence, dans la conception de la cognition que les personnages-narrateurs ostériens véhiculent, l’humain, qui ne peut avoir un plein savoir sur le monde, n’a pas d’autre choix que de vivre dans le désordre, l’instabilité et l’incertitude .

L’AGENT À LA DÉRIVE:

Des agents très patients:

D’emblée, les personnages-narrateurs d’Oster ne se présentent pas comme étant très friands d’action. Les incipit des romans de notre corpus, en particulier ceux de L’imprévu et de Sur la dune, sont à cet égard très révélateurs. D’une part, le personnage-narrateur de L’imprévu, régulièrement quitté par des femmes qui semblent plus actives que lui, apparaît comme affecté et dominé par une chose qu’il ne contrôle pas et à laquelle il ne peut échapper : le rhume. Les femmes, à mon contact, tombent malades. Elles s’enrhument. Elles éternuent. Il arrive aussi que leur gorge soit prise. Pour elles, c’est la première fois. Leur bonne santé me précède. C’est ma faute. Le rhume ne me quitte pas. A force, elles l’attrapent. Une fois guéries, ce sont elles qui me quittent. Je reste avec mon rhume à moi.Ça m’occupe. Je peux traverser une crise, alors. Me surenrhumer. Ma consommation de mouchoirs augmente. C’est une période où je sors autant que d’habitude, mais moins longtemps. Je me sens plus à l’aise couché, avec une boîte de Kleenex à portée de main. Le gros rhume noie bien le chagrin. Il le dilue.

D’autre part, le personnage-narrateur de Sur la dune, à travers son projet d’emménager à Bordeaux, ne semble ni très actif, ni très énergique : « Je voulais m’installer à Bordeaux. Je n’avais pas spécialement l’intention de vivre, au sens de ce que ça implique, comme énergie. Je recherchais plutôt le calme, avec un emploi du temps souple, des réveils doux, un peu de travail pour faire le liant […]. » (SLD, p. 9). Ce personnage est en fait si peu tourné vers l’action qu’à la lecture d’une monographie de Louis XI, il s’intéresse davantage aux détails des vêtements du monarque qu’à ceux de ses conquêtes et de ses batailles : j’avais tiré le store, nanti de mon Louis XI que j’ouvris à l’endroit du Kleenex propre, après la bataille de Montlhéry, constatant avec agacement que, alors que le souverain, obligé de céder la Normandie à son frère, en était, quelques mois plus tard, à la réoccuper sans vergogne, rien n’avait encore été dit sur son fameux petit chapeau plat. Pour tout dire, l’action de ce personnage se résume souvent à attendre que d’autres prennent les décisions ou agissent à sa place. Par exemple, lorsque Jean lui demande s’il viendra l’aider à désensabler sa maison à Saint-Girons-Plage, il préfère ne pas le contredire et part le retrouver là-bas. Puis, confronté à l’absence de Jean à Saint-Girons, il attend tout simplement son appel. Se voyant alors obligé de partager une chambre d’hôtel avec un certain Dugain-Liedgester, il attend que ce dernier le mette à l’aise et décide pour eux du déroulement de leur soirée. Enfin, lorsque Jean téléphone le lendemain pour expliquer la raison de son absence, le personnage-narrateur lui conseille d’opter pour ce qui, selon lui, demeure la meilleure chose à faire, c’est-à-dire, attendre : « tu peux toujours attendre, c’est bien, d’attendre, ça permet de voir devant […].» (SLD, p. 40). Parallèlement, cette propension à attendre se retrouve chez le personnage-narrateur de L’imprévu pour qui « [l]’attente, au fond, est une position cohérente » (/, p. 83). Outre le fait qu’il ne sait pas comment s’occuper en attendant de pouvoir être de nouveau auprès de Laure qui, malade, ne souhaite plus le voir, la passivité qu’implique cette position est, pour ce personnage, plutôt confortable : J’avais l’impression que ma vie devenait une modulation de l’attente, j’étais d’ailleurs prêt à attendre très longtemps, au point où on en était, et même je commençais à me demander si je souhaitais autre chose qu’attendre, si je ne devais pas espérer que ma vie se suspendît, tout simplement, et que Laure ne parlât plus, jamais, et qu’à la fin de sa fièvre succédât une silencieuse convalescence, une longue passivité qui me laisserait libre de ne rien faire non plus, d’attendre infiniment, à savoir au fond de ne plus rien attendre, de ne rien envisager que rester auprès d’elle, dans un éternel ajournement.

CONCLUSION:

Dans ce mémoire, nous nous sommes proposée de mettre au jour la relative inintelligibilité des personnages-narrateurs ostériens en examinant, chez eux, la représentation concrète de la cognition, de l’action et de l’affect. Notre objectif consistait principalement à montrer que les récits ostériens ne répondent pas totalement aux logiques narratives conventionnelles et que les conceptions de la cognition, de l’action et de l’affect que véhiculent les personnages s’éloignent quelque peu de celles que présupposent ces trois logiques. Il nous a donc fallu identifier les caractéristiques discursives et narratives de cette représentation de la cognition, de l’action et de l’affect, puis, tenter d’en saisir les enjeux conceptuels.

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Table des matières

Introduction 
Chapitre I. le discours cognitif : une apparence de démarche herméneutique 
1.1. Une perception partielle et désordonnée du réel
1.2. Une réflexion qui tourne en rond
1.3. Une interprétation biaisée du réel
1.4. Caractéristiques discursives et narratives
1.5. Enjeux conceptuels d’une cognition non conventionnelle
Chapitre II. le discours actionnel : l’agent à la dérive 
2.1. Des agents très patients
2.2. Les présupposés de l’action en perdition
2.3. Caractéristiques discursives et narratives
2.4. Enjeux conceptuels d’un agir non conventionnel
Chapitre III. le discours affectif: emprise et désordre du sensible 
3.1. Une présence sensible insuffisante
3.2. Inconstance et inconsistance
3.3. Une affectivité en décalage
3.4. Caractéristiques discursives et narratives
3.5. Enjeux conceptuels d’une affectivité non conventionnelle
Conclusion

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