« L’identité culturelle de l’Europe c’est le dialogue »
Le sujet de cet ouvrage peut paraître classique. Cependant, toutes les problématiques qui l’entourent n’ont pas été résolues. Les évolutions jurisprudentielles récentes et en cours le démontrent. Le dialogue des juges, comme le renvoi préjudiciel européen, ont fait l’objet de multiples analyses des sphères juridictionnelles et universitaires, mais l’existence de commentaires très différents, parfois même contradictoires, permet de réinterroger le dialogue des juges, son existence, ses manifestations, ses canaux ou ses effets et accomplissements. Cela mettra en lumière les attentes que certains nourrissent à son égard et les critiques que d’autres formulent à son encontre. L’état avancé de la science et des analyses enrichie l’étude qui doit évoluer. D’une nécessité, le dialogue des juges par le renvoi préjudiciel et, plus particulièrement, le dialogue préjudiciel entre le juge administratif français et la Cour de justice est devenu une réalité actuellement perfectible. Une analyse dynamique du parcours dialectique des juges sous examen est nécessaire, car il tend à devenir une problématique centrale de notre temps. La multitude de colloques et d’études consacrés à ce thème démontre que la question revêt une actualité certaine et devient un enjeu scientifique d’importance . Le dialogue des juges ne peut être considéré comme un ‘‘slogan’’ supplémentaire dans la société de communication actuelle, où tout passe par le langage, le discours, les mises en relations et les enchevêtrements, y compris le droit et son application par les juges . L’enthousiasme doctinal et juridictionnel créé par ce thème permet une analyse renouvelée , car cet engouement a pu avoir comme effet pervers de diluer le sens de l’objet d’étude , légitimant ainsi un constat péremptoire d’obsolescence et détournant l’attention de ce qui mérite pourtant d’être analysé en profondeur. Le dialogue des juges est aujourd’hui un phénomène juridique fondamental , renvoyant à des éléments essentiels pour la conception contemporaine du droit . Les relations tissées par les renvois préjudiciels du juge administratif français à la Cour de justice, plus spécifiquement, ont, elles aussi, été maintes fois débattues. Il est toutefois possible d’en renouveler l’étude en y incluant la juridiction administrative française, dans son ensemble, sans limiter l’analyse au Conseil d’État , même s’il en représente la juridiction suprême et y occupe une place absolument essentielle. Cette analyse de l’ordre de juridiction en son entier révèle des aspects non encore décrits en doctrine.
Depuis l’atténuation de la controverse relative à la théorie de l’acte clairet à la règle du précédent, depuis la cessation des réticences quant à l’invocabilité des directives, ou plus globalement depuis l’apaisement des relations entre le juge administratif français et la Cour de justice, rares ont été les études d’ensemble. La doctrine a préféré d’autres sujets, comme les relations et articulations de compétences juridictionnelles entre les cours européennes et constitutionnelles , entre la Cour de justice et la Cour européenne des droits de l’Homme, sujet d’ailleurs bouleversé par les débats relatifs à l’adhésion de l’Union européenne à la Convention et l’avis 2/13, du 18 décembre 2014 . L’état d’apaisement global des relations entre les juges administratifs français et la Cour de justice de l’Union, a pu marginaliser des questions subtiles, sur lesquelles il convient de revenir et qu’il faut envisager sous un jour nouveau, afin de s’essayer à de nouvelles propositions et présentations, d’envisager des réformes, ou d’en faire ressortir les aspects pragmatiques contemporains . Le renouvellement de l’étude des relations préjudicielles entre le juge administratif français et la Cour de justice ne passe évidemment pas par sa liaison avec le dialogue des juges, alors que le Président B. Genevois l’appelait de ses vœux dès 1978. Cependant, la mise en perspective de ces deux thèmes permettra de transfigurer l’étude par la révélation d’une synergie particulière. Le juge administratif français se trouve, de jure, dans une situation identique à celle des autres juges internes face au droit de l’Union mais, de facto, de nombreux éléments le différencient. Par bien des aspects cet ordre juridictionnel a démontré sa spécificité. L’analyse, stato centrée peut, malgré cette circonscription, rejaillir sur l’ensemble de la communauté juridictionnelle européenne.
