Le digestat comme substrat pour les microalgues
La méthanisation est un procédé anaérobie permettant de produire du méthane et du digestat à partir de biodéchets (figure 1) [PERDRIER, 2019].
La composition chimique du digestat varie en fonction de l’origine des déchets valorisés : ainsi, le digestat issu de résidus de nourriture semble présenter la plus grande concentration en azote total et en nitrates, et une des plus hautes concentrations en phosphates comparé aux lisiers, ensilage, excréments ou boues de stations d’épuration [CHUKA-OGWUDE et al, 2019]. Si le digestat peut théoriquement être valorisé directement en épandage dans les exploitations agricoles, ce mode de valorisation reste très contrôlé en raison du risque de lessivage des nutriments et polluants présents dans le digestat vers le milieu naturel. Il est donc nécessaire de s’intéresser à d’autres manières de valoriser ce résidu, dont les cultures de microalgues. La croissance algale nécessite un apport nutritif non limitant en N, P et C, les trois éléments principaux du métabolisme des algues, et les cultures classiques de microalgues utilisent généralement des milieux de culture synthétiques tels que le milieu BBM (Bold’s Basal Medium). Or, une étude de Fen Tan et al, 2016 a démontré que les boues issues de la méthanisation étaient plus efficaces que le milieu BBM pour la production de glucides par les algues.
Les espèces de microalgues
Les algues vertes feront l’objet des expérimentations de ce stage en raison de leur capacité à utiliser la lumière pour croître. Différentes espèces de microalgues ont été étudiées dernièrement, mais d’après l’étude de Fen Tan et al, 2016, l’espèce Chlorella vulgaris présente une croissance plus rapide que les autres algues : sa productivité est plus élevée et la phase stationnaire arrive par conséquent plus rapidement. Elle est en outre très commune et naturellement présente dans les milieux naturels, tout comme Scenedesmus. Il convient néanmoins d’être attentif aux modifications de la composition de la population de microalgues au sein de la culture: les espèces ont tendance à changer en fonction des ratios de nutriments [BOUGARAN, 2014].
Valeurs optimales des paramètres physico-chimiques
Les cultures de microalgues ont déjà fait l’objet de nombreuses études et expérimentations, notamment en ce qui concerne les optimums de croissance. Ces valeurs peuvent varier en fonction des espèces de microalgues, du type de réacteur utilisé ou encore des injections potentielles de CO2 dans le milieu de culture, cependant les études réalisées utilisaient souvent les souches d’algues Scenedesmus et Chlorella, qui sont également les principales espèces présentes dans le consortium naturel prévu pour les expérimentations au cours de ce stage.
Les métaux sont également nécessaires à la croissance algale, mais seulement à l’état de traces. Généralement, le digestat apporte ces éléments en quantité suffisante. Les valeurs optimales pour certains éléments comme le P peuvent être très disparates. En effet, le phosphore présent dans le milieu de culture peut être stocké par les algues, qui peuvent alors continuer de croître même lorsque le milieu est épuisé en phosphore [PERDRIER, 2019]. En ce qui concerne la DCO, Demande Chimique en Oxygène, ce paramètre est lié à la turbidité du milieu de culture. Elle peut donc freiner la croissance des algues lorsque sa valeur est trop élevée. Il en est de même pour la température : les hautes températures sont plus néfastes que les basses températures pour la croissance des algues. En effet, une température trop importante désactive certaines protéines nécessaires à la photosynthèse. Par ailleurs, à une température optimale, les algues tolèrent une irradiation plus importante. En outre, les hautes températures favorisent le développement des bactéries AOB, une catégorie de microorganismes oxydant l’ammoniac [GONZALES-CAMEJO et al, 2019].
Le pH est également un paramètre déterminant pour la croissance algale. Le pKa du couple NH4+/NH3 est de 9,2, ce qui signifie que lorsque le pH du milieu est inférieur à 9,2 la majorité des ions sont sous la forme NH4+ . A l’inverse, lorsque le pH du milieu est supérieur à 9,2, les ions sont majoritairement sous la forme NH3. Or, le NH3 est un gaz et tendra à se volatiliser, provoquant une perte d’azote au niveau de l’atmosphère. Un pH trop élevé aura donc tendance à occasionner une perte de matière, ce qui sera à éviter : en effet, la perspective du projet est la valorisation de l’azote via sa concentration de l’azote sous forme solide au sein des microalgues.
Enfin, une concentration d’algues trop importante peut nuire au développement de ces dernières. La concentration à ne pas dépasser dépend de l’épaisseur d’eau dans le milieu de culture : plus l’épaisseur d’eau augmente, moins la concentration d’algues dans le bassin devra être importante afin de limiter le self-shading. Par exemple, dans le cas d’un photobioréacteur, l’épaisseur est très faible et la lumière pénètre dans le milieu de culture par plusieurs côtés : la concentration d’algues pourra donc être plus importante que dans un bassin raceway dont la hauteur d’eau est généralement entre 20 et 35cm. Dans un système raceway, la concentration en microalgues sera comprise entre 0,2 et 1 g/L, dans un système PBR entre 1 et 5 g/L et dans un système de plaque (avec une épaisseur d’eau de quelques millimètres) elle pourra s’élever à 20 g/L. L’alternance des phases obscures et lumineuses causée par le remous augmente par ailleurs l’efficacité de l’utilisation de la lumière par les algues [LAWS et al, 1983].
Utilisation des nutriments par les algues
Le N est stocké dans les algues sous forme de NH4+ et de NO3- . Le NO3- doit être réduit en NO2- puis en NH4+ avant l’amination qui conduit à la transformation en acides aminés ou en acides nucléiques, son utilisation par les microalgues demande donc davantage d’énergie que l’utilisation directe du NH4+ . L’absorption de NH4+ est donc bien supérieure à celle de NO3- [EZE et al, 2018]. L’utilisation des différentes formes d’azote par les microalgues a également un effet sur le pH du milieu de culture : en utilisant le NH4+ , elles consomment simultanément des ions OHdans le milieu et font ainsi diminuer le pH. Au contraire, elles produisent des ions OHlorsqu’elles réduisent le NO3- et ont alors tendance à basifier le milieu.
Le N peut être absorbé par les microalgues par transport passif ou actif. Le transport passif repose sur le gradient de concentration en nutriments entre le milieu de culture et le milieu interne de l’algue : pour cela, la concentration en N intracellulaire doit être inférieure à sa concentration dans le milieu. Ce processus est cependant peu fréquent dans le milieu naturel, où les concentrations en N intracellulaire sont souvent bien plus élevées que les concentrations dans le milieu extérieur. Un milieu à base de digestat est cependant plus concentré en N que le milieu naturel, mais il n’est pas possible d’utiliser un digestat trop concentré qui pourrait être trop turbide pour laisser passer la lumière nécessaire à la croissance algale. Le transport actif est, lui, basé sur l’action d’une protéine transmembranaire Na+ -ATPase. Une à deux moles d’ATP sont ainsi nécessaires pour transporter une mole de NO3- . L’ATP sert à la fois au transport du N et du C, et le nombre de molécules d’ATP disponibles pour le transport déclenche une « compétition » entre ces deux éléments.
Si les algues ont besoin à la fois de N, P et C pour survivre, les apports de N et de P doivent être simultanés pour permettre la croissance algale. Une carence en P occasionne un découplage entre la phase d’absorption et celle d’assimilation du N par les microalgues. La croissance algale cesse, et le N organique est alors excrété par les microalgues sous la forme d’acides aminés, qui peuvent potentiellement être réutilisés par les algues, soit directement soit après reminéralisation [BOUGARAN, 2014]. Les cellules mortes de microalgues peuvent également rejeter des nutriments dans le milieu [SERRA-MAIA et al, 2016].
La limitation de la croissance algale dépend également des interactions entre différents facteurs et paramètres : on parle alors de co-limitation. Lorsque les concentrations en nutriments sont trop faibles pour pouvoir être absorbées, il s’agit d’une co-limitation multi-nutriments. La co-limitation biochimique a lieu lorsqu’une ressource limitante qui facilite l’absorption d’une autre ressource limitante est ajoutée au milieu. Par exemple, l’ajout du fer nécessaire à l‘activité de la nitrite réductase facilite l’absorption du NO3- . Enfin, on parle de co-limitation communautaire lorsque la diversité des populations phytoplanctoniques permet de limiter la compétition entre les espèces, qui n’ont pas les mêmes besoins [BOUGARAN, 2014]. La limitation de certains nutriments permet également de produire certaines molécules. En effet, c’est en absence de N que les microalgues produisent le plus de lipides en utilisant la chlorophylle comme source de N. La culture prend alors une couleur jaune [LIN LUO et al, 2019].
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Table des matières
Introduction
1. Etat de l’art
1.1 Le digestat comme substrat pour les microalgues
1.2 Les espèces de microalgues
1.3 Valeurs optimales des paramètres physico-chimiques
1.4 Modes de croissance
1.5 Utilisation des nutriments par les algues
1.6 Interactions entre les algues et les bactéries
1.7 Comparaison des productivités algales en raceway et photobioréacteur
2. Matériel et méthode
2.1 Description des expérimentations
2.1.1 Entretien d’un inoculum
2.1.2 Description des systèmes raceways et des expérimentations
2.1.2.1 Expérimentation n°1 avec du NO3-
2.1.2.2 Expérimentation n°2 avec du NH4+
2.1.2.3 Expérimentations n°3 avec du digestat
2.2 Suivi analytique des expérimentations
2.2.1 Description des méthodes analytiques
2.2.1.1 Biomasse
2.2.1.2 Physico-chimie
2.3 Description du modèle
2.3.1 Fonctionnement et processus pris en compte par le modèle
2.3.2 Améliorations du modèle
2.3.2.1 De la version 1 à la version 2
2.3.2.2 De la version 2 à la version 3a, 3b et 3c
3. Résultats des simulations numériques du procédé de culture de microalgues en réacteur ouvert
3.1 Comparaisons des résultats des simulations numériques avec les résultats expérimentaux
3.2 Etude des interactions entre les algues et les bactéries en fonction des conditions
3.3 Etude de la dynamique du carbone
3.3.1 Tests d’efficience du CO2 injecté en fonction de la concentration en CI initial
3.3.2 Tests avec variation du pH
3.3.3 Tests avec variation des concentrations de saturation du CO2 surface et injection
3.3.4 Tests avec variations du KCO2algues
3.3.5 Tests de l’impact des AOB et NOB sur le cycle du carbone
3.4 Etude de la dynamique de l’azote
3.5 Conclusion sur les améliorations apportées au modèle
4. Résultats des expérimentations de répétabilité
4.1 Répétabilité en conditions abiotiques
4.2 Répétabilité en conditions biotiques
4.2.1 Résultats de l’expérimentation n°1
4.2.2 Résultats de l’expérimentation n°2
4.2.3 Résultats de l’expérimentation n°3
Conclusion
Bibliographie
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