Le dialogue préjudiciel entre le juge administratif et la Cour de justice, formulé ici comme l’affirmation d’une réalité ne reflète pas entièrement les enjeux de cette thématique, du fait de sa limite terminologique. Sans doute aurait-il été possible d’utiliser les termes d’instauration ou de perfectionnement du dialogue des juges par le renvoi préjudiciel. Toutefois, de telles approches auraient mené à une analyse purement évolutionniste, délaissant les aspects théoriques sous-jacents de ce sujet spécifique (§ 1), alors qu’il s’agira de présenter de manière originale et dynamique une analyse provenant d’une controverse autour de la notion de dialogue des juges (§ 2), cristallisée autour du dialogue préjudiciel (§ 3 et §4), mettant en lumière l’évolution contemporaine de la figure du juge (§ 5), dans un contexte scientifique global en cours de renouvellement (§ 6).
Les spécificités du dialogue préjudiciel entre le juge administratif français et la Cour
Les juges administratifs, en Europe, présentent des particularités, en tant que juge de la contestation des actes administratifs explicites ou implicites, des décisions, des contrats ou des omissions de l’administration, sur demandes des administrés, des personnes privées ou d’autres personnes publiques. Les procès administratifs sont différemment orchestrés dans les États membres. Ils peuvent se dérouler collégialement, à juge unique ou statuant seul, suivre une procédure accusatoire ou inquisitoire .
La motivation des jugements varie également pouvant être succiencte ou détaillée, comportant ou non des références à des jurisprudences nationales ou européennes. Dans ce contexte européen, le juge administratif français se caractérise par une motivation succincte, d’ailleurs, en cours de réforme. Les références expresses aux jurisprudences, notamment de la Cour de justice, sont croissantes et utilisées en tant que de besoin. Même hétérogène, cette pratique de citations ou de visas de références jurisprudentielles est le témoin d’une acclimatation progressive du droit processuel administratif à mesure que l’intégration européenne s’intensifie.
L’adaptation du juge administratif français à un droit considéré comme nouveau, à une certaine époque, fut problématique, en raison notamment de sa structuration. Le Vice-président du Conseil d’État, B. Denoix de Saint Marc, critiquait la « mauvaise qualité du droit européen sur le plan de la forme et de la clarté » de ce droit, résultant « de négociations ardues », ne procédant « pas de concepts juridiques préétablis ou d’une hiérarchie des normes précise, mais […] d’une juxtaposition de réglementations dans des domaines divers. » .
D’importantes difficultés historiques ont été rencontrées pour asseoir la légitimité, la mise en pratique et la primauté du droit européen, alors que la Cour de justice s’employait à dégager les principes directeurs et fondamentaux de la construction communautaire .
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Table des matières
Introduction
Première partie : Le dialogue des juges au soutien du renvoi préjudiciel Des balbutiements à une effectivité
Titre 1 : Des défauts procéduraux en amont résolus par voie dialogique
Chapitre 1 : Un maniement traditionaliste du renvoi préjudiciel européen par le juge administratif
Chapitre 2 : L’adaptation européenne des outils procéduraux internes
Titre 2 : Les défauts procéduraux en aval résolus par voie dialogique
Chapitre 1 : L’autorité de la chose jugée à titre préjudiciel
Chapitre 2 : Les effets dans le temps des décisions préjudicielles
Deuxième partie : Le renvoi préjudiciel au soutien du dialogue des juges D’une nécessité à une perfectibilité
Titre 1 : Le dialogue préjudiciel comme réponse au pluralisme juridique
Chapitre 1 : La multiplication des procédures de dialogue direct entre les juges en Europe
Chapitre 2 : Analyses numériques et symptomatiques du dialogue préjudiciel entre le juge administratif et la Cour
Titre 2 : Le dialogue préjudiciel comme facteur et enjeu de perfectionnements nécessaires
Chapitre 1 : Les évolutions de la figure du juge
Chapitre 2 : La perfectibilité du dialogue préjudiciel
Conclusion générale
Bibliographie
Annexe : Table de jurisprudence
Conseil d’État, 93 affaires
Cours Administratives d’Appel, 15 affaires
Tribunaux Administratifs, 71 affaires
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